Voilà pourquoi, curieusement, l’opinion, par un effet de miroir, a critiqué ces professions en leur reprochant d’être immobiles et de se protéger par le biais de leurs tarifs, alors qu’elles n’ont strictement aucun pouvoir sur ces questions.
À mon avis, là est le nœud de l’irritation. Sans cette espèce de fumée ou de montage d’image dans l’opinion publique, les professionnels concernés ne se seraient pas crispés. Je tenais à le souligner, ne serait-ce que pour apaiser des débats qui, de toute façon, resteront très calmes cet après-midi.
En proposant cet amendement visant à une nouvelle rédaction intégrale, le Gouvernement réduit assez considérablement l’espace du débat sur cet article. La rédaction suggérée ici est tellement différente de celle qui est proposée par la commission que je pourrais, comme tout à l’heure pour l’amendement du groupe CRC, mettre un terme à la discussion en émettant purement et simplement un avis défavorable.
Néanmoins, je veux profiter de cette occasion pour débattre. Monsieur le ministre, je vais vous poser un certain nombre de questions afin que vos réponses nous permettent d’avancer dans la suite des débats et de la procédure parlementaire.
Votre amendement écrasant le texte de la commission, on pourrait en conclure que les deux dispositifs sont en opposition complète. Or, monsieur le ministre, vous le savez, mais, si ce n’est pas le cas, j’espère vous convaincre, nos accords sont beaucoup plus nombreux que nos divergences.
En premier lieu, nous sommes d’accord sur l’essentiel, à savoir les grands les principes qui traversent le texte et cet amendement. Vous souhaitez un établissement des tarifs plus transparent et plus clair, qui fasse intervenir un regard tiers. Nous aussi ! Les professions n’ont pas manifesté d’opposition majeure sur ce point. Vous souhaitez une péréquation et des remises tarifaires. Nous aussi !
Ne souhaitant pas laisser à nos échanges le goût du regret ou de l’incompréhension, je voudrais que vous précisiez certains points de votre analyse.
Le premier point concerne le texte susceptible d’accueillir ces dispositions. Vous souhaitez qu’elles soient insérées dans le code de commerce. La commission spéciale a préféré retenir la solution que vous avez vous-même promue à l’article 13 bis, à savoir intégrer directement ces dispositions dans la présente loi.
En effet, le code de commerce traite avant tout des actes des commerçants, ce qui est dissonant avec la qualité d’officier public ou ministériel des intéressés.
La commission spéciale a justement noté que l’argument selon lequel les tarifs des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires s’y trouveraient déjà ne permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit. Monsieur le ministre, vous le savez bien, la seule raison de cette présence est que les procédures collectives se trouvent dans le code de commerce.
J’ajoute d'ailleurs qu’il ne s’agit pas à proprement parler des tarifs de la profession d’administrateur et de mandataire judiciaire mais de ceux de tous les professionnels qui interviennent sous mandat de justice dans ces procédures collectives.
Comme nous vous l’avons dit précédemment, si vous aviez poussé jusqu’au bout la logique de votre argument, vous auriez inscrit dans le code civil le tarif des notaires et dans le code des procédures civiles d’exécution celui des huissiers de justice.
Le deuxième point a trait à la compétence conjointe que vous réclamez pour fixer les tarifs avec le garde des sceaux. C’est une querelle dans laquelle je ne m’immisce qu’à pas légers. Cela ne nous est pas apparu raisonnable. Il n’est pas nécessaire, le Gouvernement parlant d’une seule voix, comme vous le montrez aujourd'hui. S’il s’agit de colorer l’appréciation du garde des sceaux d’une nuance économique, l’avis de l’Autorité de la concurrence, que nous avons conservé, est bien suffisant.
Cette compétence conjointe n’est pas raisonnable parce qu’il nous semble que la décision doit accompagner la responsabilité. Je ne crois pas que vous revendiquiez d’exercer, monsieur le ministre, comme vous le faites pour les experts-comptables, une tutelle conjointe sur les professions juridiques. Laissons donc la décision au ministre qui exerce cette tutelle, sinon, en partageant sa compétence, nous affaiblirions sa tutelle. De toute façon, je le répète, ce n’est pas le ministre qui décide, c’est le Gouvernement.
Le troisième point est relatif à la péréquation tarifaire et l’aide juridictionnelle.
