… « C’est de manière extrêmement pragmatique et non pas idéologique que ce projet de loi va être examiné par la droite sénatoriale ».
Or nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage. Tel est, en somme, notre engagement politique et idéologique.
D’ailleurs, vous-même ne manquez pas d’idéologie, monsieur le ministre, notamment quand, à Las Vegas, vous expliquez au Wall Street Journal que « les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ».
Votre idéologie est libérale. Elle sous-tend l’ensemble de votre projet de loi, ce qui nous amène à proposer de le rejeter en bloc. En effet, sous l’apparence d’un texte « fourre-tout » ou « éclectique », comme l’a qualifié le corapporteur dans la discussion générale, il a bien une cohérence : déréglementation, recul de l’État, remise en cause des acquis sociaux, pour plus de libéralisme.
Cette cohérence ultralibérale est grave. Elle nous a conduits à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ne répond pas aux grands enjeux de notre société et entraîne notre pays vers une situation économique et sociale pire que celle que nous vivons !
Or nos concitoyennes et nos concitoyens sont à bout. Ils l’ont montré, exprimé, crié par leur vote, ou leur non-vote, lors des dernières élections départementales. Pourquoi refusez-vous de les entendre ?
L’effritement du lien social, le manque de perspectives offertes à notre jeunesse, le développement de la précarité sociale et économique, non seulement ne sont pas pris en compte par ce projet de loi, mais s’en trouveront accentués.
Que dire aux 23 % de jeunes au chômage actuellement ?
Que dire aux salariés, contraints d’accepter tous les contrats qui leur sont proposés et de se plier à toutes les conditions de travail, pour garder ou trouver un emploi ?
Parmi eux, les plus précaires sont sans doute les saisonniers. Ils ont témoigné ici, au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par mon groupe, des conditions de vie et de travail extrêmes qui sont les leurs, qui détruisent leur santé, leur vie familiale, sociale. Ils en ont fait part à votre collègue, Matthias Fekl, qui était présent.
Monsieur le ministre, comment leur expliquer que vous proposez un texte qui accentuera encore plus leur précarité ?
Et que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui ont appris aujourd'hui même qu’ils avaient perdu leur emploi ?
Dans ce contexte de chantage à l’emploi, c’est toujours le « moins-disant social » qui prime et devient la règle. C’est ce que votre projet de loi organise.
Comme le résume très bien Martine Bulard dans L e Monde diplomatique, ce texte s’articule autour de la formule « toujours moins » : moins de droits sociaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Ainsi, on arrive à plus de libéralisme, plus de précarité, plus d’individualisme.
L’exemple du travail du dimanche est en cela flagrant. Le lien familial et social tissé durant ce jour de repos commun à toutes et tous n’existera plus. Cela touchera particulièrement les foyers les plus modestes, là où les gens « n’ont pas le choix » de travailler ou non le dimanche.
Au passage, monsieur le ministre, notez que 70 % des salariés du commerce sont des femmes et que 60 % à 70 % d’entre elles élèvent seules leurs enfants.
Ainsi, sans ce lien social, sans le temps consacré par les parents à leurs enfants, comment éviter le désespoir, l’échec scolaire, l’isolement, voire l’endoctrinement de certains jeunes, qui conduit parfois à des actes irréversibles ?
Qui plus est, aucun effet positif n’est prouvé sur l’économie. À pouvoir d’achat constant, l’ouverture des commerces une journée de plus aura pour résultat de détourner les achats vers cette journée et vers les grandes surfaces, au détriment des petits commerces.
Cette mesure, emblématique, met donc en évidence que ce qui est visé est non pas la croissance, pas plus que « l’égalité des chances économiques », mais la déstructuration du contrat de travail et la promotion d’une société fondée sur la consommation.
L’adoption du « contrat zéro heure » anglais ou du « mini job » allemand, si cher au MEDEF, se profile à l’horizon…
Et, pendant que vous déconstruisez le droit du travail et précarisez les salariés, monsieur le ministre, d’autres s’enrichissent : la France a atteint en 2014 la deuxième place mondiale en termes de rémunération de ses actionnaires, derrière les États-Unis !
En 2014, les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits, en baisse, s’établissaient à 48 milliards d'euros… Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer la question de l’épargne salariale au cours de ce débat, monsieur le ministre.
Parallèlement à cela, ou à cause de cela, depuis la crise, les entreprises ont détruit plus d’un demi-million d’emplois, pour 100 000 actifs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.
Vous nous parlez d’entreprises en difficultés ? Je vous réponds entreprises gérées de manière court-termiste, le propre du système capitaliste, pour satisfaire la volonté des actionnaires sans prendre en compte les besoins en termes d’investissement et d’emploi.
Mais, au lieu de lutter contre ce système, vous y adaptez notre droit du travail. L’entreprise est-elle en difficulté, car elle a distribué l’essentiel de ses ressources aux actionnaires ? Ce n’est pas bien grave : l’emploi fera office de variable d’ajustement. Pour ce faire, les conditions de licenciement sont assouplies.
Comment faire confiance à ce modèle pour nous sortir de la crise ? Pourquoi vendre à ce système des entreprises publiques, actives dans des domaines stratégiques, si ce n’est par idéologie ?
Il est en effet prouvé qu’en plus d’être injuste ce système libéral est inefficace sur le plan économique. Selon un rapport de l’OCDE, les inégalités ont coûté 8, 5 points de PIB sur vingt-cinq ans dans les pays membres de l’OCDE.