Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 avril 2015 à 17h00
Réforme de l'asile — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre :

Vous êtes un éminent professeur de droit, Monsieur Portelli, et nous poursuivrons ce débat en séance. Les principes généraux dont nous parlons, intégrés dans le bloc de constitutionnalité, sont applicables par le juge constitutionnel, qui en a une interprétation continue à travers le temps.

Le nombre de demandeurs d'asile a diminué de 4 % l'an dernier en France, car nous sommes extrêmement rigoureux en la matière, contrairement à ce qui s'est produit par le passé. Ainsi, nous avons fait preuve de lucidité en renonçant aux dispositifs financiers incitatifs pour les personnes qui ne relèvent pas du droit d'asile mais de la politique migratoire. Ceux qui bénéficiaient de l'aide au retour repartaient dans leur pays européen à Noël et revenaient à Pâques pour l'empocher une nouvelle fois. Nous avons mis fin à cette politique qui n'était pas d'une grande performance.

En Europe, nous avons réussi à faire accepter que l'Agence Frontex se substitue à l'opération « Mare Nostrum » : ainsi, les frontières extérieures de l'Union sont désormais contrôlées au plus près des côtes européennes afin de dissuader les filières d'immigration irrégulière de faire passer des migrants de plus en plus nombreux sur des embarcations de plus en plus frêles après avoir prélevé sur ces personnes un impôt de plus en plus lourd. Même si les résultats se font encore attendre, nous avons réussi, grâce à l'entente franco-allemande, à mieux partager les demandeurs d'asile entre les différents pays de l'Union.

Nous souhaitons, avec l'Union et le HCR, accorder l'asile à partir du Niger et répartir les demandeurs entre les différents pays de l'Union ; en revanche, pour ceux qui relèvent de l'immigration économique, la Commission européenne soutiendra les pays réintégrant leurs ressortissants.

Le taux de démantèlement des filières d'immigration irrégulière a augmenté de près de 20 % entre 2013 et 2014, soit 226 de plus. Ne nous taxez pas d'angélisme ! Il n'y a pas d'une part des gouvernements sérieux et d'autres laxistes : nous travaillons tous dans le même but, et c'est tant mieux parce qu'il s'agit d'une tâche de longue haleine.

M. Collombat m'a demandé si le phénomène monterait dans le temps : en 2014, 270 000 migrants ont franchi les frontières extérieures de l'Union, soit 2,2 fois plus qu'au moment des printemps arabes, alors que le nombre de demandeurs d'asile a diminué dans notre pays de 3,7 %.

Nous devons mettre en place plusieurs actions au niveau européen et international. Il nous faut d'abord appliquer les règles de Dublin. Je ne peux accepter que l'on voie arriver en Italie des migrants dont les empreintes digitales ne sont pas enregistrées : il est nécessaire que Frontex aide les services italiens à appliquer les dispositions prévues. De plus, nous devrons instaurer un contrôle des frontières extérieures de l'Union et intensifier la lutte contre l'immigration irrégulière par une coopération renforcée entre nos services de police et de renseignement. Enfin, il nous faut associer les pays d'origine, d'où l'indispensable travail en commun entre la Commission européenne et le HCR sur le Niger puisque ce pays est un lieu de passage entre la Libye et l'Europe.

Lorsque je me suis rendu en Tunisie après les événements tragiques du Bardo, j'ai dit que nous avions intérêt à coopérer avec les Tunisiens afin de mieux contrôler les frontières entre la Tunisie et la Libye parce que des bandes organisées du crime et de la traite des êtres humains fournissent des bateaux aux filières libyennes. Certaines d'entre elles prélèvent sur les migrants de l'argent pour alimenter des activités terroristes. Nous devons les démanteler tout en confortant certains États.

Seuls des esprits rapides pensent que des dizaines de milliers de migrants arrivent en Europe après avoir lu le code Schengen : ceux qui choisissent l'exode le font parce qu'ils sont persécutés.

