Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 7 avril 2015 à 16h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Notre discussion intervient dans un contexte économique et social toujours plus dégradé. Les dernières annonces de l’INSEE en témoignent. On nous prédit une petite reprise de la croissance, mais sans création d’emplois. Si l’on regarde les choses de près, c’est en réalité le contenu et les objectifs du développement économique qui doivent être repensés pour impulser un nouveau mode productif, social et écologique. Faute de le faire, l’effet de votre politique de soutien aux profits et des 50 milliards d’euros que vous avez offerts aux entreprises sera nul sur l’emploi et les investissements, contrairement à ce que vous annoncez. En revanche, notre pays reste le champion des dividendes versés aux actionnaires.

Mais revenons à votre texte, monsieur le ministre.

Votre projet de loi est un vrai fourre-tout. On s’y perd, on s’y noie. Nous ne sommes pas dupes : cette confusion est organisée ; elle relève d’une tactique déjà éprouvée pour soustraire du débat public les mesures les plus antisociales.

Mais cette profusion de dispositions masque mal une profonde cohérence, cette ligne dérégulatrice qui traverse l’ensemble du texte et qui est directement inspirée du rapport de la commission Attali dont vous fûtes le corapporteur, et dont M. Sarkozy jugeait les propositions « raisonnables ».

D’ailleurs, M. Attali ne s’y trompe pas en déclarant : « Ce n’est pas pour son contenu que la loi Macron doit être votée, mais parce qu’elle pourrait annoncer d’autres lois portant sur des sujets de fond. Elle est un peu comme le démarreur d’une voiture dont le conducteur appuiera ensuite sur l’accélérateur. » Votre démarrage, monsieur le ministre, est déjà en vérité une belle accélération libérale !

Je prendrai quelques exemples, puisque l’importance du texte ne me permet pas de tout traiter.

Alors que tout – le social, l’économique, l’écologique – appelle le développement du ferroviaire, rien dans ce projet de loi ne l’encourage. Ce dernier, en autorisant le développement massif du transport par autocar en concurrence de la SNCF, envoie le signal exactement contraire, et accompagne la mise en œuvre prochaine du quatrième paquet ferroviaire européen de déréglementation.

Plus de la moitié des lignes TER, de nombreuses lignes Intercités sont menacées de fermeture dans un délai très court, selon un rapport rendu public cette semaine. Comment ne pas faire le lien ?

J’ajoute que les conséquences porteront tant sur le service public que sur l’industrie. L’industrie ferroviaire, fleuron déjà en difficulté, risque, elle aussi, d’être entraînée vers le bas, avec des dizaines de milliers d’emplois menacés. Tout ce que vous préparez conduit à prendre en étau cette grande entreprise publique qu’est la SNCF pour réaliser le rêve libéral du tout-concurrentiel.

Le développement massif du transport par autocar, en lieu et place du développement attendu du secteur ferroviaire, représente une dérégulation non seulement économique, mais aussi sociale. Il induit également un risque écologique. Le transport routier pollue alors que le transport ferroviaire est propre.

Un tel développement conduit, enfin, à une dérégulation des territoires, puisque des zones entières ne seront plus desservies ni par le train, abattu par la concurrence, ni par les autocars. Car quel transporteur privé desservira des lignes non rentables ?

Les privatisations constituent un autre axe majeur de la dérégulation organisée par votre texte.

La vente au secteur privé – avec le soutien de la droite, comme je viens de l’entendre – de 50 % du capital de GIAT Industries pour permettre la constitution d’une nouvelle entreprise appelée NEWCO, en partenariat avec la société privée allemande KMW, n’est pas acceptable, et ce à plusieurs titres.

Tout d’abord, le bien public est, une nouvelle fois, bradé au nom d’un hypothétique développement de l’entreprise. Aucune garantie n’existe et aucune évaluation n’a été faite pour asseoir cette assertion.

Ensuite, au-delà de la capacité de la puissance publique à peser sur les choix industriels, la souveraineté est engagée en matière militaire, bien sûr, mais aussi diplomatique. Qu’en sera-t-il du contrôle du marché de l’armement terrestre lorsque les rênes seront, de fait, confiées au privé ?

Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer le curriculum vitae de cette entreprise privée allemande détenue par la famille Wegmann ? Pouvez-vous préciser ou démentir l’implication de cette société dans une affaire de corruption dans le cadre de vente d’armement à la Grèce en 2000 ?

Deuxième lot de privatisation : les aéroports de Nice et Lyon, après celui de Toulouse et avant celui de Marseille.

Là aussi, nous bradons le patrimoine public. Pensez-vous une seconde que les futurs actionnaires auront comme priorité le service public et un développement du territoire harmonieux ? Il faudrait un miracle ! La privatisation de ces grandes infrastructures relève du dogme libéral et répond directement aux injonctions de la Commission européenne de mettre tous les trafics en concurrence.

