La réunion est ouverte à 10 heures.
J'ai le plaisir d'accueillir M. François Gayet, délégué général du cercle de l'industrie. L'industrie est au coeur des compétences de notre commission et je souhaite qu'elle soit au coeur de ses préoccupations, car la France doit rester un grand pays industriel et doit même avoir l'ambition de développer ses capacités de production et l'emploi dans ce domaine. C'est un enjeu essentiel.
Le cercle de l'industrie vient de publier un rapport intitulé « Les parlementaires et l'industrie », qui fait le bilan d'une étude qu'il a commandée au cabinet Lysios sur la manière dont les parlementaires appréhendent les enjeux industriels du pays. Nous allons vous entendre sur ce point, mais je souhaite surtout que nous débattions de l'enjeu industriel pour la France, des conditions à réunir pour que notre pays engage un mouvement de réindustrialisation. Ce secteur est confronté à un problème général de compétitivité, qui se manifeste par un fort recul en termes d'emploi et de valeur ajoutée, mais c'est aussi un secteur d'avenir, sur lequel il est stratégique de continuer à miser parce qu'il reste le socle de la prospérité et du développement économiques.
Quelques mots pour présenter le cercle de l'industrie. Il regroupe trente-cinq groupes industriels, qui sont souvent des leaders mondiaux dans leur domaine. Ensemble, au niveau mondial, ces groupes représentent 865 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploient 2,7 millions de personnes. Le cercle a été créé en 1993 pour être un lieu de dialogue entre le monde de l'industrie et les institutions, au niveau national et européen. Notre credo est que les grands groupes industriels doivent contribuer à relever les défis de notre société dans le domaine des politiques industrielles et de filières, de la recherche et développement, de l'énergie et du climat, du numérique ou encore des politiques commerciales et de la concurrence.
Le cercle a mandaté le cabinet Lysios pour mener une étude qualitative sur la perception des enjeux de l'industrie par les parlementaires et formuler des recommandations sur les moyens d'approfondir le dialogue entre industriels et parlementaires. Je laisse donc la parole à M. François Perez, qui représente le cabinet qui a mené l'étude.
Notre étude repose sur seize entretiens réalisés auprès de parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, de toutes tendances politiques, choisis en fonction d'un critère d'intérêt pour la vie des entreprises et le monde économique mais aussi du département d'élection, de manière à ce que l'échantillon corresponde à la carte industrielle du pays. L'étude comporte trois volets : l'un consacré à la façon dont les parlementaires perçoivent la situation et les enjeux de l'industrie, l'autre destiné à cerner la place qu'occupent les questions industrielles dans le travail parlementaire et le dernier portant sur les attentes des parlementaires en matière de dialogue avec le monde de l'industrie.
Concernant la place de l'industrie dans l'économie, il apparaît que les parlementaires perçoivent l'industrie en France comme un secteur confronté à un problème général de compétitivité. Moins que d'une crise de l'industrie nationale, les parlementaires parlent d'une période de mutations qui oblige les entreprises à s'adapter à de nouveaux modes de consommation et de production : révolution du numérique, brouillage de la frontière entre industrie et services, émergence de nouveaux concurrents internationaux, tels sont les défis que l'industrie française peine à relever.
Sur la perception des causes des difficultés industrielles du pays, notre enquête montre que les parlementaires identifient une pluralité de facteurs. En premier lieu, vient la croyance qui prévalait à la fin des années 1990, selon laquelle nous passions d'une société industrielle à une société post-industrielle. Cette erreur stratégique de perception a eu pour conséquence une démobilisation de l'effort en direction de l'industrie. En second lieu, les parlementaires soulignent une inadaptation des politiques publiques : sont mis en avant un niveau de prélèvement obligatoire excessif, des normes à la fois trop nombreuses et trop instables, un droit du travail trop rigide et trop complexe, le rôle du principe de précaution, la frilosité des banques et l'insuffisante prise en compte des besoins des petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou encore l'inadéquation du système de formation aux besoins des entreprises. Bien entendu, en fonction de leurs orientations politiques, les parlementaires mettent davantage l'accent sur tel ou tel de ces facteurs.
