Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 7 avril 2015 à 21h45
Croissance activité et égalité des chances économiques — Question préalable

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le ministre, vous avez à plusieurs reprises évoqué la philosophie de ce texte, en vous abstenant d’ailleurs prudemment de la définir…

L’intitulé du titre Ier du projet de loi, « Libérer l’activité », la résume parfaitement. C’est la philosophie de multiples textes du même genre qui ont été déposés depuis une trentaine d’années, textes tout aussi pleins de bonnes intentions et proches de celui-ci, parfois au titre près, à l’instar de la fameuse loi du 31 mars 2006 pour « l’égalité des chances », votée, comme celle-ci, au bénéfice du 49-3 à l’Assemblée nationale, et déférée au Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat, alors dans l’opposition – j’en étais.

Autres temps, autres mœurs !

Selon cette croyance, si l’investissement stagne, si le chômage augmente, en un mot, si une économie tourne au ralenti, c’est non pas parce que la demande n’est pas au rendez-vous – le catéchisme est formel : l’offre crée la demande –, mais parce que cette économie est tout simplement enchaînée. Il faut donc la libérer.

Il suffit de libérer de ses entraves le tigre tout prêt à bondir pour que l’activité économique redémarre et que le chômage s’efface. C’est élémentaire.

Libérer l’économie, c’est privatiser les activités immédiatement rentables et externaliser les investissements lourds et le maximum de coûts à la collectivité : ainsi, aux transporteurs privés les autocars utilisant des voies qu’ils n’ont pas payées, à la SNCF et aux collectivités la charge des réseaux.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux autres.

Libérer l’économie, c’est supprimer progressivement la contribution fiscale des entreprises aux budgets publics, tordre le cou au code du travail qui, chacun le sait, fausse la concurrence entre l’employeur et l’employé, ce dernier étant libre de vivre pour travailler plutôt que de travailler pour vivre, libre de travailler, si bon lui semble, la semaine, le dimanche, le jour, la nuit, et désormais « en soirée ».

Tout le reste est laissé de côté, à commencer par l’essentiel : le circuit économique et comment il fonctionne.

Or le circuit fonctionne lorsque les recettes des uns constituent les dépenses des autres. Mais nous sommes vraiment très forts, nous voulons que les uns aient des recettes, mais que les autres ne dépensent plus. Vous m’expliquerez comment cela peut marcher !

J’ai encore en mémoire la discussion ici du projet de loi pour l’égalité des chances, déjà évoqué. Le ministre du travail de l’époque, qui a fait une belle carrière depuis, expliquait alors que, si l’Espagne avait aussi fortement réduit son chômage en quelques années, notamment le chômage des jeunes – la lutte contre le chômage des jeunes était l’objet principal du texte –, elle le devait au contrat de travail « allégé » du type de celui que le ministre proposait alors, le fameux CPE, ou contrat première embauche, mort d’ailleurs le lendemain de sa naissance. Certains s’en souviennent encore !

Je ne parvins pas à faire admettre au ministre à l’époque que la dynamique économique de l’Espagne, qui était alors effectivement exceptionnelle, était due plutôt à la spéculation immobilière qu’à l’inventivité juridique de son gouvernement et que cela risquait de mal finir. On était en 2005, et vous connaissez la suite.

Vous savez aussi ce qu’il advint du « taureau ibérique » et du « tigre celtique » irlandais. Nicole Bricq rappelait que nous ne sommes pas dans la situation catastrophique des Espagnols. Or, à l’époque, on nous reprochait justement de ne pas faire comme eux !

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