La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.
La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yannick Vaugrenard.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période particulière de notre histoire. Notre pays doute de lui-même, alors qu’il est une grande nation ; il dispose d’atouts incontestables, ainsi que de moyens qui peuvent et doivent être à la hauteur de ses ambitions économiques et sociales.
À l’heure de la mondialisation, nous devons nous adapter sans nous renier, innover sans fracturer et progresser économiquement sans nous affaiblir socialement.
Plus de compétitivité économique et plus de justice sociale : ce sont les deux jambes sur lesquelles il est nécessaire de nous appuyer pour combattre en même temps, et de manière tout aussi volontaire, les inégalités. Il s’agit d’un impératif tout autant politique qu’économique : les inégalités sont aussi source de faible croissance. Je souhaite que ce projet de loi, perfectible, et que ceux qui viendront ensuite gardent comme logique directrice ces quelques éléments.
Le texte arrive en discussion devant la Haute Assemblée dans un contexte politique particulier, au lendemain des dernières élections départementales. Le Gouvernement, comme nous tous, doit écouter et entendre les messages des urnes : des messages d’inquiétude, de désarroi parfois, d’indifférence ou encore de colère.
Je souhaiterais revenir plus précisément sur quelques aspects du projet de loi.
Permettre l’accessibilité géographique du territoire au plus grand nombre par une plus grande mobilité fait partie des enjeux de notre temps. C’est ce qui est proposé : le texte autorise l’ouverture des lignes d’autocar et raccourcit les délais d’obtention du permis de conduire. Voilà deux mesures utiles, notamment pour les jeunes ; elles ont des conséquences financières intéressantes.
De même, il est positif d’autoriser les crédits interentreprises. Les PME éprouvent parfois des difficultés à obtenir des crédits du secteur bancaire traditionnel, qui a trop souvent pris la mauvaise habitude de mettre « ceinture et bretelles » avant d’accorder son éventuel soutien. Un tel comportement n’aide au développement ni de nos PME ni de nos territoires.
L’adoption d’amendements déposés par Marc Daunis sur la question des aéroports devrait permettre de lever les inquiétudes quant au contrôle et à la maîtrise de la puissance publique en la matière, tout en reconnaissant en parallèle l’intérêt de contribuer à réduire nos déficits.
Par ailleurs, dans un contexte où nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés financières parfois graves, il était bon d’agir face à l’indécence de certaines retraites chapeaux ; c’est ce que prévoit le texte. Le bon sens ne conduit-il pas à affirmer qu’une rémunération de ce type ne peut qu’être liée, au minimum, à une performance ou à une prise de risques ?
Nous le savons, le projet de loi aborde de très nombreux sujets, recouvrant plusieurs ministères.
Parmi eux, le plan de sauvegarde de l’emploi revêt à mes yeux une importance non négligeable, tant sur le fond que sur les signes à envoyer à l’opinion. Lorsqu’une entreprise appartenant à un groupe se trouve en difficulté, il est logique que la santé financière de l’ensemble soit prise en considération et, a minima, que le reclassement en interne et l’éventuelle formation complémentaire des employés soient menés sous la responsabilité dudit groupe.
J’ai déposé un amendement en ce sens, un « amendement de bon sens », serais-je tenté d’ajouter. Je souhaite que vous l’examiniez avec une attention toute particulière, monsieur le ministre.
J’en viens au délit d’entrave à l’exercice du mandat syndical. Nous supprimons la peine de prison, qui n’était d’ailleurs jamais prononcée ; il est donc logique de la remplacer par une peine de substitution suffisamment dissuasive qui, au-delà de l’amende, pourrait par exemple tendre vers l’interdiction d’exercer la fonction de dirigeant d’une entreprise pendant cinq ans.
Cependant, la majorité sénatoriale de la commission spéciale a remis en cause des parties importantes du texte, voulant ainsi rompre l’équilibre que vous aviez tenté d’atteindre, monsieur le ministre. Ainsi, l’ouverture des magasins le dimanche s’effectuerait sans accord collectif et serait exonérée, dans plusieurs cas, de toute compensation salariale. Idem pour la suppression de la majoration de 30 % pour les surfaces alimentaires de plus de 400 mètres carrés. Ainsi, ce qui est remis en cause, c’est le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », donc la recherche d’un équilibre entre nécessité économique et impératif social.
C’est regrettable, tout comme l’est le souhait de la majorité sénatoriale de doubler la réduction d’impôt pour le financement de PME. Cela coûterait 100 millions d’euros aux Français. Élever le plafond des niches fiscales, qui sont déjà fort nombreuses, contribue plus à l’aggravation de notre déficit public qu’à un réel soutien à l’activité.
Nous l’aurons compris, tout cela repose en réalité sur une logique politique et des « marqueurs idéologiques », pour reprendre une expression utilisée tout à l’heure par Bruno Retailleau, qui ne sont pas les nôtres. Ceux qui s’interrogeaient sur les différences entre conservatisme et progressisme seront peut-être rassurés !
L’ouverture des magasins le dimanche est un sujet controversé. La création des zones touristiques internationales est indispensable pour accompagner le développement touristique de notre pays. Les contreparties prévues dans le texte pour les salariés vont de pair ; c’est positif.
Pour autant, dans l’esprit des lois de décentralisation, engagées par la gauche dès 1982, il serait de bonne logique que les maires concernés aient voix au chapitre et qu’une forme de codécision puisse se mettre en place. On ne peut pas plaider pour une libre administration des collectivités territoriales et refuser en même temps leur indispensable coordination.
Pour les autres possibilités d’ouverture dominicale, le cadre est globalement fixé. Vous le savez, il est source d’inquiétudes, voire de méfiance.
Or ces inquiétudes et cette méfiance ne sont pas dépourvues de fondement. Il faut entendre les arguments sociétaux qui les sous-tendent. Je vous renvoie à ce que certains déclaraient voilà quelques années : « Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la civilisation du loisir » ; ce n’est pas « un bon système de rémunération » de faire que certains soient « obligés de sacrifier leur vie de famille pour avoir un peu plus de pouvoir d’achat » ; l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche serait « une triple erreur : économique, politique et sociétale ».
Vous l’aurez compris, je considère que l’ouverture dominicale doit demeurer l’exception et qu’il faut à tout prix éviter une forme de banalisation.
Le nombre d’ouvertures potentiel mérite donc d’être rediscuté. Il est nécessaire de réfléchir encore sur ce sujet, ainsi que sur celui d’une prise en compte salariale minimale pour les commerces ouvrant le dimanche toute l’année.
Certes, les négociations entre partenaires sociaux sont indispensables. Mais il faut aussi une protection minimale ; le texte en définit bien pour d’autres zones commerciales. Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures ; il ne peut pas y avoir un droit du travail à deux vitesses ou à géométrie variable !
Globalement, ce projet de loi se veut l’expression d’un volontarisme utile à la bonne marche de notre pays. Certes, il peut, nous l’avons vu, bousculer certaines formes de corporatisme. Mais on peut bousculer sans stigmatiser. C’est ce que vous avez réussi à faire, monsieur le ministre ; cela me semble être une bonne méthode.
Nous le savons bien, dans le monde d’aujourd’hui, le statu quo est à bannir. Il faut donc tenir bon dans l’esprit de réforme. Mais il est aussi indispensable de tenir compte du message des urnes. Tenir bon et tenir compte : cela me semble être le bon chemin.
Voilà un an, j’avais présenté, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, un rapport intitulé : Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Je citais une phrase de Victor Hugo en étant loin de m’imaginer qu’elle pourrait s’appliquer à nos échanges d’aujourd’hui. Notre illustre prédécesseur sur ces travées écrivait ceci : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. » Osons remplacer le mot « homme » par le mot « société ». La société aussi est faite non pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes !
Monsieur le ministre, je vous souhaite, et je nous souhaite à tous bon courage !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques porte-t-il bien son nom ?
La réponse à la crise économique, à la faiblesse de la croissance, à la hausse du chômage qui en découle, et la prise en compte des enjeux relatifs à la modernisation de la société française peuvent-elles prendre la forme d’un feuilleton de mesures législatives, sans véritable ligne directrice, ni interrogation sur le modèle de société que nous voulons ?
Nous ne pensons pas que la méthode utilisée permette des réformes structurelles en profondeur, menant à un environnement plus favorable au développement économique. Cette méthode parcellaire et transversale, qui a déjà été utilisée à l’automne dernier pour le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, semble pourtant avoir la préférence du Gouvernement.
Le programme de mesures aurait plusieurs ambitions.
Premièrement, moderniser les conditions d’exercice de nombre de professions réglementées.
Deuxièmement, revoir, pour les rendre plus performants, le cadre d’exercice de nombre de secteurs : écoles de conduite, justice prud’homale, activité des tribunaux de commerce, organisation du transport public de personnes, urbanisme.
Troisièmement, renforcer ou assouplir, pour les rendre plus justes, un certain nombre de dispositifs : les retraites chapeaux, l’emploi des personnes handicapées, les contrats d’insertion ou la prestation de services internationale.
Quatrièmement, et, à en juger par l’intitulé du projet de loi, c’est l’élément essentiel, relancer l’activité économique en proposant des exceptions au travail dominical – je pense à la création de zones touristiques internationales et d’autres sites à caractère concurrentiel, notamment dans les zones frontalières –, en facilitant la vie des entreprises et en favorisant le financement des projets d’investissement.
Je m’arrête là. Je n’aurai pas le temps de passer en revue les quelque 250 articles de ce projet de loi, qui touchent de manière parfois trop superficielle les domaines les plus divers de notre vie économique et sociale.
Permettez-moi d’insister sur le manque de lisibilité de la méthode choisie, qui, de projet de loi en projet de loi, ne rend pas notre horizon plus perceptible.
Vous nous demandez de nous prononcer dans sa globalité sur un texte qui comprend des mesures d’importance inégale. Certaines sont hautement symboliques ; d’autres sont plus pragmatiques. D’autres encore sont sans doute même inopportunes, notamment lorsqu’il s’agit d’essayer de poser l’empreinte du marché dans le domaine du droit. Dans l’ensemble, on ne peut pas avoir de position tranchée a priori ; certaines orientations méritent d’être recadrées, quand d’autres sont à encourager ou à accentuer.
Prenant acte de la méthode retenue, la commission spéciale du Sénat a joué le jeu. Elle a mené un travail significatif d’amélioration de l’ensemble des volets du texte. Je tiens ici à remercier son président, M. Vincent Capo-Canellas, ainsi que les corapporteurs, Mmes Catherine Deroche et Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet. Je souligne leur capacité à allier qualité de dialogue et travail constructif en vue d’aboutir à un texte plus équilibré. Ce texte, je n’en doute pas, trouvera encore à s’améliorer grâce à nos travaux.
À cet égard, monsieur le ministre, je trouve tout à fait regrettable que l’on prête à votre entourage immédiat – la presse s’en fait l’écho – des propos dénonçant le détricotage que le Sénat tenterait d’opérer.
Manifestement, Mme Bricq fait partie des adeptes de cette thèse au sein de notre Haute Assemblée !
C’est totalement contraire à l’attitude constructive qui a été la nôtre depuis le début de l’examen du projet de loi. En commission spéciale, nous avons tenté de rester dans l’esprit du texte. Nous nous sommes parfois retenus d’apporter des modifications plus substantielles.
De nombreuses propositions des sénateurs du groupe UDI-UC figurent dans le texte de la commission spéciale. Je pense notamment aux mesures relatives aux professions réglementées qui ont été présentées par mon collègue Henri Tandonnet et reprises par le corapporteur François Pillet.
En ma qualité de référent du groupe UDI-UC sur le volet économique et social, je reviendrai rapidement sur les améliorations apportées en la matière grâce au travail réalisé avec les corapporteurs.
Notre démarche a été la suivante : nous nous sommes concentrés sur les mesures permettant la création et l’augmentation de l’activité économique créatrice de richesses et d’emplois, tout en laissant autant que possible à la négociation avec les partenaires sociaux le soin de décliner et d’appliquer concrètement les dispositifs. Comme vous le savez, notre groupe est particulièrement attaché à la négociation collective.
Nous avons proposé des mesures complémentaires pour assouplir et simplifier encore plus notre cadre législatif sur certains points. À ce titre, nous avons présenté des amendements en commission spéciale et, à quelques détails techniques près, nous avons obtenu satisfaction.
Satisfaction d’abord sur la mise en place de seuils différents pour lisser dans le temps les effets du franchissement : le seuil qui était jusqu’à présent fixé à onze est porté à vingt et un. Attachés au rôle des institutions représentatives du personnel, nous avons estimé qu’il était opportun, en temps de crise, de suspendre certaines dispositions liées au franchissement des seuils et d’en mesurer les effets.
Satisfaction ensuite sur le compte pénibilité, dont le principe n’est absolument pas remis en cause : un dispositif plus simple à mettre en œuvre pour les employeurs est adopté et les risques professionnels recentrés sur les facteurs aisément mesurables sont pris en compte.
Satisfaction encore sur la création d’un cadre juridique simplifié pour la mise en place d’accords offensifs de maintien dans l’emploi, afin de préserver la compétitivité des entreprises et de notre économie.
Satisfaction enfin sur le crédit interentreprises, disposition introduite à l’Assemblée nationale, sous réserve de revoir sur un plan technique le dispositif d’accompagnement et d’encadrement proposé.
J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord sur une nouvelle rédaction du dispositif d’information des salariés en cas de cession de l’entreprise, afin de faire en sorte que l’information soit donnée quand un acquéreur s’est déclaré et non au moment des négociations préalables, dans l’intérêt même de l’entreprise et de ses salariés.
De nombreuses avancées figurent dans ce texte sur l’épargne salariale et l’actionnariat salarié. Je salue notamment la mesure d’abaissement du taux du forfait social relatif aux versements sur un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO. Il serait cependant opportun de passer le taux du forfait social des contributions employeurs pour les dispositifs d’épargne salariale de manière différenciée : à 16 % pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 51 et 249 salariés, et à 8 % pour les entreprises de moins de 50 salariés.
Enfin, notre action a été guidée par la volonté de clarifier et de faire respecter la loi, voire de dissuader la fraude. À ce titre, je vous proposerai, comme je l’avais fait en commission spéciale, d’augmenter l’amende sanctionnant les infractions à la réglementation sur le repos dominical en cas de récidive. J’espère que nous trouverons un terrain d’entente sur ce sujet avec la commission spéciale et le Gouvernement.
La mesure sur le travail du dimanche, si elle n’est pas la plus importante du projet de loi, a été très médiatisée ; elle revêt une portée symbolique. Je veux souligner mon attachement personnel, qui est, je le sais, partagé par nombre de collègues, à l’existence d’un jour de repos, réservé à une activité collective, familiale ou extra-familiale, qu’elle soit sociale, culturelle ou sportive, pour marquer une rupture hebdomadaire.
Cela dit, nous sommes unanimement favorables à toute mesure susceptible de créer des richesses et de l’emploi. Si l’ouverture dominicale des commerces peut être bénéfique dans les zones touristiques ou frontalières, l’effet positif d’une telle mesure est moins évident dans les autres parties du territoire en l’absence d’augmentation du pouvoir d’achat. Nous touchons là aux limites de l’élasticité d’une politique de l’offre !
Il y aurait lieu de clarifier l’application de la future loi, comme il aurait été nécessaire de le faire pour les règles actuelles, afin de garantir leur respect. Elles sont très largement contournées, avec des ouvertures sans autorisation ou des abus de cogérance fictive, et les sanctions sont insuffisamment dissuasives.
Je voudrais mentionner quelques mesures que nous avons proposées pour prendre date et qui mériteraient l’attention du Gouvernement. Je pense à la création de plateformes de cotations régionales ou de bourses régionales, idée défendue à l’Assemblée nationale par le groupe UDI, ou encore à la réutilisation sociale des avoirs saisis au crime organisé.
Le projet de loi esquive le sujet, qui revient souvent sur la table, de la durée légale du temps de travail de 35 heures, de ses aménagements et de ses effets sur l’activité économique. Ces points pourraient faire l’objet d’une conférence sociale spécifique réunissant les partenaires sociaux, comme l’a proposé le porte-parole du groupe UDI à l’Assemblée nationale lors de l’examen du texte. Nous n’avons pas souhaité rouvrir le débat au détour d’un amendement, mais la question reste posée.