Vous avez défendu, monsieur le ministre, lors de la discussion générale, le principe d’un prélèvement sur les sommes récoltées au titre de la péréquation pour abonder le financement de l’aide juridictionnelle, soulignant avec étonnement qu’il vous paraissait contradictoire de ne pas faire financer par les officiers publics ou ministériels l’accès au droit auquel ils prétendent, à juste titre, me semble-t-il, participer quotidiennement.
Pouvez-vous expliquer au Sénat pourquoi votre étonnement ne s’est pas étendu à d’autres professions du droit ? Il en est ainsi d’une partie non négligeable des avocats, qui n’ont pas d’activité judiciaire, ou de tous les autres professionnels qui pratiquent le droit à titre accessoire – je pense en particulier aux experts-comptables – et dont on pourrait exiger, en suivant le même raisonnement que le vôtre, qu’ils participent à l’effort commun d’accès au droit.
La commission spéciale s’est opposée à ce qu’en cette matière délicate des arbitrages partiels soient rendus. Pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a décidé de limiter la réforme du financement de l’aide juridictionnelle au présent fonds de péréquation ou s’il a d’autres projets ? Dans le cas où il aurait d’autres projets, pouvez-vous nous expliquer pourquoi il a décidé de laisser traiter ce sujet de manière partielle, dans un texte consacré à la croissance économique, alors que nous en attendons un fondateur pour le XXIe siècle en matière de justice ?
Le quatrième point concerne la structure du dispositif de péréquation.
Monsieur le ministre, l’Assemblée nationale a fait le choix, que vous soutenez, d’un fonds interprofessionnel. Or cette interprofessionnalité, à notre avis, pose problème.
En effet, la péréquation mise en œuvre par le fonds peut se concevoir comme un correctif des insuffisances de la péréquation tarifaire puisque cette dernière est construite pour un panier de prestation moyen. Or ce panier ne constitue pas la réalité de l’activité de toutes les études : certaines bénéficieront d’un panier beaucoup plus rémunérateur, selon leur situation géographique et le bassin économique dans lequel elles sont situées, et d’autres d’un panier bien moins profitable. La péréquation financière compense partiellement cette inégalité de situation. Il y a donc un lien entre péréquation tarifaire et péréquation financière, et il est logique que l’une comme l’autre soient organisées au sein de chaque profession. Sinon, cela revient à faire payer par d’autres professionnels – donc d’autres clients – les imperfections du système de péréquation tarifaire retenu pour une seule profession.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, comment vous justifiez cela. Vous comprenez bien que ce débat est propre à éclairer des corrections qui pourraient intervenir dans la suite du travail parlementaire.
En outre, la commission spéciale souhaiterait que vous lui indiquiez précisément les raisons de votre hostilité au remboursement, par le fonds de péréquation, des indemnités qu’un nouvel arrivant doit à ses confrères auxquels son installation porte préjudice. Cette mesure me paraissait pourtant présenter un caractère social. Les notaires ne sont pas tous des fils d’archevêque ! §Certains deviennent notaires en suivant des études de droit grâce à l’ascenseur républicain, lorsque celui-ci n’est pas en panne. Ces jeunes, grâce à leurs capacités, à leurs valeurs, seront sélectionnés par le concours que nous vous proposerons d’instaurer pour créer leur étude. Au bout de six ans, il leur sera éventuellement demandé de participer à l’indemnisation de leurs confrères préexistants sur le terrain.
J’avoue que cette proposition de la commission spéciale me paraissait posséder un caractère social. Il m’étonne donc que vous refusiez que le fonds de péréquation puisse aussi servir cet objectif.
Le cinquième point a trait au mécanisme des remises tarifaires.
La commission spéciale a fortement modifié le dispositif des remises tarifaires que vous proposez de rétablir parce qu’il lui a semblé contradictoire avec les objectifs assignés au texte.
En effet, nous en avons discuté, le dispositif que vous proposez ne concerne que des transactions portant sur des biens dont la valeur est comprise entre un seuil plancher et un seuil plafond, c’est-à-dire des transactions de moyenne gamme. Curieusement, les transactions sur les biens de haut de gamme, c'est-à-dire les plus rémunératrices, sont ainsi mises à l’abri de toute concurrence par le biais de la remise.
Au contraire, les prestations de moyenne gamme, qui ne sont pas les plus rémunératrices, pourraient, elles, être soumises à cette remise. Or c’est précisément celles-ci qui, dans les petites études assurant le maillage territorial, dans les études de chefs-lieux de canton, assurent l’équilibre économique de la structure. Paradoxalement, le mécanisme de la remise risque de mettre en péril les unités économiques les plus fragiles…