La réunion est ouverte à 9 h 32.
La commission procède à l'examen du rapport de M. Eric Doligé et à l'élaboration du texte de la commission sur le projet de loi n° 366 (2014-2015) modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
Le texte qui nous est soumis ce matin est particulièrement complexe, mais représente un enjeu important pour les départements d'outre-mer. Je pense en particulier à la Guyane et je souligne d'ailleurs que notre collègue Georges Patient ne peut être présent ce matin car il est retenu en outre-mer.
Il participe en effet au déplacement aux Antilles et en Guyane de la délégation sénatoriale à l'outre-mer.
Plus de dix ans après la dernière réforme de l'octroi de mer, notre commission est à nouveau saisie d'un projet de loi tendant à modifier le régime de cette imposition, dont le principe remonte au « droit des poids » mis en place en 1670 sur les marchandises importées en Martinique.
Impôt méconnu en métropole, dans la mesure où il n'a vocation à s'appliquer que dans les départements d'outre-mer, il revêt pourtant un caractère essentiel pour ces territoires. En effet, il constitue tout d'abord une recette de près d'un milliard d'euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements, pour lesquelles il a représenté, en 2012, entre 38 % à la Réunion et 48 % en Martinique de leurs recettes fiscales. D'autre part, cette imposition vise au développement d'une production locale, en compensant une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent ces territoires, tels que l'éloignement, l'étroitesse des marchés locaux ou la dépendance vis-à-vis de la métropole.
En 2012, l'étude réalisée à la demande du Gouvernement par le cabinet de conseil et d'études Louis Lengrand a mis en avant l'importance vitale de ce dispositif pour de nombreuses entreprises ultramarines, en estimant l'aide apportée à un montant compris entre 170 millions et 250 millions d'euros par an.
Jusqu'en 1992, cette imposition s'apparentait à un droit de douane frappant les importations, c'est-à-dire, dans le cadre de l'octroi de mer, les marchandises entrant sur le territoire de ces départements, qu'elles proviennent de métropole, d'autres États membres de l'Union européenne ou de pays tiers. Ce dispositif était donc contraire aux principes de libre circulation et de non-discrimination prévus par les traités européens, en particulier l'acte unique de 1987.
C'est pourquoi le régime de l'octroi de mer a fait l'objet d'un strict encadrement communautaire, mis en oeuvre par des décisions successives du Conseil de 1989 et de 2004. Le dispositif actuellement en vigueur est issu de la décision du Conseil du 10 février 2004, transposée en droit interne par la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
Il repose sur un mécanisme d'écarts de taux maximum pouvant être appliqués par les conseils régionaux - ou le conseil départemental à Mayotte - entre les productions locales et les importations de produits identiques ou similaires.
Concrètement, il est prévu pour chaque département une liste de produits, répartis en trois catégories A, B et C, pour lesquels les assemblées délibérantes peuvent mettre en place un taux différencié, selon qu'il s'agit d'une importation ou d'une production locale. À chacune de ces trois catégories correspond un différentiel maximum de taux s'élevant respectivement à 10, 20 et 30 points.
Prenons l'exemple des fromages pour lesquels l'écart maximum autorisé est de 10 points. Si le conseil régional de Guadeloupe décide de taxer les productions locales à hauteur de 7 %, le taux d'octroi de mer applicable aux importations de produits identiques ou similaires ne pourra pas excéder 17 %.
Le régime actuel devait s'éteindre le 30 juin 2014, avec des conséquences sur les recettes des collectivités concernées. La France a demandé à la Commission européenne sa reconduction, mais l'instruction s'est révélée particulièrement longue, Bruxelles ayant demandé à la France de justifier les différents surcoûts pour chaque produit. Le régime actuel a donc été reconduit temporairement à deux reprises, jusqu'au 31 décembre 2014 puis jusqu'au 30 juin 2015.
La décision du Conseil du 17 décembre 2014 a prévu la prorogation du dispositif d'octroi de mer jusqu'au 31 décembre 2020, sous réserve de diverses modifications devant être mises en oeuvre par la France à compter du 1er juillet 2015. Tel est l'objet du présent projet de loi, dont le Sénat est saisi après engagement de la procédure accélérée, qui prévoit également différentes mesures visant moderniser le dispositif de l'octroi de mer.
La principale mesure découlant directement de la décision du Conseil réside dans la fixation d'un seuil d'assujettissement à l'octroi de mer. Jusqu'à présent, l'ensemble des entreprises de production ultramarines y étaient assujetties, quelle que soit leur taille ou leur statut juridique, mais celles dont le chiffre d'affaires était inférieur à 550 000 euros étaient exonérées de plein droit.
Cette situation posait deux difficultés. D'une part, l'assujettissement de l'ensemble des entreprises devait permettre une meilleure connaissance du tissu économique ultramarin, mais dans les faits, les déclarations d'existence remplies par les petites entreprises étaient, soit inexistantes, soit lacunaires. D'autre part, cette obligation se traduisait par une charge administrative contraignante pour des entreprises dont les effectifs ne dépassent généralement pas un ou deux salariés.
Les autorités françaises ont donc demandé la fixation d'un seuil d'assujettissement à 300 000 euros, les entreprises n'atteignant pas ce seuil n'étant donc plus soumises à l'obligation de transmettre une déclaration d'existence auprès de la douane. Puisque l'obligation n'était pas respectée, autant la supprimer !
En contrepartie, l'ensemble des entreprises assujetties seront taxables à l'octroi de mer, c'est-à-dire que les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 300 000 euros et 550 000 euros ne seront plus exonérées de plein droit. L'étude d'impact du présent projet de loi estime à 650 environ le nombre d'entreprises concernées et à 2,5 millions d'euros le surcroît de recettes fiscales pour les collectivités.
Il s'agissait là d'un souhait de Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, de permettre à ces territoires de bénéficier de recettes supplémentaires.
