Je vais malgré tout tenter d’apporter quelques éclaircissements, en reprenant votre scénario, monsieur le rapporteur, afin de caractériser concrètement ce dont nous parlons.
La notion de prix élevé ou de marge élevée ne doit pas être appréhendée au regard de la France entière, c’est mon premier point de désaccord avec vous. Il existe 674 zones de chalandise en France, qui sont connues de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF. C’est à cette échelle qu’il faut apprécier les prix ou les marges, parce qu’il faut comparer ce qui est comparable. On ne va pas comparer les prix pratiqués à Paris à ceux pratiqués à Rouen, ne serait-ce que parce que les coûts du foncier ou de l’approvisionnement n’y sont pas les mêmes : cette comparaison n’aurait aucun sens.
La situation ici visée n’est pas aussi vague que vous le prétendez, monsieur le rapporteur. Il s’agit par hypothèse d’une entreprise qui, au sein d’une zone de chalandise, se trouve en position dominante en détenant une part de marché supérieure à 50 % - cela ne se voit pas partout -, et qui pratique des prix plus élevés que ceux de ses concurrents, alors que ses coûts sont comparables. Cela signifie qu’elle utilise sa position dominante aux dépens du consommateur final. Elle peut éventuellement invoquer le fait qu’elle achète plus cher parce qu’elle a des circuits courts, mais, dans ce cas, sa marge serait dégradée, ce qui n’est pas l’hypothèse retenue.
L’entreprise peut aussi avoir une marge plus élevée que celle de ses concurrents. Rien ne justifie une telle différence de marge, au sein d’une même zone de chalandise, avec les mêmes coûts d’approvisionnement et les mêmes prix de l’immobilier.
Donc, dans une même zone de chalandise, où tous les concurrents doivent assumer des coûts comparables pour l’immobilier et les approvisionnements, des prix élevés ou une marge élevée sont relativement faciles à constater. Voilà pourquoi nous avons les deux critères.
L’Autorité de la concurrence est alors en droit de se pencher sur la situation et d’engager la procédure que nous définissons. Elle n’assène pas tout de suite le coup de massue, monsieur Desessard, puisqu’on entre alors dans la phase contradictoire de la procédure.
J’en arrive à cet égard à mon deuxième point de désaccord avec M. le rapporteur : inspirés par les travaux de la commission spéciale, nous avons réintroduit du contradictoire là où il en manquait, mais nous n’avons pas prévu de décisions stricto sensu, car elles sont créatrices de contentieux.
Les avocats spécialisés en droit de la concurrence estiment que la commission spéciale a instauré deux phases de contentieux potentiel, en prévoyant une première décision, puis une seconde.
Le Gouvernement privilégie une procédure contradictoire où l’Autorité de la concurrence demande à l’entreprise de se justifier, parce qu’elle n’a peut-être pas pris en compte un élément qui expliquerait la situation. Un examen contradictoire s’engage alors. L’entreprise peut expliquer ses prix élevés par le fait qu’elle utilise un circuit court, qu’elle se fournit auprès de producteurs locaux, ce qui fait que sa marge n’est pas plus élevée que celle de ses concurrents : elle fait payer sa politique d’approvisionnement à ses consommateurs, et non à ses producteurs.
Si ce débat contradictoire ne permet pas de justifier les prix élevés ou la marge élevée, l’Autorité de la concurrence demande, dans un premier temps, de corriger les pratiques anormales. Si la correction n’intervient pas après cette première notification, l’Autorité de la concurrence peut alors enclencher l’injonction structurelle : l’entreprise est en position dominante, elle pratique des prix ou des marges trop élevés, elle refuse de rectifier ses pratiques ; on lui demande alors, pour rétablir une juste concurrence, de céder une partie de ses surfaces commerciales dans un délai raisonnable, afin d’animer le marché.
Telle est la procédure que nous proposons et M. le corapporteur est d’accord avec nous sur ses fondamentaux.
Pour ma part, je préfère une procédure contradictoire à une pluralité de décisions susceptibles de donner lieu à contentieux.
Lorsqu’il y a des prix et des marges élevés dans une zone de chalandise, on sait le constater. En revanche, se référer uniquement à la marge nette est insuffisant, et c’est mon principal point de désaccord avec M. le rapporteur.
En effet, dans une zone de chalandise, un distributeur peut tout à fait pratiquer des prix anormalement élevés, non justifiés par ses coûts ou sa politique d’approvisionnement, et les masquer dans sa marge nette. Il se peut, par exemple, qu’il facture des coûts à une filiale, telle qu’une société immobilière. Il peut optimiser par tous les moyens possibles cette marge nette !
Toutes ces grandes surfaces ont en effet des filiales, qui sont, par exemple, leurs foncières. Elles pourront alors optimiser, puisque la marge nette se constate après les coûts commerciaux et ceux de l’immobilier.
Je souscris largement à la philosophie du rapporteur, mais ce point d’entrée est une véritable faille dans le dispositif proposé par la commission spéciale : utiliser la marge nette comme critère est la meilleure façon de rendre le dispositif inopérant.
Vous verrez qu’il sera impossible de détecter une marge nette anormale dans la grande distribution ! Le dispositif, je le redis, sera inopérant, d’où mon désaccord avec le rapporteur et d’où l’amendement que je propose.