Je vais peut-être apparaître ici à contre-courant, mais je voudrais néanmoins revenir et m'interroger sur certaines des remarques exprimées par le président Lasserre.
Tout d'abord, concernant ce chiffre impressionnant de 90 %, il me paraît important de bien comprendre à quoi il s'applique précisément. Il concerne les produits de grande consommation, mais n'inclut pas les produits frais. Donc toutes les discussions sur les relations entre agriculture et grande distribution sont hors-sujet par rapport à ce taux de concentration de 90 %.
Concernant l'objectif de maintenir une concurrence intense entre les distributeurs, je crois que nous, législateurs, devons nous interroger à son propos. Le rôle de l'institution que vous présidez, elle a été créée pour cela, est de maintenir une concurrence qui se traduit pourtant aujourd'hui par une guerre des prix aux effets déflationnistes, qui met en difficulté à la fois les fournisseurs industriels et agricoles, mais aussi les distributeurs eux-mêmes.
Sur la question des échanges d'informations stratégiques entre les acteurs parties aux accords de coopération, je trouve votre formulation un peu timide : l'étanchéité, dont le risque de disparition vous inquiète, cela fait bien longtemps qu'elle n'est plus de règle ! Nous disposons d'observatoires des prix et des promotions sur tout le territoire et les données qui nous remontent permettent de mettre en doute cette étanchéité.
Je voudrais également rappeler que, si on s'intéresse aux produits pour lesquels la distribution atteint ce taux de concentration de 90 %, il ne faut pas oublier de mettre en regard le taux de concentration des fournisseurs. Quand un distributeur négocie son approvisionnement en produits de droguerie ou d'entretien, il se trouve face à Procter & Gamble, face à Unilever. Or, pour négocier avec ces géants, la distribution doit elle-même atteindre un niveau de concentration suffisant.
Des auditions que j'ai pu mener, il ressort aussi que la situation des PME, dont vous n'avez pas parlé, serait plutôt en voie d'amélioration malgré le contexte de guerre des prix actuels. Les stratégies et les outils de différenciation des grands groupes de distribution font appel en effet aux produits des PME, dont la situation se trouve plutôt confortée.
Ces remarques me conduisent à poser plusieurs questions sur votre rapport : quels sont exactement les produits pour lesquels la distribution est extrêmement concentrée ? Quels sont précisément les fournisseurs menacés par l'élévation récente du taux de concentration de la distribution ? S'agit-il de grandes marques mondiales ? De marques plus confidentielles ? Concernant le phénomène de baisse des marges, j'avoue une certaine perplexité. Quand on auditionne les fournisseurs et les distributeurs, chacun vous montre, courbes à l'appui, que ses marges diminuent dangereusement. Quelle est la réalité de ces discours ? Je n'ai pas les données pour répondre, mais peut-être l'Autorité de la concurrence est-elle en mesure de le faire ?
Enfin, je voudrais rappeler que le législateur a sa responsabilité dans cette situation, car nous avons voté, depuis quarante ans, toute une série de lois qui visaient à protéger et qui, au lieu de protéger, ont dévoyé la concurrence et renforcé les acteurs les plus puissants.