Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période particulière de notre histoire. Notre pays doute de lui-même, alors qu’il est une grande nation ; il dispose d’atouts incontestables, ainsi que de moyens qui peuvent et doivent être à la hauteur de ses ambitions économiques et sociales.
À l’heure de la mondialisation, nous devons nous adapter sans nous renier, innover sans fracturer et progresser économiquement sans nous affaiblir socialement.
Plus de compétitivité économique et plus de justice sociale : ce sont les deux jambes sur lesquelles il est nécessaire de nous appuyer pour combattre en même temps, et de manière tout aussi volontaire, les inégalités. Il s’agit d’un impératif tout autant politique qu’économique : les inégalités sont aussi source de faible croissance. Je souhaite que ce projet de loi, perfectible, et que ceux qui viendront ensuite gardent comme logique directrice ces quelques éléments.
Le texte arrive en discussion devant la Haute Assemblée dans un contexte politique particulier, au lendemain des dernières élections départementales. Le Gouvernement, comme nous tous, doit écouter et entendre les messages des urnes : des messages d’inquiétude, de désarroi parfois, d’indifférence ou encore de colère.
Je souhaiterais revenir plus précisément sur quelques aspects du projet de loi.
Permettre l’accessibilité géographique du territoire au plus grand nombre par une plus grande mobilité fait partie des enjeux de notre temps. C’est ce qui est proposé : le texte autorise l’ouverture des lignes d’autocar et raccourcit les délais d’obtention du permis de conduire. Voilà deux mesures utiles, notamment pour les jeunes ; elles ont des conséquences financières intéressantes.
De même, il est positif d’autoriser les crédits interentreprises. Les PME éprouvent parfois des difficultés à obtenir des crédits du secteur bancaire traditionnel, qui a trop souvent pris la mauvaise habitude de mettre « ceinture et bretelles » avant d’accorder son éventuel soutien. Un tel comportement n’aide au développement ni de nos PME ni de nos territoires.
L’adoption d’amendements déposés par Marc Daunis sur la question des aéroports devrait permettre de lever les inquiétudes quant au contrôle et à la maîtrise de la puissance publique en la matière, tout en reconnaissant en parallèle l’intérêt de contribuer à réduire nos déficits.
Par ailleurs, dans un contexte où nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés financières parfois graves, il était bon d’agir face à l’indécence de certaines retraites chapeaux ; c’est ce que prévoit le texte. Le bon sens ne conduit-il pas à affirmer qu’une rémunération de ce type ne peut qu’être liée, au minimum, à une performance ou à une prise de risques ?
Nous le savons, le projet de loi aborde de très nombreux sujets, recouvrant plusieurs ministères.
Parmi eux, le plan de sauvegarde de l’emploi revêt à mes yeux une importance non négligeable, tant sur le fond que sur les signes à envoyer à l’opinion. Lorsqu’une entreprise appartenant à un groupe se trouve en difficulté, il est logique que la santé financière de l’ensemble soit prise en considération et, a minima, que le reclassement en interne et l’éventuelle formation complémentaire des employés soient menés sous la responsabilité dudit groupe.
J’ai déposé un amendement en ce sens, un « amendement de bon sens », serais-je tenté d’ajouter. Je souhaite que vous l’examiniez avec une attention toute particulière, monsieur le ministre.
J’en viens au délit d’entrave à l’exercice du mandat syndical. Nous supprimons la peine de prison, qui n’était d’ailleurs jamais prononcée ; il est donc logique de la remplacer par une peine de substitution suffisamment dissuasive qui, au-delà de l’amende, pourrait par exemple tendre vers l’interdiction d’exercer la fonction de dirigeant d’une entreprise pendant cinq ans.