Nous défendrons un amendement visant à supprimer la durée hebdomadaire minimum de 24 heures. Même s’il existe des possibilités de dérogation, cette règle entraîne d’importantes difficultés de mise en œuvre au détriment des employeurs, mais aussi des salariés, là où les négociations et les accords de branche ne sont pas possibles. Cela ne peut qu’encourager une résurgence du travail dissimulé.
Monsieur le ministre, je suis moins optimiste que vous sur les effets de levier directs ou indirects de votre projet de loi sur l’activité et sur la croissance. Les agents économiques, employeurs ou salariés, attendent des signaux plus forts sur le front des réformes.
Je suis impliqué depuis longtemps dans des responsabilités d’entreprises ; à mon sens, il faudra d’autres signes, plus tangibles, pour redonner aux entrepreneurs la confiance qui pèse au moins pour moitié dans une politique de relance.
Le projet de loi, malgré ses insuffisances et ses imperfections, peut contribuer à mettre en place un environnement plus favorable à la prise d’initiative et à l’investissement, sous réserve de permettre au Sénat de l’améliorer et de le compléter. Une telle ouverture, répondant à la nôtre, constituerait un gage d’unité dans l’effort de redressement économique auquel les entrepreneurs, les salariés et l’ensemble de nos concitoyens seraient sans doute sensibles.
Applaudissements au banc de la commission et sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de ne pas allonger inutilement les débats à cette heure avancée de la soirée, je me contenterai de revenir sur l’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite que nous abordions ce texte.
« Enrichir, améliorer, débattre », avez-vous dit tout à l’heure, monsieur le ministre. Je souhaite également que nous puissions enrichir notre économie, améliorer la situation de nos concitoyens et bien débattre : la démocratie y gagnerait.
Qui peut croire que l’économie n’est pas liée à la conjoncture ? Qui pourrait se plaindre des améliorations conjoncturelles et de la présence de signes de reprise et d’espoir ? Qui peut imaginer que la loi seule serait capable d’améliorer la situation économique ?
Le rôle d’une loi est de fixer un cadre qui protège, mais qui n’entrave pas. Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de la nécessité d’aborder certaines problématiques sous un angle différent, d’où le côté très éclectique du texte, que l’un des corapporteurs a souligné à juste titre.
C’est la raison pour laquelle ce texte visant à favoriser la croissance et l’activité comprend, quitte à en surprendre certains, des dispositions qui interpellent le monde juridique et judiciaire. Je pense notamment à la réforme des professions réglementées.
À cet égard, il y a deux objectifs essentiels. D’une part, il ne faut pas favoriser des rentes de situation : évitons que certaines professions, sous prétexte d’être réglementées et de bénéficier de situations monopolistiques, ne dégagent des profits démesurés sans être soumises aux règles de la concurrence. D’autre part, il faut ouvrir ces mêmes professions, à la fois sur elles-mêmes et sur les autres.
Néanmoins, et nous devons en tenir compte, si ces professions sont réglementées, c’est parce qu’elles sont censées rendre un service à l’État. Il s’agit d’officiers ministériels chargés de garantir la sécurité juridique des contrats ou des modalités de recouvrement – tout le monde préfère faire appel à un huissier plutôt qu’à une société de recouvrement –, ainsi que l’accès à la justice et le fonctionnement de celle-ci. Les avocats, tout comme d’autres professions réglementées, sont des auxiliaires de justice.
La question de l’équilibre, qui a été abordée par certains devant la commission spéciale, se pose donc. Le fait d’exercer une profession réglementée ne dispense pas de rendre des comptes.
Cependant, il n’est pas sûr que la concurrence constitue le meilleur rempart. J’ai donc déposé un amendement à l’article 12. Ne faut-il pas abandonner le « corridor tarifaire », comme cela a été fait à l’Assemblée nationale ? Est-il judicieux de prévoir des remises avec un plafond et un plancher ?
À mon sens, s’il y a des professions réglementées avec des tarifs, il ne peut y avoir ni de mise en concurrence ni de remise. En revanche, si les tarifs pratiqués donnent lieu à des profits excessifs compte tenu des valeurs, notamment immobilières, du moment, il n’y a aucune raison pour que ces professionnels chargés de rendre des services à l’État ne lui rendent pas aussi celui de lui reverser de l’argent pour favoriser l’accès au droit et à la justice. C’est une piste à creuser ; j’aimerais que nous puissions en débattre.
Monsieur le ministre, vous avez aussi voulu ouvrir ces professions à d’autres et faciliter le recours à l’interprofessionnalité. C’est le débat entre les professions du chiffre et celles du droit, qui peut paraître un peu « ringard » dans certains pays. Sans doute faut-il évoluer.
Cela soulève également la question du respect des territoires. Jacques Mézard a notamment insisté sur l’importance de maintenir partout la présence d’auxiliaires de justice et de notaires.
La présence de professionnels compétents – je pense en particulier aux avocats – me semble tout aussi importante que celle de professionnels en situation de monopole. Tous ces sujets devront être abordés en toute transparence.
Au demeurant, après les Big five, découverts en France à la suite du dépôt de bilan d’Arthur Andersen et de l’affaire Enron, la question de l’interprofessionnalité fait craindre les Big four ! On sait qu’il ne s’agit pas d’un modèle absolu. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous devrons sans doute veiller à empêcher la domination de certains professionnels sur d’autres. C’est le sujet qui préoccupe le plus le monde du droit. Cependant, s’il est important de sauvegarder nos spécificités, nous devons également être capables de nous ouvrir. Les professions réglementées n’ont sans doute pas su le faire suffisamment.
Enfin, le texte aborde la question de la réforme judiciaire. Je le rappelle tout de même, l’importance du dialogue dans les tribunaux de commerce est sanctuarisée. Le principe même du fonctionnement des tribunaux de commerce est maintenu ; il est seulement prévu d’instaurer des tribunaux de commerce spécialisés pour traiter des procédures de liquidation judiciaire. L’objectif est que ces tribunaux soient mieux armés pour maintenir l’emploi sur plusieurs secteurs du territoire.
De même, l’importance du dialogue social est réaffirmée au titre III du texte, « Travailler ». La prud’homie est pleinement réhabilitée. Monsieur le ministre, vous reconnaissez que les tribunaux des prud’hommes mettent du temps à rendre leurs décisions – d’ailleurs, ils ne sont pas les seuls –, mais vous souhaitez améliorer les choses, notamment en renforçant le rôle de la conciliation, qui se trouvera accru par l’existence de barèmes indicatifs, comme cela se pratique dans d’autres domaines. Il sera ainsi possible aux parties de régler rapidement le litige au moment de la conciliation, grâce au renforcement des bureaux conciliateurs. En clair, la volonté de dialogue est inscrite dans le projet de loi.
Certains ne peuvent pas s’empêcher de faire référence à une économie qui fonctionne bien de l’autre côté du Rhin. Pour bien connaître l’Allemagne, je puis vous l’assurer : ce qui fonctionne correctement chez nos voisins, c’est surtout le dialogue social dans les entreprises ! C’est ce qui a largement favorisé la compétitivité. Puisque nous cherchons des modèles, inspirons-nous de ce qui a fait la preuve de son succès. Il est important de promouvoir le dialogue, aussi bien dans notre pays que, je l’espère, dans nos travaux au sein de notre Haute Assemblée !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une baisse quasi nulle du déficit public en 2014, d’un dixième de point seulement, notre pays est désormais au pied du mur.
Vous le savez bien, monsieur le ministre, avec 4 % de déficit, la France se situe en queue de peloton de l’Union européenne et de la zone euro. Avec l’Espagne et le Portugal, elle sera le seul pays de la zone euro à avoir un déficit public supérieur à 3 % en 2015. Elle doit à tout prix le réduire au plus vite. Pour y parvenir, elle doit retrouver le chemin de la croissance et diminuer ses dépenses publiques.
Dans son rapport annuel, publié au mois de février dernier, la Cour des comptes doute que nous améliorions les chiffres de notre déficit public, notant que la prévision de croissance des recettes « présente des fragilités » et que l’objectif d’évolution des dépenses en valeur « peut se révéler difficile à atteindre ». La Cour des comptes évoque notamment les baisses de dotations aux collectivités territoriales, qui ne se traduiront pas automatiquement dans les économies escomptées. Il s’agit du fameux « effet boomerang » dû aux investissements non réalisés, qui sont autant de taxes non perçues.
Présenté comme la grande loi du quinquennat, ce texte pour « la croissance » et « l’activité » ne permettra sans doute de relancer ni l’une ni l’autre. Ce n’est pas moi qui l’affirme ; c’est l’OCDE. Selon cette organisation, le gain de croissance permis par cette loi serait, au mieux, de 0, 1 % par an pendant cinq ans.
C’est effectivement très faible.
Composé d’une juxtaposition de près de 300 dispositions – les corapporteurs l’ont souligné –, sans ligne idéologique claire, réécrit en séance publique en fonction des difficultés entre les composantes de la majorité à l’Assemblée nationale et, surtout, dépourvu de véritable mesure structurelle, le projet de loi n’aura malheureusement que très peu d’effet sur la croissance et l’activité économique.
En réalité, monsieur le ministre, à l’instar du reste du Gouvernement, vous comptez sur un retour de la croissance grâce à des facteurs extérieurs, comme l’amélioration de la conjoncture économique dans la zone euro, le plan de relance de l’investissement de la Commission européenne ou la facilitation de l’accès aux capitaux par la Banque centrale européenne. Mais, de ce jeu risqué, la France pourrait bien sortir perdante, notamment sur la création d’emplois, un sujet dont nous, élus locaux, connaissons bien le caractère prioritaire.
Certes, quelques mesures du projet de loi sont positives. Malheureusement, elles sont trop cosmétiques et relèvent parfois uniquement de l’affichage pour rassurer les autorités européennes.
Il s’agit de faire gagner du temps à la France, qui est pressée de se réformer par son partenaire allemand, par la Commission européenne, par le FMI, par la Cour des comptes ou encore par le Haut Conseil des finances publiques.
Le calendrier dans lequel s’inscrit l’examen de ce projet de loi n’est pas anodin. La Commission européenne avait indiqué qu’elle évaluerait « la situation de la France, suite à l’adoption du budget 2015 et la spécification du programme des réformes structurelles » au début du mois de mars.
Les nombreux articles du projet de loi demandant au Parlement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance prouvent que ce texte a été inscrit à l’ordre du jour dans la précipitation, toujours au nom de ce fameux objectif d’affichage à l’égard de Bruxelles. Cela s’effectue au détriment du Parlement, qui se trouve dessaisi dans des domaines pourtant aussi primordiaux que l’urbanisme, le droit des sociétés, le droit de la concurrence, le droit des contrats publics, ou les pouvoirs de l’inspection du travail.
Pour 2015, Bruxelles laisse à la France un délai de trois mois, jusqu’au 10 juin, pour présenter des mesures, notamment des réformes structurelles, garantissant que le déficit public baissera de 0, 5 %. Cela représente un effort d’environ 4 milliards d’euros.
La lecture de la presse nous fait comprendre que ces 4 milliards d’euros d’économies résulteront d’abord de la diminution de la charge de la dette, les taux continuant de baisser sur le long terme. Ainsi, le crédit inscrit pour les charges d’intérêt sera finalement réalisé de manière bien inférieure au résultat escompté. Les économies seront également permises par des recettes plus élevées que celles qui étaient prévues, en raison de la régularisation des comptes détenus à l’étranger. Voilà deux mesures qui n’ont rien de structurel. Or, je me permets de vous le rappeler, ce sont bien des économies de structure que la Commission européenne attend !
Au-delà de ces dispositions immédiates, la nouvelle trajectoire budgétaire proposée par Bruxelles revient à demander un effort d’environ 30 milliards d’euros en plus des 50 milliards d’économies déjà programmées par le Gouvernement entre 2015 et 2017, soit un total de 80 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, alors que la France ne cesse de repousser ses objectifs et se trouve en situation de décrochage, vous avez critiqué le 2 mars dernier l’effort demandé à la France, en le jugeant « procyclique » et en estimant qu’il détruirait la croissance et le retour au plein-emploi. Ces propos laissent une nouvelle fois présager que le Gouvernement ne réalisera pas l’intégralité de l’effort demandé.
Certes, monsieur le ministre, on ne peut pas vous donner complètement tort. Il convient effectivement de faire preuve de vigilance : le risque que les économies budgétaires aient un effet récessif sur notre économie est réel. Cependant, vous savez également que la France ne retrouvera pas une croissance durablement créatrice d’emplois sans efforts dans deux grands domaines : les finances publiques et les réformes structurelles, notamment sur le marché de l’emploi, le droit des sociétés…
M. Michel Vergoz s’exclame.
La nouvelle trajectoire budgétaire et les mesures devaient théoriquement être annoncées par le Gouvernement au mois d’avril, au moment de la présentation à Bruxelles de son programme de stabilité et de son programme national de réformes. Pourtant, pour la première fois depuis la mise en place de ces programmes en 2011, le Gouvernement n’a pas souhaité inscrire un débat sur le sujet à l’ordre du jour du Parlement. Mais peut-être craignait-il le vote qui aurait normalement dû avoir lieu à l’Assemblée nationale, suite à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur ce projet de loi…
Monsieur le ministre, dans la lignée des propos du président de la commission spéciale, M. Vincent Capo-Canellas, permettez-moi de vous faire part de notre inquiétude. On pourrait parler de mépris du Parlement, et singulièrement du Sénat !
En commission spéciale, nous avons examiné des amendements du Gouvernement dont l’objet répétitif se composait exactement des mots suivants : « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale ». Voilà un exposé des motifs pour le moins léger…
Pourtant, le 28 août dernier, vous aviez affirmé : « C’est le moment de passer à l’étape deux de la modernisation du marché du travail, parce que cela n’a pas d’impact déflationniste et peut restaurer la confiance. » Nous sommes d’accord !
Vous ajoutiez : « Rehausser et simplifier les seuils sociaux permettrait de lever un obstacle traumatisant pour beaucoup de petits patrons sans pour autant changer la vie des salariés. » Notre collègue corapporteur Catherine Deroche vous a parfaitement entendu.
Et vous poursuiviez en ces termes : « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération. C’est déjà possible pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre à toutes les entreprises, à condition qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »
Vous disiez encore : « Ensuite, nous pourrions autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations. C’est déjà possible depuis la loi de juillet 2013, mais sur un mode défensif pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à toutes les entreprises, à la condition explicite qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »
Force est de le constater, aucune des réformes structurelles que vous envisagiez voilà six mois seulement ne figure dans le projet de loi portant votre nom.
Qu’en est-il donc de votre volonté, affirmée à la même période, d’« ouvrir une nouvelle phase du quinquennat, comme Schröder a su le faire en Allemagne entre 2003 et 2005 ? » Voilà quelques jours, vous annonciez vous-même vouloir aller plus loin. Le groupe UMP et les centristes étaient en accord avec cette loi « Macron II ».
Je me permets d’ailleurs de vous l’indiquer, c’est précisément ce que vous proposent le Sénat et ses trois corapporteurs, qui ont beaucoup travaillé le sujet sur le fond !
Leur travail mérite d’être considéré, d’autant plus qu’il va dans le sens de vos annonces, dont celle sur la simplification de la vie des entreprises, en remontant les seuils sociaux de 11 salariés à 21 salariés et de 51 salariés à 101 salariés. Cette disposition figure ainsi dans le texte de la commission spéciale, tout comme l’aménagement et la simplification du compte pénibilité. En fait, monsieur le ministre, le vote de ces mesures permettrait de mettre en œuvre la loi « Macron II », à laquelle votre propre gouvernement fait blocage.
Le groupe UMP, pour sa part, prend ses responsabilités. Il s’attachera à vous montrer qu’il est possible d’aller plus loin en matière de soutien à la croissance et à l’activité économique, en proposant des mesures beaucoup plus structurelles.
Tels sont l’objet du rapport et l’ambition du texte de la commission spéciale. Les positions que les trois corapporteurs de ce projet de loi défendront dans les jours et les semaines à venir n’ont d’autre objectif que de libérer les forces créatrices d’emplois dans notre pays !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays peut s’enorgueillir de disposer d’un modèle de droit qui s’exporte, en raison notamment de la qualité de la sécurisation juridique des actes produits.
Dès lors, fort logiquement, nous ne pouvons pas accepter qu’une réforme des professions réglementées fasse peser des risques sérieux sur la qualité de ces actes et l’accès des Français à la justice.
Les mesures proposées par le Gouvernement, qui s’est affranchi de toute véritable concertation avec les acteurs concernés, ont suscité une véritable levée de boucliers, alors même que les professions réglementées s’entendent sur la nécessité de moderniser leurs pratiques et leur offre.
