Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 7 avril 2015 à 16h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, corapporteur :

Enfin, dans un élan d’unanimité, notre commission spéciale a su se montrer plus ferme que vous, monsieur le ministre, puisqu’elle a supprimé l’article 82 bis relatif à l’adaptation des jours fériés outre-mer.

J’en viens aux autres dispositions relatives au droit du travail.

La commission spéciale a tout d’abord supprimé la demande d’habilitation du Gouvernement à réformer par ordonnance les pouvoirs de l’inspection du travail. Cette demande nous a semblé injustifiée, car nous connaissons très précisément son contenu depuis plus d’un an, lorsque notre assemblée a examiné et rejeté, en février 2014, l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Cette réforme suscite de nombreuses inquiétudes, dans les entreprises comme chez les inspecteurs, et le recours à une ordonnance ne permet pas d’y répondre.

La commission spéciale a également parachevé la réforme du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel, qui traduit un engagement du Président de la République, en supprimant la peine d’emprisonnement d’un an en cas d’entrave à leur constitution, tout en portant l’amende afférente à ce délit à 15 000 euros.

Nous avons également supprimé les nombreux verrous qui obèrent le développement des accords de maintien de l’emploi, dont l’échec est manifeste, tout en donnant la possibilité aux partenaires sociaux dans l’entreprise de conclure des accords de développement de l’emploi qui seront soumis aux mêmes règles. Gages de flexibilité interne, ces accords permettront aux entreprises de répondre aux fluctuations de l’économie en modifiant l’organisation et la répartition du temps de travail de leurs salariés. L’économie française ne sera plus condamnée à recourir à des ajustements externes qui pénalisent les salariés en contrat précaire et nourrissent le chômage de masse. Nous attachons donc une grande importance à ces accords, car ils pourraient redonner de l’oxygène à nos entreprises qui en ont plus que jamais besoin.

Sur ma proposition, la commission spéciale a également simplifié deux mécanismes qui sont un frein au développement des entreprises et une source de très grande inquiétude pour les chefs d’entreprise. Elle a mis en place un dispositif permanent de lissage dans le temps des conséquences du franchissement des seuils sociaux, afin de laisser trois ans aux entreprises pour se conformer à leurs nouvelles obligations. Dans la même optique, elle a relevé de onze à vingt et un salariés l’effectif à partir duquel l’élection de délégués du personnel devient obligatoire. Enfin, elle a apporté plusieurs modifications au compte personnel de prévention de la pénibilité, en supprimant la fiche individuelle de suivi de chaque salarié et en le recentrant, pour l’instant, sur les trois facteurs de pénibilité dont la mesure est opérationnelle.

S’agissant du volet relatif à l’épargne salariale et à l’actionnariat salarié, la commission spéciale a souhaité s’inscrire, pour partie, dans la continuité des travaux du COPIESAS, ainsi que dans celle du projet de position commune des partenaires sociaux. Elle a ainsi abaissé de 16 % à 12 % le taux du forfait social applicable à un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO, dont au moins 7 % des fonds sont destinés au financement des PME et des ETI. Elle a également totalement exonéré de cette contribution pendant trois ans les entreprises employant moins de cinquante salariés qui concluent pour la première fois un accord de participation ou d’intéressement, tout en prévoyant un taux réduit de 8 % pendant les trois années suivantes.

La commission spéciale a également veillé à tenir compte des spécificités des petites entreprises. Elle a en effet obligé les branches professionnelles à négocier, avant le 30 décembre 2017, un accord d’intéressement qui sera directement applicable par les entreprises souhaitant y avoir recours. Elle a par ailleurs suspendu pendant trois ans l’obligation de conclure un accord de participation pour les entreprises qui franchissent le seuil de cinquante salariés, si elles disposent déjà d’un accord d’intéressement et qu’elles l’appliquent continûment pendant cette période.

La partie du texte qui m’incombe comporte également des mesures qui, si elles ne relèvent pas du champ de l’épargne salariale, visent à améliorer le financement des entreprises. On citera, à titre d’exemple, la création de la société de libre partenariat, un nouveau véhicule de capital-risque destiné à attirer les investisseurs institutionnels étrangers. Je me félicite de bon nombre de ces mesures, qui constituent des avancées modestes, mais réelles.

Toutefois, comme le souligne la dernière note de conjoncture de l’INSEE, l’investissement des entreprises est actuellement au point mort, alors même que les autres moteurs de la croissance repartiraient enfin plutôt à la hausse. Face à l’urgence de la situation, la commission spéciale a tenu à renforcer le texte issu de l’Assemblée nationale plutôt que d’attendre une hypothétique « loi Macron II ». À titre d’exemple, la commission spéciale a adopté un amendement rendant la réduction d’impôt « Madelin » éligible au plafonnement global des avantages fiscaux de 18 000 euros, contre 10 000 euros dans le droit en vigueur. En contrepartie d’un meilleur ciblage qui pourrait être exigé par la Commission européenne, la commission spéciale a également souhaité doubler le montant du plafond de la réduction d’impôt « ISF-PME », le portant à 90 000 euros.

De manière générale, les mesures retenues par la commission spéciale répondent à deux critères.

Premièrement, leur impact budgétaire demeure raisonnable. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas réalisé les économies qui auraient permis de faire des gestes fiscaux de grande ampleur en faveur du développement des entreprises et de la relance de l’activité économique. Le texte actuel ne semble pas adapté pour décider de tels aménagements, dans la mesure où il ne permet pas, contrairement à une loi de finances, de marcher sur deux jambes : réduction des dépenses et baisse des impôts.

Deuxièmement, les mesures retenues bénéficient aux PME. Pour ces sociétés, le niveau de risque très important, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et l’externalité positive liée à l’innovation technologique rendent indispensable la mise en place de dispositifs incitatifs visant à encourager les prises de participation.

Faire preuve de responsabilité budgétaire et d’efficacité économique : c’est de nouveau cette grille d’analyse que j’appliquerai dans ce domaine tout au long de l’examen du présent projet de loi.

Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma déception et de mon inquiétude quant à l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde l’examen de votre projet de loi devant le Sénat, tel qu’il résulte des nombreux amendements que vous avez déposés et dont nous avons commencé l’examen ce matin. Je vous ai bien entendu : vous avez déposé ces amendements « dans les délais », mais vous n’en avez retiré qu’une cinquantaine aujourd’hui, à quatorze heures trente-huit, courriel faisant foi.

Permettez-moi de faire un rappel. Lors de ses travaux, la commission spéciale a suivi une ligne directrice claire : ne pas se faire le porte-parole d’intérêts particuliers, mais se saisir de toutes les opportunités présentées dans le projet de loi pour engager les réformes indispensables à la relance de notre économie. Nous avons souhaité partager l’état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Pour quelle écoute ? Malgré l’engagement que vous avez pris lorsque la commission spéciale vous a reçu et les assurances que vous aviez alors formulées sur votre volonté d’œuvrer avec le Sénat pour améliorer votre projet de loi, vous proposez une remise en cause quasi systématique des modifications que nous avons apportées, comme si le Gouvernement considérait le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale comme l’alpha et l’oméga, l’optimum de la législation. C’est pourtant loin d’être le cas…

Monsieur le ministre, en dépit de toutes les concessions que vous avez dû faire, vous n’avez pas été en mesure de faire voter ce projet de loi par les députés !

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