Intervention de François Pillet

Réunion du 13 avril 2015 à 21h45
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 22

Photo de François PilletFrançois Pillet, corapporteur :

Permettez-moi cependant de donner quelques exemples de l’obscurité de celui que vous nous soumettez, monsieur le ministre.

Vous introduisez en tête du texte proposé pour l’article 5 de la loi de 1990, qui pose les principes généraux, une précision selon laquelle ces principes ne sont valables que sous réserve de l’article 6 de la même loi. Or les dérogations de l’article 6 sont en réalité générales puisqu’elles s’appliquent selon le cas aux professions juridiques ou techniques ou aux professions de santé. Finalement, ce n’est plus le principe de l’article 5 qui est la règle, mais la dérogation prévue à l’article 6 !

Et pour compliquer le tout, il est prévu à l’article 6 que des décrets en Conseil d’État pourront déroger à la dérogation, sauf pour les professions juridiques, pour lesquelles aucune dérogation à la dérogation n’est possible…

Vous comprendrez donc notre étonnement à constater que la rédaction du texte n’a pas été clarifiée.

Ces problèmes de forme sont loin d’être anodins. L’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi est une exigence constitutionnelle, tout comme l’épuisement par le législateur de sa compétence. Or l’illisibilité du dispositif, l’accumulation en cascade des dérogations et les nombreux renvois au pouvoir réglementaire font douter que le texte proposé respecte bien ces exigences constitutionnelles.

Le deuxième point sur lequel nous souhaiterions que vous puissiez nous répondre concerne l’inégalité de traitement entre les professions juridiques, les professions de santé et les professions techniques. Vous souhaitez, semble-t-il, favoriser les synergies et les rapprochements entre chaque profession. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, nous parlons ici de sociétés monoprofessionnelles et il s’agit de fixer les règles de détention du capital social ou des droits de vote par d’autres personnes que les personnes exerçant la profession exercée par la société.

Enfin, notre dernière interrogation porte sur l’affaiblissement considérable des garanties propres aux professions du droit. Cet affaiblissement se résume en trois points : la possibilité pour toute profession juridique de détenir la majorité des parts et des droits de vote d’une autre profession juridique, la suppression de la garantie de maîtrise et la suppression des mécanismes de contrôle existants ou des possibilités, au nom de la déontologie ou de l’indépendance des professions, de limiter certaines prises de participation. Ces moindres garanties rendent possibles des configurations susceptibles de susciter des conflits d’intérêts.

Permettez-moi de donner des exemples : des avocats pourraient être majoritaires dans une société de notaires et contrôler ainsi le fonctionnement d’un office public ; des administrateurs juridiques pourraient posséder une SEL de mandataires judiciaires ; une société réunissant des notaires et des experts-comptables pourrait détenir, en plus d’une SEL correspondant à ces deux professions, la totalité des parts, sauf une, d’une SEL d’avocats, la dernière part étant attribuée à un avocat sous la responsabilité duquel travaillerait un nombre indéterminé d’avocats salariés.

De plus, on peut imaginer des montages beaucoup plus astucieux – le droit, selon une formule célèbre, c’est l’école de l’imagination ! –, qui feraient par exemple intervenir des sociétés juridiques anglaises dont les capitaux seraient détenus par d’autres personnes que des professionnels du droit.

Dès lors que ce texte est susceptible d’engendrer de telles situations, il ne saurait être considéré comme achevé.

L’argument selon lequel il s’agit de permettre aux professionnels du droit d’offrir un éventail complet de services à leurs clients ne me semble pas recevable. En effet, il s’agit de sociétés monoprofessionnelles, où un seul type de services sera offert.

Nous serons bien entendu attentifs à vos réponses, monsieur le ministre. S’agissant de l’organisation des sociétés, nous sommes en attente, vous l’avez compris, de textes beaucoup plus précis, répondant mieux à nos préoccupations et aux attentes des différentes professions concernées.

En tout cas, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

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