En réalité, la logique économique à laquelle le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale obéit méconnaît la spécificité de l’activité juridique. Monsieur le ministre, votre projet de loi risque par conséquent de contribuer à la détérioration de la situation de l’emploi, au détriment de la sécurisation des actes juridiques.
Pourtant, le 2 février dernier, vous déclariez à l’Assemblée nationale : « En revanche, je n’accepte pas comme argument des chiffres que, d’une manière scandaleuse, certains professionnels ont pu mettre en avant, sans aucun fondement, sans aucune preuve et sans aucun sérieux. […] Prétendre que cette réforme de la libre installation et des tarifs conduira à la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois ne vise qu’un objectif, celui d’agiter les peurs des salariés et des plus fragiles qui travaillent dans ces offices. »
Or les études les plus fines et les plus sérieuses, à commencer par celle qui a été menée par le cabinet Ernst and Young, démontrent que l’introduction en 2016 des nouvelles dispositions tarifaires prévues par ce texte devrait provoquer une forte baisse, de 10 % à 20 %, du chiffre d’affaires de la profession, et cela s’accompagnerait d’une chute de la marge jusqu’à 26 %. Dans le cas d’une baisse des tarifs de 20 %, le nombre de collaborateurs non notaires pourrait également baisser considérablement, jusqu’à 9 500 personnes entre 2015 et 2020.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement a annoncé le 13 mars dernier un grand plan en faveur des territoires ruraux – je crois même savoir qu’une ministre en est chargée, malgré le quasi-anonymat dans lequel elle demeure
Sourires sur les travées de l'UMP.
Vous mettez à mal le maillage territorial actuel de l’accès au droit, dont je rappelle qu’il a été patiemment construit au fil des décennies, voire des siècles.
Le groupe UMP, grâce au travail scrupuleux et bien inspiré de notre collègue François Pillet, qui a été salué de toutes parts, a adopté une position équilibrée, en réécrivant le texte. La rédaction que nous proposons apporte des réponses pragmatiques tout en confortant le rôle des professions réglementées et en précisant les dispositions relatives à la réforme des juridictions.
Plusieurs dispositions risquaient de nuire à la sécurité des actes juridiques. Comme l’a rappelé M. le corapporteur, nous avons souhaité les corriger sur trois points majeurs.
D’abord, la compétence relative à la tarification des actes – cela a été l’un des points les plus discutés à l’Assemblée nationale – doit revenir au ministère de la justice, et non relever du code du commerce. En effet, les prestations juridiques ne peuvent pas être considérées comme des prestations commerciales et figurer dans le code du commerce.
Le Gouvernement est bien revenu à l’Assemblée nationale sur les dispositions créant un corridor tarifaire, mais pour les remplacer par un système trop complexe de remises sur les tarifs. Le fait que ces remises portaient seulement sur les actes moyens mettait en péril l’équilibre des études intermédiaires. Nous avons donc fait évoluer le dispositif, afin d’autoriser ces dernières sur des tarifs supérieurs à un certain plancher, sans plafond et en supprimant la fixité des remises.
Ensuite, l’extension du périmètre d’activité des experts-comptables risquait de nuire à l’équilibre des professions du droit. Monsieur le ministre, vous aviez choisi de remettre en cause la « théorie de l’accessoire » et l’équilibre résultant de la jurisprudence. Le groupe UMP entend faire respecter la règle existante du double accessoire, en rendant plus claire l’exclusion des prestations juridiques des actes des experts-comptables. Cela réduira les contentieux et garantira la qualité de conseils apportés aux clients dans les deux disciplines : chiffre et droit.
Enfin, à propos de l’interprofessionnalité, il nous est apparu essentiel de trouver un équilibre entre les différents domaines d’activités, en ayant comme exigence la nécessité de garantir l’indépendance des professions et l’exercice de leurs droits.
J’évoquais tout à l’heure certaines dispositions qui risquaient de mettre en péril l’accès des Français au droit et le maillage territorial. À nos yeux, les quatre propositions ambitieuses soumises par la commission spéciale vont dans un sens tout à fait favorable.
Premièrement, notre crainte était que le dispositif relatif à la postulation des avocats ne remette en cause le maillage territorial résultant de la carte judiciaire en vigueur et ne crée de véritables déserts juridiques, en incitant à des regroupements d’avocats auprès des barreaux situés au siège des cours d’appel. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de faire en sorte que la mesure soit expérimentée à l’échelle de deux cours d’appel, puis fasse l’objet d’une évaluation avant d’être généralisée, le cas échéant.
Deuxièmement, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale revient sur le principe de liberté d’installation des notaires, principe inscrit dans la loi, l’installation devant répondre à des critères cartographiques établis par les ministères de l’économie et de la justice, sur proposition de l’Autorité de la concurrence.
En réalité, cette liberté d’installation serait contrôlée et non garantie. De ce fait, le rapporteur a eu raison de donner compétence au seul ministre de la justice pour établir la carte délimitant les zones où l’installation de nouveaux offices est libre, l’Autorité de la concurrence n’ayant plus qu’un pouvoir d’avis, ce qui est plus conforme à ses attributions.
Le dispositif proposé par l’Assemblée nationale pour la carte d’installation distinguait seulement deux types de zones. Or, comme l’a rappelé François Pillet, cette distinction laisse de côté un troisième type de zones : celles où l’on ne constate pas de défaut de proximité ou d’offre de services. C’est donc le ministre de la justice qui détiendrait seul le pouvoir d’appréciation à réguler ou non l’implantation d’un office dans ce type de zones.
Par ailleurs, l’obligation d’indemnisation des concurrents répondant à une obligation constitutionnelle, il est pertinent que l’ensemble de la profession participe à l’installation de nouveaux offices et que cette obligation d’indemnisation soit prise en charge par le fonds de péréquation professionnelle.
Troisièmement, ce fonds de péréquation doit rester interne à la profession des notaires. Nous entendons donc supprimer son caractère interprofessionnel. L’affectation du fonds de péréquation à l’aide juridictionnelle nous a semblé relativement incongrue : cette création de « taxe » masquée risquait de nuire gravement à l’activité des études et ne présentait aucune cohérence en termes d’affectation.
Quatrièmement, il nous est apparu important de préciser les compétences de ces tribunaux de commerce pour connaître des procédures collectives, à l’exclusion des dispositifs et procédures de prévention des difficultés des entreprises pour les procédures impliquant des entreprises de plus de 250 salariés. Afin d’assurer un maillage territorial de plus grande proximité, nous ne pouvions pas accepter qu’il y ait moins d’un tribunal dans le ressort de chaque cour d’appel.
Monsieur le ministre, les représentants des professions réglementées nous ont indiqué être satisfaits des propositions formulées par la commission spéciale.
Je terminerai donc par une exhortation et même par une supplique : de grâce, prenez en compte le travail constructif mené au sein de la Haute Assemblée ! Peut-être même sera-t-il profitable à votre image et à la volonté que vous affichez. Il s’agit d’un travail constructif, avec un même objectif : moderniser le service rendu à tous les Français et ce, sur l’ensemble du territoire.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai de manière synthétique sur l’ensemble des points qui ont été abordés, sans toutefois anticiper sur les débats que nous aurons lors de l’examen des articles.
D’abord, sur la philosophie générale du texte, j’ai du mal à comprendre que l’on puisse juger un texte en fonction des inspirations qui lui sont prêtées ou du parcours professionnel antérieur d’un membre du gouvernement ; cela cadre mal avec l’état d’esprit dans lequel nous avons tous indiqué vouloir travailler.
Pour ma part, j’ai effectivement participé à la commission animée par Jacques Attali. Je suppose que chacun d’entre vous a eu une vie professionnelle riche, et que ces expériences vous inspirent aujourd’hui. Il n’y a aucune malice ou intention cachée. Le rapport Attali a été plusieurs fois évoqué comme une sorte d’ombre portée sur le projet de loi. Or ce texte est d’abord et avant tout celui du Gouvernement ! Et, contrairement au soupçon que M. le sénateur Jacques Mézard a laissé planer, il n’y a pas non plus de dessein secret au profit d’un certain Fiducial.
On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à ce projet de loi, mais certainement pas d’avoir été conçu sous la pression de quelque lobby que ce soit.
Rendons au moins à ce gouvernement la grâce de s’être affranchi de tous les lobbies existants. D’ailleurs, c’est peut-être ce qui a valu à certains d’être plus vocaux que d’autres.
Je vous rassure, aucun cabinet, si grand soit-il, n’a inspiré les propositions de ce texte. Nous avons simplement essayé de regarder concrètement ce qui fonctionnait ou non. Ainsi que je pourrai vous le démontrer point par point, nous améliorons le réel.
Je récuse également une caricature qui nous est adressée, celle d’une prétendue influence bruxelloise. Comme j’ai pu le souligner à plusieurs reprises, ce n’est pas parce que certains à Bruxelles partagent nos analyses et soutiennent notre réforme que cette dernière serait par essence mauvaise, ni qu’elle vaudrait quitus pour d’autres mesures que nous n’oserions pas prendre. Qui dit dynamique européenne ne dit pas forcément inspiration bruxelloise ou volonté de s’affranchir de quelque obligation que ce soit !
Des discussions se sont tenues entre mon collègue chargé des relations avec le Parlement et M. le président du Sénat. Le programme national de réformes et le programme de stabilité seront présentés aux commissions parlementaires compétentes le 22 avril prochain. Compte tenu des délais, le débat en séance ne pourra pas se tenir avant le 30 avril, date de la transmission à la Commission européenne, mais il aura lieu au début du mois de mai.
Ainsi que je l’indiquais dans mon propos introductif, ce projet de loi a deux objectifs : une plus grande justice et une plus grande efficacité.
Plusieurs orateurs se sont interrogés sur l’efficacité des mesures proposées. Il me paraîtrait inapproprié de comparer l’effet du texte à celui de la baisse du pétrole, ou même de mettre les chiffres en parallèle. Les effets d’une baisse conjoncturelle de tel ou tel indicateur sont nécessairement tout aussi conjoncturels et se dissipent aussi vite qu’ils étaient apparus. Or le projet de loi engage des réformes en profondeur dont les effets se feront sentir progressivement. Nous pourrons les observer non pas sur les trois premières années, mais de manière dynamique dans la durée.
Ainsi, la réforme des prud’hommes mettra du temps à entrer dans les pratiques et à produire tous ses effets sur les créations d’emplois. De même, parmi les réformes en matière de numérique, d’investissement, de simplicité et d’accès au droit ou encore d’ouverture du secteur des transports, certaines auront des répercussions rapides, mais leurs pleins effets se feront sentir à l’horizon de trois ans à cinq ans. C’est le propre de ce qu’on appelle les réformes structurelles. Ne perdons pas de vue dans nos raisonnements le caractère progressif de ces effets dans le temps.
Précisément, la forme de myopie qui consiste à observer les effets d’une mesure le lendemain ou l’année suivante et non dans la durée a empêché un certain nombre de réformes d’être menées.
Quand d’autres pays ont demandé voilà dix ans de s’affranchir de certaines règles budgétaires pour mener des réformes structurelles, l’erreur française a été de solliciter les mêmes facilités sur le plan budgétaire sans pour autant mettre en œuvre les mêmes réformes ! Nous sommes aujourd’hui dans une situation éminemment contrainte, parce que, au cours de la décennie, nous nous sommes à deux reprises dispensés des efforts budgétaires sans mener les réformes structurelles. Aujourd’hui, il faut mener les deux de front, ce qui constitue une difficulté particulière.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Je veux d’abord lever un malentendu sur les transports. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ouverture du secteur des transports par autocar ne vise pas à créer un secteur public, qui peut d’ailleurs exister ; il peut y avoir des conventions avec les collectivités territoriales. Le dispositif envisagé concerne bien la possibilité d’ouvrir des lignes privées. À cet égard, les modifications introduites par la commission spéciale viendront immanquablement réduire la portée de la mesure, en termes tant de créations d’emplois que d’accès aux territoires.
Notre proposition ne s’oppose pas au rail. Comme cela a été rappelé, le secteur ferroviaire n’a pas attendu cette réforme pour rencontrer des difficultés. D’ailleurs, nous les connaissons bien, et nous nous attelons à y répondre. Vous pouvez compter sur mon implication en faveur de cette filière essentielle de notre économie.
Au demeurant, la SNCF compte également s’engager sur le transport par autocar. À l’instar de M. Jean Desessard, je crois qu’il faut envisager la complémentarité des modes de transport, et non une concurrence mécanique. Cette complémentarité est le cœur de la multimodalité et de l’intermodalité, dimensions parfois insuffisamment prises en compte.
Pour améliorer l’aménagement du territoire, il faut mieux articuler mieux les différents modes de transport. Si je considère que le « Charles-de-Gaulle Express » est un bon projet, c’est précisément parce qu’il s’inscrit dans une logique d’intermodalité et de complémentarité entre le rail, le transport aérien et le transport individuel. Les différents éléments doivent être considérés dans une perspective large ; c’est le choix que nous faisons avec ce texte.
Toujours à propos des transports, je réitère mes regrets quant à la réforme du permis de conduire. Nous apporterons des compléments sur l’étude d’impact, grâce aux opérateurs publics que nous avions engagés dans l’opération et qui avaient fait acte de candidature sur l’externalisation du code comme sur l’examen pratique. Mais les éléments sont bien connus ; c’est même ce constat qui avait inspiré notre démarche : le délai moyen d’attente est de 98 jours, voire 200 jours dans certains territoires. C’est malheureusement la situation que subissent nombre de nos concitoyens. Je vous apporterai les indications complémentaires nécessaires. Je comprends votre volonté de transparence, et je la partage.
Le sujet des professions juridiques a été longuement soulevé. Mettons-nous d’accord sur les termes : il faut bien en convenir, « concerter », ce n’est pas « contenter » ! Moi et ma collègue garde des sceaux avons mené une large concertation. Nous avons reçu de nombreuses personnes, conjointement ou individuellement. J’admets toutefois que nous n’avons pas « contenté » : en l’occurrence, cela aurait signifié faire le choix de l’immobilisme.
Rien dans cette réforme ne remet en cause la sécurité des actes juridiques et l’accès à la justice. Nous en débattrons article par article. Mais je vous assure que nous avons été très vigilants à cet égard.
Je voudrais à présent revenir sur plusieurs points récurrents dans les interventions des différents orateurs.
Tout d’abord, ce texte ne met aucunement les professions du droit dans la main de l’Autorité de la concurrence.
Il faut avoir le souci de la précision : si l’Autorité de la concurrence est chargée de rassembler des éléments objectifs sur la base desquels la décision s’organise ensuite, elle ne se substitue en rien au Gouvernement, en particulier au garde des sceaux. Elle se contente d’établir une cartographie objective permettant d’identifier les zones dans lesquelles il manque des officiers publics ministériels : celles qui présentent un manque relatif – dans ce cas, une discussion peut s’engager, même si le droit de veto du garde des sceaux est préservé – et celles qui comptent suffisamment de professionnels.
L’Autorité de la concurrence ne prend pas de décision ; elle rend un avis indicatif.
Il existe d’ores et déjà des formes de « déserts juridiques ». Dans ces zones, nous pouvons accepter le principe d’une liberté d’installation relative. Au contraire, dans d’autres zones, l’équilibre des professionnels en place sur les territoires justifie une régulation par le Gouvernement. Je conteste donc le reproche selon lequel l’Autorité de la concurrence aurait un « pouvoir rampant » sur ces professions. Elle objective simplement un échange contradictoire qui doit avoir lieu.
Je veux également lever toute ambiguïté sur les interprofessions : les règles posées dans le texte ne permettent pas leur financiarisation. En particulier, la possibilité pour les professions du chiffre la possibilité de revenir sur les séparations structurantes établies par le passé n’est pas ouverte. La séparation entre le métier de commissaire aux comptes et celui d’expert-comptable a été implicitement ou explicitement mentionnée, et à juste titre. Nous ne revenons pas sur cette séparation.
La première forme d’interprofession proposée, l’interprofession d’exercice, n’est ouverte qu’aux professionnels du droit, et non à ceux du chiffre. De surcroît, elle est plus stricte que le droit existant ; elle est réservée aux professionnels du droit qui détiennent l’intégralité du capital. Ne l’oublions pas, certains professionnels du droit anglo-saxons opèrent aujourd’hui en France, via des filiales dont le capital est majoritairement détenu par des acteurs financiers.