Ce diagnostic sur les difficultés industrielles du pays n'empêche pas un certain optimisme quant à l'avenir de l'industrie nationale, à condition que soient faits les bons choix. À cet égard, le rôle des politiques doit, être selon les parlementaires, un rôle de facilitateur : il s'agit de faciliter les liens entre les entreprises et les territoires, mais aussi entre les entreprises et le monde de la recherche. Notre étude montre également une perception positive du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en ce qu'il contribue à restaurer les marges et la capacité d'investissement des entreprises. Enfin, parmi les conditions nécessaires au rebond industriel, l'enquête met en exergue le souhait des parlementaires de :
- concentrer l'effort national sur les secteurs d'avenir où la France possède un avantage compétitif, secteurs tels que l'aéronautique, l'énergie, la santé, les transports ou le luxe ;
- favoriser davantage la croissance des PME et des ETI.
Concernant le deuxième volet de l'enquête, trois points ressortent. Tout d'abord, les parlementaires interrogés, sans forcément s'inclure eux-mêmes dans cette remarque, estiment que la bonne perception des enjeux industriels bute trop souvent sur une insuffisance de la culture économique et sur une méconnaissance des réalités de l'entreprise, ce qui s'expliquerait par les origines socio-économiques des élus. L'enquête met aussi en évidence un tropisme local fort, aux conséquences ambivalentes, puisque, d'un côté, il favorise une approche pragmatique et concrète et, de l'autre, il fait parfois obstacle à une perception des enjeux dans leur globalité. Enfin, le rapport souligne que les commissions des affaires économiques sont le lieu principal d'échange entre le parlement et le monde de l'industrie.
Enfin, sur le volet consacré aux attentes des parlementaires en vue d'approfondir le dialogue avec le monde industriel, notre étude indique que les fédérations sectorielles sont l'interlocuteur le plus apprécié des parlementaires en raison de leur capacité à apporter des informations factuelles. Par contraste le Mouvement des entreprises de France (Medef) est vu comme une organisation trop « politisée ». Le rapport déplore enfin l'insuffisance des échanges, au niveau national, avec les PME et les ETI, ainsi que l'absence d'un interlocuteur permettant une approche des questions industrielles dans leur transversalité. Les critères d'un dialogue fructueux seraient, selon les parlementaires, au nombre de quatre : les échanges doivent être ciblés sur les parlementaires spécialisés sur les questions économiques, s'inscrire dans la durée, porter sur des questions concrètes et être proches des réalités du terrain. À cet égard, les stages en entreprise, s'ils sont vus avec bienveillance, apparaissent cependant comme trop ponctuels et superficiels pour être utiles à des parlementaires déjà spécialisés sur les questions économiques.
En réponse aux attentes exprimées par les parlementaires, le cercle de l'industrie souhaite former une plateforme commune dédiée au dialogue avec le Parlement. Elle regrouperait, outre le cercle, l'UIMM et le groupement des fédérations industrielles, qui regroupe dix-huit fédérations et offre une représentation transverse de l'industrie dans sa diversité sectorielle, géographique et de tailles d'entreprises.
Je voudrais vous interroger sur plusieurs enjeux forts pour l'industrie.
D'abord, sur la formation professionnelle. La France y consacre des sommes considérables, 32 milliards d'euros par an, et pourtant plus de 500 000 emplois par an ne sont pas pourvus, faute notamment de l'inadéquation des compétences des salariés par rapport aux besoins des entreprises. Comment améliorer notre système de formation et faire en sorte que les personnes qui en sortent disposent des compétences demandées ?
Ma deuxième question porte sur l'emploi industriel. Vous connaissez les chiffres : 70 000 emplois disparaissent chaque année dans l'industrie. Le secteur a perdu 50 % de ses emplois en trente ans. Or, le constat que l'on fait est que ce sont les PME et les ETI qui créent l'emploi, pas les grandes entreprises. Aussi je voudrais savoir comment les grands groupes, qui sont représentés dans le cercle, pourraient mieux participer à l'effort de créations d'emplois en France.
Le point suivant concerne l'alternance. Les entreprises en perçoivent mal l'intérêt, alors même l'on sait que c'est un excellent tremplin vers l'emploi. Deux emplois sur trois en alternance restent dans le monde de l'entreprise au bout de deux ans. D'où ma question : comment les grands groupes peuvent-ils participer à l'effort de développement de l'alternance ?
J'en viens à la réforme de la taxe professionnelle. Elle a permis un allègement de la pression fiscale sur les entreprises. Sur les 25 milliards d'euros de baisse, les entreprises en ont conservé 8. Pourriez-vous nous parler des contreparties apportées par les entreprises de votre cercle à la suite de cette réforme ?