Ce choix a été critiqué par les conseils régionaux, à l'exception de celui de Guadeloupe, ainsi que par les organismes socio-professionnels, dans la mesure où il se traduira pour les entreprises concernées par des obligations déclaratives plus contraignantes et donc par un coût supplémentaire estimé, pour l'ensemble d'entre elles, à près de 800 000 euros la première année.
Pour autant, cette disposition étant désormais inscrite dans la décision du Conseil de décembre dernier, elle s'impose au législateur.
Ce texte contient en outre différentes mesures nationales destinées à actualiser et à améliorer le dispositif issu de la loi de 2004, qui semblent aller dans un sens favorable aux entreprises et aux économies des départements d'outre-mer. Sont notamment prévues, d'une part, l'extension du champ des exonérations aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l'avitaillement des bateaux et des aéronefs et aux importations de biens destinés à certains opérateurs et, d'autre part, la mise en place d'un nouveau cas de déductibilité de l'octroi de mer.
Concrètement, une entreprise dont le chiffre d'affaires atteint le seuil de 300 000 euros en année N et qui sera donc assujettie en année N+1, pourra déduire de l'octroi de mer dû, l'octroi de mer qui a grevé les biens d'investissement qu'elle a acquis en année N et N-1.
Si la plupart des acteurs ont regretté le choix d'un seuil d'assujettissement à 300 000 euros, les autres mesures contenues dans le présent projet de loi ont été plutôt bien accueillies, tant du côté des collectivités concernées que de celui des organismes socio-professionnels des départements d'outre-mer.
Je vous présenterai tout à l'heure vingt-trois amendements visant à améliorer la rédaction du projet de loi, à corriger des oublis et à mettre en place ou à améliorer certains dispositifs. Ils prévoient notamment : l'augmentation des plafonds de taux d'octroi de mer, l'encadrement par décret du champ des secteurs économiques dont les importations pourront être exonérées d'octroi de mer, l'élargissement du champ des secteurs d'activité dont les carburants pourront être exonérés et la remise au Parlement du rapport de mi-parcours transmis par le Gouvernement à la Commission européenne.
En définitive, si l'on peut se féliciter du maintien d'un outil indispensable pour les collectivités et les entreprises des départements d'outre-mer, un point demeure toutefois en suspens s'agissant des relations entre le marché unique antillais et la Guyane.
Depuis 2004, les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique d'une part, qui forment un « marché unique antillais », et la Guyane d'autre part, sont soumis à un dispositif dérogatoire en matière d'octroi de mer : la taxation se fait sur le lieu de production et non sur le lieu de livraison, comme cela est normalement le cas.
Cette disposition serait sans incidence si le degré de maturité de ces deux marchés était comparable. Or, force est de constater que cela n'est pas le cas. Lorsque les listes de produits pouvant bénéficier d'un différentiel de taux ont été établies pour la Guyane en 2004, seul un faible nombre de marchandises avaient été retenues, dans la mesure où la plupart des entreprises guyanaises bénéficiaient d'une exonération de plein droit. Cette situation était, par conséquent, extrêmement favorable aux importations et a rendu plus difficile l'émergence d'un tissu productif guyanais.
Les listes de produits guyanaises ont certes fait l'objet d'une actualisation en 2008, 2011 et 2014. Néanmoins, l'existence d'un marché antillo-guyanais rend inopérant le mécanisme du différentiel de taux pour les importations en provenance de la Guadeloupe ou de la Martinique. En effet, un bien produit en Martinique ou en Guadeloupe et destiné à la Guyane est taxé en Martinique ou en Guadeloupe et non en Guyane. Si ce produit figure sur les listes guadeloupéennes ou martiniquaises, le conseil régional peut décider d'appliquer un taux de 0 %. L'importation de ce bien en Guyane s'effectuera donc sans avoir eu à supporter l'octroi de mer.
Au cours des auditions que j'ai menées dans le cadre de la préparation du présent rapport, ce sujet est apparu comme une difficulté majeure. N'étant pas en mesure de chiffrer les impacts des différentes solutions qui m'ont été soumises, il ne m'a pas été possible de proposer des amendements visant à rééquilibrer cette situation.
Une réunion doit se tenir le 28 avril prochain sur ce sujet, qui rassemblera des parlementaires et des représentants des exécutifs locaux des départements concernés. Des amendements ont déjà été déposés par notre collègue Georges Patient, sur lesquels je me prononcerai tout à l'heure. Il me semble néanmoins nécessaire d'attendre les conclusions de la réunion du 28 avril avant de nous prononcer au fond sur telle ou telle mesure.
Je serai par conséquent attentif aux initiatives qui pourront être prises sur ce sujet dans la perspective de la séance publique.
L'octroi de mer est donc un dispositif complexe, mais essentiel pour ces territoires, avec des différences importantes entre les Antilles et la Guyane, qui mettent en effervescence ces territoires. Les décisions que nous prendrons risquent d'y avoir des conséquences importantes.
L'octroi de met est une taxe française, mais d'autres États membres ont-ils des dispositifs équivalents pour leurs propres territoires ultramarins ?
Les Canaries sont aussi des régions ultrapériphériques au sens du droit communautaire et bénéficient également de dispositifs analogues.
Les questions qui se posent dans le cas français sont celles du changement de seuil et des échanges entre les Antilles et la Guyane. La Martinique et la Guadeloupe ont trouvé une solution interne mettant en oeuvre un mécanisme de compensation. Ce n'est malheureusement pas le cas avec la Guyane, ce qui pose un vrai problème. Elle souhaiterait dès lors sortir de ce « marché unique ».
Je m'interroge, en tant qu'écologiste, sur la pertinence d'exonérer les carburants à usage professionnel, qui sont une énergie d'origine fossile. Comment la Commission européenne a-t-elle accueilli cela et quel est le coût de cette mesure ?
