Plusieurs d'entre vous sont revenus sur la composition du Cercle de l'industrie : nos adhérents sont de grandes entreprises industrielles dont, pour évoquer le secteur agro-alimentaire, le groupe Sofiprotéol - par le passé, Danone a aussi été membre du cercle. Nous ne sommes pas un organisme représentatif au sens des partenaires sociaux comme peut l'être le Mouvement des entreprises de France (Medef) mais il existe d'autres types d'organisations, par exemple l'Association française des entreprises privées (Afep) qui regroupe aussi des grandes entreprises de secteurs divers - finance, banque, grande distribution, etc. Nous représentons spécifiquement l'industrie, publique comme privée, et comptons aussi parmi nos membres des personnalités politiques, Alain Lamassoure et Alain Rousset, nos deux vice-présidents, ainsi que Gilles Carrez et Gérard Collomb. Nous ne considérons pas comme un lobby qui défendrait tel ou tel amendement auprès des parlementaires mais comme une instance de dialogue. Au niveau européen, nous disposons d'un bureau à Bruxelles et organisons régulièrement des rencontres avec les commissaires européens. Il est vrai que tous les secteurs industriels ne sont pas représentés au sein du cercle - les entreprises sont libres d'adhérer : Renault, par exemple, n'est plus membre mais PSA Peugeot Citroën l'est devenu - et c'est précisément la raison pour laquelle nous proposons la constitution d'une plateforme commune avec le Groupe des fédérations industrielles (GFI) qui regroupe lui-même dix-huit fédérations.
Nous sommes d'accord sur le diagnostic : l'industrie représente aujourd'hui moins de 10 % du produit intérieur brut (PIB), soit moitié moins qu'en Allemagne. Nous sommes du reste passés derrière le Royaume-Uni dont tout le monde disait, à une époque, qu'il n'avait plus d'industrie. Nous estimons que 330 000 emplois ont été perdus en cinq ans même si une partie non négligeable de ces pertes est liée à la tertiarisation de l'économie qui a eu pour effet de déporter une partie des postes vers des emplois proches de l'industrie et nécessaires à celle-ci, ce qu'il faudrait aussi comptabiliser.
C'est avant tout la perte de compétitivité de l'économie française qui est à l'origine de cette désindustrialisation. En 2013, la marge constatée dans les entreprises était de 29,7 % en France contre 41,6 % en Allemagne, soit près de douze points d'écart. Depuis, l'effet du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) commence à se faire sentir et les marges se redressent progressivement. Il reste que les dépenses publiques atteignent aujourd'hui 57 % du PIB, dont les dépenses sociales 31,6 %, soit respectivement dix et cinq points de plus qu'en Allemagne...
Vous avez été nombreux à évoquer notre tissu de PME et de PMI ; contrairement à ce que l'on peut dire parfois, les grandes entreprises sont extrêmement sensibles à la préservation de ce tissu dont elles ont grand besoin. À cet égard, le travail engagé par le Gouvernement pour renforcer les filières est excellent, de même que la démarche poussée par Philippe Varin, par ailleurs président du Cercle de l'industrie, pour créer une plateforme automobile capable de mobiliser la filière sur de grands programmes tels que le « véhicule 2 litres aux 100 kilomètres ». Ce travail est d'autant plus nécessaire que nos entreprises de taille intermédiaires (ETI) n'ont pas grandi assez vite et que l'on en compte entre deux et trois fois moins que d'autres pays.
Pour créer de l'emploi, il faut d'abord restaurer les marges, puis trouver des marchés et investir. L'industrie représente aujourd'hui 80 % de nos exportations, 80 % de la recherche et développement (R & D) et 50 % de la productivité nationale, ce qui témoigne de son importance. Quant aux grandes entreprises, elles représentaient dans leurs secteurs respectifs, en 2010, 50 % du chiffre d'affaires, 60 % des investissements et 36 % des effectifs.
En matière de délocalisations, les industriels ont parfois des contraintes liées à leur marché, ce qui n'est pas tout à fait le cas des exemples de l'Espagne ou du Portugal que vous citez, M. Lasserre : dans l'aéronautique, il s'agit d'utiliser au mieux toutes les capacités disponibles au niveau européen alors que le secteur peine aujourd'hui à recruter de nouvelles compétences.
Le crédit impôt recherche (CIR) est un point très positif qui a permis de gagner environ 25 % du coût d'un chercheur et nous considérons que sans le CIR, une part importante de la recherche et développement (R & D) aurait été délocalisée. En outre, le CIR encourage les PME à faire davantage de R & D, ce qui à terme devrait leur permettre de grandir.
Au cours des trois dernières années, le Gouvernement a déjà fait beaucoup : pacte de compétitivité en 2012, pacte de responsabilité en 2014, lois sur la sécurisation de l'emploi et sur la formation professionnelle. Toutes ces mesures vont dans le bon sens mais nous considérons cependant que cela ne va ni assez loin ni assez vite. Un chiffre en témoigne : l'allègement des charges à hauteur de 40 milliards d'euros ne représente qu'un tiers du chemin rapporté aux 113 milliards d'euros d'écarts de prélèvements entre la France et l'Allemagne. De même, la loi sur la sécurisation de l'emploi a des effets positifs mais limités : seuls des accords défensifs de maintien dans l'emploi peuvent être conclus alors que nous souhaiterions pouvoir négocier des accords offensifs, au plus près du terrain. L'expérience prouve que de tels accords ont permis d'absorber des pertes de marché très importantes, notamment dans l'automobile, et les usines repartent désormais.
Le Cercle de l'industrie organise quatre fois par an des rencontres entre des étudiants de tous horizons et des dirigeants de grandes entreprises ; il s'agit toujours de rencontres très riches et appréciées des deux parties. Nous travaillons également avec la Fabrique de l'industrie, un think tank créé par le Cercle, l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et le GFI pour mieux faire connaître l'industrie au travers de publications et de conférences.
Le numérique occupe beaucoup nos dirigeants et nous avons engagé un travail avec nos membres sur le sujet. Nous saluons à ce titre la reconfiguration des 34 plans industriels annoncée hier par le Président de la République et qui consiste à joindre au grand plan sur l'industrie du futur plusieurs des programmes lancés autour du numérique - grand réseau, big data, cyber-sécurité, objets connectés, etc. Le numérique recouvre deux grandes composantes : le marché, d'une part, avec la nécessité de remettre le client au centre de l'entreprise, et les données, d'autre part, qui ont aujourd'hui tendance à traverser l'Atlantique pour être exploitées par les grands opérateurs américains. Il y a là un travail important à mener aux niveaux français et européen.
Quant au lien entre numérique et emploi, il est certain que le numérique va transformer les emplois existants et créer de nouveaux métiers, dont la moitié au moins n'est pas encore connue ! Cela suppose un effort important de formation, non seulement auprès de nos jeunes mais aussi au sein même des entreprises. L'exemple de Michelin est significatif : alors que l'entreprise était réputée pour son culte du secret, son président l'a engagée dans une transformation numérique qui vise à faire rentrer les start-ups et les PME.
Bien qu'étant de plus en plus fréquemment hébergées par des grands groupes qui les accompagnent, nos start-ups rencontrent encore les plus grandes difficultés à se financer dès qu'elles veulent procéder à des levées de fonds très significatives. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour un développement massif du capital-risque ; à défaut, nos jeunes entrepreneurs partiront à l'étranger.
Le diagnostic est partagé en matière de formation professionnelle : sur les 32 milliards d'euros qui y sont consacrés chaque année, une bonne partie n'est pas utilisée comme il le faudrait. Nous recommandons de mettre les entreprises au coeur du dispositif car elles savent les emplois dont elles ont besoin. L'Éducation nationale doit s'assurer que les formations d'aujourd'hui correspondent bien aux emplois de demain. Enfin, les grands groupes prennent de nombreuses initiatives pour promouvoir l'apprentissage en alternance.