Il serait regrettable de revenir sur la réforme des professions réglementées, du transport par autocar, du permis de conduire – beaucoup de nos jeunes l’attendent – ou de la simplification des procédures pour les grands projets. Réduire l’ambition, ce serait en quelque sorte accepter de ne pas être au rendez-vous. Mon état d’esprit, à l’ouverture de cette discussion, est celui d’une ambition commune, mais nous ne pourrons pas construire de bons accords aux dépens des ambitions du Gouvernement.
Je ne considère le Sénat ni comme une chambre d’enregistrement ni comme une chambre de rejet, mais comme une étape à part entière du débat démocratique. Nos discussions ne doivent pas nous empêcher de continuer à avancer, à réformer et à traduire en actes ces réformes, car nos concitoyens les attendent et les réclament. Pour ma part, je n’aurai qu’un seul objectif : l’intérêt général. Collectivement, utilement, avançons dans ce sens autour des trois axes du projet de loi : libérer, investir et travailler.
Libérer – c’est le premier pilier du texte –, c’est donner des accès à notre système, à certains emplois, à certains secteurs. La première égalité à restaurer, c’est l’égalité des opportunités.
L’ouverture concerne certains secteurs majeurs de notre économie. Le projet de loi prévoit notamment de réformer le secteur des autocars, que j’évoquais il y a un instant, afin de favoriser la mobilité. Aujourd'hui, il est impossible de se rendre à peu de frais où l’on veut – par exemple d’aller à Nantes depuis Bordeaux – autrement qu’en voiture ou en train. L’an dernier – je ne citerai que ce chiffre, pour qu’il soit présent dans les esprits –, seules 110 000 personnes ont voyagé en car en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. En effet, notre droit pose une interdiction de principe : dans ce domaine, la liberté d’entreprendre est une dérogation.
La portée de la réforme a été – nous aurons l’occasion d’en discuter – quelque peu réduite par les travaux de la commission spéciale, qui a notamment relevé à 200 kilomètres le seuil en dessous duquel l’autorité organisatrice des transports pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après avis simple de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Or il faut garder l’ambition de mobilité et de simplicité du projet initial. Il s’agit à la fois de favoriser la mobilité de nos concitoyens, en particulier des plus modestes, et de libérer la capacité à entreprendre et à créer de l’emploi dans un secteur important.
Favoriser la mobilité, cela concerne aussi le permis de conduire. La réforme engagée par le Gouvernement en juin 2014 a franchi une étape importante à l’Assemblée nationale. De nouveaux droits ont été reconnus et une organisation administrative de l’examen pratique et des cours dispensés en amont a été créée pour réduire à 45 jours – c’est la moyenne européenne – les délais d’attente, qui sont aujourd'hui de 98 jours en moyenne et atteignent 200 jours dans certaines régions.
La situation actuelle est une entrave à la mobilité sur le territoire, mais c’est surtout une entrave à l’accès à l’emploi – elle empêche certains de se déplacer pour répondre à une offre d’emploi ou pour travailler – et à la liberté de se distraire. C’est donc une véritable injustice. Réduire l’ambition de la réforme adoptée par l’Assemblée nationale, c’est retirer des chances, en rendant l’obtention du permis de conduire moins simple et moins rapide. Peut-être peut-on faire mieux encore ; je n’aspire qu’à être convaincu. On peut aller plus loin, mais on ne saurait aller moins loin, car le statu quo n’est pas satisfaisant.
Libérer l’activité, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Certains secteurs de notre économie sont insuffisamment transparents, voire même capturés par quelques acteurs. Le projet de loi prévoit de renforcer la transparence à tous les niveaux. Il s’agit par exemple de s’assurer que les documents d’urbanisme ne soient pas trop restrictifs et de permettre un meilleur fonctionnement du marché de la distribution, en donnant des pouvoirs supplémentaires à l’Autorité de la concurrence ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette injonction structurelle.
Renforcer la transparence, c’est aussi permettre à une autorité de régulation, ainsi qu’au Parlement, de mieux réguler les concessions autoroutières. S’il y a bien un domaine dans lequel nous avons échoué collectivement depuis dix ans, c’est celui-là : force est de constater que les concessions autoroutières n’ont pas été régulées de manière satisfaisante. Le projet de loi prévoit d’étendre les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, à la régulation du secteur autoroutier et du transport régulier routier de personnes ; il s’agit des autocars, dont je viens de parler. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.
L’ARAFER aura pour mission d’appuyer l’État dans les négociations tarifaires avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Elle devra notamment garantir la meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers dans le cadrage financier des investissements autoroutiers, un meilleur paramétrage des contrats de concession et une plus grande transparence dans les procédures de passation des marchés de travaux. C’est sur ce dernier point que nous avons tout particulièrement échoué. L’ARAFER sera dotée des pouvoirs d’investigation nécessaires au suivi des contrats. L’Assemblée nationale a également introduit une disposition prévoyant l’information du Parlement avant la conclusion des contrats. En outre, des clauses de bonne fortune devront obligatoirement être introduites dans le cadre d’une remise à plat des contrats pour les futures concessions.
Je tiens à saluer, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire ici même il y a quelques semaines, le rapport du groupe de travail parlementaire qui s’est réuni pendant près de deux mois afin de rendre une expertise sur le sujet. Dans la lignée du rapport, plusieurs amendements ont été déposés, notamment par Jean-Jacques Filleul, afin de renforcer la transparence des contrats et le pouvoir d’information et d’analyse de l’ARAFER.
Il est aussi proposé d’interdire pour l’avenir l’allongement systématique de la durée des concessions, qui avait été fortement critiqué tant par des parlementaires de tous bords que par les PME du secteur. Les plans de relance éventuels doivent être pleinement transparents vis-à-vis du Parlement et être soumis au plein contrôle, dans tous ses aspects économiques, de la nouvelle autorité de régulation.
Par ailleurs, le projet de loi a pour objectif de moderniser les professions du droit. Cet aspect a beaucoup fait parler de lui. La version du texte adoptée par votre commission spéciale indique que vous ne partagez pas l’approche que nous proposons pour atteindre cet objectif.