Il s'agit uniquement d'une faculté ouverte aux collectivités territoriales. L'Union européenne ne s'est pas opposée à cette possibilité, qui concerne un produit très important pour l'économie locale. Je rappelle que la Guyane ne peut pas importer de carburants du Brésil, car ils ne respectent pas la norme « Euro 6 », alors que c'était le cas quand nous en étions encore à la norme « Euro 5 ». Il faut donc, pour l'essentiel, l'importer de métropole, ce qui représente un coût significatif, d'où la possibilité d'exonération qui est ouverte aux collectivités locales.
Je suis réservé sur cette imposition, qui certes représente une recette importante pour les collectivités territoriales, mais contribue également à alimenter la « vie chère » pour ces territoires. L'octroi de mer doit favoriser les productions locales, mais par exemple il n'y a pas de production locale de carburant !
L'octroi de mer a en effet une dimension d'aide au développement d'une production locale, mais je souligne que les carburants sont utilisés dans de nombreux secteurs de l'économie et que donc leur prix a un effet sur l'ensemble de ces secteurs.
S'agissant de la « vie chère », l'étude du cabinet Lengrand a montré que l'imposition des produits en outre-mer n'était pas supérieure à ce qu'elle est en métropole, du fait des différences en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L'impact sur les prix est donc relatif.
Enfin, j'insiste sur l'importance de cette recette pour les collectivités territoriales : entre 38 % et 48 % des recettes communales et un milliard d'euros en tout. Si on le supprimait, il faudrait trouver un système alternatif... mais je ne vois pas quelle forme il prendrait. L'octroi de mer est complexe mais il est adaptable, ce qui est important, et permet d'aider les productions locales, sous la réserve de la situation particulière de la Guyane dans le cadre du « marché antillo-guyanais ».
Cela dépend des territoires ; elle ne s'applique pas en Guyane par exemple.
Y a-t-il des recettes locales « métropolitaines » que ces territoires ultramarins ne perçoivent pas ?
Je dirais qu'il y a surtout des difficultés dans le recouvrement des impositions... Il n'y a pas de cadastre, les systèmes informatiques ne sont pas suffisants et les permis de construire sont parfois « oubliés »... Par ailleurs, je rappelle qu'en Guyane, la moitié de la population environ n'est pas recensée. L'assiette des impositions s'en trouve donc diminuée.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 1er
Article 2
Article 3
L'amendement de coordination n° 19 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4
L'amendement rédactionnel n° 20 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
Les amendements n° 2 et 3 de Georges Patient visent à mettre fin au régime dérogatoire qui prévaut dans les échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Je comprends l'intention de l'auteur, mais il n'est pas sans poser problème, d'autant plus qu'aucune étude d'impact n'a été réalisée sur ce sujet. Cette question fait l'objet d'une tension croissante entre les différentes collectivités : je crois qu'il faut attendre la réunion entre ces collectivités, qui doit se tenir sous l'égide du ministère le 28 avril prochain, pour trouver une solution. En effet, si la Guyane sortait de ce marché, comme le prévoit cet amendement, cela porterait fortement atteinte aux exportations de la Martinique vers la Guyane, qui représentent un volume annuel d'environ 26 millions d'euros et des recettes de l'ordre de 4 millions d'euros pour la collectivité. Je suis donc défavorable à cet amendement, en renvoyant ce débat à la séance, qui aura lieu après la réunion évoquée.
Les amendements n° 13 et 12 de Joël Guerriau visent à exonérer les livraisons de biens destinés respectivement à l'accomplissement des missions de l'État et aux seuls services départementaux d'incendie et de secours. Je comprends certes l'objectif de ces amendements, mais l'exonération de droit prive les collectivités à la fois de leur liberté de choix d'exonération et d'une recette fiscale.
Les amendements n° 12 et 13 ne sont pas adoptés. L'amendement rédactionnel n° 21 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 6 est adopté sans modification.
Article 7
Pour les mêmes raisons que précédemment, à savoir le fait qu'il est préférable de laisser aux collectivités le choix d'exonérer ou non certains biens, je suis défavorable à l'amendement n° 4 de Georges Patient.
Nous nous abstenons sur cet amendement.
L'amendement n° 4 n'est pas adopté.
Je suis défavorable à l'amendement n° 5 de Georges Patient qui, dans sa rédaction, n'est sans doute pas nécessaire pour préciser le champ de l'exonération en matière d'activités scientifiques, de recherche et d'enseignement. En outre, cet amendement est incompatible avec l'amendement n° 22 que je vous propose d'adopter.
Nous nous abstenons sur cet amendement.
L'amendement n° 5 n'est pas adopté.
Dans le même esprit que les amendements n° 12 et 13, les amendements n° 14 et 15 de Joël Guerriau visent à prévoir une exonération pour les livraisons de biens nécessaires à l'accomplissement des missions de l'État et aux services d'incendie et de secours. Je crois qu'il faut laisser aux collectivités la faculté d'exonérer sans prévoir d'exonération de droit. En outre, leur objectif me semble, dans une large mesure, satisfait par l'article 6 de la loi de 2004, tel que modifié par l'article 7 du présent projet de loi.
Les amendements n° 14 et 15 ne sont pas adoptés. L'amendement rédactionnel n° 22 est adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 8
L'amendement rédactionnel n° 23 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 9
Là encore, je suis défavorable à l'amendement n° 6 de Georges Patient, car il convient de laisser aux collectivités le choix d'exonérer ou non.
Nous sommes également défavorables à cet amendement.
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Mon amendement n° 24 vise à étendre le champ des secteurs d'activité pouvant bénéficier de l'exonération prévue à l'article 9 du présent projet de loi et accordée par les conseils régionaux. Afin de diminuer le risque de fraude, il précise que seuls les carburants ayant fait l'objet d'une adjonction de produits colorants et d'agents traceurs pourront bénéficier de cette exonération.
