Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 avril 2015 à 17h00
Réforme de l'asile — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Ce sujet peut nous rassembler largement. Depuis plus de deux siècles, la France accueille les opprimés et les persécutés subissant dans leur pays les pires atrocités - s'exiler n'est jamais un choix. Le droit d'asile est un héritage de la Révolution française, comme en témoigne la Constitution de 1793 : « Le peuple français est l'ami et l'allié naturel des peuples libres » ; « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ».

Le Gouvernement souhaite moderniser ce droit constitutif de l'histoire de notre République ; chaque fois que nous accordons l'asile, nous éprouvons l'universalité de nos principes que les massacres en Syrie et en Irak de minorités ethniques et religieuses - chrétiens d'Orient ou Yézidis - rendent toujours nécessaires. Or son exercice est menacé : il est au bord de l'embolie. Avec un hébergement saturé, nous n'accueillons plus les demandeurs d'asile comme nous devrions le faire conformément aux directives européennes, au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais aussi à notre tradition humaniste et républicaine. Leur nombre a presque doublé entre 2007 et 2012. En 2014, ce nombre a subi un léger retournement de tendance paradoxal. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a reçu cette année 74 000 demandes, dont 16,8 % ont été acceptées en première instance, et 28 % après intervention de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). En comparaison, la Suède en accueille plus de 80 000 avec une population six fois inférieure.

L'objectif de ce projet de loi est d'offrir accueil et protection sur le territoire de la République aux étrangers persécutés en raison de leurs opinions politiques, de leurs convictions, de leurs croyances ou de leur orientation sexuelle. Nous n'acceptons pas que notre système soit affaibli, qu'il soit détourné de ses fins. Aussi devons-nous corriger ses dysfonctionnements : la lenteur et l'insuffisante efficacité de l'examen des demandes, la trop grande hétérogénéité des conditions d'accueil et l'inégalité des garanties juridiques offertes aux demandeurs d'asile. La France ne s'honore pas à imposer tel parcours d'obstacle à ceux qui, pour reprendre les mots d'Edward Saïd, souffrent de « l'exil, cette fissure à jamais creusée entre l'être humain et sa terre natale, l'individu et son vrai foyer, et dont la tristesse n'est pas surmontable ».

Ce projet de loi entend transposer les trois directives européennes « Qualification », « Procédures » et « Accueil », tout en corrigeant des dysfonctionnements trop longtemps tolérés : accélération des délais, amélioration des conditions d'accueil, amélioration des droits des demandeurs sont ses trois objectifs, qui se renforcent mutuellement. Tous les républicains partagent, je veux en être convaincu, le diagnostic et les intentions, concernant un droit consubstantiel à notre histoire, à la dimension universelle du discours que les peuples aiment à entendre de la France.

Ce texte de concorde est issu d'une large concertation organisée en juillet 2013 par mon prédécesseur Manuel Valls entre l'État, les collectivités locales, les associations, le Haut-Commissariat aux réfugiés, l'OFPRA, la CNDA, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), et coordonnée par la sénatrice Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine, dont je salue le travail remarquable. Sur ces bases, le texte a recueilli une large majorité à l'Assemblée nationale, débarrassée de toutes les postures partisanes. De nombreux sénateurs se passionnent pour cette question qui mêle intimement la République et l'humanité : le rapporteur François-Noël Buffet, Roger Karoutchi, auteur d'un rapport sur les centres provisoires d'hébergement, Jean-Yves Leconte ou Jean-Pierre Sueur.

L'examen d'une demande peut prendre deux ans, contre moins d'un an en moyenne chez nos partenaires européens. Sa durée sera réduite à neuf mois. C'est un préalable à toute amélioration de la situation des demandeurs d'asile. Les délais doivent être réduits à chaque étape, où ils sont excessifs, sans parler des délais « cachés » tels que l'enregistrement de la demande en préfecture. Il n'est pas acceptable de laisser si longtemps dans l'incertitude des femmes, des hommes, des enfants qui font confiance à la France pour les protéger ; de tels délais rendent d'ailleurs plus difficile l'éloignement des déboutés.

L'OFPRA et la CNDA seront dotés d'importants moyens supplémentaires. L'OFPRA a déjà recrutés 55 équivalents temps plein, de manière à limiter dès 2016 la durée moyenne d'examen. La CNDA bénéficiera d'un renfort de rapporteurs et de magistrats pour qu'un juge unique statue sur les demandes d'asile examinées en procédure accélérée en moins de cinq semaines et une formation collective les demandes d'asile examinées en procédure normale en moins de cinq mois. Les règles d'attribution de l'aide juridictionnelle seront simplifiées.