Les moyens et les capacités d'hébergement de l'OFPRA se sont accrus, Monsieur Buffet. Pour l'OFII, la réforme des visites médicales a autorisé un redéploiement des postes de nature à réduire les délais. Tout en maintenant les emplois et les moyens, nous avons modifié les missions de l'office, afin d'assurer la soutenabilité globale de nos demandes.

L'OFPRA est engagé dans une réforme de grande ampleur grâce à laquelle il a, pour la première fois en 2014, réduit délais et stock d'environ 14 %. Cependant, la fixation des délais administratifs relève du règlement et non pas de la loi.

Pour être juge unique à la CNDA, il faut être un membre qualifié de cette cour, mais ne prévoyons pas des règles trop contraignantes qui nous priveraient d'un vivier suffisant de juges uniques.

Les centres provisoires d'hébergement ont vocation à n'accueillir que les réfugiés les plus vulnérables, mais tous les bénéficiaires d'une protection peuvent suivre des formations, notamment linguistiques, délivrées par l'OFII, pour lesquels ils sont prioritaires.

Comme le dit Monsieur Zocchetto, la législation de l'immigration doit réguler les flux et c'est d'ailleurs pourquoi nous présenterons deux textes. Nous n'avons pas l'intention de laisser le nombre de déboutés du droit d'asile augmenter par non-traitement de leur situation en aval de la procédure améliorée. C'est pourquoi nous avons prévu dans la loi sur l'asile un dispositif d'assignation à résidence permettant de reconduire les déboutés plus facilement, mais dans des conditions humaines. La deuxième loi définira les conditions pratiques de ces reconduites.

J'en suis convaincu, fermeté et humanité doivent avancer du même pas. Pourtant, certains de ceux qui nous demandent d'améliorer les conditions d'asile considèrent que les déboutés doivent rester dans notre pays. À quoi servirait, dans ces conditions, le droit d'asile ? Je refuse cette démagogie qui tuerait le droit d'asile. Si l'on veut améliorer celui-ci, il faut pouvoir reconduire les déboutés. C'est pourquoi nous devrons améliorer nos relations avec les pays d'origine et construire très en amont un parcours de retour. Soyez en confiance, Monsieur Zocchetto.

Un amendement a été voté à l'Assemblée sur l'accès au travail des demandeurs d'asile, si leur demande d'asile n'a pas été traitée dans les neuf mois et sous réserve que le poste remplisse les critères du code du travail. Le demandeur d'asile pourra également accéder à une formation professionnelle. Le Gouvernement ne souhaite pas aller au-delà de cet équilibre.

Pour Mayotte, nous appliquerons le même régime qu'en métropole. La situation s'y améliorera grâce à la réduction des délais et des stocks. Je n'ignore cependant pas la situation spécifique de ce département : la coordination doit s'améliorer entre la police aux frontières et la gendarmerie ; les personnes qui ne relèvent pas de l'asile doivent être mieux détectées. Enfin, j'attends avec impatience l'achèvement du futur centre de rétention car celui que j'ai visité est véritablement indigne.

La procédure accélérée devrait concerner entre 25 et 30 % des dossiers, soit une proportion identique aux années antérieures, Madame Tasca.

L'Assemblée a renforcé la protection des sources de l'OFPRA lorsqu'il exclut du bénéfice de la convention de Genève les demandeurs d'asile auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Cela représente une avancée très importante pour lutter contre l'impunité. Le Gouvernement tient à cet outil, même s'il est ouvert à des améliorations de la rédaction.

Les tribunaux administratifs continueront à traiter du contentieux de l'asile en rétention car ils peuvent statuer selon une procédure d'urgence compatible avec les délais de rétention.

Le projet de loi impose de détecter les demandeurs d'asile vulnérables, comme les femmes enceintes, les mineurs étrangers isolés, les personnes handicapées, les victimes de violence ou de la traite des êtres humains. L'Assemblée a rappelé les critères de vulnérabilité à prendre en compte de manière à transposer le mieux possible la directive. L'OFII sera en charge de la détection de ces vulnérabilités, qui relève du simple constat objectif.

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