L'amendement n° 24 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 10 est adopté sans modification.
Article 11
Mon amendement n° 26 vise à réintroduire une disposition supprimée dans la rédaction de l'article 9 de la loi du 2 juillet 2004. Cet article 9 précité prévoit actuellement que la base taxable des biens expédiés depuis un département d'outre-mer pour une opération de réparation, d'amélioration ou toute autre opération qui, sans changer la nature de ce bien, l'améliore, est constituée du seul prix payé ou à payer au prestataire. Le présent amendement prévoit de maintenir l'exclusion des importations entre le marché unique antillais et la Guyane de ce dispositif.
Nous nous abstenons sur cet amendement.
L'amendement n° 26 est adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 12
L'amendement de clarification n° 28 est adopté.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 13
L'amendement de cohérence n° 29 est adopté.
L'article 13 est supprimé.
Article 14
L'amendement rédactionnel n° 31 est adopté.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 15
L'article 15 est adopté sans modification.
Article 16
L'amendement n° 7 de Georges Patient vise à exclure du droit à déduction l'octroi de mer qui a frappé les importations de biens d'investissement figurant dans les listes de produits pouvant faire l'objet d'un différentiel de taux. Je suis défavorable à cet amendement qui pourrait pénaliser les entreprises dépendant de ces importations.
Article 17
L'amendement rédactionnel n° 27 est adopté.
L'article 17 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 18
L'article 18 est adopté sans modification.
Article 19
L'article 19 est adopté sans modification.
Article 20
L'article 20 du présent projet de loi vise notamment à fixer un plafond maximum de taux d'octroi de mer pouvant être mis en place par les conseils régionaux s'élevant à 50 % pour le droit commun et à 80 % pour les produits alcooliques et les tabacs manufacturés. À Mayotte, ces taux peuvent en outre être majorés de moitié. Or, il apparaît que ces taux sont inférieurs à ceux actuellement en vigueur dans certains départements d'outre-mer. L'amendement n° 30 vise par conséquent de majorer ces taux de 10 points afin de les porter, respectivement, à 60 % et 90 %.
En clair, si cet amendement n'était pas adopté, il y aurait une perte de recettes par rapport à la situation actuelle...
à moins de consommer davantage. Mon amendement propose donc de rétablir la faculté de fixer les taux au niveau qui est actuellement le leur.
Comment expliquer que Mayotte puisse taxer les boissons alcooliques à 90 % ?
Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
L'amendement n° 30 est adopté.
L'article 20 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 21
L'article 21 est adopté sans modification.
Article 22
L'article 22 est adopté sans modification.
Article 23
L'amendement rédactionnel n° 32 est adopté.
L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 24
L'amendement rédactionnel n° 33 est adopté.
L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 25
L'article 25 est adopté sans modification.
Article 26
L'article 26 est adopté sans modification.
Article 27
L'amendement de précision n° 34 est adopté.
L'article 27 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 28
L'article 28 est adopté sans modification.
Article 29
L'amendement rédactionnel n° 35 est adopté.
L'article 29 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 29
L'amendement rédactionnel n° 38 est adopté et devient l'article 29 bis.
Article 30
L'article 30 est adopté sans modification.
Article 31
L'article 31 est adopté sans modification.
Article 32
L'amendement n° 8 rectifié de Georges Patient vise à modifier la répartition de la « dotation globale garantie » en Guyane. Le droit commun prévoit en effet que l'octroi de mer est affecté à une dotation globale garantie, répartie entre les communes de chaque département d'outre-mer. En Guyane la situation est différente : depuis 1977, afin de soulager la situation financière fragile du département, celui-ci reçoit 27 millions d'euros, qui viennent en déduction de la part revenant aux communes guyanaises. Cet amendement vise à exclure le département de Guyane de la répartition de l'octroi de mer, afin que seules les communes guyanaises en bénéficient. Je rappelle que la Guyane est un des départements qui souffrent le plus, avec un taux de chômage considérable et un niveau de vie inférieur de 50 % à celui de la métropole. Je suis défavorable à cet amendement qui déstabiliserait les finances du département de Guyane, puisqu'il n'est pas prévu de compensation à la suppression de ces 27 millions d'euros de recettes.
Nous nous abstenons sur cet amendement.
L'amendement n° 8 n'est pas adopté.
L'article 32 est adopté sans modification.
Article 33
Article 34
L'amendement rédactionnel n° 37 est adopté.
L'article 34 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 35
L'article 35 est adopté sans modification.
Article 36
L'article 36 est adopté sans modification.
Article additionnel après l'article 36
Je suis souvent en accord avec les analyses de Georges Patient, mais je suis là encore défavorable à son amendement n° 9. Celui-ci vise à lever les secrets fiscal et statistique, pour permettre aux conseils régionaux de mieux mesurer les effets des décisions qu'ils prennent en matière d'octroi de mer. On comprend bien qu'il y ait besoin d'un certain nombre d'informations pour prendre des décisions - la remarque vaut aussi pour les autres lois que nous examinons - mais dans ce cas particulier, cela obligerait à lever le secret fiscal, ce qui me paraît difficile.
Nous nous abstenons sur cet amendement.
L'amendement n° 9 n'est pas adopté.
La décision du Conseil du 17 décembre 2014 prévoit que la France soumet à la Commission européenne, au plus tard le 31 décembre 2017, un rapport relatif à l'application du régime de l'octroi de mer dans les régions ultrapériphériques françaises. L'amendement n° 39 prévoit simplement que le Parlement soit également destinataire de ce rapport, ce qui me paraît important, logique et de nature à améliorer notre l'information du Parlement sur le sujet.