Ce texte, en renforçant les contraintes relatives à la détention du capital par les professionnels du droit, nous permettra de mieux nous battre dans la « compétition » des modèles juridiques à l’œuvre au plan européen. En effet, ainsi que des jurisprudences récentes l’ont montré, nous n’avons pas su protéger notre modèle par rapport au droit allemand, qui autorise l’ouverture de filiales de cabinets juridiques dont le capital est majoritairement détenu par des non professionnels.
Le projet de loi clarifie la situation actuelle et protège les professionnels. Il leur permettra de promouvoir un modèle beaucoup plus robuste au niveau européen.
J’en viens à la séparation entre le droit et le chiffre. Je défendrai un amendement visant précisément à clarifier la notion d’accessoire. Je sais que le sujet est sensible et que M. le corapporteur s’y est particulièrement investi. Il s’agit non pas de revenir sur des équilibres aujourd’hui satisfaisants, mais de prendre en compte certains ajustements nécessaires bien au bon fonctionnement de certaines de ces professions. Ce débat mérite, me semble-t-il, d’être largement dépassionné.
L’interprofession ouverte aux professionnels du chiffre est également strictement limitée. D’abord, les conditions de détention du capital par ces professionnels sont strictement précisées. Ensuite, la séparation stricte de l’expertise-comptable et du commissariat aux comptes, qui procède des scandales auxquels certains d’entre vous ont fait référence, est préservée. Là encore, ne nous amusons pas à agiter des peurs : il y a des acquis, et nous entendons les réaffirmer.
La postulation territoriale pour les professions juridiques a également été évoquée à plusieurs reprises.
Nous voulons tirer les conséquences de la réforme des avoués, qui a été menée voilà plusieurs années, le ressort de la cour d’appel étant considéré comme le bon niveau.
Au regard de la dématérialisation des actes, il nous semble également légitime de permettre aux avocats, sur un certain nombre d’affaires, d’opérer librement d’un tribunal de grande instance, ou TGI, à l’autre au sein du ressort d’une même cour d’appel. En termes d’accès et de clarté du droit, c’est, selon nous, un meilleur service à rendre à nos concitoyens. La postulation territoriale, outre qu’elle apparaît le plus souvent obsolète, est source de surcoûts.
Le sujet est sensible. La profession a indiqué à plusieurs reprises que cette réforme de la postulation pouvait déstabiliser les équilibres économiques de certains barreaux. Certaines matières ont donc été retenues au niveau du TGI.
À cet égard, comme je l’ai indiqué à M. le corapporteur, vouloir simplement poursuivre l’expérimentation qui a déjà été partiellement lancée depuis quelques années relève quelque peu de la procrastination.
En l’occurrence, une telle position me paraît assez incohérente avec les positions de la commission spéciale sur les autres volets du texte. Pourquoi faudrait-il continuer à expérimenter sur certains points et se jeter immédiatement dans le grand bain sur d’autres pour lesquels le problème n’a pas encore été examiné au fond ? Il y a là, me semble-t-il, une certaine contradiction.
Je trouve que la commission spéciale fait preuve d’une certaine pusillanimité. Je suis toutefois prêt à débattre des matières – je pense notamment aux contentieux impliquant les banques ou les assureurs – que l’on pourrait maintenir au niveau du TGI pour assurer la transition et éviter de déstabiliser la profession. En revanche, il ne m’apparaîtrait pas opportun de différer une réforme somme toute assez logique. Comment expliquer par exemple les quelque 500 euros de postulation territoriale pour régler un divorce entre Annecy et Chambéry ?
M. le corapporteur a eu raison de rappeler que les tarifs étaient à la main du Gouvernement. Leurs modalités de fixation n’étaient toutefois pas suffisamment explicites. Le projet de loi prévoit donc de clarifier les principes que le Gouvernement applique actuellement. Cela nous semble constituer malgré tout une avancée. La commission spéciale a amendé le texte de l’Assemblée nationale, tout en préservant le principe de revues régulières à la lumière des coûts et des investissements. Je ne doute pas que nous pourrons débattre et avancer efficacement.
Je note également une contradiction dans les critiques émises à l’égard du fonds interprofessionnel. D’un côté, les professionnels concernés nous expliquent que leur statut d’officier public ministériel devrait les préserver d’une réforme « à la va-vite », ce qui n’est pas le cas de ce texte ; de l’autre, ils prétendent n’avoir rien à voir avec le financement de l’accès au droit, qui devrait relever exclusivement de la profession d’avocat. L’idée d’un fonds interprofessionnel et d’une mise à contribution de professionnels ayant rappelé à plusieurs reprises leur attachement au service public du droit ne me semble pas relever de l’hérésie. Ne soyons pas captifs d’un double discours selon les intérêts en cause !
Le sujet des tribunaux de commerce spécialisés est, je le sais, sensible dans les territoires. Je connais aussi le dévouement des juges, qui exercent le plus souvent leur mission à titre gracieux.
M. Emmanuel Macron, ministre. En effet, monsieur le sénateur. Et nous ne voulons pas mettre fin à cette proximité. D’ailleurs, vous l’aurez noté, contrairement à ce que d’autres ont pu faire par le passé, nous ne supprimons pas de tribunaux de commerce !
Marques d’approbationsur les travées du groupe socialiste.
En revanche, certaines affaires, notamment celles qui concernent des entreprises implantées sur différents sites, nous semblent plus complexes que d’autres à traiter. Je pense en particulier aux exemples de Mory Ducros ou de Pet Food à Villeneuve-sur-Lot. Dans ces cas, les salariés sont soumis à différentes justices consulaires, avec un risque de dissonance.
Au-delà d’un certain seuil de salariés, nous proposons simplement de regrouper ces affaires à quelques juridictions existantes qui se seraient spécialisées dans ce type de contentieux. Cela me semble un élément de clarification et de plus grande sécurité juridique.
Le débat porte surtout sur le seuil à retenir. Le seuil de 400 salariés concernerait seulement quelques affaires. J’avais défendu le chiffre de 150 salariés, mais je suis ouvert à la discussion autour d’un seuil de 200 salariés. Il faudrait qu’une centaine d’affaires puissent ainsi « remonter » chaque année.
Selon nous, une telle mesure ne déstabiliserait pas les tribunaux de commerce existants. Nous devons avoir un discours apaisant et renvoyer aux chiffres. Cela permettrait aux quelques tribunaux de commerce ainsi spécialisés d’être plus au fait de ces procédures complexes, mais aussi aux présidents de tribunaux de commerce impliqués de participer à la formation de jugement, donc de pouvoir porter la vision du terrain.
Je voulais également insister sur l’ambition de ce texte en matière de numérique. Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, je souhaite qu’elle soit renforcée. Vous avez déposé des amendements en ce sens ; nous en défendrons aussi.
Nous devons aller encore plus loin sur le très haut débit ou l’accès aux données publiques. Le sujet est complexe. Même s’il n’est pas totalement stabilisé juridiquement, nous devons pouvoir le faire avancer lors de la discussion au Sénat.
Il faut aussi que l’on puisse aller plus loin sur la couverture mobile, en traduisant dans la loi les engagements pris par le Premier ministre, notamment à Laon voilà quelques semaines.
Je veux aussi apporter des clarifications en matière de privatisations et de gestion du portefeuille de participations publiques.
Ce texte ne permet en aucun cas de faciliter les privatisations de manière rampante. Au contraire !
Marques de désapprobation sur les travées du groupe CRC.
Car nous abaissons le seuil de l’autorisation par le Parlement ! Mon prédécesseur avait pu prendre par décret la décision de privatiser la société de gestion de l’aéroport de Toulouse. Si le texte est adopté, une telle décision devra impérativement relever de la loi.
M. Emmanuel Macron, ministre. Il me semble préférable d’avoir un débat préalable transparent plutôt que de devoir ensuite affronter une polémique polluée par le manque de transparence initiale.
Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.
Je n’emploie pas d’argument d’autorité, madame la sénatrice. Je vous demande de faire preuve d’une courtoisie symétrique à mon endroit. Nous pourrons ainsi avoir des débats de fond ; c’est ce que je recherche.
Le groupe GIAT Industries a deux filiales. La première, SNPE, est d'ores et déjà privatisée. NEXTER est la seconde. Nous demandons l’autorisation de la privatiser, non pas pour nous désengager – l’État ne compte pas vendre quelque action que ce soit –, mais pour pouvoir nous rapprocher d’un acteur allemand, KMW, afin de créer un « EADS des équipements terrestres ». Ce projet industriel est soutenu par le ministre de la défense, par moi-même et par les deux entreprises.
Ces dernières mènent leurs négociations. Dans ce cadre, elles ont à connaître de l’ensemble de la documentation juridique et financière. J’ai lu comme vous un article de presse mentionnant des accusations de corruption à l’étranger dirigées contre KMW. Un processus de vérification est en cours. Nous avons demandé que la lumière soit faite. Elle le sera dans le cadre des négociations conduites par les deux entreprises. C’est ainsi que les choses doivent se dérouler. Nous sommes pleinement vigilants sur ce sujet.
Dans ces secteurs – nous avons eu l’occasion de le vérifier à propos de nombre d’entreprises françaises employant des salariés sur notre territoire –, la mise en cause d’entreprises existe. De telles polémiques peuvent voir le jour. Nous sommes aussi vigilants que vous. Je tiens à vous rassurer. Nous avons demandé à l’entreprise d’exercer une surveillance toute particulière.
Monsieur le sénateur Pierre Laurent, je me dois de vous le dire, vous avez proféré une contre-vérité sur le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB. Le projet de loi ne prévoit en aucun cas sa privatisation.
Il s’agit de permettre à la Banque publique d’investissement, la BPI, dont il n’aura échappé à personne ici qu’elle est codétenue par la Caisse des dépôts et consignations et par l’État, donc pleinement publique, d’entrer au capital du LFB pour accompagner les développements en cours. Je pense en particulier à un investissement de 250 millions d'euros à Lille. Le code de la santé ne le permet pas pour le moment. C’est cette situation que nous souhaitons corriger.
Le débat sera totalement transparent. J’ai entendu beaucoup de contre-vérités. Le sujet est suffisamment sensible – je pense que nous en convenons tous – pour que l’on ne déforme pas le contenu du texte. La filière du sang et la question du don du sang valent mieux que des polémiques fallacieuses et des contre-vérités.
J’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale qu’il n’y aurait pas d’ouverture, même minoritaire, du capital du LFB. Je l’ai également confirmé par écrit à son président. Aujourd'hui, dans le silence de la loi, un acteur privé peut acquérir jusqu’à 49 % du capital de LFB. Ce ne sera plus possible demain. C’est donc l’inverse de ce que certains ont affirmé.
Je crois avoir été explicite dans mon propos liminaire sur les actions de performance et les retraites chapeaux. J’ai expliqué à la fois la logique et la philosophie de ces mesures. Je n’y reviens pas. Nous en débattrons de nouveau plus tard.
J’en viens aux investissements. Mme la corapporteur a exprimé son souhait de réforme de l’épargne salariale. J’ai expliqué les limites de nos avancées. Nous partageons la même volonté d’aller plus loin pour restaurer la philosophie de l’épargne salariale et du forfait social. Ce sont les contraintes budgétaires qui nous ont empêchés d’aller au bout des recommandations du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS. Elles n’ont pas été levées entre-temps. Je ne veux pas qu’il puisse y avoir de malentendu sur les intentions du Gouvernement.
Je souhaite également revenir sur les propos de Philippe Adnot au sujet du PEA-PME, dont la création est récente : elle date du 1er janvier 2014. Là encore, si nous ne sommes pas allés plus loin, c’est essentiellement à cause des contraintes budgétaires, qui continueront à exister, même si les mesures que le Premier ministre annoncera demain en matière d’investissement public et privé permettront de renforcer l’efficacité des dispositifs existants.
Je souhaite aborder plusieurs points relatifs au volet social.
Tout d'abord, comme cela a été souligné, il faut que nous ayons un débat très détaillé sur les plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE. Le débat a été renvoyé à l’examen des articles. Je suis moi aussi vigilant. Le projet de loi comporte des éléments de clarification et de sécurisation des procédures, et en aucun cas d’allégement des garanties dont disposent les salariés. Nous débattrons en détail des homologations des PSE, des moyens du groupe ou encore de l’ordre de reclassement. Le sujet le mérite. J’expliquerai ce que moi et mon collègue François Rebsamen avons voulu faire.
Pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi, qu’ils soient défensifs ou offensifs, j’ai essayé de rappeler l’articulation des temps. La loi votée en 2013 a apporté une première avancée, en créant les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Je partage le constat qui a été dressé ; je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai pu tenir, à quelque période que ce soit. Nous devons aller plus loin. C’est d'ailleurs pour cette raison que le Premier ministre a appelé dès le mois de février à une évaluation du dispositif par les partenaires sociaux.
C’est dans le cadre de la loi dite « Larcher » que toutes les réformes doivent être menées. Il y a eu une négociation sur les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Les partenaires sociaux doivent maintenant en faire l’évaluation. De deux choses l’une : soit ils arriveront à un accord lors de leur réunion du 18 mai, et nous en tirerons les conclusions, soit ils ne trouveront pas d'accord, et nous pourrons reprendre la main.
Il n’y a pas eu de négociation à proprement parler pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi offensifs. Nous ne pouvons donc pas prendre la main. Le Premier ministre a toutefois appelé les partenaires sociaux à aller plus loin dans la négociation. Le sujet n’est pas encore mûr. Il ne participe pas de la même logique que les accords de maintien dans l’emploi défensifs, ces derniers permettant à des entreprises en difficulté de procéder à des aménagements par le truchement d’un accord majoritaire. On peut discuter des modalités ; je pense qu’il est déjà possible d’aller très loin en termes de flexisécurité par ce biais, c'est-à-dire de manière négociée.
Le débat sur les accords de maintien dans l’emploi offensifs implique une réflexion plus large sur la hiérarchie des normes. Il faut aborder cette question de manière franche et transparente. Aller vers les accords de maintien dans l’emploi offensifs, c’est aller vers l’inversion de la hiérarchie des normes. Le sujet mérite une négociation en soi. Le Premier ministre l’a lancée. Elle prendra évidemment plusieurs mois, et nécessitera la contribution de toutes et tous.
On ne peut pas avancer sur ce sujet au détour d’un tel projet de loi. Il ne s’agit pas simplement de prolonger la philosophie des accords de maintien dans l’emploi défensifs. Il y a en quelque sorte une « rupture de charge ». Cependant, nous pourrons faire dès à présent beaucoup de bien à notre économie, en termes d’efficacité, si nous parvenons à apporter davantage de fluidité et d’agilité aux accords de maintien dans l’emploi défensifs.
Le travail dominical a donné lieu à de nombreux débats. J’ai évoqué la question de la compensation. Je comprends les sensibilités qui s’expriment sur ce sujet. Toutefois, je ne peux pas laisser dire que le projet de loi prévoit une banalisation du travail dominical. De nombreux verrous sont mis. Je suis sensible à la situation des entreprises de moins de onze salariés, que Mme la corapporteur a évoquée, mais je pense que nous devons aller au bout d’une logique. Nous aurons ce débat.
Le dialogue social est, je le crois profondément, un élément de protection des salariés en même temps qu’un moyen de trouver les bons compromis et les bons équilibres au niveau de la branche, de l’entreprise ou du territoire. La philosophie selon laquelle l’ouverture dominicale nécessite un accord définissant les compensations a cette force. Si l’on commence à prévoir des exceptions à cette philosophie, par exemple dans un souci de simplification pour les plus petites entreprises, on perd en cohérence et en force, et on acte le fait que les salariés n’ont dans certains cas plus les mêmes protections. On change alors de logique, et il faut rouvrir différemment le débat. Pour ma part, je n’ai pas trouvé la solution idéale.
Le projet de loi vise un double objectif de simplicité et de cohérence. Il repose sur la confiance dans le dialogue social ou, si je puis dire, économique et social. C’est cette philosophie qui inspire l’innovation que nous proposons. Ce n’est pas la loi qui définira la compensation, ce qui est une première ; mais, s’il n’y a pas d’accord, il n’y aura pas d’ouverture dominicale, ce qui est aussi une première. C’est, me semble-t-il, la bonne manière d’aller au bout de la logique du dialogue social comme élément d’une meilleure protection et d’une meilleure agilité économique.