Les entreprises des grands groupent bénéficient de 50% du crédit d'impôt recherche. Peut-on s'assurer que le CIR, comme c'est son objectif, permet bien un développement de la recherche et de l'innovation en France ?
Quant aux stages de huit jours en entreprise, pour avoir été chef d'entreprise, cela ne sert à rien. En revanche, je pense que des stages de deux ans pour les élèves sortant de l'école nationale d'administration (ENA) pourraient être utiles !
L'agroalimentaire est un domaine important, je m'étonne qu'il ne soit pas représenté dans le Cercle de l'industrie.
Nous avons souvent le sentiment que les grandes entreprises que vous représentez qui ont les moyens notamment de faire de la recherche et sont mondialisées oublient les petites entreprises industrielles, qu'elles n'ont pas de contact avec ces dernières. L'annonce de la mise en place de la plateforme que vous avez mentionnée est un début de réponse à cette remarque.
Nous avons également le sentiment que les grands groupes industriels s'intéressent aux modalités de la réussite économique, ou d'accès au marché mais pas au maintien d'un tissu industriel sur le territoire national. Les pertes d'emplois ont été importantes dans ce secteur. Nous souhaitons que ces grands groupes contribuent au maintien d'une industrie dans nos régions.
Je m'interroge également sur les liens entre petites et grandes entreprises au niveau international. Lorsque vous allez à l'étranger, vous pourrez rencontrer les représentants des grands groupes mais non des petites entreprises ! Les petites entreprises ne sont pas aidées.
La chute de l'emploi industriel est un traumatisme national. Nous avons perdu environ 70 000 emplois par an !
Avant la crise financière, on nous présentait l'Irlande, pays à fort emplois de services, comme un idéal ; on nous disait que les pays où le secteur secondaire est trop important sont des pays peu développés !
Une série de difficultés naît de la croyance selon laquelle la France ne serait plus une terre de production. Il faut redonner confiance dans notre capacité à créer de la valeur ajoutée.
On nous a expliqué que les causes de la désindustrialisation venaient de la productivité du travail et de l'externalisation vers les entreprises de services. Le passage d'un excédent à un déficit dans le domaine industriel a été un choc.
Si on regarde le niveau de robotisation en France, le stock de robots atteint 34 500 tandis qu'il est deux fois plus important en Italie et quatre fois plus en Allemagne.
On s'intéresse souvent à nos 40 grands champions nationaux mais peu aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et aux petites et moyennes entreprises (PME). En France, on dénombre 4 500 ETI contre 10 000 en Allemagne. Comment faire en sorte que les ETI investissent plus dans l'outil de travail ? La défiscalisation en cas d'investissement important dans les machines-outils pourrait être une solution.
Le crédit impôt recherche (CIR) doit bénéficier à nos industries. Je rappelle qu'il représente 4 milliards d'euros !
Je constate dans la liste de vos adhérents l'absence de grandes entreprises telles que Renault ou Dassault. Comment expliquez-vous cette absence ? Je m'étonne également de l'absence d'entreprises de l'agroalimentaire.
Vos petits déjeuners sont ouverts aux étudiants des grandes écoles. Je crois que c'est une bonne chose mais savez-vous ce qu'en pensent ces derniers ?
Il me semble intéressant que les parlementaires puissent aller dans les entreprises. Je rappelle d'ailleurs que cette possibilité existe déjà pour les sénateurs.
Pouvez-vous nous rappeler qui vous représentez et votre place par rapport aux autres instances comme le MEDEF ?
Le Cercle de l'industrie, créé par Dominique Strauss-Kahn, avait initialement pour objectif d'aider les grands groupes à mieux connaître les interlocuteurs et les procédures au niveau européen. Qu'en est-il ? S'agit-il toujours d'une part importante de votre activité ?
Vos conclusions selon lesquelles les parlementaires seraient peu aptes à juger et apprécier la situation de l'industrie me gênent. Nous sommes certes généralistes mais nous avons intérêt à bien connaître les dossiers.
L'important n'est pas que le responsable soit issu d'une grande école ou d'être un grand groupe. Les difficultés rencontrées par AREVA le démontrent. Dans mon département, ce sont deux entreprises fondées par des autodidactes qui soutiennent l'économie locale.
Les parlementaires ont le souci de l'intérêt supérieur de la République. Les grands groupes ne sont pas la propriété de quelques privilégiés mais des outils à disposition de la République. Il me semble important de le dire dans votre étude.
