L’article 11 a été substantiellement modifié par la commission spéciale.
Cet amendement vise à rétablir certaines dispositions du texte adopté par l’Assemblée nationale, tout en renforçant le caractère contradictoire de la procédure. Vous avez souligné l’importance de ce contradictoire lors de vos débats. Dans mon amendement, je reprends d'ailleurs plusieurs dispositions importantes introduites par la commission spéciale sur ce point.
En premier lieu, les préoccupations de concurrence doivent, pour le Gouvernement, être fondées sur le constat de « prix ou de marges élevés ». La commission spéciale a préféré l’expression « marges nettes anormalement élevées », mais une telle substitution de critère permettrait de contourner très aisément la loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi en arrivons-nous à cette procédure d’injonction structurelle ? Parce que notre administration est confrontée à l’impossibilité, dans la plupart des cas, d’appliquer la notion d’abus de position dominante. C’est la raison pour laquelle aussi je serai attaché à la définition de la position dominante, et non de l’abus.
Je le répète, la substitution du critère de marges nettes anormalement élevées à celui de prix ou de marges élevés faciliterait le contournement de la loi, au point de la rendre quasi inopérante. En effet, il est relativement aisé de diminuer artificiellement le résultat net. L’entreprise peut, par exemple, payer un loyer élevé à une société civile immobilière dont elle est propriétaire ou faire remonter des sommes d'argent à sa centrale d'achat ou de référencement. Le résultat net peut ainsi faire l’objet de plusieurs choix comptables, de plusieurs opérations d’optimisation.
C’est pourquoi, sur ce point, je préfère revenir au critère de prix ou de marges élevés. Cela se constate de manière beaucoup plus transparente, sans manipulation possible. Les prix ou les marges sont comparés avec la moyenne constatée par ailleurs dans la zone de chalandise.
En deuxième lieu, l’amendement tend à rétablir l’équilibre entre la phase négociée et la phase contentieuse de la procédure. La première permet à l’entreprise qui ne conteste pas les préoccupations de concurrence émises par l’Autorité de s’engager volontairement à y mettre fin, ce qui clôt la procédure. Cette phase ne doit pas être alourdie par un contradictoire renforcé, excessif. En revanche, le contradictoire doit être renforcé dans la seconde phase.
C’est pourquoi l’amendement a pour objet de renforcer le contradictoire de la phase contentieuse, comme l’a prévu la commission spéciale du Sénat. C’est, je le reconnais, l’un des apports de vos travaux. Le travail que nous avons pu faire avec les acteurs économiques a, en ce sens, été aussi propice à l’amélioration du texte, puisque nous obligeons désormais l’Autorité de la concurrence à établir un rapport soumis au débat contradictoire lorsqu’elle souhaite prendre une mesure d’injonction structurelle, quand les entreprises contestent les préoccupations de concurrence et ne proposent pas d’engagements, ou si les engagements proposés paraissent insuffisants.
Ce débat contradictoire, qui n’était pas prévu dans le texte initial, est important, donc nous avons souhaité la conserver dans notre amendement.
En outre, nous faisons passer de trois mois à six mois au maximum le délai dans lequel l’injonction de résiliation des accords ou actes ayant permis la constitution de la puissance d’achat qui s’est traduite par des prix ou marges élevés doit être exécutée. Un délai de trois mois était trop court pour véritablement être acceptable par tous les acteurs, donc nous fixons un plafond de six mois, tout en ménageant un peu plus de flexibilité.
Enfin, nous passons d’un délai laissé à l’appréciation de l’Autorité de la concurrence à un délai qui ne peut être inférieur à six mois pour la mise en œuvre de l’injonction de cession d’actifs, afin d’éviter, là aussi, que des délais trop courts ne soient fixés par l’Autorité aux acteurs économiques. Je rappelle, à cet égard, que l’injonction de cession d’actifs est, en ultime recours, la conclusion de la procédure. Ayant parfaitement adhéré à ce point, vous avez d’ailleurs été constructifs à ce sujet.