Le sous-amendement n° 40 rectifié de Georges Patient prolonge utilement l'amendement que je viens de présenter. Il prévoit que le rapport remis au Parlement comporte une évaluation de l'abaissement du seuil de taxation. Je vous rappelle que celui-ci passe de 550 000 à 300 000, ce qui nécessite une analyse.
Article 37
L'article 37 est adopté sans modification.
L'ensemble du projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Puis, la commission entend une communication de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur les conclusions de son contrôle des établissements et services d'aide par le travail (ESAT), dans le cadre du contrôle budgétaire.
Les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) accueillent des personnes handicapées qui n'ont pas la capacité d'exercer une activité professionnelle en milieu ordinaire de travail afin de leur proposer un emploi rémunéré.
Bien qu'étant des établissements médico-sociaux, les ESAT ne sont pas financés par l'assurance-maladie via la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), mais par le budget de l'État à travers des crédits inscrits au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dont je suis rapporteur spécial. Ils constituent un volet important de la politique de l'État en faveur des personnes handicapées, pour un montant de 2,75 milliards d'euros inscrit en loi de finances pour 2015, sur un total de 11,6 milliards d'euros consacrés par l'État au handicap.
Ce montant se décompose en deux dépenses principales. D'une part, les ESAT perçoivent une dotation de fonctionnement de l'État, dont le montant est déterminé par les Agences régionales de santé (ARS), qui permet notamment de rémunérer les personnels encadrants. Le montant total de cette dotation est de 1,47 milliard d'euros. D'autre part, les travailleurs handicapés bénéficient d'une rémunération garantie, qui varie entre 55 % et 110 % du SMIC et qui est financée pour grande part l'État au titre de l'aide au poste et pour une part moindre par les ESAT eux-mêmes (environ 11 % du SMIC en moyenne). La part de la rémunération prise en charge par l'État diminue à mesure que celle de l'ESAT augmente. Les crédits alloués par l'État à cette rémunération garantie s'élèvent à 1,28 milliard d'euros.
La dépense en faveur des ESAT est dynamique, et progresse quasi-mécaniquement du fait de l'augmentation de la masse salariale, c'est-à-dire de la rémunération des encadrants, mais aussi de la rémunération des travailleurs handicapés. Elle a ainsi progressé de près de 15 % entre 2008 et 2015, soit environ 2 % par an en moyenne.
Les ESAT ont une double mission à la fois médico-sociale, d'accompagnement des personnes accueillies afin de favoriser leur épanouissement personnel, et commerciale, de production de biens et services marchands. Cette double mission est souvent synonyme de tiraillements, voire de contradictions pour les établissements et leurs gestionnaires. En effet, ceux-ci doivent proposer la meilleure qualité de prise en charge possible tout en assurant leur équilibre économique par des débouchés et une productivité du travail suffisants, ainsi qu'une production répondant aux exigences de leurs clients.
Or, cet équilibre s'avère de plus en plus difficile à assurer pour les ESAT, et ce pour plusieurs raisons.
D'une part, les ESAT font face à une évolution de la population qu'ils accueillent, du fait du vieillissement des travailleurs handicapés et du nombre croissant de personnes souffrant d'un handicap psychique présents en établissement. Cette évolution rend nécessaire l'adaptation de leur modèle de prise en charge. La fatigabilité accrue des travailleurs vieillissants nécessite de développer le temps partiel et d'assurer une meilleure articulation entre les ESAT et les structures occupationnelles comme les foyers de vie, afin de permettre aux usagers qui le souhaitent d'alterner entre ces structures. Par ailleurs, les personnels encadrants sont parfois insuffisamment formés aux difficultés particulières que pose l'accompagnement de personnes handicapées psychiques et notamment aux troubles du comportement que celles-ci peuvent présenter.
D'autre part, les ESAT sont confrontés à un contexte économique qui leur est moins favorable, et qui rend plus difficile l'équilibre de leur budget commercial. Malgré des conditions de travail particulières, les ESAT sont considérés par leurs clients comme des partenaires économiques à part entière dont ils attendent le même professionnalisme et la même qualité de service. Les ESAT sont donc en concurrence avec les entreprises du milieu ordinaire, mais aussi avec les entreprises adaptées, qui accueillent des personnes handicapées dont la capacité de travail est supérieure à celle des travailleurs d'ESAT. Les activités historiques des ESAT, comme le conditionnement et l'emballage, qui représentent une part substantielle de leur activité, sont de plus en plus soumises à cette concurrence et sont peu rentables. Par ailleurs, les marchés que contractent les ESAT sont souvent de plus petite taille et d'une durée plus limitée. Cette situation contraint les ESAT à devoir développer leurs activités dans des secteurs porteurs et davantage rentables comme la restauration d'entreprise, les espaces verts ou les prestations de traiteur.
Ainsi, les ESAT doivent adapter les modalités de leur accompagnement et investir dans de nouveaux outils de production et dans la formation des travailleurs, ce qui a un coût. Or parallèlement, les financements dont ils bénéficient sont de plus en plus contraints.
Tout d'abord, un processus de convergence tarifaire a été mis en place à partir de 2009, face aux écarts de coût à la place existants entre les établissements. Cela s'est traduit pas la mise en place de tarifs plafonds, et par la réduction des dotations des établissements les dépassant en 2011 et 2012, soit environ 10 % des structures. Le tarif plafond instauré en 2009 n'a pas été revalorisé pendant quatre ans. Il a fallu une décision du Conseil d'État, qui a annulé l'arrêté tarifaire du 2 mai 2012, pour qu'il soit revalorisé en 2014. La juridiction administrative a en effet considéré que les pouvoirs publics avaient commis une « erreur manifeste d'appréciation » en maintenant ce tarif au même niveau sans en mesurer les conséquences sur la situation des établissements.