Il est nécessaire de retrouver en France un outil industriel. Il faut retrouver une capacité de production effective dans l'hexagone.
Je m'interroge sur la nécessité de redéfinir les ETI. Dans l'accompagnement à l'investissement, les ETI sont souvent considérées comme des grands groupes alors qu'elles sont dans une situation différente.
Je m'étonne à mon tour de l'absence de groupe de l'industrie agroalimentaire parmi les adhérents.
Des débats existent autour de l'utilisation du CIR. Un des reproches qu'on lui adresse c'est son utilisation en France sur le plan fiscal tandis que le brevet est déposé à l'étranger.
La « fuite des cerveaux » est un élément préoccupant. Il me paraît essentiel que les jeunes Français aillent à l'étranger découvrir d'autres modes de fonctionnement, mais se posent la question de leur retour.
L'immersion dans le monde industriel des parlementaires est une nécessité, mais il faut aller au-delà de la simple visite de complaisance.
Le Sénat a créé une délégation aux entreprises auprès de laquelle vous pourrez trouver une écoute attentive.
Je trouve un peu curieux que vous nous informiez de la manière dont va s'exercer votre lobbying. Il me semble qu'il serait plus intéressant que nous sachions ce que les industriels pensent de nous.
On nous reproche souvent de ne pas être de la « vraie vie ». Certains parlementaires sont issus du monde de l'industrie. Peut-être ne sont-ils pas assez nombreux. On pourrait réfléchir à la manière d'augmenter leur nombre.
S'agissant de l'appétence des jeunes pour l'industrie, l'éducation nationale doit s'ouvrir au monde industriel. Une réflexion me paraît indispensable sur cette question.
Quelle appréciation les entreprises concernées portent-elles sur les 34 plans de reconquête industrielle engagés par le Gouvernement ?
En tant que parlementaires, nous avons bien entendu le souci du développement industriel de notre pays, et en particulier de l'emploi industriel. À cet égard, la question de la prospective me semble essentielle : s'il est certain que l'irruption du numérique va venir bouleverser le secteur, les chercheurs ne s'accordent pas sur l'impact de cette révolution en termes d'emplois, certains d'entre eux craignant des destructions d'emplois ou a minima un appauvrissement du contenu de la croissance en emplois. Je regrette que France Stratégie, dans son récent rapport sur la France dans dix ans, n'aborde pas cette question et, de manière plus générale, que l'on fasse trop peu de prospective dans notre pays ; le Cercle de l'industrie ne pourrait-il pas contribuer à faire davantage émerger cette vision prospective ?
Mon message sera différent de celui de mes collègues : je pense en effet que les entreprises ne devraient plus recevoir un centime de subventions, quelle qu'en soit la forme ; en contrepartie, les charges qu'elles acquittent seraient supprimées à due concurrence. Ceci éviterait par exemple qu'après que le Gouvernement a annoncé un plan d'aide aux entreprises de 50 milliards d'euros, les uns et les autres s'accusent ensuite mutuellement de ne pas remplir leurs devoirs, notamment en termes d'emplois. Sans subventions et sans charges, les entreprises relocaliseraient alors leur production en France car la qualité professionnelle de notre main d'oeuvre est incontestable.
En consultant la liste de vos adhérents, je m'étonne qu'il n'y ait pas plus de représentants du secteur agro-alimentaire alors que celui-ci est pourvoyeur de nombreux emplois. Dans mon département du sud-ouest, nous avons la chance d'avoir de nombreuses entreprises du secteur de l'aéronautique qui créent certes des emplois en France mais aussi ailleurs, en Espagne, au Portugal et demain au Maghreb. Ces industriels nous expliquent que la délocalisation d'une partie de leurs activités permet de maintenir d'autres emplois chez nous, en particulier ceux à plus haute valeur ajoutée, mais je ne suis pas convaincu que nous ayons tout fait pour arrêter cette hémorragie d'emplois ; reste qu'il est plus facile de soulever le problème que de trouver la thérapeutique...
L'industrie souffre d'un vrai déficit d'image chez nos concitoyens. L'image des TPE et des PME est sans doute plus favorable que celle des grands groupes mais la reconquête industrielle passe aussi par un travail de sensibilisation de l'opinion publique.
