Intervention de Henri Tandonnet

Réunion du 7 avril 2015 à 16h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo de Henri TandonnetHenri Tandonnet :

Le cap fixé dans le texte que nous examinons me paraît bien meilleur que celui du projet de loi initial. En effet, ce dernier semblait complètement excessif et visait à libéraliser à l’extrême un système qui fonctionne pourtant parfaitement dans son état actuel, et qui, de plus, est envié, voire même copié à l’étranger.

Cette réforme d’inspiration bruxelloise méconnaît l’approche de notre droit latin, structuré, écrit, focalisé sur la sécurité juridique et sur la protection des individus, notamment des plus faibles. Il faut bien le reconnaître, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était mal construit : il mettait en péril le maillage juridique précieux du territoire, ainsi que l’accès de chacun au droit, à l’équité et à la protection.

Il me semble, monsieur le ministre, que le glissement vers l’approche anglo-saxonne que vous proposez est loin d’être une innovation. Le libéralisme a déjà montré ses limites. Votre réforme n’est donc pas très moderne, hélas !

C’est avant tout l’éthique qui favorisera la bonne marche des entreprises dans la vie économique. Notre économie souffre surtout d’un manque de déontologie et de nombreux conflits d’intérêts, comme les crises récentes l’ont révélé.

J’ai l’impression que vous êtes en retard d’une guerre. En effet, dans le domaine de l’économie, aujourd’hui, la notion de concurrence a trouvé ses limites et le développement des entreprises se fait aussi sur de nouvelles valeurs.

Les professions du droit et du chiffre doivent permettre d’apporter ces garanties de déontologie, et ce n’est pas en les remettant entre les mains de sociétés de capitaux que vous favoriserez cette légitime aspiration.

J’ai été très surpris de voir dans le projet de loi initial que l’Autorité de la concurrence déciderait seule de la carte de l’implantation des offices, par le jeu d’une liberté d’installation encadrée. Je pense que la solution préconisée à la suite des travaux de la commission spéciale est bien plus cohérente, puisqu’il s’agit de donner au seul ministre de la justice la compétence nécessaire pour établir la carte délimitant les zones où l’implantation de nouveaux offices est libre. L’Autorité de la concurrence formulera un avis simple, ce qui est suffisant à mes yeux.

Il est nécessaire de laisser les professions réglementées sous la coupe du garde des sceaux. Demander à un ministère d’en être responsable et attribuer à un autre la fixation du nombre de professionnels concernés tout en faisant dépendre celle-ci de l’avis d’une autorité indépendante ne fonctionnera pas.

Dans la mesure où les notaires manient à la fois des fonds privés et publics, la surveillance de la profession entraîne des responsabilités importantes, que l’Autorité de la concurrence n’assumera pas. Qui connaît mieux la profession que le ministre de la justice qui, par le réseau de ses procureurs généraux, suit l’activité et surveille la compétence de ces professionnels ?

Pour ce qui concerne les tarifs, nos collègues de l’Assemblée nationale ont rétabli une certaine cohérence en soutenant les professionnels qui se trouvent dans des territoires économiques moins favorables.

Je pense que l’apport du Sénat a fait avancer la réflexion sur la prise en compte des spécificités de l’activité juridique en extrayant les dispositions relatives aux tarifs du code de commerce pour les placer dans un code de l’accès au droit. En effet, rien ne justifiait un tel rattachement, puisque les professions juridiques règlementées sont incompatibles avec la qualité de commerçant. Le ministre de la justice sera donc seul compétent pour arrêter ces tarifs, ce qui une fois encore revient à redonner de la cohérence à cette réforme menée par Bercy.

Par ailleurs, la commission spéciale a supprimé le caractère interprofessionnel du fonds de péréquation prévu à l’article 12 et créé un fonds par profession. Ce fonds de péréquation favorisera, je le pense, l’installation des jeunes, et c’est ce que vous visez. Il ne serait pas cohérent de l’utiliser pour activer l’aide juridictionnelle, qui doit relever de financements publics et qui doit faire l’objet d’un débat plus général, dans le cadre du projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle.

Le fonds de péréquation par profession, tel qu’il a été proposé par la commission spéciale, est à même de faciliter l’installation des jeunes. Avec un fonds de péréquation interprofessionnel, comment un jeune peut-il élaborer un projet d’entreprise s’il ne connaît pas la charge financière qu’il devra assumer au bout de six ans ?

La solution retenue par la commission spéciale permet, à travers le fonds de péréquation, d’épargner le jeune installé de la charge d’une indemnité aussi imprévisible qu’inéquitable, puisqu’elle sanctionnerait en quelque sorte le fruit de son travail et de sa compétence.

En mutualisant la charge au plan national, on favorise donc l’installation et on évite les conflits de voisinage.

J’aborde maintenant les sociétés interprofessionnelles, qui viennent à peine d’être mises en place par un décret de 2014. Le projet de loi bouscule un fragile équilibre entre le chiffre et le droit, mais aussi entre la direction de ces sociétés par les professionnels eux-mêmes ou par des représentants de sociétés de capitaux. Le périmètre étendu de ces sociétés autorise des collaborations source de conflits d’intérêts.

Par conséquent, il était nécessaire de séparer les professions du chiffre et du droit en excluant les experts-comptables, les administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que les avocats aux conseils du périmètre de ces sociétés.

La barre est donc redressée par rapport aux grands principes de cette réforme, même si je suis convaincu que celle-ci entraînera un processus de concentration peu favorable aux territoires ruraux et au public aux revenus modestes.

Après un important travail accompli par la commission spéciale, certains amendements pourront permettre d’adopter d’autres avancées. Je pense, par exemple, à la création de la profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. Je doute de la plus-value apportée par une fusion de ces deux professions, dont les modalités d’intervention sont différentes. Si, comme le souhaite le corapporteur, les exigences de qualification aujourd’hui propre à chaque profession doivent être préservées et favorisées, quel est alors l’intérêt de changer l’existant ?

En revanche, étendre aux commissaires-priseurs la vente de biens incorporels permettrait la valorisation d’actifs sociaux. Je présenterai un amendement en ce sens.

Dans ce même souci de qualification, il serait utile de remplacer le mot « expérience » par le mot « diplôme » pour toute personne sollicitant son installation en tant que notaire ou membre d’une autre profession réglementée. En effet, la seule référence à l’expérience ne peut suffire pour l’exercice d’une délégation de puissance publique.

Si nous libéralisons les professions juridiques réglementées comme vous le souhaitez, monsieur le ministre, essayons au moins de préserver les compétences professionnelles au moment où le droit se spécialise.

Enfin, si la réforme des conseils de prud’hommes apporte une meilleure formation des conseillers prud’homaux et une rationalisation de la procédure par un meilleur respect de l’échange contradictoire des moyens de droit et des pièces, la spécialisation des tribunaux de commerce statuant en matière collective est à prendre avec précaution. La solution trouvée en commission spéciale rétablit la proximité et la confiance nécessaires au redressement des entreprises.

En conclusion, si notre système réglementé de professions juridiques doit certainement évoluer, il ne me semblait pas utile de le mettre à terre ! Le travail du Sénat sur ce texte vise à préserver la déontologie, les compétences et l’expertise qui font la qualité des professions en cause. Il tend également à éviter les conflits d’intérêts qui viennent polluer une saine concurrence.

Je souhaite vivement, monsieur le ministre, que vous teniez compte de la qualité des apports du Sénat, afin de réduire les effets pervers que pourrait bien nous réserver l’application du présent texte dans la réalité.

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