Ce bradage généralisé – nous évoquerons au cours du débat la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies et la filialisation des CHU – a atteint des sommets caricaturaux dans toute l’Europe, particulièrement dans certains pays comme la Grèce, qui fait l’actualité en ce moment. Pour quel profit, hors celui des marchés et des actionnaires ?

L’ordonnance du 20 août 2014, qui, comme il se doit, n’a pas été débattue dans les enceintes parlementaires, est très importante et nous mènerons le débat, monsieur le ministre, sur des points qui, pour le moment, sont masqués dans le débat public. Car cette ordonnance ouvre la possibilité de privatiser toute entreprise publique à l’exception de celles qui sont protégées constitutionnellement, comme EDF ou ADP, alors que, auparavant, la liste en cause était limitative.

J’ai parfois l’impression que la conception gouvernementale de la gestion du patrimoine public relève plus du Monopoly que d’autre chose. Or il ne s’agit pas d’un jeu : c'est l’avenir de notre pays et de milliers de salariés qui est menacé par cette docilité à l’égard des exigences des marchés financiers.

Cette question des privatisations est, à nos yeux, cruciale. Le débat sur la nationalisation des autoroutes le montre. Il touche à des points essentiels et, là encore, vous avez décidé de renoncer.

Le troisième pilier de votre projet de loi, intitulé Travailler, apporte, quant à lui, de nombreuses satisfactions au MEDEF, qui – c'est un grand classique ! – en demande évidemment encore plus. Vous transcrivez dans la future loi les propos que vous avez tenus devant des patrons à Las Vegas : « Les entreprises pourront contourner des règles du travail rigides et négocier directement avec les employeurs. »

Par manque de temps, je ne détaillerai pas la liste des coups durs qui vont être portés, au nom de cette théorie, au monde du travail.

Vous banalisez le travail du dimanche – quoi que vous en disiez, c'est à cela qu’aboutira ce texte ! –, vous le généralisez, vous le déverrouillez. Vous assenez des poncifs : « Le travail du dimanche c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche. » Mais où est la liberté quand le travail du dimanche devient l’arme du chantage à l’emploi pour des salariés de plus en plus précarisés ?

Ce sont les salariés, les familles modestes, qui vont souffrir de cette disposition ; nous vous le prouverons au cours du débat. Le travail du dimanche ne permettra pas de créer plus d’emploi : aucune d’étude d’impact n’a pu démontrer le contraire. Il n’y a pas plus de consommation à la clé, car le budget reste identique; il a même régressé pour de très nombreuses familles.

Nous sommes, en vérité, en plein dogmatisme. Plus de déréglementation et la valeur consommation portée au pinacle : c'est comme cela qu’on va s’en sortir ! Sans doute est-ce votre monde idéal… D’ailleurs, quitte à étendre le travail du dimanche, pourquoi ne pas généraliser le travail de nuit, comme tendent à le faire certaines dispositions du projet de loi ?

Vous remettez en cause, dans le même esprit, les conseils de prud’hommes, dont vous limitez lourdement la capacité de jugement, sous prétexte de vouloir accélérer les procédures.

Vous dérégulez le droit du travail. Avec votre texte, le salarié et le patron pourront signer une convention dans le cadre du code civil, et non plus du code du travail. C’est un premier pas vers une justice à l’américaine : je le rappelle, aux États-Unis, les conflits du travail se règlent à 95 % entre avocats ! À votre avis, monsieur le ministre, qui aura les moyens de s’offrir les services des meilleurs cabinets ?

La réduction des compétences de l’inspecteur du travail et la simplification du droit du licenciement complètent ce tableau.

Dérégulation des transports, privatisations, attaques contre les droits des salariés sont donc des piliers de votre projet de loi.

Mais d’innombrables autres dispositions « simplifient » – pour ne pas dire « dérégulent » – les secteurs du logement et de l’urbanisme, ou encore la vie des entreprises, pour ce qui concerne les questions de transparence. Le Sénat pourra peut-être restreindre l’offensive démagogique contre les professions réglementées, mais la menace d’une libéralisation massive du secteur du droit est toujours présente.

Que dire, enfin, des cadeaux aux actionnaires, avec le développement des actions gratuites ou la validation des retraites chapeaux – c’est bien de cela qu’il s’agit –, que l’on nous avait promis de supprimer ?

Comptez sur nous pour revenir sur tous ces points au cours du débat. Et nous ne ferons pas que nous opposer : nous proposerons systématiquement des alternatives favorables aux salariés.

En revanche, ne comptez pas sur nous – et je m’adresse là aussi bien au Gouvernement qu’à mes collègues siégeant sur la droite de cet hémicycle – pour jouer les utilités dans le face-à-face de dupes que vous vous livrerez ! En effet, que fait la droite face à ce projet de loi ? Elle approuve à demi-mot. Elle minaude

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