Par ailleurs, si les crédits dédiés aux dotations de fonctionnement des ESAT progressent chaque année, cette évolution ne couvre pas l'augmentation de leurs charges. Cela se traduit par une baisse de leur financement réel. Certains ESAT doivent donc ponctionner leur budget commercial afin d'assurer l'équilibre de leur budget médico-social, ou diminuer leur taux d'encadrement, ce qui se traduit par une dégradation de la qualité de la prise en charge des usagers.
En outre, le plan d'investissement prévu chaque année en loi de finances pour accompagner la modernisation des ESAT est largement insuffisant. La loi de finances pour 2015 a ainsi prévu un montant de 2 millions d'euros, soit une dotation moyenne de 1500 euros par établissement. Or les ESAT sont parmi les structures les plus anciennes du secteur médico-social et font face à d'importants besoins de rénovation, ne serait-ce que pour se conformer aux normes de sécurité. Surtout ils doivent investir dans la modernisation de leur appareil productif, ce qui nécessite des financements plus importants. En 2013, seuls douze ESAT ont bénéficié d'une aide à l'investissement et les projets financés ne concernaient que des mises aux normes ou des réfections.
Enfin, cette contrainte budgétaire s'est traduite par un gel des créations de place à partir de 2013. Ainsi, alors que le programme pluriannuel de création de places initié à l'occasion de la Conférence nationale du handicap de 2008 prévoyait la création de 10 000 places supplémentaires en ESAT, seules 6 400 ont été effectivement créées et financées. Pourtant, le nombre de personnes en attente de placement en ESAT demeure important d'après les enquêtes qui peuvent être menées.
Au cours de ce contrôle, un autre point m'a paru frappant. Il s'agit du fait que les ARS et l'administration centrale ne disposent pas d'informations consolidées sur les besoins en termes de placement en ESAT. En effet, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui sont chargées de l'instruction des dossiers et de l'orientation des personnes handicapées, disposent chacune de leur propre système d'information. Il n'est donc pas possible de connaître aux niveaux régional ou national le nombre de demandes de placement en ESAT ou le nombre de personnes en attente de placement, ce qui est un vrai problème pour organiser l'offre sur le territoire.
De même, j'ai constaté, à l'occasion des déplacements en ESAT que j'ai effectués, qu'il y avait parfois un manque de dialogue entre les ARS et les ESAT. Ceux-ci se voient souvent informés des montants qui leur sont alloués sans qu'il y ait eu d'échange préalable avec leur tutelle sur ces montants ni d'ailleurs sur les objectifs que doit poursuivre l'établissement. Le dialogue de gestion est à parfaire, et le nombre d'établissements ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) est insuffisant.
J'en viens maintenant aux perspectives d'évolution des ESAT. Un des axes de transformation porté par l'administration consiste à encourager le développement de passerelles entre le milieu protégé en le milieu ordinaire. En effet, on constate que le nombre de personnes handicapées qui sortent des ESAT pour rejoindre une activité professionnelle dans une entreprise ou dans une collectivité publique est très faible (entre 1 %et 2 % annuellement). Or le législateur, en particulier avec la loi « handicap » du 11 février 2005, a insisté sur la priorité accordée à l'insertion dans la vie ordinaire et à l'accès aux dispositifs de droit commun, notamment en matière d'emploi. L'objectif visé est donc que les ESAT, en permettant de conforter la capacité de travail et d'autonomie de leurs travailleurs, soient davantage un tremplin vers l'emploi ordinaire.
L'insertion en milieu ordinaire passe par deux modalités principales : l'intégration directe en entreprise par la signature d'un contrat de travail, ou la mise à disposition d'un travailleur handicapé en entreprise. Il existe d'ailleurs des ESAT dits « hors les murs », qui n'ont pas d'ateliers propres, et qui mettent à disposition des travailleurs avec un accompagnement dédié.
Toutefois si la sortie d'ESAT est envisageable pour un petit nombre de travailleurs qui le peuvent, et qui le souhaitent, je rappelle que le rôle des ESAT est précisément d'accueillir des personnes dont le handicap ne permet pas de travailler en milieu ordinaire. Il est donc irréaliste de vouloir fixer des objectifs de sortie d'ESAT, car cela irait à l'encontre de ce qui justifie leur existence même. Il ne faudrait pas que cet objectif soit utilisé comme un moyen de pallier les restrictions budgétaires et de compenser le gel des créations de place.
Un autre axe d'évolution qui a été envisagé concerne le transfert de la gestion et du financement des ESAT aux conseils départementaux. Cela présenterait une certaine cohérence étant donné que les départements mènent déjà une politique du handicap active et financent notamment des établissements et services pour personnes handicapées comme les foyers de vie ou les services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS). Cependant, cette décentralisation nécessiterait l'attribution aux départements de ressources équivalentes et pérennisées dans le temps, ce qui n'est pas assuré. Elle poserait également la question de l'égalité de la prise en charge sur l'ensemble du territoire.
Face à ces différents constats, plusieurs recommandations me semblent pouvoir être faites qui s'articulent autour de deux objectifs principaux.
D'une part, il est nécessaire de mieux prendre en compte les besoins des personnes handicapées travaillant en ESAT ou ayant vocation à y travailler. Cela passe à mon sens par plusieurs mesures. Tout d'abord, il s'agit de développer le temps partiel en prenant en compte, dans la tarification des établissements, le surcoût qu'il représente, et de mieux former les personnels encadrants à la prise en charge du handicap psychique. Ensuite, il convient de permettre le recueil consolidé d'informations sur les demandes et attentes de placement en ESAT afin de mieux orienter l'offre. Je suggère également de conduire une étude nationale des coûts réels qu'implique la prise en charge des différents handicaps en ESAT, afin de mieux adapter la tarification des établissements, à l'instar de ce qui a été fait pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en 2012. Afin de permettre une véritable modernisation des établissements et de leurs outils de production, il convient enfin d'accroitre le plan d'investissement en ESAT, qui n'est actuellement pas à la hauteur des besoins.
