Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 9 avril 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article additionnel après l'article 4 bis

Emmanuel Macron, ministre :

J’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Permettez-moi de saisir l’occasion qui m’est offerte pour répondre à la question posée ce matin par Mme Didier, ainsi qu’à vos propos, madame Cohen, et pour apporter au Sénat quelques précisions sur l’accord qui a été conclu cet après-midi avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Plusieurs rapports sur la cession des sociétés d’autoroutes ont été faits par la Haute Assemblée et par l’Assemblée nationale avant qu’un groupe de travail bipartisan soit constitué par le Premier ministre sur ce sujet. Les différents scénarios possibles – renationalisation, renégociation, etc. – ont été étudiés.

Ces travaux ont été éclairés à la fois par l’Autorité de la concurrence et par la Cour des comptes, lesquelles ont pointé les excédents de rentabilité ou le fait que la rentabilité financière de certains projets était supérieure à celle qui avait été initialement envisagée.

Nous avons eu l’occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de discuter de ces questions lors d’un débat spécifique récemment organisé ici. Je vous avais alors fait part de la position du Gouvernement.

Quand on considère le coût de l’indemnisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et le coût potentiel d’une renationalisation, on parvient à un montant qui, selon les analyses, est compris entre 40 milliards et 45 milliards d’euros.

En tout état de cause, il y a l’indemnisation due en cas de rupture de contrat passé : en effet, qu’on le veuille ou non, l’État s’est engagé vis-à-vis des concessionnaires des sociétés d’autoroutes, au moment des privatisations, sur certaines conditions. On ne peut pas revenir sur la parole de l’État ; sinon la notion même de concession serait vouée à disparaître !

C’est ce qui nous a conduits à écarter la renationalisation, mais également la résiliation, car il est clair que, si l’on veut bien regarder les choses de manière pragmatique, la résiliation conduit à la renationalisation.

Aujourd’hui, tous les acteurs du secteur figurent parmi les concessionnaires. Dès lors, si nous choisissions la résiliation en espérant conclure demain des contrats plus favorables à la collectivité publique, qui se présenterait ? À coup sûr, pas les sociétés dont on aurait résilié les contrats de manière unilatérale ! Nous devrions alors discuter avec des sociétés plus « exotiques » – chinoises, canadiennes… –, lesquelles négocieraient des règles de profitabilité qui nous reconduiraient dans les mêmes eaux.

Il faut donc le dire : la résiliation, c’est la renationalisation. Or, je l’ai indiqué, celle-ci aurait un coût important, impliquant donc une dépense qui, compte tenu de l’état actuel de nos finances publiques, ne nous est pas apparue souhaitable.

Il fallait donc procéder à la fois à une meilleure régulation des contrats de concession et à une renégociation des contrats en cours. C’est ce double travail qui a été conduit durant les dernières semaines, à la lumière des travaux parlementaires que j’ai mentionnés et que je tiens à saluer.

Le texte qui vous est aujourd'hui soumis, et qui peut être enrichi, prévoit précisément une meilleure régulation. Il définit ainsi les compétences d’une autorité indépendante, l’ARAFER, chargée d’étudier les conditions tarifaires de passation des marchés publics. Cette autorité aura en tout cas une approche globale de l’équilibre économique des contrats de concession.

Il faut bien le reconnaître, nous avons collectivement échoué, au cours des dix dernières années, à bien réguler ces contrats de concession, car nous avons appliqué, parfois de manière mécanique, des formules de prix. Surtout, nous n’avons pas pu considérer l’intégralité de l’équilibre économique de ces contrats.

Lorsque le « paquet vert » autoroutier, qui était d’ailleurs une bonne idée, a été lancé, nous avons été dans l’incapacité de mesurer la réalité des travaux réalisés. Or les sociétés concessionnaires ont, la plupart du temps, fait des travaux qu’elles auraient de toute façon effectués indépendamment de ce plan de relance. Elles ont ainsi construit les télépéages ; elles n’avaient pas besoin de nous pour le faire !

Nous n’avons donc contrôlé ni les équilibres économiques de ces travaux, ni les règles de passation de marchés, ni l’ouverture de ceux-ci à de plus petites sociétés ou à des sociétés non captives.

L’autorité de régulation que nous sommes en train de créer permettra de pallier les insuffisances passées en termes de régulation et de garantir, de manière dynamique, un équilibre plus sûr de ces contrats.

La renégociation a permis, pour les contrats en cours, de définir une clause de partage des profits. Si les profits des sociétés d’autoroutes venaient à augmenter beaucoup plus rapidement que ce qui a été envisagé lors de la privatisation – la référence est bien la date de la privatisation –, soit de plus de 30 %, la durée de concession serait raccourcie, ce qui n’était pas prévu jusqu’alors. En effet, pour les contrats en fin de vie, on observe des surprofits par rapport à ce qui avait initialement été envisagé, de l’ordre de 20 % à 40 %.

La clause de partage des profits permettra une régulation.

Par ailleurs, compte tenu de la situation, et grâce à la pression collective qui a été exercée, une contribution volontaire des sociétés concessionnaires d’autoroutes au financement des infrastructures publiques sera instaurée. Les sociétés concessionnaires devront verser, pendant la durée des contrats de concession, l’équivalent de 1 milliard d’euros à l’AFITF, en plus du versement immédiat de 200 millions d’euros au fonds d’infrastructures géré par la Caisse des dépôts et consignations, ces deux entités ayant vocation à financer nos infrastructures de transport..

Dans le même temps, le Gouvernement s’est engagé sur la stabilité du cadre fiscal spécifique des sociétés autoroutières. Il ne créera pas de redevances ou d’impositions spécifiques durant cette période. Ces sociétés ne connaîtront que les baisses ou les hausses d’impôts de toutes les sociétés.

S’agissant des tarifs, la demande de gel pour 2015 a été actée, et les mesures sur les tarifs ciblés ont fait l’objet d’un engagement de la part des sociétés concessionnaires, qui ont proposé des mesures commerciales ou des mesures d’encouragement ciblées sur certains types de trafic : véhicules hybrides, covoiturage ou – oserai-je le dire ? – autocars.

Cet accord a également permis, dans le cadre précis de ce qui avait été négocié avec la Commission européenne, d’acter le plan de relance autoroutier, qui représente 3, 2 milliards d’euros d’investissements. Ces investissements seront donc consentis par les sociétés concessionnaires en échange d’un allongement moyen de deux années des concessions. Ce plan, qui fait l’objet de l’accord entre le Gouvernement et ces sociétés, permettra, dans les tout prochains mois, de commencer des travaux dont 80 % seront réalisés au cours des trois prochaines années.

C'est là un élément important de la relance de l’investissement public. Dans le contexte économique que nous connaissons, prendre cette décision s'imposait, notamment au regard de la crise qui sévit aujourd'hui dans le secteur des travaux publics

Concernant ce plan de relance, j’indique enfin que l’accord prévoit explicitement que 75 % de l’activité sera ouverte aux PME et aux TPE non captives des sociétés concessionnaires d’autoroutes. C'est la première fois que, dans un tel plan, figure ce type de condition, qui constitue une règle à la fois de transparence, d’ouverture et de bon fonctionnement économique.

Voilà les éléments que je voulais porter à la connaissance de la Haute Assemblée après les questions qui ont été posées ce matin – et je sais, madame Évelyne Didier, le rôle que vous avez joué dans le groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes – ainsi qu’au regard de l'amendement tendant à la production d’un rapport sur la nationalisation des sociétés d’autoroute, sur lequel j’émets naturellement un avis défavorable.

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