Pour certains, nous faisons trop de réformes structurelles ; pour d’autres, nous n’en faisons pas assez. La réforme des prud’hommes est une réforme structurelle. Elle va profondément modifier le contentieux du licenciement individuel, qui constitue un aspect du mauvais fonctionnement de notre marché du travail et une cause d’injustice sociale pour les salariés les plus modestes comme pour les plus petits employeurs. Il me paraît donc faux d’affirmer que le projet de loi ne porte pas de réformes structurelles. Celle que je viens d’évoquer n’est qu’un exemple parmi d’autres.
La réforme des prud’hommes permettra d’améliorer la capacité à trouver les voies et moyens d’accords. Des modes alternatifs de règlement des conflits sont proposés. Je ne veux cependant pas majorer l’importance ou le potentiel succès de ces voies parallèles. Nous avons en revanche une vraie volonté de rendre la conciliation plus efficace. Aujourd'hui, on recourt trop peu à cette procédure, faute peut-être de mise en l’état du dossier. C’est pourquoi nous réformons le dispositif, en le précisant. Je pense que cela va dans le bon sens. Il se peut aussi que les parties n’aient pas suffisamment de visibilité. Le référentiel permet d’avancer en ce sens ; je pense qu’il s’agit d’un véritable apport.
Il faut également des voies accélérées pour éviter la procrastination. Le projet de loi prévoit que l’on puisse réputer la chose jugée en cas de manœuvre dilatoire de l’une ou l’autre partie. Cela évitera que les jugements ne soient différés de six mois en six mois. Nous savons bien que cette pratique existe dans nos territoires. La réforme des prud’hommes est donc un exemple de conciliation entre une plus grande efficacité et une plus grande justice. Ses effets se révéleront progressivement, y compris dans le domaine macroéconomique.
Tels les éléments que je souhaitais apporter en réaction à vos propos.
Je voudrais maintenant répondre aux multiples interpellations sur des sujets européens. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser, ce projet de loi n’est pas un texte fait pour Bruxelles.
Cependant, il n’est interdit ni d’avoir un débat avec nos partenaires ni d’engager des réformes qu’ils ont parfois conduites voilà dix ans alors que nous n’avons pas su les mener. Nous le faisons dans un contexte qui n’est pas facile. Cela aurait pu être fait à d’autres moments. Mais nous n’étions pas là, et je le regrette.
Le débat qui doit être organisé au niveau européen est celui des réformes et de la croissance. Ce projet de loi permet de l’amorcer. Si le débat européen consiste simplement à nous dire de ne pas faire trop de réformes, mais d’ajouter, milliards d'euros après milliards d'euros, de nouveaux ajustements en termes d’économies, c’est une mauvaise solution.
Notre trajectoire budgétaire est ce qu’elle est. Pour les uns, elle est excessive ; pour les autres, elle est insuffisante. Je considère simplement que, quand les dépenses publiques représentent plus de 56 % du PIB, le sérieux budgétaire est une nécessité.
Le sérieux budgétaire, ce n’est pas l’austérité ! Prétendre le contraire, c’est manquer de respect à l’égard de ceux qui vivent l’austérité ailleurs en Europe. L’austérité, cela signifie des baisses de salaires et de pensions de retraite !
Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.
Alors, non, nous ne menons pas de politique d’austérité dans ce pays.
Vives protestations sur les travées du groupe CRC.
Mais, de la même façon, la dérive budgétaire n’est pas, n’est plus à l’ordre du jour. Nous ne sommes plus au temps où, comme entre 2007 et 2012, on a pu augmenter les dépenses publiques de 120 milliards d’euros. §C’est la réalité !
Eh oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes sur un chemin qui est celui du sérieux budgétaire.
Ces 50 milliards d’économies en trois ans nous permettent, de manière crédible, durable, sans détruire notre économie, de retrouver progressivement, en quelques années, …
… la moyenne européenne.
En parallèle de ces économies, que nous devons faire et que nous faisons, nous devons conduire des réformes. C’est l’ambition de ce texte.
Grâce à ces réformes, qui prennent du temps et qui, vous avez raison, mettront du temps à produire leur plein effet sur l’économie, nous aurons plus de vitalité économique, donc plus de rentrées budgétaires.
Regardez le cas allemand : si l’Allemagne est aujourd’hui en excédent budgétaire, c’est parce qu’elle a su conduire des réformes voilà dix ans.
Pour le coup, le Royaume-Uni est très loin de la surconsolidation budgétaire, je vous rassure. Son déficit budgétaire est même pire que le nôtre !
Cependant, les pays qui ont su mener des réformes de structure en ont vu les effets avec le temps. Cela prendra donc du temps pour nous, mais je crois en la force, dans le temps, des réformes que nous conduisons.
C’est parce que nous savons nous réformer aujourd’hui, et que nous adoptons simultanément cette démarche de sérieux budgétaire que nous pouvons aussi être exigeants à l’égard de nos partenaires, en demandant plus d’investissements européens, en accroissant la pression pour une meilleure coordination des politiques européennes, en étant plus intransigeants à l’égard du plan Juncker. (
Nous ne gagnerons pas à répéter à l’envi que nous n’avons rien à faire sur le plan budgétaire et que les réformes sont pour les autres.
Depuis le début de notre débat, j’ai en effet relevé un paradoxe constant : il faudrait toujours faire plus d’économies et de réformes, mais les économies sont toujours pour l’autre, et les réformes, ce sont toujours celles que l’on ne fait pas !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Il y a constamment chez nous un bovarysme budgétaire et un bovarysme de la réforme économique !
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Pour ce qui est des réformes, ce projet de loi en porte déjà un certain nombre. Elles ne sont peut-être pas suffisantes ; elles vont peut-être trop loin. En tout cas, nous les assumons dans un effort de modernité, car nous voulons aller de l’avant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que nous saurons porter collectivement ces réformes et ce sérieux budgétaire que nous pourrons être exigeants avec nos partenaires et retrouver cette capacité à créer une nouvelle donne européenne. En effet, nous avons besoin de beaucoup plus de relance au niveau européen, mais, si la France ne se réforme pas, si la France n’adopte pas la politique de sérieux budgétaire dont je parlais, elle ne pourra pas porter cette voix. À mon sens, ce texte contribue à lui en donner l’opportunité.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1692.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, alors que nous sortons d’une période électorale marquée par une forte abstention, un sentiment d’abandon des plus précaires et un rejet de la politique libérale menée par François Hollande, à l’évidence, le Gouvernement reste sourd à l’expression de la colère, au dégoût face aux promesses non tenues, aux reniements, aux capitulations.
Vous ignorez cette exigence d’une autre politique qui réponde aux attentes de nos concitoyens, une autre politique qui les rassure sur l’avenir de leurs enfants. Ils n’en peuvent plus de l’accroissement des inégalités sociales et de la désespérance sociale.
Face aux peurs de déclassement, face aux peurs du chômage, du surendettement et de pensions insuffisantes pour survivre, vous nous proposez une loi mastodonte, dont l’unique souci, quand on l’étudie de près, article par article – eh oui, monsieur le ministre, nous travaillons beaucoup, surtout mon groupe !
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, vous faites miroiter l’idée que votre préoccupation première est la croissance, alors que, en totale contradiction avec cet affichage, vous menez depuis le début du quinquennat une politique d’austérité qui empêche un retour à la création de richesse.
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
En revanche, vos choix favorisent une croissance et une seule : celle des dividendes des actionnaires du CAC 40 !
Chers collègues du groupe socialiste, osez dire que ce n’est pas vrai !
Vous faites assaut de démagogie, monsieur le ministre, pour protéger les vrais responsables de la dégradation de la situation économique de notre pays.
Pour vous, la France est malade de son aspiration à l’égalité et à la justice, malade de son particularisme social, mais aussi territorial – vous n’avez aujourd’hui que le mot « territoires » à la bouche, sans doute pour complaire aux sénateurs –, …
… alors même que notre modèle social nous a permis d’éviter des effets encore plus désastreux de la crise économique.
Ainsi, vous faites vivre, dans un long développement, la fiction d’un discours moderniste et simpliste pour cacher de vieilles recettes néolibérales qui consistent à mettre à bas les acquis gagnés à coup de luttes sociales et de résistance.
« La République partout, la République pour tous » disait il y a peu le Premier ministre, oubliant que notre République est avant tout sociale.
Vous le savez, monsieur le ministre, les mots ont un sens, et si la tentation est forte pour le Gouvernement d’utiliser le même langage que M. Gattaz, nous savons lire entre les lignes lorsque vous parlez de « pacte de responsabilité », de « choc de compétitivité » et de « libérer la croissance ». Les mots ont effectivement un sens, et nous sommes là pour vous le rappeler.
La liberté, monsieur le ministre, est une valeur de gauche.
Protestations sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
C’est une valeur républicaine qui permet à l’homme de s’émanciper, de se libérer des jougs qui pèsent sur ses épaules, à commencer par celui d’une exploitation sans borne.
Nous entendons sans arrêt cette rengaine usée : il faut redonner confiance aux entreprises pour ensuite redistribuer de la richesse. En réalité, et tous les chiffres le montrent, cette richesse est de moins en moins distribuée, alors que les profits ne diminuent pas.
Ainsi, sous le titre prometteur de « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », votre texte utilise les mots du MEDEF ou même les noms de commissions créées par Nicolas Sarkozy.
Mais ce titre est aussi trompeur. Les mesures proposées ne créeront ni activités ni emplois ; elles se contentent en réalité de transférer des services et des activités du secteur public vers le secteur privé, sans la moindre utilité sociale ou économique.
Pire, des mesures facilitant les licenciements économiques et la casse du droit du travail, prévues dans la dernière partie du texte, desserviront l’activité économique et aggraveront encore la condition sociale des salariés. À moins que vous ne fassiez vôtre ce point de vue thatchérien selon lequel les droits des salariés, les droits syndicaux sont un frein à la croissance…
L’ordonnance du 20 août 2014 relative aux privatisations permettra de brader les biens publics, tandis que la première partie du texte s’attaque aux impératifs d’aménagement du territoire. Il s’agit en fait d’une remise en cause de l’État social, voire de l’État, tout simplement.
D’un point de vue juridique, ce projet de loi suscite plusieurs griefs quant à sa constitutionnalité. Si l’on ne peut que lui reconnaître une réelle cohérence doctrinale, il n’en demeure pas moins que son caractère formellement désordonné et sectoriel remet en cause les principes de sincérité des débats et de clarté de la loi, ainsi que ses corollaires que sont les principes d’égalité et d’intelligibilité de la loi. Les guides légistiques nous rappellent pourtant que, lorsque le Parlement débat d’un projet de loi et procède au vote, il le fait article par article, la clarté et la cohérence du contenu de l’article facilitant le débat et l’expression du vote.
Or nous sommes vraiment loin de la clarté et de la cohérence permettant l’expression de la représentation nationale.
Ainsi, dans ce projet de loi, il est question, pour reprendre l’énumération faite voilà peu par La Semaine Juridique, des administrateurs judiciaires, d’autorisations d’urbanisme, des autocars, de diverses autorités administratives indépendantes, des avocats, du bail commercial, du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire, de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics, des commissaires-priseurs, du compte épargne-temps, de concentration économique, des conseils en propriété industrielle, de la copropriété des immeubles bâtis, des dispositifs publicitaires implantés sur des équipements sportifs, des experts-comptables, des installations classées pour la protection de l’environnement, des greffiers des tribunaux de commerce, de la justice prud’homale, de la liquidation judiciaire, de la lutte contre la prestation de service internationale illégale, des microentreprises, des notaires, des péages autoroutiers, du permis de conduire, des plans de sauvegarde de l’emploi, des positions dominantes, du redressement judiciaire, des relations dématérialisées des entreprises avec l’administration et les tiers, du repos dominical, du repos en soirée, des réseaux de communication électronique à haut débit, des sociétés à participation publique, des sociétés d’exercice libéral, des taxis, des tribunaux de commerce, d’urbanisme, sans oublier la mérule, chère à Éric Bocquet….
J’arrête là cet inventaire à la Prévert, pourtant loin d’être exhaustif !
Ce texte, pour certains, ne mérite pas d’être qualifié de « projet de loi », parce qu’il a pour projet non pas une loi, mais au mieux plusieurs lois, rendant le travail parlementaire des plus difficiles, voire impossible.
Cette pratique questionne les principes de clarté et d’intelligibilité de la loi, qui découlent des articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ces exigences constitutionnelles imposent que les dispositions législatives soient formulées de manière « suffisamment précise ». Avouez, mes chers collègues, qu’au vu de la rédaction des plus byzantines de certains articles nous en sommes loin !
Pourtant, garantir au citoyen une accessibilité à la loi tant matérielle qu’intellectuelle signifie que la norme doit être compréhensible.
Et même si le principe de sincérité des débats relève de la loi de finances, une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière serait des plus opportunes, tant l’étude d’impact du présent texte est lacunaire, ce qui questionne, cette fois, la compétence du législateur
De plus, nous considérons que le recours aux ordonnances prévu dans le projet de loi initial est détourné de son utilisation normale. Il n’y avait pas moins d’une vingtaine de demandes d’autorisation de recourir aux ordonnances, soit, en moyenne, dans un article sur sept.
Ces ordonnances concernent des sujets tels que le projet de canal Seine-Nord-Europe, estimé, excusez du peu, à 5 milliards d’euros, ou la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, évaluée à 1, 5 milliard d’euros.
Elles concernent aussi le droit des privatisations, le droit du logement, le texte allant même jusqu’à demander la ratification d’ordonnances qu’il modifie.
Mes chers collègues, il n’y a pas de limite à la complexité !
En ce qui concerne le droit de l’environnement, les ordonnances prévues par le texte interrogent le respect de principes fondamentaux reconnus par la Charte de l’environnement. Monsieur le ministre, comment prétendre que les procédures d’information du public sont une contrainte, alors qu’elles sont, au contraire, une exigence de nature constitutionnelle ?
L’article 38 de la Constitution autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnances, en cas d’urgence et de technicité. Or, force est de le constater, la justification de l’urgence a conduit, depuis de nombreuses années, à faire exploser le recours aux ordonnances par les gouvernements successifs. Pourtant, jamais, vraiment jamais, l’urgence n’est démontrée !
À l’origine, le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement, et surtout depuis le début des années deux mille, le recours aux ordonnances, de l’exception qu’il était, est devenu le principe. Dans leur quasi-totalité, les lois comportent désormais un tel renvoi, qui équivaut à un dessaisissement du Parlement, n’en déplaise à certaines et à certains.
C’est pourquoi, d’un point de vue démocratique, nous condamnons le dessaisissement des représentants du peuple sur des sujets d’ampleur.
Cependant, comme l’ont souligné de nombreux juristes, la méthode des ordonnances n’est pas simplement critiquable en raison de son caractère antidémocratique, elle est également l’une des causes de l’inflation normative et de la complexité du droit. Il s’agit d’un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général.
Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d’un surplus de normes dont la rédaction et l’application n’auront pas été suffisamment réfléchies.
Pour les élus du groupe CRC, ce procédé est anticonstitutionnel, parce que les conditions d’urgence et de technicité ne sont pas réunies.
Ce projet de loi porte aussi atteinte au principe de sécurité juridique. Ainsi, le Conseil d’État souligne, dans son avis, que « en modifiant à nouveau des dispositions relatives au régime de l’épargne salariale, lesquelles ont déjà fait l’objet de nombreuses modifications législatives ces dernières années, le projet de loi accroît l’instabilité de ce régime, ce qui paraît préjudiciable à son bon fonctionnement. »
Ce n’est là qu’un exemple !
De plus, le texte prévoit de donner de nouvelles compétences à l’Autorité de la concurrence en matière de documents d’urbanisme, afin de s’assurer que les dispositions d’urbanisme commercial respectent les conditions d’une concurrence équitable. Or les documents d’urbanisme sont des outils de concertation et de pilotage qui permettent aux élus locaux d’organiser l’aménagement de leur territoire en fixant les règles d’utilisation du sol et en répartissant les surfaces dédiées au logement, aux équipements publics, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, en vue de satisfaire les besoins de développement local de façon durable.
Cette intervention de l’Autorité de la concurrence est, pour nous, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, le droit au repos est un élément de la protection de la santé des salariés reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Le Conseil constitutionnel en a déduit que le principe d’un repos hebdomadaire est l’une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés.
Les articles 72, 73 et 74 du présent projet de loi dérogent aux règles du repos dominical pour les établissements de vente au détail situés dans certaines zones géographiques, et l’article 80 autorise à déroger au repos dominical à douze reprises par an.