Les délais d'enregistrement des demandes par les préfectures, beaucoup trop longs, seront ramenés à trois jours, grâce à la création de guichets uniques regroupant des agents de l'OFII et ceux des préfectures. Les demandes d'asile méritant un examen approfondi doivent être distinguées de celles qui appellent une réponse évidente, qu'elle soit positive - comme pour les chrétiens de Syrie ou d'Irak - ou négative, et qui doivent faire l'objet d'une procédure accélérée remplaçant la procédure prioritaire ; la décision reviendra en dernière instance à l'OFPRA et non plus à la préfecture, cette dernière pouvant toutefois effectuer un premier tri sur des critères étrangers au contenu des demandes. En effet, l'OFPRA pourra toujours décider de revenir à la procédure normale pour l'examen d'une demande.

Notre système d'hébergement, très inégalitaire, n'honore pas la République : certains demandeurs sont hébergés dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asiles (CADA) et bénéficient d'un accompagnement approprié ; mais deux tiers d'entre eux sont pris en charge par des structures d'hébergement d'urgence ou survivent, livrés à eux-mêmes, dans des campements de fortune. D'ici à 2017, les CADA devront être la norme et l'hébergement d'urgence l'exception. Après avoir créé 4 000 places en CADA en deux ans, nous en créerons 5 000 si possible dès 2015 par création nette ou transformation de places d'hébergement d'urgence.

L'allocation temporaire d'attente et l'allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique prenant en compte la situation familiale de chaque demandeur d'asile.

L'hébergement directif sera mis en place. Nous savons que l'accueil des demandeurs d'asile peut être difficile à gérer sur le terrain. La région lyonnaise, et surtout l'Île-de-France avec 42 %, concentrent plus de la moitié des demandeurs, et je n'ignore pas les difficultés de l'Alsace, de la Bretagne et de la Lorraine. La chambre des territoires, où la politique est au service de la République, saura voir les mérites d'une juste répartition de l'effort sur tous les territoires. Mieux orienter les demandeurs aidera à mieux les accompagner. Concrètement, le versement d'une allocation dépendra de l'acceptation d'un hébergement attribué en fonction des besoins des demandeurs, notamment de leur situation familiale et de leur état de santé. Les autres demandeurs verront leur demande examinée dans les mêmes conditions, mais ne bénéficieront ni de l'hébergement ni des allocations. Ce point crucial conditionne le succès de la réforme.

Nous renforcerons également les droits des demandeurs d'asile par une juste transposition des règles européennes. Ce n'est pas parce que les filières d'immigration clandestine tentent de tirer profit des lenteurs de notre système qu'il nous faudrait nourrir des soupçons à l'égard des demandeurs d'asile. Tout en limitant les possibilités de réexamen d'une même demande, la loi garantira à ceux dont la demande est recevable le droit d'accéder à un recours suspensif, alors qu'aujourd'hui, 35 % des demandeurs, ceux qui ne bénéficient pas de la procédure normale, peuvent être éloignés sans que le juge de l'asile se soit prononcé. Le demandeur d'asile pourra bénéficier d'un conseil à l'OFPRA et accéder de plein droit à l'aide juridictionnelle devant la CNDA. Ceux en situation de vulnérabilité - mineurs, femmes victimes de violences... - bénéficieront d'un examen et d'une prise en charge adaptés à leur situation. Tous les demandeurs d'asile, et non comme maintenant les seuls demandeurs en procédure normale, bénéficieront d'un droit au maintien sur le territoire, mais aussi à la couverture médicale universelle et à un hébergement en CADA.

Le droit d'asile n'appartient pas à un camp plutôt qu'à un autre et concerne plus que jamais l'ensemble des républicains ; les débats à l'Assemblée nationale l'ont montré. Nous avons ainsi accepté près de 300 amendements ayant nettement amélioré le texte, qui tout en respectant les objectifs du Gouvernement, est bel est bien le fruit d'un travail collectif. Ce n'est pas un hasard s'il a été adopté à une large majorité ; je ne doute pas qu'il en soit de même au Sénat.

Pourquoi deux textes, l'un sur l'asile et l'autre sur l'immigration ? Accueillir des demandeurs d'asile en France, ce n'est pas mener une politique d'immigration, c'est remplir un devoir que la France a toujours accompli avec honneur. Traiter ce sujet autrement aurait marqué une rupture. Devons-nous pour autant laisser de côté les déboutés ? Ce n'est pas l'intention du Gouvernement ; dans la foulée de ce projet, un autre texte sur l'immigration en traitera. Cette présentation est conforme à la tradition française républicaine, à laquelle nous n'avons pas voulu déroger pour ne pas rompre le consensus qui a prévalu jusqu'à maintenant.

La réforme du droit d'asile est l'un des quatre piliers d'une réforme globale et équilibrée, avec l'amélioration des dispositifs d'intégration, l'accueil des étudiants et des talents étrangers et la lutte contre les filières d'immigration clandestine. Il n'est pas l'expression de la mauvaise conscience d'un pays riche à l'égard des misères du monde, mais l'incarnation de ce que nous sommes : une République fière de ses valeurs universelles qu'elle défend en toute occasion.

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