Plusieurs d'entre vous sont revenus sur la composition du Cercle de l'industrie : nos adhérents sont de grandes entreprises industrielles dont, pour évoquer le secteur agro-alimentaire, le groupe Sofiprotéol - par le passé, Danone a aussi été membre du cercle. Nous ne sommes pas un organisme représentatif au sens des partenaires sociaux comme peut l'être le Mouvement des entreprises de France (Medef) mais il existe d'autres types d'organisations, par exemple l'Association française des entreprises privées (Afep) qui regroupe aussi des grandes entreprises de secteurs divers - finance, banque, grande distribution, etc. Nous représentons spécifiquement l'industrie, publique comme privée, et comptons aussi parmi nos membres des personnalités politiques, Alain Lamassoure et Alain Rousset, nos deux vice-présidents, ainsi que Gilles Carrez et Gérard Collomb. Nous ne considérons pas comme un lobby qui défendrait tel ou tel amendement auprès des parlementaires mais comme une instance de dialogue. Au niveau européen, nous disposons d'un bureau à Bruxelles et organisons régulièrement des rencontres avec les commissaires européens. Il est vrai que tous les secteurs industriels ne sont pas représentés au sein du cercle - les entreprises sont libres d'adhérer : Renault, par exemple, n'est plus membre mais PSA Peugeot Citroën l'est devenu - et c'est précisément la raison pour laquelle nous proposons la constitution d'une plateforme commune avec le Groupe des fédérations industrielles (GFI) qui regroupe lui-même dix-huit fédérations.
Nous sommes d'accord sur le diagnostic : l'industrie représente aujourd'hui moins de 10 % du produit intérieur brut (PIB), soit moitié moins qu'en Allemagne. Nous sommes du reste passés derrière le Royaume-Uni dont tout le monde disait, à une époque, qu'il n'avait plus d'industrie. Nous estimons que 330 000 emplois ont été perdus en cinq ans même si une partie non négligeable de ces pertes est liée à la tertiarisation de l'économie qui a eu pour effet de déporter une partie des postes vers des emplois proches de l'industrie et nécessaires à celle-ci, ce qu'il faudrait aussi comptabiliser.
C'est avant tout la perte de compétitivité de l'économie française qui est à l'origine de cette désindustrialisation. En 2013, la marge constatée dans les entreprises était de 29,7 % en France contre 41,6 % en Allemagne, soit près de douze points d'écart. Depuis, l'effet du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) commence à se faire sentir et les marges se redressent progressivement. Il reste que les dépenses publiques atteignent aujourd'hui 57 % du PIB, dont les dépenses sociales 31,6 %, soit respectivement dix et cinq points de plus qu'en Allemagne...
Vous avez été nombreux à évoquer notre tissu de PME et de PMI ; contrairement à ce que l'on peut dire parfois, les grandes entreprises sont extrêmement sensibles à la préservation de ce tissu dont elles ont grand besoin. À cet égard, le travail engagé par le Gouvernement pour renforcer les filières est excellent, de même que la démarche poussée par Philippe Varin, par ailleurs président du Cercle de l'industrie, pour créer une plateforme automobile capable de mobiliser la filière sur de grands programmes tels que le « véhicule 2 litres aux 100 kilomètres ». Ce travail est d'autant plus nécessaire que nos entreprises de taille intermédiaires (ETI) n'ont pas grandi assez vite et que l'on en compte entre deux et trois fois moins que d'autres pays.
Pour créer de l'emploi, il faut d'abord restaurer les marges, puis trouver des marchés et investir. L'industrie représente aujourd'hui 80 % de nos exportations, 80 % de la recherche et développement (R & D) et 50 % de la productivité nationale, ce qui témoigne de son importance. Quant aux grandes entreprises, elles représentaient dans leurs secteurs respectifs, en 2010, 50 % du chiffre d'affaires, 60 % des investissements et 36 % des effectifs.
En matière de délocalisations, les industriels ont parfois des contraintes liées à leur marché, ce qui n'est pas tout à fait le cas des exemples de l'Espagne ou du Portugal que vous citez, M. Lasserre : dans l'aéronautique, il s'agit d'utiliser au mieux toutes les capacités disponibles au niveau européen alors que le secteur peine aujourd'hui à recruter de nouvelles compétences.
Le crédit impôt recherche (CIR) est un point très positif qui a permis de gagner environ 25 % du coût d'un chercheur et nous considérons que sans le CIR, une part importante de la recherche et développement (R & D) aurait été délocalisée. En outre, le CIR encourage les PME à faire davantage de R & D, ce qui à terme devrait leur permettre de grandir.
