Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 1er mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 2

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

L'article 2, qui a été adopté à l'Assemblée nationale par le biais de l'article 49-3, pourrait être considéré de façon mineure comme la conséquence logique de l'article 1er créant les conditions de mise en oeuvre de l'apprentissage junior. Il vise en effet à transposer dans le droit du travail les dispositions modifiées du code de l'éducation.

Si l'on procède à une explication de texte, ce qui est en question, c'est, notamment, la procédure de validation de la mise en oeuvre de l'apprentissage junior.

Contrairement aux contrats d'apprentissage de caractère « normal », tels que fixés par le droit, le contrat d'apprentissage junior n'est pas soumis dans les faits à l'avis du service de l'inspection de l'apprentissage. Il présente donc une sorte de caractère d'exception consistant à limiter sa portée à la libre contractualisation entre les parties, c'est-à-dire, d'un côté, les parents ou les responsables majeurs du jeune apprenti et, de l'autre, le maître d'apprentissage, soit le plus souvent le chef d'entreprise d'accueil.

De la même manière, les conditions de durée et de rupture du contrat d'apprentissage sont laissées à la libre appréciation des parties. Ainsi, l'apprenti junior peut, dans des délais finalement rapprochés au regard de la date de début du contrat, mettre lui-même un terme à la mise en oeuvre du contrat et réintégrer le circuit normal de la scolarité.

Cherche-t-on à créer une formule souple permettant de faire de l'apprentissage junior une espèce de sas provisoire de formation pour les jeunes en attendant mieux, une formule d'accès effectif à la formation professionnelle par le biais d'une sorte de première « sensibilisation », ou plutôt, comme on peut s'y attendre, une formule tendant à organiser l'éviction progressive des jeunes les plus en difficulté avec les parcours scolaires banalisés au travers d'une orientation précoce conduisant à leur intégration rapide dans le monde du travail ?

À la vérité, on se demande quel est le véritable ordre de priorité dans le dispositif qui nous est présenté.

S'agit-il d'éviter que des jeunes qui ont des difficultés en version latine, dans l'apprentissage d'une seconde langue étrangère, avec la théorie des ensembles ou l'imparfait du subjonctif ne perdent plus leur temps et découvrent plus rapidement leur voie au travers d'un apprentissage technologique précoce ou s'agit-il de masquer derrière la « sensibilisation » à l'apprentissage en milieu professionnel le risque de la progression du chômage des jeunes sortis sans qualification du système scolaire ?

Chacun sait ici que les jeunes sortant précocement du système scolaire représentent la population la plus vulnérable au regard du chômage. Et quand ils ont la malchance d'être issus des quartiers dits sensibles ou d'avoir un nom à consonance étrangère, cette vulnérabilité est encore plus grande.

Mais que cherche-t-on réellement à faire avec l'apprentissage junior ?

Nous craignons que ce ne soit que pour de pures raisons de sélection précoce que les dispositions de l'article 2 aient été rédigées.

Il s'agit d'offrir aux entreprises - encore faut-il qu'elles soient demandeuses en la matière - une main-d'oeuvre éminemment flexible et peu coûteuse - la « rémunération » des apprentis juniors n'étant pas considérée comme un salaire -, qui, on s'en doute, proviendra pour l'essentiel des populations les plus vulnérables et des quartiers les plus en difficulté.

L'apprentissage junior n'est pas une nouvelle chance : il s'apparente clairement à une discrimination supplémentaire à l'encontre des jeunes et des familles modestes.

Sous le bénéfice de ces observations, nous annonçons d'ores et déjà que nous ne voterons pas cet article en l'état.

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