D'autre part, il faut renforcer les liens entre les ESAT et leur environnement économique. Cela passe d'abord par le développement des dispositifs permettant aux personnes handicapées souhaitant rejoindre une entreprise de le faire, tout en bénéficiant d'un accompagnement durable dans l'emploi. Il convient également d'accroitre la durée de l'aide financière pouvant être versée par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) pour faciliter cette insertion, afin que les employeurs puissent la mobiliser tout au long de la vie professionnelle du salarié. Enfin, la visibilité des ESAT auprès de leurs partenaires économiques potentiels doit être améliorée par la constitution d'une base de données unique recensant l'ensemble des structures et de leurs activités, ce qui fait l'objet d'un projet en cours qui devrait aboutir prochainement.
Les ESAT font donc face à de nombreux enjeux. Ils demeurent toutefois des structures utiles pour les populations qu'ils accueillent. Mes différentes visites en établissement m'ont permis de mesurer à quel point le travail effectué auprès de ces personnes est essentiel et contribue à leur bien-être et à leur épanouissement personnel. C'est cette ambition-là qui doit continuer d'animer la politique menée en direction de ces établissements.
Merci pour les précisions que vous nous avez apportées, sur un sujet qui concerne des personnes fragiles et vieillissantes. Il s'agit d'un secteur important, dont un pays comme le nôtre doit se soucier.
Ce secteur représente un volet important de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». La meilleure insertion que l'on peut apporter aux personnes handicapées, c'est celle par le travail.
Avez-vous mesuré, compte tenu du contexte de crise économique et des difficultés existantes en matière d'emploi, les difficultés particulières que rencontrent les ESAT pour trouver des contrats, du fait de la concurrence à laquelle ils sont confrontés, mais aussi du coût que constitue l'encadrement et de la productivité du travail plus faible qu'ils connaissent ? Les collectivités publiques, en particulier les collectivités territoriales, utilisent-elles au mieux les possibilités offertes par le code des marchés publics afin de favoriser l'activité des ESAT ? Dans mon département, la restauration scolaire a été confiée à des ESAT « hors les murs », ce qui fonctionne très bien. Mais les possibilités qui existent pour confier davantage de travail aux ESAT ne sont sans doute pas assez utilisées. Est-ce parce que les collectivités sont confrontées à des difficultés d'interprétation des dispositions du code des marchés publics ou parce que ces dispositions sont méconnues ?
Je remercie le rapporteur spécial pour les propositions particulièrement intéressantes qu'il formule, notamment s'agissant du renforcement des dispositifs de temps partiel en fin de vie professionnelle.
Je suis davantage perplexe s'agissant de la recommandation n° 7 relative au maintien des ESAT sous la tutelle de l'État. Il y a eu un moment la volonté de transférer ces établissements aux conseils départementaux, ce qui me paraitrait plus cohérent puisque ceux-ci ont la responsabilité de l'hébergement des personnes handicapées et adoptent des schémas départementaux en faveur des personnes handicapées. Il est nécessaire de mobiliser l'ensemble des partenaires à l'échelon local afin d'encourager l'emploi des personnes handicapées. Or, l'approche nationale est parfois déconnectée de cet enjeu. Lorsque l'hébergement des personnes handicapées a été décentralisé, des efforts importants ont été fournis par les départements et ont permis d'apporter des réponses adaptées aux besoins. Tel n'a pas été le cas pour les ESAT, et il y existe parfois un décalage entre les besoins et la réalité de l'offre de places. D'ailleurs, le plan pluriannuel de création de places en ESAT lancé en 2008 n'a été que partiellement réalisé, ce qui montre bien que l'État n'est pas toujours capable de mettre en oeuvre les orientations qu'il se donne. Je plaiderais donc plutôt pour un transfert des ESAT aux départements pour une question de cohérence de la politique menée en direction des personnes handicapées. Cela pose certes le problème de la compensation financière aux conseils généraux, mais j'ai le sentiment que la gestion au plus près du terrain permet d'être plus opérationnel et plus efficient.
Je félicite également le rapporteur spécial pour son travail. Je m'oppose complètement à ce que vient dire mon collègue Michel Canevet. La politique du handicap doit être nationale. On constate l'échec, en grande partie, de la politique départementale en la matière. Il suffit d'avoir un enfant handicapé et de déposer un dossier dans des MDPH de plusieurs départements pour se rendre compte qu'il existe une inégalité de traitement. Par exemple, l'obtention du statut de jeune travailleur handicapé par la MDPH peut prendre trois mois ou dix-huit mois selon le département. Ainsi, certains parents trouvent des emplois en entreprise pour leur enfant mais ils sont bloqués car ils n'ont toujours pas reçu la notification de la MDPH au bout de dix-huit mois. Ce système, qui dépend des moyens du département et de l'intérêt qu'il porte au handicap, conduit à une politique discrétionnaire, qui pousse même certains parents à déménager afin d'obtenir un traitement plus favorable. Il existe donc des dysfonctionnements dans un grand nombre de MDPH et un traitement inégalitaire du handicap. Or nous sommes face à un problème central, celui de la protection des plus fragiles, et je préfère donc que l'on ait les moyens d'avoir une politique nationale sur cette question.
Vous avez indiqué qu'il existe parfois un manque de dialogue entre les ESAT et les ARS, ce qui est inquiétant étant donné que celles-ci sont leur premier interlocuteur. Quels sont les remèdes possibles ?
Vous avez indiqué qu'il y avait 1 349 établissements. Disposez-vous d'une typologie permettant d'identifier les ESAT qui ont des activités plutôt rurales et ceux qui ont des activités plutôt urbaines ? Je connais par exemple des établissements qui ont des activités agricoles comme de la viticulture. Avez-vous également des informations sur les ESAT qui disposent de logements permettant d'héberger les travailleurs handicapés ?