En troisième lieu, l’amendement tend, d’abord, à écarter la disposition adoptée par la commission spéciale pour exclure l’utilisation des informations obtenues par l’Autorité de la concurrence à l’occasion de la procédure d’injonction structurelle dans le cadre d’une procédure ultérieure pour pratique anticoncurrentielle. À notre sens, ce serait se lier les mains, bien inutilement.
Nous souhaitons ensuite écarter la faculté pour l’Autorité de la concurrence de ne pas user de la procédure d’injonction structurelle, d’une part, dans les trois années qui suivent une décision de non-lieu pour abus de position dominante et, d'autre part, dans les trois années suivant une décision d’autorisation de concentration dont les engagements ont été respectés.
On le voit, la présente procédure n’a rien à voir avec l’abus de position dominante ; elle est beaucoup plus précise. Donc, le fait de rendre impossible l’exercice de cette procédure parce que l’Autorité de la concurrence aurait examiné, sur d’autres bases, dans le cadre d’une autre procédure, une situation commerciale nous paraît excessif.
La précision apportée sur le premier de ces trois points est inutile dans la mesure où l’Autorité de la concurrence ne peut pas juridiquement utiliser les pièces d’un dossier clos pour alimenter une procédure d’infraction dans un autre dossier.
Quant à l’engagement d’une procédure d’injonction structurelle après un non-lieu pour abus de position dominante, il s’agit d’une hypothèse d’école. L’Autorité de la concurrence, saisie in rem, n’est pas liée par la qualification juridique des faits qui lui sont soumis et a tout à fait le droit d’ouvrir une procédure d’entente, d’injonction structurelle ou d’abus de position dominante, même sur un cas qu’elle aurait déjà considéré, parce qu’elle le fait sur une autre base.
Monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, monsieur les rapporteurs, je pense que vous avez excessivement réduit la capacité de l’Autorité à se saisir du sujet.
Enfin, pour ce qui est de la procédure de contrôle des concentrations, elle se limite à traiter des effets directs de l’opération et elle n’a pas vocation à traiter de l’ensemble de la situation de la concurrence sur un marché. Aussi, je pense qu’elle n’est pas de nature à fermer la porte à un réexamen d’une même situation par l’Autorité de la concurrence.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaitais ici être précis pour bien vous montrer qu’il ne s’agit pas d’un strict amendement de rétablissement de la rédaction initiale. Je voulais insister sur plusieurs des dispositions sur lesquelles la commission spéciale est revenue, car, ce faisant, elle a ouvert des possibilités de contourner facilement les procédures ou fermé des portes à l’Autorité de la concurrence, alors même que vous avez reconnu l’utilité de l’injonction structurelle.
En même temps, éclairés par les débats au sein de la commission spéciale et les échanges avec les acteurs économiques, nous avons souhaité renforcer le contradictoire de la procédure, qui était insuffisant dans le texte voté à l’Assemblée nationale.
Tel est l’objet de cet amendement de rétablissement partiel, mais surtout d’équilibre, qui enrichira le texte.
En conclusion, pour réagir à l’argumentaire qui a été développé à l’appui de l’amendement de suppression, je veux dire que le fait de conférer ce pouvoir à l’Autorité de la concurrence ne réduit pas le pouvoir du ministre, qui, de toute façon, ne l’a pas. La procédure que nous créons entre parfaitement dans le champ de l’ensemble des procédures qui sont à la main de cette autorité, que le ministre a tout à fait la possibilité de saisir, sans être lui-même un opérateur de ce dispositif de lutte contre les distorsions de concurrence.
Nous ne procédons aucunement à une forme de diminutio capitis de l’exécutif, mais nous introduisons une procédure qui permettra d’améliorer la concurrence sur notre territoire.