Monsieur le ministre, vous l’avez réaffirmé dans plusieurs de vos interventions, vous prétendez, par ce texte, agir pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Or plusieurs éléments font grandement défaut de ce point de vue.
Par exemple, le projet de loi comprend des dispositions relatives à l’épargne salariale, le but étant notamment de trouver des financements pour l’activité des PME et des TPE, que les banques ne soutiennent plus. Or le texte ne répond pas à la question, essentielle, du partage des richesses créées par les salariés dans les entreprises.
Au début des années quatre-vingt, les sociétés non financières consacraient 30 % de leurs profits à la rémunération de leurs actionnaires. Cette part a considérablement augmenté, pour atteindre 85 % en 2012.
Ainsi, alors que notre pays est confronté depuis des décennies à un chômage de masse, c’est le versement de dividendes qui est préféré à l’emploi et à l’investissement par les entreprises.
À cet égard, rappelons que la rémunération des actionnaires représente 2, 6 fois les sommes consacrées à l’investissement, contre moitié moins au début des années quatre-vingt.
Quant à la part consacrée au travail, l’INSEE montre que le salaire moyen perçu par les salariés a quasiment stagné au cours des trente dernières années. Dans le même temps, les salariés situés tout en haut de la pyramide des rémunérations ont vu leur salaire augmenter. Ainsi, le 1 % de salariés les mieux rémunérés perçoivent 6, 5 % du total des rémunérations distribuées. Cette part, mes chers collègues, était de 5, 5 % au milieu des années quatre-vingt-dix. Elle a donc augmenté.
Il est étonnant donc qu’une loi pour l’égalité des chances ne prenne pas en compte cette question et contribue par ailleurs à l’augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprise, du fait de la mise en place des actions gratuites, nous y reviendrons.
Vous dites vouloir garder les talents, monsieur le ministre, mais pourquoi le faire au mépris des salariés ?
Il est également étonnant qu’une loi visant à favoriser la croissance et prévoyant un grand nombre de dispositions n’en comprenne pas sur le financement de l’économie, notamment sur les banques. Monsieur le ministre, comment peut-on prétendre que les banques, qui participent à la crise que nous connaissons et qui reçoivent près de 300 millions d’euros au titre du CICE, n’ont besoin ni d’être modernisées ni de voir leurs missions totalement revisitées ?
Ce projet de loi de modernisation de la France, dont les trois axes sont « libérer, investir, travailler », comme vous aimez à le rappeler, monsieur le ministre, ne se situe pas non plus à l’avant-garde en matière de croissance verte.
Le groupe CRC, loin de se contenter de formuler des critiques, a d’autres propositions à faire. Nous voulons construire, mais vous ne nous entendez pas, monsieur le ministre.
Nous voulons construire pour une croissance juste et durable, respectueuse de l’environnement et répondant aux besoins des populations. Il nous semble essentiel et urgent de lutter notamment contre les licenciements boursiers, de taxer les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail, ou encore d’abolir les privilèges fiscaux, particulièrement les 30 milliards d’euros d’exonérations accordées aux entreprises.
Nous proposons une reprise en main du secteur de l’énergie par le secteur public, dans une logique de développement durable.
Les ressources vitales, telles que l’eau, devraient aussi être gérées par un service public national.
Nous proposons enfin de sécuriser les parcours de vie, en faisant du CDI la norme ou en défendant une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.
Or non seulement votre texte ne reprend aucune de ces propositions, pourtant réellement de nature à améliorer la vie des gens, mais, dans chacun des domaines que je viens brièvement d’aborder, il introduit des dispositions libérales contraires tant au bien-être de nos concitoyens qu’à la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, pour ne prendre que cet exemple.
Vous proposez de développer une société de consommation à outrance, avec tout ce que cela implique pour l’environnement, une société dans laquelle les salariés les plus fragiles sont contraints de travailler le dimanche, quand d’autres se voient proposer de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas dans des centres commerciaux ouverts sept jours sur sept, tandis qu’un petit nombre continue de s’enrichir de manière abusive !
Nous sommes décidément loin du progrès humain et de la modernité…
Alors, même s’il nous faut nous répéter, même si vous ne trouvez pas de cohérence dans ce que vous considérez comme autant de leitmotiv, vous devez revoir totalement votre texte, lequel n’est cohérent que d’un point de vue libéral.
Pour toutes ces raisons, nous voterons évidemment la motion tendant à opposer la question préalable défendue par Annie David.