Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 7 avril 2015 à 21h45
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de ne pas allonger inutilement les débats à cette heure avancée de la soirée, je me contenterai de revenir sur l’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite que nous abordions ce texte.

« Enrichir, améliorer, débattre », avez-vous dit tout à l’heure, monsieur le ministre. Je souhaite également que nous puissions enrichir notre économie, améliorer la situation de nos concitoyens et bien débattre : la démocratie y gagnerait.

Qui peut croire que l’économie n’est pas liée à la conjoncture ? Qui pourrait se plaindre des améliorations conjoncturelles et de la présence de signes de reprise et d’espoir ? Qui peut imaginer que la loi seule serait capable d’améliorer la situation économique ?

Le rôle d’une loi est de fixer un cadre qui protège, mais qui n’entrave pas. Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de la nécessité d’aborder certaines problématiques sous un angle différent, d’où le côté très éclectique du texte, que l’un des corapporteurs a souligné à juste titre.

C’est la raison pour laquelle ce texte visant à favoriser la croissance et l’activité comprend, quitte à en surprendre certains, des dispositions qui interpellent le monde juridique et judiciaire. Je pense notamment à la réforme des professions réglementées.

À cet égard, il y a deux objectifs essentiels. D’une part, il ne faut pas favoriser des rentes de situation : évitons que certaines professions, sous prétexte d’être réglementées et de bénéficier de situations monopolistiques, ne dégagent des profits démesurés sans être soumises aux règles de la concurrence. D’autre part, il faut ouvrir ces mêmes professions, à la fois sur elles-mêmes et sur les autres.

Néanmoins, et nous devons en tenir compte, si ces professions sont réglementées, c’est parce qu’elles sont censées rendre un service à l’État. Il s’agit d’officiers ministériels chargés de garantir la sécurité juridique des contrats ou des modalités de recouvrement – tout le monde préfère faire appel à un huissier plutôt qu’à une société de recouvrement –, ainsi que l’accès à la justice et le fonctionnement de celle-ci. Les avocats, tout comme d’autres professions réglementées, sont des auxiliaires de justice.

La question de l’équilibre, qui a été abordée par certains devant la commission spéciale, se pose donc. Le fait d’exercer une profession réglementée ne dispense pas de rendre des comptes.

Cependant, il n’est pas sûr que la concurrence constitue le meilleur rempart. J’ai donc déposé un amendement à l’article 12. Ne faut-il pas abandonner le « corridor tarifaire », comme cela a été fait à l’Assemblée nationale ? Est-il judicieux de prévoir des remises avec un plafond et un plancher ?

À mon sens, s’il y a des professions réglementées avec des tarifs, il ne peut y avoir ni de mise en concurrence ni de remise. En revanche, si les tarifs pratiqués donnent lieu à des profits excessifs compte tenu des valeurs, notamment immobilières, du moment, il n’y a aucune raison pour que ces professionnels chargés de rendre des services à l’État ne lui rendent pas aussi celui de lui reverser de l’argent pour favoriser l’accès au droit et à la justice. C’est une piste à creuser ; j’aimerais que nous puissions en débattre.

Monsieur le ministre, vous avez aussi voulu ouvrir ces professions à d’autres et faciliter le recours à l’interprofessionnalité. C’est le débat entre les professions du chiffre et celles du droit, qui peut paraître un peu « ringard » dans certains pays. Sans doute faut-il évoluer.

Cela soulève également la question du respect des territoires. Jacques Mézard a notamment insisté sur l’importance de maintenir partout la présence d’auxiliaires de justice et de notaires.

La présence de professionnels compétents – je pense en particulier aux avocats – me semble tout aussi importante que celle de professionnels en situation de monopole. Tous ces sujets devront être abordés en toute transparence.

Au demeurant, après les Big five, découverts en France à la suite du dépôt de bilan d’Arthur Andersen et de l’affaire Enron, la question de l’interprofessionnalité fait craindre les Big four ! On sait qu’il ne s’agit pas d’un modèle absolu. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous devrons sans doute veiller à empêcher la domination de certains professionnels sur d’autres. C’est le sujet qui préoccupe le plus le monde du droit. Cependant, s’il est important de sauvegarder nos spécificités, nous devons également être capables de nous ouvrir. Les professions réglementées n’ont sans doute pas su le faire suffisamment.

Enfin, le texte aborde la question de la réforme judiciaire. Je le rappelle tout de même, l’importance du dialogue dans les tribunaux de commerce est sanctuarisée. Le principe même du fonctionnement des tribunaux de commerce est maintenu ; il est seulement prévu d’instaurer des tribunaux de commerce spécialisés pour traiter des procédures de liquidation judiciaire. L’objectif est que ces tribunaux soient mieux armés pour maintenir l’emploi sur plusieurs secteurs du territoire.

De même, l’importance du dialogue social est réaffirmée au titre III du texte, « Travailler ». La prud’homie est pleinement réhabilitée. Monsieur le ministre, vous reconnaissez que les tribunaux des prud’hommes mettent du temps à rendre leurs décisions – d’ailleurs, ils ne sont pas les seuls –, mais vous souhaitez améliorer les choses, notamment en renforçant le rôle de la conciliation, qui se trouvera accru par l’existence de barèmes indicatifs, comme cela se pratique dans d’autres domaines. Il sera ainsi possible aux parties de régler rapidement le litige au moment de la conciliation, grâce au renforcement des bureaux conciliateurs. En clair, la volonté de dialogue est inscrite dans le projet de loi.

Certains ne peuvent pas s’empêcher de faire référence à une économie qui fonctionne bien de l’autre côté du Rhin. Pour bien connaître l’Allemagne, je puis vous l’assurer : ce qui fonctionne correctement chez nos voisins, c’est surtout le dialogue social dans les entreprises ! C’est ce qui a largement favorisé la compétitivité. Puisque nous cherchons des modèles, inspirons-nous de ce qui a fait la preuve de son succès. Il est important de promouvoir le dialogue, aussi bien dans notre pays que, je l’espère, dans nos travaux au sein de notre Haute Assemblée !

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