Le fait que vous ayez été synthétique, monsieur le ministre, va me conduire à l’être un peu moins. La commission spéciale souhaite en effet profiter de l’occasion que vous lui offrez pour obtenir des explications plus précises au sujet des modifications que vous avez apportées au texte rédigé par les députés.
Encore une fois, je rappelle, ce qui m’évitera la volée de bois vert de tout à l’heure, que la commission spéciale a validé certains des principes de votre projet de loi : la liberté d’installation encadrée dans les zones carencées, l’avis de l’Autorité de la concurrence et l’indemnisation des concurrents. Comme à l’article 12, et pour la même raison, nous avons supprimé le principe d’une compétence partagée entre le ministre de la justice et le ministre de l’économie.
Le premier point sur lequel j’appelle votre attention est celui concernant les demandes concurrentes dans les zones de libre installation. Or votre texte ne contient pas un mot sur le sort qu’il conviendrait de réserver à ces candidatures. Vous indiquez que cette question ressortit au domaine réglementaire. Je n’en suis pas certain ; le principe étant la libre installation, je pense qu’il est nécessaire que la loi l’encadre.
La commission spéciale a prévu que le ministre de la justice ouvre un concours afin de classer les demandeurs par ordre de mérite avant de désigner ceux qui pourront créer un office. Nous avons fait avancer les choses puisque certains amendements prévoyaient que ce soit le premier professionnel qui dépose son dossier qui obtienne l’office, ce qui était un peu curieux.
De la même manière, compte tenu des créations déjà intervenues, il est nécessaire de prévoir la situation où l’offre ou la proximité de services est devenue satisfaisante avant que la carte ait été révisée. Dans ce cas, je persiste à penser qu’il faut donner au ministre de la justice toute latitude pour refuser les demandes d’installation qui lui seraient encore adressées. Je suppose qu’il s’agit là d’une compétence à laquelle vous ne tenez pas, monsieur le ministre…
Si vous n’êtes pas d’accord avec le dispositif prévu par la commission spéciale, pouvez-vous nous dire précisément comment ces demandes concurrentes doivent être traitées ?
Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est celui des zones intermédiaires. Vous l’avez dit à plusieurs reprises avec raison lors des débats, il existe trois types de zone. Or le dispositif que vous proposez en distingue deux. Il en laisse une troisième dans l’ombre : entre les zones où la proximité ou l’offre de services est insuffisante et celles où la création d’un office nouveau porterait atteinte à l’exploitation des offices existants, il y a celle où l’offre de services est satisfaisante et où un office pourrait être créé sans forcément compromettre la qualité du service ni porter atteinte à l’exploitation d’autres offices. Dans ce cas-là, j’élargis la possibilité de créer des offices.
Dans le silence du texte, on ne sait pas si le ministre de la justice pourrait ou non refuser une nouvelle demande de création d’un office. Noter une telle lacune dans le texte relève peut-être du juridisme. En tout cas, la question de la conformité de cette disposition à la Constitution, compte tenu de la jurisprudence constitutionnelle relative à l’incompétence négative du législateur, se pose.
J’appelle votre attention sur le fait qu’à plusieurs reprises, à l’Assemblée nationale et lors de la discussion générale, vous avez évoqué ces trois zones alors que le texte n’en propose que deux. Nous avons comblé cette lacune.
Le troisième et dernier point dont je souhaiterais que nous débattions est le dispositif d’indemnisation des concurrents lésés. Le choix fait par le Gouvernement de confier le soin de fixer cette indemnité au juge de l’expropriation – c’est peut-être là aussi du juridisme, mais après tout on attend de nous de voter des lois qui soient compatibles avec celles qui préexistent – me paraît surprenant. Certes, une telle mesure s’inspire du dispositif d’indemnisation des avoués, mais il s’agissait à l’époque de la suppression d’une profession et d’une indemnisation par l’État, pour un motif d’intérêt général. Les situations ne sont donc pas les mêmes. Le juge de l’expropriation connaît des litiges entre un particulier et une personne publique. Or, dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un contentieux entre personnes privées pour un préjudice portant sur une perte de chiffre d’affaires. Cela doit relever de la compétence du tribunal de grande instance.
Nous serons bien sûr attentifs aux réponses exhaustives que vous nous apporterez. Il est vraisemblable qu’elles ne combleront pas toutes nos attentes. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement, en espérant que ce ne soit qu’à titre conservatoire.