Monsieur le sénateur, vous m’accorderez que je m’attache à répondre en détail sur chaque point du texte. En revanche, je ne peux répondre aux intentions cachées que vous me prêtez.
Libre à vous de croire qu’un grand dessein libéral se cache derrière chacune de ces réformes et de fonder la cohérence de votre position, que je respecte, sur cette idée, mais je vais essayer de vous montrer point par point qu’il n’en est rien, même si vous déclarezque vous resterez de toute façon sourd aux clarifications que je pourrai vous apporter, votre jugement étant déjà arrêté. Pour ma part, je continue à croire aux vertus de la discussion.
Concernant tout d’abord la différence, en matière d’ouverture du capital, entre les professions du chiffre et celles du droit, je souligne que, pour les premières, cette ouverture existe déjà, avec des plafonds en termes de droits de vote. Nous proposons ici d’ouvrir le capital pour les secondes, mais à la stricte condition que celui-ci soit détenu à 100 % par des professionnels du droit.
Comparaison n’est pas raison, mais nous ne traitons pas les professions du droit moins bien que celles du chiffre. On le verra tout à l’heure, en ce qui concerne les interprofessions du droit et du chiffre, nous avons même prévu des contraintes plus dures pour les professions du chiffre éligibles à ces structures, afin d’éviter de transposer, en quelque sorte, aux professions du droit une ouverture qui existe déjà dans les professions du chiffre.
Aujourd’hui, les professionnels du droit ne peuvent exercer en société que sous deux formes juridiques : celles de société civile professionnelle et de société d’exercice libéral. Nous voulons leur offrir la possibilité de recourir à toute autre forme juridique, pour autant qu’elle ne confère pas aux associés la qualité de commerçant.
Le texte ne permettra pas à une banque ou à une compagnie d’assurance de prendre le contrôle d’une de ces structures. Je vous renvoie, sur ce point, au quatrième alinéa de l’amendement, qui précise explicitement que, pour détenir le capital et des droits de vote, une personne morale devra satisfaire aux exigences prévues par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. C’est cette même loi qui interdit aujourd’hui à un cabinet anglo-saxon détenu majoritairement par une banque ou un fonds de pension de s’installer en France. Notre texte sécurise bien ce dispositif, et il ne saurait y avoir de malentendu sur ce point : je veux tordre le cou à l’idée, trop souvent relayée, que le texte viserait à ouvrir la voie à la financiarisation des professions du droit. Bien au contraire, des sécurités sont prévues pour que des personnes morales détenues majoritairement par des entités financières ne puissent contrôler des sociétés exerçant leur activité dans le domaine des professions du droit. Faire preuve de rigueur doit permettre d’aller au-delà des intentions cachées que l’on nous prête à tort.
En revanche, force est de constater que notre modèle d’organisation de ces professions juridiques n’est plus compétitif. Nombreux sont nos jeunes professionnels du droit – avocats, notaires, huissiers – qui souhaitent pouvoir créer des franchises à l’étranger. Or, ils supportent actuellement bien plus de contraintes que leurs collègues britanniques ou même allemands.
J’ajoute que notre situation est de plus en plus fragilisée au regard du droit européen, et nous sommes exposés à un risque croissant de contentieux. Ainsi, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a donné raison à une structure juridique de droit allemand souhaitant installer une filiale en France, alors que le capital de la société mère était détenu par des banques régionales.
L’idée est donc de structurer nos professions juridiques afin qu’elles puissent s’organiser entre elles sans faire entrer d’entités financières à leur capital, donc en conservant les garanties de la loi de 1990. Nous pourrons alors défendre à l’échelon européen ce nouveau modèle français adapté, afin de ne pas subir l’implantation sur notre territoire de modèles qui ne nous conviennent pas.
Par ailleurs, vous avez soulevé à très juste titre, monsieur le rapporteur, la problématique cruciale des conflits d’intérêts entre professions.
Nous conservons en l’état la structure capitalistique de la société d’exercice libéral et nous maintenons une stricte application des règles déontologiques des différentes professions : par exemple, un notaire membre d’une telle structure n’en référera qu’au notariat ; aucun lien de subordination ne pourra exister entre les différentes professions représentées au sein de la société, quelle que soit la structure capitalistique.
Ainsi, c’est à une modernisation du cadre d’exercice des professions du droit que nous entendons procéder, en aucun cas à une financiarisation : le capital devra être détenu à 100 % par des personnes physiques ou par des personnes morales respectant le cadre de la loi de 1990 ; il n’y aura pas d’ouverture à des tiers. Le nouveau modèle d’organisation permettra à nos professions du droit d’être plus compétitives et de tenir leur place au niveau européen.