Mais ce titre est aussi trompeur. Les mesures proposées ne créeront ni activités ni emplois ; elles se contentent en réalité de transférer des services et des activités du secteur public vers le secteur privé, sans la moindre utilité sociale ou économique.
Pire, des mesures facilitant les licenciements économiques et la casse du droit du travail, prévues dans la dernière partie du texte, desserviront l’activité économique et aggraveront encore la condition sociale des salariés. À moins que vous ne fassiez vôtre ce point de vue thatchérien selon lequel les droits des salariés, les droits syndicaux sont un frein à la croissance…
L’ordonnance du 20 août 2014 relative aux privatisations permettra de brader les biens publics, tandis que la première partie du texte s’attaque aux impératifs d’aménagement du territoire. Il s’agit en fait d’une remise en cause de l’État social, voire de l’État, tout simplement.
D’un point de vue juridique, ce projet de loi suscite plusieurs griefs quant à sa constitutionnalité. Si l’on ne peut que lui reconnaître une réelle cohérence doctrinale, il n’en demeure pas moins que son caractère formellement désordonné et sectoriel remet en cause les principes de sincérité des débats et de clarté de la loi, ainsi que ses corollaires que sont les principes d’égalité et d’intelligibilité de la loi. Les guides légistiques nous rappellent pourtant que, lorsque le Parlement débat d’un projet de loi et procède au vote, il le fait article par article, la clarté et la cohérence du contenu de l’article facilitant le débat et l’expression du vote.
Or nous sommes vraiment loin de la clarté et de la cohérence permettant l’expression de la représentation nationale.
Ainsi, dans ce projet de loi, il est question, pour reprendre l’énumération faite voilà peu par La Semaine Juridique, des administrateurs judiciaires, d’autorisations d’urbanisme, des autocars, de diverses autorités administratives indépendantes, des avocats, du bail commercial, du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire, de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics, des commissaires-priseurs, du compte épargne-temps, de concentration économique, des conseils en propriété industrielle, de la copropriété des immeubles bâtis, des dispositifs publicitaires implantés sur des équipements sportifs, des experts-comptables, des installations classées pour la protection de l’environnement, des greffiers des tribunaux de commerce, de la justice prud’homale, de la liquidation judiciaire, de la lutte contre la prestation de service internationale illégale, des microentreprises, des notaires, des péages autoroutiers, du permis de conduire, des plans de sauvegarde de l’emploi, des positions dominantes, du redressement judiciaire, des relations dématérialisées des entreprises avec l’administration et les tiers, du repos dominical, du repos en soirée, des réseaux de communication électronique à haut débit, des sociétés à participation publique, des sociétés d’exercice libéral, des taxis, des tribunaux de commerce, d’urbanisme, sans oublier la mérule, chère à Éric Bocquet….
J’arrête là cet inventaire à la Prévert, pourtant loin d’être exhaustif !
Ce texte, pour certains, ne mérite pas d’être qualifié de « projet de loi », parce qu’il a pour projet non pas une loi, mais au mieux plusieurs lois, rendant le travail parlementaire des plus difficiles, voire impossible.
Cette pratique questionne les principes de clarté et d’intelligibilité de la loi, qui découlent des articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ces exigences constitutionnelles imposent que les dispositions législatives soient formulées de manière « suffisamment précise ». Avouez, mes chers collègues, qu’au vu de la rédaction des plus byzantines de certains articles nous en sommes loin !
Pourtant, garantir au citoyen une accessibilité à la loi tant matérielle qu’intellectuelle signifie que la norme doit être compréhensible.
Et même si le principe de sincérité des débats relève de la loi de finances, une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière serait des plus opportunes, tant l’étude d’impact du présent texte est lacunaire, ce qui questionne, cette fois, la compétence du législateur
De plus, nous considérons que le recours aux ordonnances prévu dans le projet de loi initial est détourné de son utilisation normale. Il n’y avait pas moins d’une vingtaine de demandes d’autorisation de recourir aux ordonnances, soit, en moyenne, dans un article sur sept.
