Intervention de Roger Karoutchi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 avril 2015 à 9h32
Réforme de l'asile — Examen du rapport pour avis

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi, rapporteur pour avis :

Au nom de tous les élus de mon groupe, je m'associe aux propos de notre présidente. J'ai publiquement dit, dans un certain nombre de médias, toute ma considération et mon estime pour Jean Germain, et mon admiration pour la force de caractère qui était la sienne. J'ai été frappé par sa finesse d'analyse et par son humour et j'avoue que, de même que ceux qui, comme moi, n'étaient pas de ses intimes, je n'ai pas vu venir le drame.

C'est à présent comme rapporteur pour avis que je m'exprime, pour dire que je regrette profondément le choix de séparer en deux textes les dispositions relatives à l'asile et celles qui concernent l'immigration. Ce sont des sujets sur lesquels j'ai beaucoup travaillé, et dans les conversations que j'avais eues avec Manuel Valls, j'avais cru comprendre qu'il était convenu qu'un seul et même texte serait déposé. Le fait est que l'on ne saurait traiter séparément l'un et l'autre sujet. Nous avons atteint un nombre de demandeurs d'asile qui laisse soupçonner que la procédure de l'asile fait l'objet d'un détournement par des personnes qui recherchent, en réalité, une immigration économique. Il est difficile d'en déterminer la part, mais il est clair que l'on ne saurait trouver de solutions en traitant séparément de l'asile et de l'immigration. Quand les demandeurs étaient 35 000 en 2007, ils sont aujourd'hui au nombre de 66 000. Le Gouvernement a certes fait des efforts, notamment en augmentant, entre 2009 et 2014, les effectifs de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), passés de 407 à 470 fonctionnaires, mais sans parvenir pour autant à réduire les délais de traitement des demandes, pour la bonne raison que le nombre de demandeurs a doublé. Le délai de traitement reste ainsi, en 2014, de 203 jours. Il est vrai que le budget 2015 prévoit 50 nouvelles créations de postes, mais cela suffira-t-il à résoudre le problème ?

Ce texte me laisse sceptique. Nous ne sommes saisis que des articles financiers, mais cela ne m'interdit pas d'observer que sur 66 000 demandeurs, seuls 11 000 à 13 000, selon les années, obtiennent, via l'OFPRA ou la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le statut de réfugié. Cela signifie que 40 000 à 50 000 sont déboutés, au terme d'une procédure qui peut parfois durer plus de deux ans, ce qui pose bien des problèmes. Les reconduites à la frontières en sont compliquées d'autant, car l'on peut se trouver face à des personnes qui ont fondé une famille, ou dont les enfants ont été scolarisés en France. J'ajoute que les moyens alloués à la police, à la gendarmerie, à la police de l'air et des frontières pour assurer ces reconduites restent insuffisants. Nous n'avons pas les moyens de rechercher les déboutés, qui disparaissent dans la nature - et quand je lis, dans ce texte, une expression telle que « quand ils sont retrouvés », je me demande ce qu'elle vise... C'est bien pourquoi j'aurais souhaité un texte d'ensemble sur l'asile et l'immigration. Il existe nombre de filières organisées qui détournent notre réglementation sur le droit d'asile à des fins d'immigration. Ces réseaux mafieux, dont les candidats à l'immigration sont les premières victimes, sont très difficiles à démanteler.

Le rapport rendu par Valérie Létard et Jean-Louis Touraine à la suite d'une grande concertation a jeté les bases de la réforme. Ce texte s'en inspire, mais ne va pas au bout des choses. Il se donne pour objectif de réduire à neuf mois le délai des procédures devant l'OFPRA et la CNDA, mais sans assortir les dépassements de sanctions pour y parvenir, et sans prendre en compte la question des moyens. Sans compter que le texte voté par l'Assemblée nationale multiplie les possibilités de recours, qui allongent d'autant les procédures. Et alors que l'asile fabrique tous les ans des dizaines de milliers de sans-papiers, on disjoint de ce texte toute disposition relative à l'immigration, pour les reporter à un texte à venir. Le résultat, c'est que ceux qui obtiennent l'asile se retrouvent à peine mieux traités que les déboutés. Et il nous faut demander par amendement une augmentation des crédits de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont le budget est en diminution, pour que soient un peu mieux traités ceux qui obtiennent le statut de réfugiés et qui, étant destinés à devenir des Français à part entière, devraient bénéficier de tous les moyens d'accompagnement.

Le fait est que les dispositifs sociaux d'accompagnement des demandeurs d'asile sont systématiquement sous-budgétés. L'allocation temporaire d'attente (ATA), renommée allocation pour demandeurs d'asile (ADA) par le projet de loi, n'y fait pas exception. Gérée jusqu'à présent - très mal - par Pôle emploi, l'ATA sera transférée à l'OFII, dont le budget semble insuffisant au regard du montant de la dette de l'État à l'égard de Pôle emploi, qui s'élèverait en 2015, selon le directeur général de l'OFII, à environ 100 millions d'euros. Sans un assainissement de la situation, sur lequel nous n'avons pas obtenu d'éclaircissement de la part du Gouvernement, on voit mal comment l'OFII s'en sortira.

Certaines dispositions vont dans le bon sens. Ainsi de la révision du barème de l'allocation, ou de la gestion plus ciblée par l'OFII. On estimait en 2013 à 20 % le montant des indus - l'allocation continuant d'être versée à des déboutés ou à des personnes ayant retrouvé une activité. Nous verrons si l'OFII parvient à gérer les attributions plus finement.

Autre avancée en faveur de la maîtrise des coûts : la centralisation des attributions de place en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou en hébergement d'urgence. L'OFII se chargera ainsi de la répartition interrégionale des demandeurs. Le texte prévoit que l'allocation et l'hébergement pourront être suspendus en cas de refus, par le demandeur, de l'hébergement proposé.

Il faut aussi relever quelques sujets de déception. De façon générale, les députés ont adopté des amendements qui augmentent considérablement les droits des demandeurs et, partant, les charges de l'OFII. Je vous proposerai de revenir au texte initial du Gouvernement. Le mieux est l'ennemi du bien ; augmenter les droits, notamment matériels, de l'ensemble des demandeurs d'asile alors que le budget de l'OFII n'augmentera pas en conséquence n'a guère de sens. On ne fera que traiter tout le monde plus mal, sans se donner les moyens de traiter un peu mieux ceux qui ont le statut de réfugié.

Il faut revenir à un dispositif d'accueil qui évite les abus. Sous réserve de l'adoption de mes amendements, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des articles 15, 16, 16 bis et 17, dont nous sommes saisis. Ce qui ne préjuge en rien de mon avis sur l'ensemble du texte, qui me laisse très réservé, pour les raisons que j'ai évoquées.

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