Quant aux dispositions relatives au travail de nuit, elles répondent aux attentes de quelques grandes enseignes seulement : le principe d’égalité est bafoué, sacrifié sur l’autel de quelques intérêts particuliers !
Nous ne faisons donc pas preuve d’un égalitarisme forcené, nous demandons simplement le respect de notre Constitution.
À partir du moment où les salariés sont amenés à travailler le dimanche une fois par mois, la récurrence est telle que le travail dominical est non plus une exception, mais bien un principe contraignant pour les salariés.
Pour cette raison, nous estimons que le texte est inconstitutionnel.
Le principe d’égalité est énoncé à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Et relisons l’article XVI de cette même déclaration : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Pour le Conseil constitutionnel, « si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ».
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Le projet de loi prévoit une distinction entre les salariés qui n’est pas justifiée. En effet, comment admettre, ainsi que le prévoit l’article 76, qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de moins de onze salariés n’ait pas les mêmes droits qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de plus de onze salariés ?
Que prévoit le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Or l’article 85 bis du présent texte supprime la peine d’emprisonnement applicable aux employeurs en cas d’entrave au fonctionnement régulier des délégués du personnel. Cette mesure remet donc en question le droit de participation des salariés à la gestion des entreprises.
Mme Éliane Assassi. Je sais bien que mes propos vous gênent, chers collègues…
Protestations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UDI-UC et de l’UMP.
Mme Éliane Assassi. … respect de la libre administration des collectivités territoriales, des principes du droit de participation à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, droit au repos des salariés, protection du patrimoine public et des droits du Parlement revalorisés par la réforme constitutionnelle de 2008, la liste des griefs constitutionnels contre ce projet de loi est longue.
On en appelle à la présidente sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.
Mme Éliane Assassi. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
Bien évidemment, la commission spéciale n’est pas favorable à l’adoption de cette motion : nous n’avons pas travaillé pendant des semaines pour que notre travail, que nous jugeons pertinent et positif par rapport au texte transmis par l’Assemblée nationale, soit ainsi réduit à néant.
Nous contestons le grief selon lequel ce projet de loi ne respecterait pas les principes d’intelligibilité de la loi et de sécurité juridique.
Certes, ce texte est copieux et très riche, mais nous l’avons allégé, puisqu’il est passé de 295 à 254 articles.
Nous avons amélioré ce texte sur le fond et sur la forme, c’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Beaucoup d’arguments ont été invoqués, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, on ne peut pas parler d’austérité pour qualifier la politique économique actuelle du Gouvernement.
Quant au simplisme, l’accusation pourrait s’appliquer à la motion qui vient d’être défendue, puisque, sur chaque article, la description de l’existant était une véritable caricature.
Pour ne prendre qu’un exemple, je reviendrai sur ce que vous avez pu dire au sujet du travail dominical ou du travail en soirée.
Le projet de loi tend à clarifier la situation du travail en soirée dans les zones touristiques internationales, donc de manière très circonscrite, là où un flou existe encore aujourd’hui sur le plan jurisprudentiel en ce qui concerne le travail effectué jusqu’à 22 heures, et là où aussi les compensations salariales actuelles pour travail de nuit sont largement inférieures à ce que le projet de loi, tel qu’il vous est présenté, prévoit pour le travail en soirée. Comment pouvez-vous soutenir que ce texte constitue un recul, en particulier pour les salariés ?
Ensuite, j’ai bien entendu vos arguments concernant l’exception au repos dominical. Mais quelle est la réalité dans notre pays ? Aujourd’hui, 30 % de nos concitoyens travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche. Ce projet de loi procède non pas à une généralisation du travail dominical, mais bien à une clarification des règles de compensation et augmente seulement de cinq à douze le nombre d’ouvertures des commerces le dimanche que peut décider le maire, avec les éléments de régulation territoriale que j’ai évoqués dans mon propos introductif.
Permettez-moi de m’interroger : pourquoi ne vous indignez-vous pas de la situation actuelle, alors que le travail dominical, dans les 640 zones touristiques, n’ouvre pas forcément le droit à une compensation salariale, de par la loi ? Cela ne choque personne ! Pourquoi ne vous interrogez-vous pas sur le fait que, pour le travail de nuit, les accords de branche n’accordent, en moyenne, qu’une compensation de 8 % du salaire, alors que, dans ce projet de loi, c’est un doublement qui est prévu pour le travail en soirée ?
M. Pierre Laurent proteste.
Excusez-moi, mais la réalité du pays dans lequel nous vivons n’est pas conforme à ce que vous en dites !
Sur ce point, ce texte comporte des avancées et les reproches que vous avez pu formuler ne sont pas conformes à la réalité des avancées juridiques qu’il contient.
Enfin, en ce qui concerne la méthode, ce projet de loi est effectivement transversal et s’applique à divers secteurs. J’assume totalement cette méthode, puisque c’est la seule manière de réformer ces secteurs les uns après les autres…
Peut-être auriez-vous préféré, en opportunité, quinze réformes mises bout à bout, mais je ne crois pas que le fait de toucher en même temps à plusieurs secteurs soit un obstacle à l’intelligibilité de la loi ; quoi qu’il en soit, le juge constitutionnel aura à en juger si vous décidez de le saisir. Il me semble cependant que votre interprétation va bien au-delà de la signification que la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde à ce terme.
En l’espèce, le quotidien de nos concitoyens et de nos entreprises, la complexité de notre vie économique et tous les éléments très concrets que vous avez pu citer sont revisités par ce projet de loi, parce qu’il faut débloquer la situation de manière ambitieuse, plus ou moins radicale, pour que tout marche mieux.
J’assume pleinement cette philosophie et c’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cette motion.
La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
Le groupe CRC a souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le présent projet de loi en invoquant deux griefs, touchant au non-respect du principe d’intelligibilité de la loi et du principe de sécurité juridique.
En premier lieu, le principe d’intelligibilité de la loi signifie que la loi doit être « intelligible et accessible » et qu’elle ne peut « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». La loi doit être claire pour ne pas être équivoque et source d’insécurité juridique. Or, mon groupe et moi-même le disons sans crainte, le projet de loi, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, témoigne à certains égards d’une méconnaissance de ce principe.
Pour autant, le législateur ne saurait se substituer au Conseil constitutionnel dans son contrôle a priori de la loi. Surtout, le Sénat et la commission spéciale ont souhaité pleinement jouer leur rôle, en corrigeant, autant qu’il était possible, les lacunes de ce texte, y compris celles qui sont de nature à constituer un grief constitutionnel, tel que le manque d’intelligibilité de la loi ou la méconnaissance de l’exigence de sécurité juridique.
Cependant, comme pour la plupart des griefs qui peuvent être invoqués, ceux-ci ne revêtent aucun caractère absolu. Dans le cas de ce projet de loi, le nombre de mesures réglementaires déjà prévu est, certes, important. Pour autant, si nous pouvons légitimement nous interroger sur le futur taux d’application de ces mesures, nous estimons que, dans le cadre de ce projet de loi, le législateur n’a pas confié au pouvoir réglementaire l’élaboration de dispositions qui relèveraient de sa compétence exclusive au titre de l’article 34 de la Constitution.
Pour notre part, nous n’avons aucun doute sur le fait que le législateur est allé au bout de sa compétence, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux professions réglementées, au travail du dimanche, aux transports ou à la participation. Toutes ces dispositions sont en effet déjà codifiées, le législateur n’a donc fait que marcher dans les pas de ses prédécesseurs en inscrivant directement dans la loi les modifications souhaitées.
Par ailleurs, nous estimons que le travail en commission a pu être réalisé dans de bonnes conditions.
L’objectif que se fixent les auteurs de ce projet de loi est la croissance. Nous approuvons ce choix, monsieur le ministre, même si nous regrettons que vous vous soyez arrêté au milieu du gué. Pour notre groupe, proposer un projet pour la croissance, l’activité et l’égalité, eu égard à la situation économique de notre pays, relevait de l’urgence.
Encore faudrait-il que les mesures proposées aient un effet significatif sur l’économie. C’est pourquoi nous avons proposé de nombreux amendements visant à faire de ce texte un véritable texte sur la croissance.
Nos propositions sont ambitieuses, elles sont à la hauteur des défis économiques que notre pays doit relever, car nous ne souhaitons pas inscrire notre démarche dans une opposition systématique, bien au contraire ! Tel est le sens des travaux menés par nos rapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet au sein de la commission spéciale, sous la présidence de Vincent Capo-Canellas. Tel est aussi le sens des amendements que présentera notre groupe.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui ne paraît pas juridiquement fondée. Nous souhaitons que l’examen de ce projet de loi aille jusqu’à son terme.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.
Le groupe socialiste ne votera pas cette motion.
Madame Assassi, vous avez commencé très fort en évoquant une prétendue politique d’austérité, et le ministre vous a répondu sur ce point.
Les Français ne sont ni les Irlandais ni les Espagnols. Nous avons traversé la crise avec tous les amortisseurs sociaux, et il faut plutôt nous en féliciter.
Mme Éliane Assassi et M. Pierre-Yves Collombat s’exclament.
Avec des dépenses publiques qui s’élèvent à 57 % du produit intérieur brut et 84 milliards d’euros de déficit, on ne peut pas parler d’austérité. Ce n’est pas la vérité !
Vous reprenez des arguments concernant la lisibilité du projet de loi. Or nombre de dispositions prévues dans ce texte apportent une sécurité juridique, éclairent le droit et facilitent sa compréhension.
Vous invoquez le recours aux ordonnances. Mais vous avez, en tant que législateur, la possibilité de les encadrer, et les rapporteurs ne s’en sont pas privés. Ils l’ont fait systématiquement ; vous pouviez et pouvez le faire aussi.
Enfin, ce texte ne supprime ni n’ampute aucun droit.
Au contraire, il introduit des droits nouveaux. Il est dommage que vous ne reconnaissiez pas ces avancées du droit favorables aux salariés !
Il est dommage que vous ne nous ayez pas entendus… Vous restez droits dans vos bottes !
Mme Nicole Bricq. Je ne porte jamais de bottes, c’est très mauvais pour la circulation !
Sourires.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, madame la rapporteur – ce n’est malheureusement pas une surprise ! –, aux arguments précis que nous avons développés en présentant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je tiens à le rappeler ici, présenter une telle motion ne revient pas à remettre en cause le travail de la commission spéciale. Nous avons d’ailleurs dénoncé, dans un précédent rappel au règlement, les conditions dans lesquelles cette commission avait dû examiner le projet de loi.
Ce que nous remettons en cause, c’est ce texte, qui vise, à nos yeux, à fragiliser le droit, et nous semble donc de nature à justifier une telle motion.
J’ajouterai un rappel historique aux propos d’Éliane Assassi.
À l’heure où l’on commémore l’esprit de la Résistance, dont tous se glorifient, à l’heure où l’on célèbre les valeurs républicaines et le vivre ensemble, et ce encore davantage depuis les tragiques événements du mois de janvier, ce projet de loi foule aux pieds l’idéal du Conseil national de la Résistance, dont l’expression constitutionnelle se retrouve au sein du préambule de la Constitution, lequel, je le rappelle, a valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence de 1971, a en effet intégré ce texte fondamental dans le bloc de constitutionnalité.
Deux alinéas du texte de 1946 sont, à mon sens particulièrement, visés par ce projet de loi.
Permettez-moi de citer le huitième alinéa : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Votre texte, monsieur le ministre, impose de manière autoritaire de nouvelles conditions de travail détestables. Je pense à l’extension du travail du dimanche et à la promotion du travail « de soirée avant minuit », comme vous le rebaptisez pudiquement.
Non, madame Bricq, nous ne partageons pas votre avis : ce texte ne contient pas de droits nouveaux !
Monsieur le ministre, s’il y a contrevérité, elle vient plutôt de vous, car rien dans ce texte ne renforce ni ne développe le dialogue social, bien au contraire !
Vous le savez, comme nous tous – les salariés, et même des chefs d’entreprises et des commerçants, le disent ! –, le travail du dimanche n’est pas un choix, mais bien souvent une contrainte, que le dialogue social ne permettra pas de surmonter. En effet, c’est l’état actuel du pouvoir d’achat, des salaires et des contrats de travail qui fait qu’un certain nombre de personnes acceptent in fine, de façon dite « volontaire », de travailler le dimanche.
Ils le font pour couvrir les dépenses de leur ménage, faisant ainsi fi de leur vie personnelle ainsi que des solidarités familiales et sociales qui se nouent et se renouent le dimanche.
Le second alinéa du préambule de la Constitution de 1946 que je souhaite évoquer ici concerne la nécessaire pérennité des services publics nationaux.
Nous le verrons dès les premiers articles de ce projet de loi, l’attaque portée au service public de chemin de fer est une atteinte directe et grossière au principe de 1946 et, au-delà, une insulte au souvenir de 1936 et de ceux qui ont fait les grandes conquêtes ouvrières.
Je souhaitais resituer votre texte, monsieur le ministre, dans une perspective historique. Mais cette perspective est, selon nous, en recul, puisque votre visée libérale met en cause les grands acquis du monde ouvrier et salarié du XXe siècle. Ils seront nombreux à vous le rappeler, jeudi, dans la rue !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour m’en tenir à la question posée, je crois que ce texte est bien conforme à la Constitution. Il serait, en tout cas, jugé comme tel s’il devait être soumis au Conseil constitutionnel. En revanche, il n’est pas écrit en français.
C’est clair ! sur les travées du groupe CRC.
Avec ce texte, on atteint des sommets dans le charabia et l’illisibilité !
Mes chers collègues, je me demande si vous réalisez bien ce que l’on nous demande : il s’agit de codifier et, dans le même temps, d’établir des lois. Je sais bien que tout le monde fait de même… Mais là, vraiment, on bat des records !
Je trouve tout simplement scandaleux que, pour faciliter la vie des bureaux, on leur fasse faire le boulot. Et, pour comprendre ce texte, c’est un peu coton… M’y étant employé, je peux vous le dire : heureusement que certains le lisent pour vous ! En cherchant bien, on arrive à trouver ce que l’on y cherche ; sinon, on n’y comprend rien !
Je ne parlerai pas du fond, car je pense que l’on aura l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable. Mais, à un moment donné, je crois qu’il faut savoir dire : « Assez ! »
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP.
Quels que soient nos réserves et les désaccords que nous pouvons avoir avec le Gouvernement et la majorité à l’Assemblée nationale – nous ne savons d’ailleurs pas exactement quels sont ces désaccords, les députés ne s’étant pas totalement exprimés sur ce texte ! –, nous avons un objectif commun : la croissance économique, l’activité et l’emploi.
Nous pensons que notre économie a besoin de réformes. Le chemin qui nous y conduira n’est peut-être pas exactement le même que celui qui est ici préconisé, mais il y a lieu d’en discuter et, de la part de la majorité sénatoriale, de proposer, à la suite du travail effectué en commission, un texte opérationnel et efficace.
Le groupe UDI-UC rejettera donc cette motion.
Je mets aux voix la motion n° 1692, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1693.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015).
La parole est à Mme Annie David, pour la motion.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, intitulé qui traduit un mépris profond à l’égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, en tout cas de celles et ceux qui nous font confiance, et qui ont fait confiance à François Hollande en 2012.
Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas débité de contrevérités, pas plus que nous n’avons énoncé d’informations fallacieuses. Comme d’autres ici, nous avons étudié votre texte !
Comme le président du Sénat, Gérard Larcher, vous l’a indiqué, dans les colonnes du quotidien Le Figaro :…
Sourires.
… « C’est de manière extrêmement pragmatique et non pas idéologique que ce projet de loi va être examiné par la droite sénatoriale ».
Or nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage. Tel est, en somme, notre engagement politique et idéologique.
D’ailleurs, vous-même ne manquez pas d’idéologie, monsieur le ministre, notamment quand, à Las Vegas, vous expliquez au Wall Street Journal que « les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ».
Votre idéologie est libérale. Elle sous-tend l’ensemble de votre projet de loi, ce qui nous amène à proposer de le rejeter en bloc. En effet, sous l’apparence d’un texte « fourre-tout » ou « éclectique », comme l’a qualifié le corapporteur dans la discussion générale, il a bien une cohérence : déréglementation, recul de l’État, remise en cause des acquis sociaux, pour plus de libéralisme.
Cette cohérence ultralibérale est grave. Elle nous a conduits à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ne répond pas aux grands enjeux de notre société et entraîne notre pays vers une situation économique et sociale pire que celle que nous vivons !