Cependant, la majorité sénatoriale de la commission spéciale a remis en cause des parties importantes du texte, voulant ainsi rompre l’équilibre que vous aviez tenté d’atteindre, monsieur le ministre. Ainsi, l’ouverture des magasins le dimanche s’effectuerait sans accord collectif et serait exonérée, dans plusieurs cas, de toute compensation salariale. Idem pour la suppression de la majoration de 30 % pour les surfaces alimentaires de plus de 400 mètres carrés. Ainsi, ce qui est remis en cause, c’est le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », donc la recherche d’un équilibre entre nécessité économique et impératif social.
C’est regrettable, tout comme l’est le souhait de la majorité sénatoriale de doubler la réduction d’impôt pour le financement de PME. Cela coûterait 100 millions d’euros aux Français. Élever le plafond des niches fiscales, qui sont déjà fort nombreuses, contribue plus à l’aggravation de notre déficit public qu’à un réel soutien à l’activité.
Nous l’aurons compris, tout cela repose en réalité sur une logique politique et des « marqueurs idéologiques », pour reprendre une expression utilisée tout à l’heure par Bruno Retailleau, qui ne sont pas les nôtres. Ceux qui s’interrogeaient sur les différences entre conservatisme et progressisme seront peut-être rassurés !
L’ouverture des magasins le dimanche est un sujet controversé. La création des zones touristiques internationales est indispensable pour accompagner le développement touristique de notre pays. Les contreparties prévues dans le texte pour les salariés vont de pair ; c’est positif.
Pour autant, dans l’esprit des lois de décentralisation, engagées par la gauche dès 1982, il serait de bonne logique que les maires concernés aient voix au chapitre et qu’une forme de codécision puisse se mettre en place. On ne peut pas plaider pour une libre administration des collectivités territoriales et refuser en même temps leur indispensable coordination.
Pour les autres possibilités d’ouverture dominicale, le cadre est globalement fixé. Vous le savez, il est source d’inquiétudes, voire de méfiance.
Or ces inquiétudes et cette méfiance ne sont pas dépourvues de fondement. Il faut entendre les arguments sociétaux qui les sous-tendent. Je vous renvoie à ce que certains déclaraient voilà quelques années : « Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la civilisation du loisir » ; ce n’est pas « un bon système de rémunération » de faire que certains soient « obligés de sacrifier leur vie de famille pour avoir un peu plus de pouvoir d’achat » ; l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche serait « une triple erreur : économique, politique et sociétale ».
Vous l’aurez compris, je considère que l’ouverture dominicale doit demeurer l’exception et qu’il faut à tout prix éviter une forme de banalisation.
Le nombre d’ouvertures potentiel mérite donc d’être rediscuté. Il est nécessaire de réfléchir encore sur ce sujet, ainsi que sur celui d’une prise en compte salariale minimale pour les commerces ouvrant le dimanche toute l’année.
Certes, les négociations entre partenaires sociaux sont indispensables. Mais il faut aussi une protection minimale ; le texte en définit bien pour d’autres zones commerciales. Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures ; il ne peut pas y avoir un droit du travail à deux vitesses ou à géométrie variable !
Globalement, ce projet de loi se veut l’expression d’un volontarisme utile à la bonne marche de notre pays. Certes, il peut, nous l’avons vu, bousculer certaines formes de corporatisme. Mais on peut bousculer sans stigmatiser. C’est ce que vous avez réussi à faire, monsieur le ministre ; cela me semble être une bonne méthode.
Nous le savons bien, dans le monde d’aujourd’hui, le statu quo est à bannir. Il faut donc tenir bon dans l’esprit de réforme. Mais il est aussi indispensable de tenir compte du message des urnes. Tenir bon et tenir compte : cela me semble être le bon chemin.
Voilà un an, j’avais présenté, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, un rapport intitulé : Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Je citais une phrase de Victor Hugo en étant loin de m’imaginer qu’elle pourrait s’appliquer à nos échanges d’aujourd’hui. Notre illustre prédécesseur sur ces travées écrivait ceci : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. » Osons remplacer le mot « homme » par le mot « société ». La société aussi est faite non pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes !
Monsieur le ministre, je vous souhaite, et je nous souhaite à tous bon courage !