Notre étude repose sur seize entretiens réalisés auprès de parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, de toutes tendances politiques, choisis en fonction d'un critère d'intérêt pour la vie des entreprises et le monde économique mais aussi du département d'élection, de manière à ce que l'échantillon corresponde à la carte industrielle du pays. L'étude comporte trois volets : l'un consacré à la façon dont les parlementaires perçoivent la situation et les enjeux de l'industrie, l'autre destiné à cerner la place qu'occupent les questions industrielles dans le travail parlementaire et le dernier portant sur les attentes des parlementaires en matière de dialogue avec le monde de l'industrie.
Concernant la place de l'industrie dans l'économie, il apparaît que les parlementaires perçoivent l'industrie en France comme un secteur confronté à un problème général de compétitivité. Moins que d'une crise de l'industrie nationale, les parlementaires parlent d'une période de mutations qui oblige les entreprises à s'adapter à de nouveaux modes de consommation et de production : révolution du numérique, brouillage de la frontière entre industrie et services, émergence de nouveaux concurrents internationaux, tels sont les défis que l'industrie française peine à relever.
Sur la perception des causes des difficultés industrielles du pays, notre enquête montre que les parlementaires identifient une pluralité de facteurs. En premier lieu, vient la croyance qui prévalait à la fin des années 1990, selon laquelle nous passions d'une société industrielle à une société post-industrielle. Cette erreur stratégique de perception a eu pour conséquence une démobilisation de l'effort en direction de l'industrie. En second lieu, les parlementaires soulignent une inadaptation des politiques publiques : sont mis en avant un niveau de prélèvement obligatoire excessif, des normes à la fois trop nombreuses et trop instables, un droit du travail trop rigide et trop complexe, le rôle du principe de précaution, la frilosité des banques et l'insuffisante prise en compte des besoins des petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou encore l'inadéquation du système de formation aux besoins des entreprises. Bien entendu, en fonction de leurs orientations politiques, les parlementaires mettent davantage l'accent sur tel ou tel de ces facteurs.
Ce diagnostic sur les difficultés industrielles du pays n'empêche pas un certain optimisme quant à l'avenir de l'industrie nationale, à condition que soient faits les bons choix. À cet égard, le rôle des politiques doit, être selon les parlementaires, un rôle de facilitateur : il s'agit de faciliter les liens entre les entreprises et les territoires, mais aussi entre les entreprises et le monde de la recherche. Notre étude montre également une perception positive du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en ce qu'il contribue à restaurer les marges et la capacité d'investissement des entreprises. Enfin, parmi les conditions nécessaires au rebond industriel, l'enquête met en exergue le souhait des parlementaires de :
- concentrer l'effort national sur les secteurs d'avenir où la France possède un avantage compétitif, secteurs tels que l'aéronautique, l'énergie, la santé, les transports ou le luxe ;
- favoriser davantage la croissance des PME et des ETI.
Concernant le deuxième volet de l'enquête, trois points ressortent. Tout d'abord, les parlementaires interrogés, sans forcément s'inclure eux-mêmes dans cette remarque, estiment que la bonne perception des enjeux industriels bute trop souvent sur une insuffisance de la culture économique et sur une méconnaissance des réalités de l'entreprise, ce qui s'expliquerait par les origines socio-économiques des élus. L'enquête met aussi en évidence un tropisme local fort, aux conséquences ambivalentes, puisque, d'un côté, il favorise une approche pragmatique et concrète et, de l'autre, il fait parfois obstacle à une perception des enjeux dans leur globalité. Enfin, le rapport souligne que les commissions des affaires économiques sont le lieu principal d'échange entre le parlement et le monde de l'industrie.
Enfin, sur le volet consacré aux attentes des parlementaires en vue d'approfondir le dialogue avec le monde industriel, notre étude indique que les fédérations sectorielles sont l'interlocuteur le plus apprécié des parlementaires en raison de leur capacité à apporter des informations factuelles. Par contraste le Mouvement des entreprises de France (Medef) est vu comme une organisation trop « politisée ». Le rapport déplore enfin l'insuffisance des échanges, au niveau national, avec les PME et les ETI, ainsi que l'absence d'un interlocuteur permettant une approche des questions industrielles dans leur transversalité. Les critères d'un dialogue fructueux seraient, selon les parlementaires, au nombre de quatre : les échanges doivent être ciblés sur les parlementaires spécialisés sur les questions économiques, s'inscrire dans la durée, porter sur des questions concrètes et être proches des réalités du terrain. À cet égard, les stages en entreprise, s'ils sont vus avec bienveillance, apparaissent cependant comme trop ponctuels et superficiels pour être utiles à des parlementaires déjà spécialisés sur les questions économiques.