Or nos concitoyennes et nos concitoyens sont à bout. Ils l’ont montré, exprimé, crié par leur vote, ou leur non-vote, lors des dernières élections départementales. Pourquoi refusez-vous de les entendre ?
L’effritement du lien social, le manque de perspectives offertes à notre jeunesse, le développement de la précarité sociale et économique, non seulement ne sont pas pris en compte par ce projet de loi, mais s’en trouveront accentués.
Que dire aux 23 % de jeunes au chômage actuellement ?
Que dire aux salariés, contraints d’accepter tous les contrats qui leur sont proposés et de se plier à toutes les conditions de travail, pour garder ou trouver un emploi ?
Parmi eux, les plus précaires sont sans doute les saisonniers. Ils ont témoigné ici, au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par mon groupe, des conditions de vie et de travail extrêmes qui sont les leurs, qui détruisent leur santé, leur vie familiale, sociale. Ils en ont fait part à votre collègue, Matthias Fekl, qui était présent.
Monsieur le ministre, comment leur expliquer que vous proposez un texte qui accentuera encore plus leur précarité ?
Et que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui ont appris aujourd'hui même qu’ils avaient perdu leur emploi ?
Dans ce contexte de chantage à l’emploi, c’est toujours le « moins-disant social » qui prime et devient la règle. C’est ce que votre projet de loi organise.
Comme le résume très bien Martine Bulard dans L e Monde diplomatique, ce texte s’articule autour de la formule « toujours moins » : moins de droits sociaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Ainsi, on arrive à plus de libéralisme, plus de précarité, plus d’individualisme.
L’exemple du travail du dimanche est en cela flagrant. Le lien familial et social tissé durant ce jour de repos commun à toutes et tous n’existera plus. Cela touchera particulièrement les foyers les plus modestes, là où les gens « n’ont pas le choix » de travailler ou non le dimanche.
Au passage, monsieur le ministre, notez que 70 % des salariés du commerce sont des femmes et que 60 % à 70 % d’entre elles élèvent seules leurs enfants.
Ainsi, sans ce lien social, sans le temps consacré par les parents à leurs enfants, comment éviter le désespoir, l’échec scolaire, l’isolement, voire l’endoctrinement de certains jeunes, qui conduit parfois à des actes irréversibles ?
Qui plus est, aucun effet positif n’est prouvé sur l’économie. À pouvoir d’achat constant, l’ouverture des commerces une journée de plus aura pour résultat de détourner les achats vers cette journée et vers les grandes surfaces, au détriment des petits commerces.
Cette mesure, emblématique, met donc en évidence que ce qui est visé est non pas la croissance, pas plus que « l’égalité des chances économiques », mais la déstructuration du contrat de travail et la promotion d’une société fondée sur la consommation.
L’adoption du « contrat zéro heure » anglais ou du « mini job » allemand, si cher au MEDEF, se profile à l’horizon…
Et, pendant que vous déconstruisez le droit du travail et précarisez les salariés, monsieur le ministre, d’autres s’enrichissent : la France a atteint en 2014 la deuxième place mondiale en termes de rémunération de ses actionnaires, derrière les États-Unis !
En 2014, les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits, en baisse, s’établissaient à 48 milliards d'euros… Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer la question de l’épargne salariale au cours de ce débat, monsieur le ministre.
Parallèlement à cela, ou à cause de cela, depuis la crise, les entreprises ont détruit plus d’un demi-million d’emplois, pour 100 000 actifs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.
Vous nous parlez d’entreprises en difficultés ? Je vous réponds entreprises gérées de manière court-termiste, le propre du système capitaliste, pour satisfaire la volonté des actionnaires sans prendre en compte les besoins en termes d’investissement et d’emploi.
Mais, au lieu de lutter contre ce système, vous y adaptez notre droit du travail. L’entreprise est-elle en difficulté, car elle a distribué l’essentiel de ses ressources aux actionnaires ? Ce n’est pas bien grave : l’emploi fera office de variable d’ajustement. Pour ce faire, les conditions de licenciement sont assouplies.
Comment faire confiance à ce modèle pour nous sortir de la crise ? Pourquoi vendre à ce système des entreprises publiques, actives dans des domaines stratégiques, si ce n’est par idéologie ?
Il est en effet prouvé qu’en plus d’être injuste ce système libéral est inefficace sur le plan économique. Selon un rapport de l’OCDE, les inégalités ont coûté 8, 5 points de PIB sur vingt-cinq ans dans les pays membres de l’OCDE.
Cela rend urgente une intervention de l’État auprès des 40 % de personnes les plus défavorisées.
Ce n’est pas ce que fait ce texte. À la place, il prévoit de « libérer » le patronat de ses « charges » et, dans les faits, de toute responsabilité sociale, territoriale et environnementale.
Ce qui nous pose problème, c’est la quasi-totalité des mesures contenues dans ce texte, qui remettent en cause le service public, le rôle de l’État dans l’économie, les acquis sociaux, les ambitions de notre pays, notamment en termes de développement durable ou de solidarité.
Ainsi, au lieu de vous attaquer à la rente des actionnaires, à la fraude fiscale ou encore à la fraude aux cotisations patronales, vous pointez du doigt la supposée rente des notaires.
« Moderniser » la France nécessiterait, selon vous, d’introduire la liberté d’installation des professions réglementées, en permettant de facto des concentrations au profit de grands groupes, là où ils les jugeront rentables, et des désertifications ailleurs, notamment en zone rurale.
« Moderniser » la France nécessiterait, toujours selon vous, de réintroduire le transport par autocar ! Ce faisant, vous incitez au développement d’un mode de transport présentant un risque de mortalité deux fois plus élevé que le rail, selon une étude de l’Union européenne, mais aussi plus polluant et dont le développement est en total décalage avec les objectifs affichés par le ministère du développement durable.
Là encore, l’objectif de modernisation n’est qu’un leurre, qui cache une volonté de casser le service public de la SNCF.
La casse du service public s’effectue aussi en « bradant » les avoirs de l’État dans certaines entreprises. Ainsi, l’article 47 organise la privatisation du Groupement industriel des armements terrestres. Il en est de même pour les aéroports de Nice-Côte d’Azur ou de Lyon-Saint-Exupéry. De plus, la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB, est préparée, avec une ouverture partielle de son capital à la BPI.
Mme Catherine Génisson s’exclame.
Ces « opérations sur le capital des sociétés à participation publique » s’inscrivent dans une longue liste de cessions des participations de l’État : l’aéroport de Toulouse-Blagnac récemment, mais aussi EADS, Safran, Aéroports de Paris, GDF-Suez, Orange…
Pour améliorer sa trésorerie à court terme, l’État se prive de 4, 5 milliards d'euros de recettes et, surtout, d’un contrôle sur des entreprises clés, actives dans des secteurs stratégiques.
D’ailleurs, la gestion actuelle des autoroutes prouve, s’il en était besoin, que la privatisation ne profite pas au consommateur et conduit à une augmentation des prix.
En ce sens, 78 % des Françaises et des Français sont favorables à la nationalisation des autoroutes.
C’est donc non pas aux besoins de nos concitoyens que vous répondez, mais à ceux des entreprises. Ainsi, pour les entreprises du bâtiment, ce texte lève les obstacles réglementaires qui limiteraient l’offre de logement, afin de développer l’offre de logements intermédiaires. Soit ! Mais quelle réponse est apportée au 1, 7 million de ménages en attente d’un logement social ? Quelle réponse est apportée aux 3, 5 millions de personnes mal logées dénombrées par la Fondation Abbé Pierre ? Elles sont les grandes oubliées de ce projet de loi sur « l’égalité des chances économiques ».
D’ailleurs, monsieur le ministre, comment prendre en compte l’avis des citoyennes et des citoyens, quand vous méprisez même leurs représentants, en leur retirant leur pouvoir de légiférer ?
M. le ministre s’étonne.
C’est que notre rejet du texte ne tient pas à son seul contenu : il tient aussi à sa forme.
« Brutalité », « déni de démocratie » : tels sont les mots employés à l’époque par François Hollande pour qualifier l’utilisation du 49-3. Je ne peux, pour une fois, qu’être d’accord avec lui.
Autre coup porté à la démocratie, le recours aux ordonnances, notamment pour modifier le code de l’environnement, mais aussi le code du travail, en particulier l’organisation de l’inspection du travail.
Alors que l’État devrait se donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude aux cotisations patronales et le travail illégal, l’inspection du travail sort affaiblie de ce texte. Par voie d’ordonnances, elle devrait voir un certain nombre de ses prérogatives passer aux mains de l’administration ou des juges.
Quand les salariés doivent accepter toujours plus de sacrifices et d’insécurité, quand les assurés sociaux perçoivent de moins en moins de prestations, le détournement du droit du travail à moindres frais est organisé.
C’est notamment le sens de la suppression de la peine d’emprisonnement en cas de délit d’entrave. Certes, cette peine n’avait jamais été utilisée. Pour autant, elle comportait une force dissuasive réelle et envoyait un message fort. Aujourd’hui, une simple amende de 15 000 euros maximum pourra être demandée. Or l’exemple de l’emploi des travailleurs handicapés nous prouve que les entreprises préfèrent trop souvent payer plutôt que de respecter leurs obligations.
Il en va de même concernant les licenciements abusifs. Avec le référentiel indicatif imposé aux conseillers prud’homaux, l’employeur pourra déterminer à l’avance ce qu’il lui en coûtera s’il licencie un salarié sans respecter le droit.
La casse des prud’hommes est également organisée, sous prétexte de raccourcir les délais de jugement. Effectivement, cette juridiction n’est pas du goût du MEDEF : chaque année, 200 000 salariés s’adressent à elle pour faire valoir leurs droits. Au lieu d’allouer les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’institution, le texte organise la mise en œuvre d’une justice expéditive et privilégie la relation directe entre l’employeur et le salarié, laquelle est forcément inéquitable.
Cette idée parcourt d’ailleurs l’ensemble du texte : la relation patron-salarié prime les accords collectifs. À terme, le code civil pourrait l’emporter sur le code du travail, qui a pour fondement et particularité de reconnaître le lien de subordination existant entre employeurs et salariés.
De même, les décisions prises d’en haut priment les décisions des responsables locaux. L’exemple du travail du dimanche est significatif : pour la délimitation des zones touristiques internationales, les maires ne sont consultés que pour avis, la décision finale revient au Gouvernement.
La liste des mesures qui nous posent problème est longue.
Nous aurions pu aussi évoquer l’assouplissement des conditions de licenciement ou encore des règles concernant l’emploi des travailleurs handicapés.
Ces mesures, cyniques, ultralibérales, inefficaces pour sortir notre pays de la crise, la droite sénatoriale les approuve. Elle va même plus loin : ouverture à la concurrence des trains régionaux, remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond du dispositif ISF-PME, etc. Elle propose même un amendement spécial « ferme des 1 000 vaches ». Car, oui, la recherche de rentabilité à tout prix n’épargne pas l’agriculture. Tant pis si cela nuit au consommateur et à l’environnement !
Nous ne voulons pas avoir à choisir entre le libéralisme du Gouvernement et l’ultralibéralisme d’une droite décomplexée qui se réjouit de voir passer les mesures qu’elle affectionne, mais qu’elle n’a pas mises en œuvre quand elle était au gouvernement, pour ne pas en supporter le coût électoral…
Nous ne pouvons assister sans réagir à cette casse de tous les garde-fous qui permettaient encore à notre pays de résister à la précarisation profonde de la société. En cela, madame Bricq, je vous rejoins.
D’après l’OCDE, « jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé ». Ce n’est pas acceptable et cela ne vient pas de nulle part : c’est le fruit d’une politique délibérément libérale et injuste, qui consiste à supprimer tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement des plus riches et à la mainmise des actionnaires sur les entreprises.
Le résultat est au rendez-vous. Dans certains pays d’Europe, pendant que les peuples luttent pour survivre, garder leur emploi, se soigner, les dividendes versés ont augmenté de 22 % depuis 2009 !
Pourtant, monsieur le ministre, vous continuez de suivre les dogmes libéraux, ce qui vous a attiré les compliments de la Chancelière allemande, Angela Merkel, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Ce dernier voudrait d’ailleurs que la France aille plus loin dans ses efforts. À lui qui a oublié de lutter contre la fraude fiscale lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg, vous offrez des gages, en lui promettant une loi « Macron II ».
Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UMP.
Mme Annie David. Nous aurions préféré voir votre gouvernement de gauche épauler le Premier ministre grec, M. Tsipras !
Exclamations sur les mêmes travées.
Monsieur le ministre, au regard des difficultés que vivent nos concitoyens, votre positionnement idéologique est grave. Il s’exprime dans l’ensemble de ce texte. C’est pourquoi nous le rejetons en bloc et c’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
La commission spéciale émet un avis défavorable sur cette motion.
Dans l’objet de votre motion, madame la sénatrice, vous indiquez que le texte « renvoie aux vieux poncifs du libéralisme du XIXe siècle ». Croyez bien que, si la commission spéciale avait fait preuve d’un libéralisme effréné ou débridé, le projet de loi serait bien différent de celui qui résulte de ses travaux !
On peut admirer votre sincérité, et respecter la constance de vos convictions, mais souffrez qu’on ne les partage pas. Votre obsession du dirigisme et de l’étatisme, votre refus absolu de toute concurrence relèvent, à nos yeux, d’une vision un peu passéiste et dépassée.
M. Emmanuel Macron, ministre. Je pourrais répondre point par point à l’ensemble des arguments de Mme David,
Protestations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP
, mais puisque vous criez grâce vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous épargnerai !
Sourires.
En vous écoutant, madame la sénatrice, je repensais à ces chansons enfantines que l’on dit « en laisse », c'est-à-dire que la dernière syllabe d’un vers inspire la première du vers suivant.
Oui, madame David, vous nous avez finalement livré un petit discours en laisse, rebondissant sans trop de cohérence d’une idée à l’autre.
Vives protestations sur les travées du groupe CRC.
Vous avez évoqué de nombreux sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Nous y reviendrons, mais de manière cohérente, en les abordant successivement, au cours de l’examen des articles, car il existe une véritable cohérence d’ensemble sur ces questions, mais qui n’est pas celle de la chanson en laisse !
J’émets donc un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur le ministre, vous avez à plusieurs reprises évoqué la philosophie de ce texte, en vous abstenant d’ailleurs prudemment de la définir…
L’intitulé du titre Ier du projet de loi, « Libérer l’activité », la résume parfaitement. C’est la philosophie de multiples textes du même genre qui ont été déposés depuis une trentaine d’années, textes tout aussi pleins de bonnes intentions et proches de celui-ci, parfois au titre près, à l’instar de la fameuse loi du 31 mars 2006 pour « l’égalité des chances », votée, comme celle-ci, au bénéfice du 49-3 à l’Assemblée nationale, et déférée au Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat, alors dans l’opposition – j’en étais.
Autres temps, autres mœurs !
Selon cette croyance, si l’investissement stagne, si le chômage augmente, en un mot, si une économie tourne au ralenti, c’est non pas parce que la demande n’est pas au rendez-vous – le catéchisme est formel : l’offre crée la demande –, mais parce que cette économie est tout simplement enchaînée. Il faut donc la libérer.
Il suffit de libérer de ses entraves le tigre tout prêt à bondir pour que l’activité économique redémarre et que le chômage s’efface. C’est élémentaire.
Libérer l’économie, c’est privatiser les activités immédiatement rentables et externaliser les investissements lourds et le maximum de coûts à la collectivité : ainsi, aux transporteurs privés les autocars utilisant des voies qu’ils n’ont pas payées, à la SNCF et aux collectivités la charge des réseaux.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux autres.
Libérer l’économie, c’est supprimer progressivement la contribution fiscale des entreprises aux budgets publics, tordre le cou au code du travail qui, chacun le sait, fausse la concurrence entre l’employeur et l’employé, ce dernier étant libre de vivre pour travailler plutôt que de travailler pour vivre, libre de travailler, si bon lui semble, la semaine, le dimanche, le jour, la nuit, et désormais « en soirée ».
Tout le reste est laissé de côté, à commencer par l’essentiel : le circuit économique et comment il fonctionne.
Or le circuit fonctionne lorsque les recettes des uns constituent les dépenses des autres. Mais nous sommes vraiment très forts, nous voulons que les uns aient des recettes, mais que les autres ne dépensent plus. Vous m’expliquerez comment cela peut marcher !