Ces ordonnances concernent des sujets tels que le projet de canal Seine-Nord-Europe, estimé, excusez du peu, à 5 milliards d’euros, ou la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, évaluée à 1, 5 milliard d’euros.
Elles concernent aussi le droit des privatisations, le droit du logement, le texte allant même jusqu’à demander la ratification d’ordonnances qu’il modifie.
Mes chers collègues, il n’y a pas de limite à la complexité !
En ce qui concerne le droit de l’environnement, les ordonnances prévues par le texte interrogent le respect de principes fondamentaux reconnus par la Charte de l’environnement. Monsieur le ministre, comment prétendre que les procédures d’information du public sont une contrainte, alors qu’elles sont, au contraire, une exigence de nature constitutionnelle ?
L’article 38 de la Constitution autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnances, en cas d’urgence et de technicité. Or, force est de le constater, la justification de l’urgence a conduit, depuis de nombreuses années, à faire exploser le recours aux ordonnances par les gouvernements successifs. Pourtant, jamais, vraiment jamais, l’urgence n’est démontrée !
À l’origine, le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement, et surtout depuis le début des années deux mille, le recours aux ordonnances, de l’exception qu’il était, est devenu le principe. Dans leur quasi-totalité, les lois comportent désormais un tel renvoi, qui équivaut à un dessaisissement du Parlement, n’en déplaise à certaines et à certains.
C’est pourquoi, d’un point de vue démocratique, nous condamnons le dessaisissement des représentants du peuple sur des sujets d’ampleur.
Cependant, comme l’ont souligné de nombreux juristes, la méthode des ordonnances n’est pas simplement critiquable en raison de son caractère antidémocratique, elle est également l’une des causes de l’inflation normative et de la complexité du droit. Il s’agit d’un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général.
Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d’un surplus de normes dont la rédaction et l’application n’auront pas été suffisamment réfléchies.
Pour les élus du groupe CRC, ce procédé est anticonstitutionnel, parce que les conditions d’urgence et de technicité ne sont pas réunies.
Ce projet de loi porte aussi atteinte au principe de sécurité juridique. Ainsi, le Conseil d’État souligne, dans son avis, que « en modifiant à nouveau des dispositions relatives au régime de l’épargne salariale, lesquelles ont déjà fait l’objet de nombreuses modifications législatives ces dernières années, le projet de loi accroît l’instabilité de ce régime, ce qui paraît préjudiciable à son bon fonctionnement. »
Ce n’est là qu’un exemple !
De plus, le texte prévoit de donner de nouvelles compétences à l’Autorité de la concurrence en matière de documents d’urbanisme, afin de s’assurer que les dispositions d’urbanisme commercial respectent les conditions d’une concurrence équitable. Or les documents d’urbanisme sont des outils de concertation et de pilotage qui permettent aux élus locaux d’organiser l’aménagement de leur territoire en fixant les règles d’utilisation du sol et en répartissant les surfaces dédiées au logement, aux équipements publics, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, en vue de satisfaire les besoins de développement local de façon durable.
Cette intervention de l’Autorité de la concurrence est, pour nous, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, le droit au repos est un élément de la protection de la santé des salariés reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Le Conseil constitutionnel en a déduit que le principe d’un repos hebdomadaire est l’une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés.
Les articles 72, 73 et 74 du présent projet de loi dérogent aux règles du repos dominical pour les établissements de vente au détail situés dans certaines zones géographiques, et l’article 80 autorise à déroger au repos dominical à douze reprises par an.
Quant aux dispositions relatives au travail de nuit, elles répondent aux attentes de quelques grandes enseignes seulement : le principe d’égalité est bafoué, sacrifié sur l’autel de quelques intérêts particuliers !
Nous ne faisons donc pas preuve d’un égalitarisme forcené, nous demandons simplement le respect de notre Constitution.
À partir du moment où les salariés sont amenés à travailler le dimanche une fois par mois, la récurrence est telle que le travail dominical est non plus une exception, mais bien un principe contraignant pour les salariés.
Pour cette raison, nous estimons que le texte est inconstitutionnel.
Le principe d’égalité est énoncé à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Et relisons l’article XVI de cette même déclaration : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Pour le Conseil constitutionnel, « si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ».