Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 avril 2015 à 9h32
Octroi de mer — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Plus de dix ans après la dernière réforme de l'octroi de mer, notre commission est à nouveau saisie d'un projet de loi tendant à modifier le régime de cette imposition, dont le principe remonte au « droit des poids » mis en place en 1670 sur les marchandises importées en Martinique.

Impôt méconnu en métropole, dans la mesure où il n'a vocation à s'appliquer que dans les départements d'outre-mer, il revêt pourtant un caractère essentiel pour ces territoires. En effet, il constitue tout d'abord une recette de près d'un milliard d'euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements, pour lesquelles il a représenté, en 2012, entre 38 % à la Réunion et 48 % en Martinique de leurs recettes fiscales. D'autre part, cette imposition vise au développement d'une production locale, en compensant une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent ces territoires, tels que l'éloignement, l'étroitesse des marchés locaux ou la dépendance vis-à-vis de la métropole.

En 2012, l'étude réalisée à la demande du Gouvernement par le cabinet de conseil et d'études Louis Lengrand a mis en avant l'importance vitale de ce dispositif pour de nombreuses entreprises ultramarines, en estimant l'aide apportée à un montant compris entre 170 millions et 250 millions d'euros par an.

Jusqu'en 1992, cette imposition s'apparentait à un droit de douane frappant les importations, c'est-à-dire, dans le cadre de l'octroi de mer, les marchandises entrant sur le territoire de ces départements, qu'elles proviennent de métropole, d'autres États membres de l'Union européenne ou de pays tiers. Ce dispositif était donc contraire aux principes de libre circulation et de non-discrimination prévus par les traités européens, en particulier l'acte unique de 1987.

C'est pourquoi le régime de l'octroi de mer a fait l'objet d'un strict encadrement communautaire, mis en oeuvre par des décisions successives du Conseil de 1989 et de 2004. Le dispositif actuellement en vigueur est issu de la décision du Conseil du 10 février 2004, transposée en droit interne par la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.

Il repose sur un mécanisme d'écarts de taux maximum pouvant être appliqués par les conseils régionaux - ou le conseil départemental à Mayotte - entre les productions locales et les importations de produits identiques ou similaires.

Concrètement, il est prévu pour chaque département une liste de produits, répartis en trois catégories A, B et C, pour lesquels les assemblées délibérantes peuvent mettre en place un taux différencié, selon qu'il s'agit d'une importation ou d'une production locale. À chacune de ces trois catégories correspond un différentiel maximum de taux s'élevant respectivement à 10, 20 et 30 points.

Prenons l'exemple des fromages pour lesquels l'écart maximum autorisé est de 10 points. Si le conseil régional de Guadeloupe décide de taxer les productions locales à hauteur de 7 %, le taux d'octroi de mer applicable aux importations de produits identiques ou similaires ne pourra pas excéder 17 %.

Le régime actuel devait s'éteindre le 30 juin 2014, avec des conséquences sur les recettes des collectivités concernées. La France a demandé à la Commission européenne sa reconduction, mais l'instruction s'est révélée particulièrement longue, Bruxelles ayant demandé à la France de justifier les différents surcoûts pour chaque produit. Le régime actuel a donc été reconduit temporairement à deux reprises, jusqu'au 31 décembre 2014 puis jusqu'au 30 juin 2015.

La décision du Conseil du 17 décembre 2014 a prévu la prorogation du dispositif d'octroi de mer jusqu'au 31 décembre 2020, sous réserve de diverses modifications devant être mises en oeuvre par la France à compter du 1er juillet 2015. Tel est l'objet du présent projet de loi, dont le Sénat est saisi après engagement de la procédure accélérée, qui prévoit également différentes mesures visant moderniser le dispositif de l'octroi de mer.

La principale mesure découlant directement de la décision du Conseil réside dans la fixation d'un seuil d'assujettissement à l'octroi de mer. Jusqu'à présent, l'ensemble des entreprises de production ultramarines y étaient assujetties, quelle que soit leur taille ou leur statut juridique, mais celles dont le chiffre d'affaires était inférieur à 550 000 euros étaient exonérées de plein droit.

Cette situation posait deux difficultés. D'une part, l'assujettissement de l'ensemble des entreprises devait permettre une meilleure connaissance du tissu économique ultramarin, mais dans les faits, les déclarations d'existence remplies par les petites entreprises étaient, soit inexistantes, soit lacunaires. D'autre part, cette obligation se traduisait par une charge administrative contraignante pour des entreprises dont les effectifs ne dépassent généralement pas un ou deux salariés.

Les autorités françaises ont donc demandé la fixation d'un seuil d'assujettissement à 300 000 euros, les entreprises n'atteignant pas ce seuil n'étant donc plus soumises à l'obligation de transmettre une déclaration d'existence auprès de la douane. Puisque l'obligation n'était pas respectée, autant la supprimer !

En contrepartie, l'ensemble des entreprises assujetties seront taxables à l'octroi de mer, c'est-à-dire que les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 300 000 euros et 550 000 euros ne seront plus exonérées de plein droit. L'étude d'impact du présent projet de loi estime à 650 environ le nombre d'entreprises concernées et à 2,5 millions d'euros le surcroît de recettes fiscales pour les collectivités.