J’ai encore en mémoire la discussion ici du projet de loi pour l’égalité des chances, déjà évoqué. Le ministre du travail de l’époque, qui a fait une belle carrière depuis, expliquait alors que, si l’Espagne avait aussi fortement réduit son chômage en quelques années, notamment le chômage des jeunes – la lutte contre le chômage des jeunes était l’objet principal du texte –, elle le devait au contrat de travail « allégé » du type de celui que le ministre proposait alors, le fameux CPE, ou contrat première embauche, mort d’ailleurs le lendemain de sa naissance. Certains s’en souviennent encore !
Je ne parvins pas à faire admettre au ministre à l’époque que la dynamique économique de l’Espagne, qui était alors effectivement exceptionnelle, était due plutôt à la spéculation immobilière qu’à l’inventivité juridique de son gouvernement et que cela risquait de mal finir. On était en 2005, et vous connaissez la suite.
Vous savez aussi ce qu’il advint du « taureau ibérique » et du « tigre celtique » irlandais. Nicole Bricq rappelait que nous ne sommes pas dans la situation catastrophique des Espagnols. Or, à l’époque, on nous reprochait justement de ne pas faire comme eux !
Mme Nicole Bricq s’exclame.
Ma foi, là encore, les temps ont changé !
Depuis trente ans, les dispositifs de libération de l’économie se sont accumulés. François Hollande n’a pas failli à la tradition : loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, loi relative à la sécurisation de l’emploi, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, Accord national interprofessionnel. Il n’y a plus une loi de finances sans innovation. Aujourd'hui, on nous soumet le présent texte, d’autres sont annoncés pour demain.
Pour quels résultats ?
Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, à qui l'on doit, entre autres, la suppression de la taxe professionnelle, cet « impôt imbécile » qui était responsable de la sous-compétitivité de la France, le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté de 714 000. À mi-mandat de François Hollande, il a déjà augmenté de 600 000, ou de près de 1 million, si l’on prend les catégories A à E.
Quant à la croissance, le 1 % annoncé est vendu comme un exploit, alors qu’un tel taux ne permet même pas de compenser les pertes nettes d’emplois.
Les remèdes sont sans effet et pourtant – ce projet de loi en porte témoignage –, on nous propose de continuer à les appliquer.
Gageons que, s’ils ne sont pas bons pour tous les Français, ils le sont pour quelques-uns – pour ceux qui tiennent la laisse, peut-être ? –, ou alors, c’est à n’y rien comprendre !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également.
Monsieur le ministre, vous l’avez réaffirmé dans plusieurs de vos interventions, vous prétendez, par ce texte, agir pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Or plusieurs éléments font grandement défaut de ce point de vue.
Par exemple, le projet de loi comprend des dispositions relatives à l’épargne salariale, le but étant notamment de trouver des financements pour l’activité des PME et des TPE, que les banques ne soutiennent plus. Or le texte ne répond pas à la question, essentielle, du partage des richesses créées par les salariés dans les entreprises.
Au début des années quatre-vingt, les sociétés non financières consacraient 30 % de leurs profits à la rémunération de leurs actionnaires. Cette part a considérablement augmenté, pour atteindre 85 % en 2012.
Ainsi, alors que notre pays est confronté depuis des décennies à un chômage de masse, c’est le versement de dividendes qui est préféré à l’emploi et à l’investissement par les entreprises.
À cet égard, rappelons que la rémunération des actionnaires représente 2, 6 fois les sommes consacrées à l’investissement, contre moitié moins au début des années quatre-vingt.
Quant à la part consacrée au travail, l’INSEE montre que le salaire moyen perçu par les salariés a quasiment stagné au cours des trente dernières années. Dans le même temps, les salariés situés tout en haut de la pyramide des rémunérations ont vu leur salaire augmenter. Ainsi, le 1 % de salariés les mieux rémunérés perçoivent 6, 5 % du total des rémunérations distribuées. Cette part, mes chers collègues, était de 5, 5 % au milieu des années quatre-vingt-dix. Elle a donc augmenté.
Il est étonnant donc qu’une loi pour l’égalité des chances ne prenne pas en compte cette question et contribue par ailleurs à l’augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprise, du fait de la mise en place des actions gratuites, nous y reviendrons.
Vous dites vouloir garder les talents, monsieur le ministre, mais pourquoi le faire au mépris des salariés ?
Il est également étonnant qu’une loi visant à favoriser la croissance et prévoyant un grand nombre de dispositions n’en comprenne pas sur le financement de l’économie, notamment sur les banques. Monsieur le ministre, comment peut-on prétendre que les banques, qui participent à la crise que nous connaissons et qui reçoivent près de 300 millions d’euros au titre du CICE, n’ont besoin ni d’être modernisées ni de voir leurs missions totalement revisitées ?
Ce projet de loi de modernisation de la France, dont les trois axes sont « libérer, investir, travailler », comme vous aimez à le rappeler, monsieur le ministre, ne se situe pas non plus à l’avant-garde en matière de croissance verte.
Le groupe CRC, loin de se contenter de formuler des critiques, a d’autres propositions à faire. Nous voulons construire, mais vous ne nous entendez pas, monsieur le ministre.
Nous voulons construire pour une croissance juste et durable, respectueuse de l’environnement et répondant aux besoins des populations. Il nous semble essentiel et urgent de lutter notamment contre les licenciements boursiers, de taxer les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail, ou encore d’abolir les privilèges fiscaux, particulièrement les 30 milliards d’euros d’exonérations accordées aux entreprises.
Nous proposons une reprise en main du secteur de l’énergie par le secteur public, dans une logique de développement durable.
Les ressources vitales, telles que l’eau, devraient aussi être gérées par un service public national.
Nous proposons enfin de sécuriser les parcours de vie, en faisant du CDI la norme ou en défendant une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.
Or non seulement votre texte ne reprend aucune de ces propositions, pourtant réellement de nature à améliorer la vie des gens, mais, dans chacun des domaines que je viens brièvement d’aborder, il introduit des dispositions libérales contraires tant au bien-être de nos concitoyens qu’à la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, pour ne prendre que cet exemple.
Vous proposez de développer une société de consommation à outrance, avec tout ce que cela implique pour l’environnement, une société dans laquelle les salariés les plus fragiles sont contraints de travailler le dimanche, quand d’autres se voient proposer de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas dans des centres commerciaux ouverts sept jours sur sept, tandis qu’un petit nombre continue de s’enrichir de manière abusive !
Nous sommes décidément loin du progrès humain et de la modernité…
Alors, même s’il nous faut nous répéter, même si vous ne trouvez pas de cohérence dans ce que vous considérez comme autant de leitmotiv, vous devez revoir totalement votre texte, lequel n’est cohérent que d’un point de vue libéral.
Pour toutes ces raisons, nous voterons évidemment la motion tendant à opposer la question préalable défendue par Annie David.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation économique du pays est sans appel. Les indicateurs sont au rouge et Bruxelles nous presse d’apporter des réponses structurelles à la situation. Mes collègues l’ont rappelé dans la discussion générale.
La France et les Français ne peuvent plus attendre. Le temps des tergiversations et des demi-mesures est terminé. Au contraire, la situation nous pousse à agir. Il y a urgence à réformer.
Alors, oui, nous sommes d’accord : le texte proposé par le Gouvernement n’est pas satisfaisant. L’OCDE a d’ailleurs estimé qu’il permettrait seulement de gagner 0, 1 point de croissance. Ce projet de loi est une série bien longue de dispositions diverses, un texte fourre-tout, bien plus qu’un véritable texte susceptible de favoriser la croissance. Pourtant, tel est l’objectif affiché.
Le groupe UMP partage cet objectif de croissance, mais il fait le constat que le Gouvernement s’arrête au milieu du gué.
Le travail effectué par la commission spéciale et celui que nous allons faire en séance publique au cours des prochaines semaines visent justement, de manière pragmatique et responsable, à faire évoluer le projet de loi afin d’en faire un véritable texte de croissance économique.
S’il comporte des mesures qui vont dans le bon sens et qui seront par conséquent soutenues par le groupe UMP, le projet de loi ne s’attaque cependant pas aux verrous qu’il faudrait lever pour permettre à l’économie, tout en profitant de facteurs exogènes favorables, de redémarrer et de créer des emplois. Le groupe UMP du Sénat propose justement de faire sauter ces verrous.
Nous pouvons citer à cet égard plusieurs mesures qui ont été adoptées en commission afin de donner du corps à ce texte, notamment la simplification des accords de maintien de l’emploi et leur extension à des accords défensifs de développement de l’emploi – on ne peut pas attendre qu’une entreprise aille mal pour réagir –, et le relèvement de onze à vingt et un salariés du seuil déclenchant des obligations pour les entreprises. On le sait, le passage de certains seuils est trop lourd pour les entreprises et les empêche d’embaucher.
Ont été également adoptées des mesures qui renforceront la participation des salariés à la croissance de l’entreprise, notamment dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
C’est tout le sens de la démarche que l’UMP propose, avec des mesures fortes et constructives qui viendront conforter le travail de nos trois rapporteurs.
Nos propositions tourneront autour de quatre axes essentiels : l’accès au marché du travail, la compétitivité des entreprises, la simplification de la vie des entreprises, la pérennité des entreprises au travers, d’une part, de la participation des salariés à la croissance et, d’autre part, de la simplification des opérations de transmission.
Ce qu’attendent les Français, ce sont de vraies réformes. Ils sont lassés des faux-semblants. Ils se sont d'ailleurs clairement exprimés lors des scrutins départementaux, et ce ne sont pas les seuls : nos partenaires européens, la Commission européenne nous pressent également.
Il est donc de notre responsabilité de redresser le pays et de mettre fin au décrochage économique de la France.
Par conséquent, le groupe UMP estime que non seulement il y a lieu d’engager les discussions sur le texte mais qu’il y a même urgence à le faire. C'est pourquoi il votera contre cette motion.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Nous ne voterons pas cette motion.
Quels que soient les textes qui sont soumis à notre examen et le moment où ils nous sont proposés, la vigilance politique s’impose à chacun des membres de notre assemblée en fonction de ses idéaux, qu’ils soient ou non partagés. Je me suis exprimé lors de la discussion générale sur ce point en réclamant certaines précisions et informations complémentaires qui m’apparaissaient nécessaires.
À l’instant ont été évoqués les acquis importants du Conseil national de la Résistance, acquis que je partage. Je ferai référence à l’histoire un peu plus ancienne, en citant Jean Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Nous aurons l’occasion de chercher la vérité et de la dire de manière très précise au cours de la discussion des amendements, de façon à éviter d’asséner des contrevérités. Il est donc important que nous entreprenions cette recherche.
La dérégulation libérale qui est évoquée dans cette motion ne correspond pas à la vérité sur un certain nombre de sujets.
Lorsqu’on s’attaque aux retraites chapeaux ou qu’on les encadre davantage, ce n’est pas de la dérégulation libérale.
Merci, monsieur Desessard !
Lorsqu’on met en place le crédit interentreprises parce que, manifestement, le système bancaire n’est pas à la hauteur pour soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises, ce n’est pas de la dérégulation libérale.
De la même manière, lorsqu’on remet en cause la manière de fonctionner de certaines professions réglementées, ce n’est pas de la dérégulation libérale ; il y a là aussi parfois une forme d’héritage condamnable, même s’il faut faire la différence, par exemple, entre les notaires parisiens et ceux de province. Néanmoins, il est indispensable de revoir certaines situations acquises.
Sur les zones de commerce internationales, pour citer cet autre exemple, dès lors qu’à partir d’une heure donnée les salaires seront doublés, les transports étudiés, les enfants gardés
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
M. Yannick Vaugrenard. Sur le fond, le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », implique celui d’une discussion entre les partenaires sociaux. La discussion entre les partenaires sociaux, ce n’est pas de la dérégulation libérale.
Protestations sur les mêmes travées.
Indépendamment de cela, je pense que nous traversons – nous le sentons bien – une période politique, économique et sociale particulière : pour la première fois dans l’histoire probablement, la génération actuelle, voire la suivante, nous le savons pertinemment, risque de vivre moins bien que les générations précédentes. C’est une situation inédite.
Cela signifie par conséquent qu’il faut intervenir, qu’il faut réformer, et réformer encore, en agissant sur l’économie mais, bien évidemment, avec un souci absolu de justice sociale ; l’un ne va pas sans l’autre, réforme économique rimant avec justice sociale. C’est le sens de la volonté qui est exprimée. Donc, allons dans ce sens-là !
Près de 70 % des Français considèrent en effet aujourd'hui qu’il est nécessaire de réformer notre société.
M. Yannick Vaugrenard. Il n’est donc pas urgent d’attendre, mais, dans un souci global d’équité et de justice sociale, il est urgent d’agir !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
M. Olivier Cadic. J’ai écouté avec attention cet argumentaire qui dénonce les « vieux poncifs du libéralisme du XIXe siècle ». Au XIXe siècle, je n’étais pas né
Sourires.
Voici en effet ce qu’on peut lire sur cette page : « Le libéralisme prône la liberté d’expression des individus, dans le domaine économique, l’initiative privée, la libre concurrence et son corollaire, l’économie de marché, et d’autre part, dans le domaine politique, des pouvoirs politiques encadrés par la loi librement débattue. »
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
XIXe siècle ? Moi, je trouve cela furieusement tendance !
Orwell écrivait : « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». Nous avons beaucoup travaillé sur ce texte, il va falloir vous y faire et nous écouter, chers collègues. Notre liberté, c’est de vous dire ce que vous n’avez peut-être pas envie d’entendre !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP. – Vives protestations sur les travées du CRC.
Et notre liberté ? Vous confondez libéralisme et liberté d’expression !
Je mets aux voix la motion n° 1693, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Madame la présidente, pour éviter les longs « tunnels » auxquels ressemblent parfois les discussions communes, et rendre de ce fait nos travaux plus lisibles, je demande, en application de l’article 49, alinéa 2, de notre règlement, l’examen séparé d’un certain nombre d’amendements tendant à rédiger l’intégralité d’articles. Nous les examinerons en priorité et traiterons ensuite des autres amendements faisant l’objet de discussions communes.
Voici la liste des amendements à disjoindre des discussions communes : à l’article 11, l’amendement n° 1552, à l’article 12, l’amendement n° 1664, à l’article 13 bis, l’amendement n° 1618, à l’article 14, l’amendement n° 1619, à l’article 16, l’amendement n° 1622, à l’article 17 bis, l’amendement n° 1625, à l’article 19, l’amendement n° 1617, à l’article 20, l’amendement n° 1620, à l’article 21, l’amendement n° 1630, à l’article 26, l’amendement n° 1561, à l’article 33 septies C, les amendements n° 604 rectifié bis et 1645, à l’article 40 bis A, l’amendement n° 1589, à l’article 66, l’amendement n° 1585, à l’article 67, l’amendement n° 1586, à l’article 70, l’amendement n° 259, à l’article 75, l’amendement n° 707, à l’article 80, les amendements n° 124 rectifié, 709, 892 rectifié bis et 712 ; enfin, à l’article 83, l’amendement n° 1651.
Je suis donc saisie par la commission spéciale d’une demande d’examen séparé de l’amendement n° 1552 à l’article 11, de l’amendement n° 1664 à l’article 12, de l’amendement n° 1618 à l’article 13 bis, de l’amendement n° 1619 à l’article 14, de l’amendement n° 1622 à l’article 16, de l’amendement n° 1625 à l’article 17 bis, de l’amendement n° 1617 à l’article 19, de l’amendement n° 1620 à l’article 20, de l’amendement n° 1630 à l’article 21, de l’amendement n° 1561 à l’article 26, des amendements n° 604 rectifié bis et 1645 à l’article 33 septies C, de l’amendement n° 1589 à l’article 40 bis A, de l’amendement n° 1585 à l’article 66, de l’amendement n° 1586 à l’article 67, de l’amendement n° 259 à l’article 70, de l’amendement n° 707 à l’article 75, des amendements n° 124 rectifié, 709, 892 rectifié bis et 712 à l’article 80 et de l’amendement n° 1651 à l’article 83.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Je consulte le Sénat sur cette demande d’examen séparé formulée par la commission spéciale et acceptée par le Gouvernement.
L’examen séparé est décidé.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
Je rappelle aux membres de la commission que nous nous réunissons à neuf heures trente pour poursuivre l'examen des amendements.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 8 avril 2015 :
À quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 300, 2014-2015).
Rapport de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, fait au nom de la commission spéciale (n° 370, tomes I, II et III, 2014-2015).
Texte de la commission (n° 371, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 8 avril 2015, à zéro heure quarante-cinq.