Au cours des trois dernières années, le Gouvernement a déjà fait beaucoup : pacte de compétitivité en 2012, pacte de responsabilité en 2014, lois sur la sécurisation de l'emploi et sur la formation professionnelle. Toutes ces mesures vont dans le bon sens mais nous considérons cependant que cela ne va ni assez loin ni assez vite. Un chiffre en témoigne : l'allègement des charges à hauteur de 40 milliards d'euros ne représente qu'un tiers du chemin rapporté aux 113 milliards d'euros d'écarts de prélèvements entre la France et l'Allemagne. De même, la loi sur la sécurisation de l'emploi a des effets positifs mais limités : seuls des accords défensifs de maintien dans l'emploi peuvent être conclus alors que nous souhaiterions pouvoir négocier des accords offensifs, au plus près du terrain. L'expérience prouve que de tels accords ont permis d'absorber des pertes de marché très importantes, notamment dans l'automobile, et les usines repartent désormais.
Le Cercle de l'industrie organise quatre fois par an des rencontres entre des étudiants de tous horizons et des dirigeants de grandes entreprises ; il s'agit toujours de rencontres très riches et appréciées des deux parties. Nous travaillons également avec la Fabrique de l'industrie, un think tank créé par le Cercle, l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et le GFI pour mieux faire connaître l'industrie au travers de publications et de conférences.
Le numérique occupe beaucoup nos dirigeants et nous avons engagé un travail avec nos membres sur le sujet. Nous saluons à ce titre la reconfiguration des 34 plans industriels annoncée hier par le Président de la République et qui consiste à joindre au grand plan sur l'industrie du futur plusieurs des programmes lancés autour du numérique - grand réseau, big data, cyber-sécurité, objets connectés, etc. Le numérique recouvre deux grandes composantes : le marché, d'une part, avec la nécessité de remettre le client au centre de l'entreprise, et les données, d'autre part, qui ont aujourd'hui tendance à traverser l'Atlantique pour être exploitées par les grands opérateurs américains. Il y a là un travail important à mener aux niveaux français et européen.
Quant au lien entre numérique et emploi, il est certain que le numérique va transformer les emplois existants et créer de nouveaux métiers, dont la moitié au moins n'est pas encore connue ! Cela suppose un effort important de formation, non seulement auprès de nos jeunes mais aussi au sein même des entreprises. L'exemple de Michelin est significatif : alors que l'entreprise était réputée pour son culte du secret, son président l'a engagée dans une transformation numérique qui vise à faire rentrer les start-ups et les PME.
Bien qu'étant de plus en plus fréquemment hébergées par des grands groupes qui les accompagnent, nos start-ups rencontrent encore les plus grandes difficultés à se financer dès qu'elles veulent procéder à des levées de fonds très significatives. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour un développement massif du capital-risque ; à défaut, nos jeunes entrepreneurs partiront à l'étranger.
Le diagnostic est partagé en matière de formation professionnelle : sur les 32 milliards d'euros qui y sont consacrés chaque année, une bonne partie n'est pas utilisée comme il le faudrait. Nous recommandons de mettre les entreprises au coeur du dispositif car elles savent les emplois dont elles ont besoin. L'Éducation nationale doit s'assurer que les formations d'aujourd'hui correspondent bien aux emplois de demain. Enfin, les grands groupes prennent de nombreuses initiatives pour promouvoir l'apprentissage en alternance.
Monsieur le Délégué général, il me reste à vous remercier pour cet échange qui vous aura convaincu, je l'espère, de l'appétence des parlementaires pour les questions industrielles et qui témoigne de notre préoccupation tant pour le devenir des grands groupes que pour celui des PME/PMI.
En réponse à la suggestion de plusieurs d'entre vous, je vous propose que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi sur la biodiversité, qui comporte un certain nombre de dispositions entrant dans le champ de compétences de la commission.
Si vous en êtes d'accord, je vous propose de désigner Sophie Primas comme rapporteur pour avis.
La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi n° 359 (2014-2015) pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et nomme Mme Sophie Primas comme rapporteur pour avis sur ce texte.
Nous devons procéder à la nomination de deux candidats titulaires pour le Conseil national des villes, organisme qui vient récemment d'être réformé.
Je vous propose de retenir la candidature de Dominique Estrosi Sassone et de reconduire Franck Montaugé, que nous n'avions nommé que très récemment, le 17 décembre dernier.
La réunion est levée à 11 h 51.