Il s'agissait là d'un souhait de Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, de permettre à ces territoires de bénéficier de recettes supplémentaires.

Ce choix a été critiqué par les conseils régionaux, à l'exception de celui de Guadeloupe, ainsi que par les organismes socio-professionnels, dans la mesure où il se traduira pour les entreprises concernées par des obligations déclaratives plus contraignantes et donc par un coût supplémentaire estimé, pour l'ensemble d'entre elles, à près de 800 000 euros la première année.

Pour autant, cette disposition étant désormais inscrite dans la décision du Conseil de décembre dernier, elle s'impose au législateur.

Ce texte contient en outre différentes mesures nationales destinées à actualiser et à améliorer le dispositif issu de la loi de 2004, qui semblent aller dans un sens favorable aux entreprises et aux économies des départements d'outre-mer. Sont notamment prévues, d'une part, l'extension du champ des exonérations aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l'avitaillement des bateaux et des aéronefs et aux importations de biens destinés à certains opérateurs et, d'autre part, la mise en place d'un nouveau cas de déductibilité de l'octroi de mer.

Concrètement, une entreprise dont le chiffre d'affaires atteint le seuil de 300 000 euros en année N et qui sera donc assujettie en année N+1, pourra déduire de l'octroi de mer dû, l'octroi de mer qui a grevé les biens d'investissement qu'elle a acquis en année N et N-1.

Si la plupart des acteurs ont regretté le choix d'un seuil d'assujettissement à 300 000 euros, les autres mesures contenues dans le présent projet de loi ont été plutôt bien accueillies, tant du côté des collectivités concernées que de celui des organismes socio-professionnels des départements d'outre-mer.

Je vous présenterai tout à l'heure vingt-trois amendements visant à améliorer la rédaction du projet de loi, à corriger des oublis et à mettre en place ou à améliorer certains dispositifs. Ils prévoient notamment : l'augmentation des plafonds de taux d'octroi de mer, l'encadrement par décret du champ des secteurs économiques dont les importations pourront être exonérées d'octroi de mer, l'élargissement du champ des secteurs d'activité dont les carburants pourront être exonérés et la remise au Parlement du rapport de mi-parcours transmis par le Gouvernement à la Commission européenne.

En définitive, si l'on peut se féliciter du maintien d'un outil indispensable pour les collectivités et les entreprises des départements d'outre-mer, un point demeure toutefois en suspens s'agissant des relations entre le marché unique antillais et la Guyane.

Depuis 2004, les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique d'une part, qui forment un « marché unique antillais », et la Guyane d'autre part, sont soumis à un dispositif dérogatoire en matière d'octroi de mer : la taxation se fait sur le lieu de production et non sur le lieu de livraison, comme cela est normalement le cas.

Cette disposition serait sans incidence si le degré de maturité de ces deux marchés était comparable. Or, force est de constater que cela n'est pas le cas. Lorsque les listes de produits pouvant bénéficier d'un différentiel de taux ont été établies pour la Guyane en 2004, seul un faible nombre de marchandises avaient été retenues, dans la mesure où la plupart des entreprises guyanaises bénéficiaient d'une exonération de plein droit. Cette situation était, par conséquent, extrêmement favorable aux importations et a rendu plus difficile l'émergence d'un tissu productif guyanais.

Les listes de produits guyanaises ont certes fait l'objet d'une actualisation en 2008, 2011 et 2014. Néanmoins, l'existence d'un marché antillo-guyanais rend inopérant le mécanisme du différentiel de taux pour les importations en provenance de la Guadeloupe ou de la Martinique. En effet, un bien produit en Martinique ou en Guadeloupe et destiné à la Guyane est taxé en Martinique ou en Guadeloupe et non en Guyane. Si ce produit figure sur les listes guadeloupéennes ou martiniquaises, le conseil régional peut décider d'appliquer un taux de 0 %. L'importation de ce bien en Guyane s'effectuera donc sans avoir eu à supporter l'octroi de mer.

Au cours des auditions que j'ai menées dans le cadre de la préparation du présent rapport, ce sujet est apparu comme une difficulté majeure. N'étant pas en mesure de chiffrer les impacts des différentes solutions qui m'ont été soumises, il ne m'a pas été possible de proposer des amendements visant à rééquilibrer cette situation.

Une réunion doit se tenir le 28 avril prochain sur ce sujet, qui rassemblera des parlementaires et des représentants des exécutifs locaux des départements concernés. Des amendements ont déjà été déposés par notre collègue Georges Patient, sur lesquels je me prononcerai tout à l'heure. Il me semble néanmoins nécessaire d'attendre les conclusions de la réunion du 28 avril avant de nous prononcer au fond sur telle ou telle mesure.

Je serai par conséquent attentif aux initiatives qui pourront être prises sur ce sujet dans la perspective de la séance publique.

L'octroi de mer est donc un dispositif complexe, mais essentiel pour ces territoires, avec des différences importantes entre les Antilles et la Guyane, qui mettent en effervescence ces territoires. Les décisions que nous prendrons risquent d'y avoir des conséquences importantes.

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