J'ai constaté sur le terrain que, compte tenu de la concurrence et des difficultés économiques auxquels ils font face, certains ESAT sont amenés à choisir parmi les personnes qu'ils accueillent celles qui sont le moins handicapées afin de conserver un certain niveau de réactivité et de productivité, ce qui pose de vraies difficultés.
S'agissant des MDPH, leur statut juridique de groupements d'intérêt public (GIP) pose problème ; elles ont parfois des difficultés à disposer des personnels de l'État suffisants afin d'assurer leur mission d'orientation. Par ailleurs, chaque MDPH dispose de son propre système d'information alors qu'il serait nécessaire de disposer d'une vision globale.
Enfin, vous indiquez qu'il y existe environ 120 000 places en ESAT, mais sait-on combien de personnes sont en attente de placement ?
S'agissant des MDPH, il n'est pas normal qu'au bout de tant d'années on constate encore de telles difficultés. Je comprends la remarque d'André Gattolin sur l'existence de disparités territoriales. Quand les réponses sont données avec autant de délai à des familles qui sont pourtant dans des situations difficiles, cela n'est pas acceptable. Quand les décisions sont prises après plus d'un an, cela devient intolérable. Cette situation résulte notamment du système mis en place de cogestion du personnel en MDPH, qui est compliqué et n'est pas satisfaisant. Il faudrait un jour avoir le courage de revoir ce système.
Dans la recommandation n° 6 du rapport, vous préconisez de porter le plan d'aide à l'investissement en ESAT à 10 millions d'euros par an. Je trouve qu'il s'agit d'un montant modeste, compte tenu du nombre d'établissements et des problèmes que ceux-ci rencontrent. Si les collectivités territoriales étaient en charge de ces établissements, je suis persuadé que l'État les contraindrait à faire des travaux pour un montant d'au moins 30 ou 40 millions d'euros par an.
Enfin, j'imagine qu'il existe dans beaucoup d'ESAT des financements croisés, avec notamment des financements de la part de collectivités territoriales, en particulier de départements, pour assurer l'hébergement des travailleurs handicapés, mais peut-être aussi des subventions pour permettre aux ESAT de fonctionner dans de bonnes conditions. Avez-vous des éléments sur ce point ?
J'ai beaucoup apprécié la qualité du rapport que nous a présenté Éric Bocquet et des recommandations émises. Je m'associe pleinement à ce qu'a dit notre collègue André Gattolin. J'ai également été amenée à constater les difficultés qu'il a évoquées que rencontrent les personnes handicapées. Je souhaiterais insister sur la recommandation n° 11 du rapport : si l'on veut vraiment permettre aux personnes handicapées de s'insérer en milieu ordinaire de travail, il est indispensable que l'accompagnement à l'emploi soit accentué. Sinon, on aboutit à une sélection à l'entrée en ESAT de personnes handicapées en raison du nombre insuffisant de places mais aussi de la difficulté qui existe à faire accéder certains travailleurs à l'emploi en milieu ordinaire du fait d'un accompagnement insuffisant. Je partage également l'idée que l'État doit prendre ses responsabilités afin d'assurer une égalité de traitement dans tous les départements, ce qui n'empêche que l'accompagnement sur le terrain ait son importance.
Merci pour l'ensemble de ces questions qui recoupent des constats que j'ai été amené à faire à l'occasion des entretiens et des déplacements réalisés.
Je vais commencer par la question du transfert des ESAT aux conseils départementaux. Il est vrai que cette idée est séduisante étant donné que les départements gèrent pour une grande part la politique en direction des personnes handicapées. En revanche, il existe une vraie préoccupation s'agissant de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Comme l'a évoqué André Gattolin, il existe déjà des disparités en termes de délais de traitement des dossiers. Les délais de notification sont beaucoup trop longs pour les familles. Dans mon département du Nord, la MDPH connait un retard important dans le traitement des dossiers, qui semble commencer à s'améliorer. L'État a bien été capable de créer 6 400 places en ESAT depuis 2008, avant de faire le choix d'arrêter le plan de création de places, ce qui est dommageable compte tenu des besoins.
Concernant le nombre de personnes en attente de placement, selon les informations recensées par la CNSA à partir des déclarations des MDPH, il était de 12 806 en 2012. Mais ce chiffre est issu des informations remontées, or de nombreuses MDPH n'ont pas transmis leurs données. Ce manque d'information est un problème qui a été relevé à plusieurs reprises au cours de cette mission. Un audit des systèmes d'information des MDPH a été conduit en 2013 et deux scénarii d'évolution sont à l'étude : l'élaboration d'un cahier des charges auquel les systèmes d'information actuels devraient se conformer ou la création d'un système d'information national. Les réflexions sont donc engagées et devraient aboutir à des propositions concrètes dans les prochains mois. Par ailleurs, l'UNAPEI (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) conduit une expérimentation dans trois régions afin d'améliorer la connaissance des populations accompagnées dans les établissements gérées par ses associations membres.
S'agissant du plan d'investissement en ESAT, le chiffre proposé dans le rapport de 10 millions d'euros pourrait effectivement être multiplié par quatre ou cinq pour pouvoir répondre aux besoins. C'est un montant minimal, demandé par l'UNAPEI, pour régler les situations d'urgence dans différents établissements.
Par ailleurs, concernant les financements croisés, je crois que la distinction entre le budget médico-social et le budget commercial constitue à la fois un atout, car cela permet de prendre en compte les produits d'exploitation générés dans un budget particulier, et une faiblesse, du fait de l'exposition des établissements au marché et aux difficultés économiques. Lorsque l'on est dépendant d'un client essentiel qui fait un jour défaut, cela constitue un risque important pour l'équilibre budgétaire. Cela amène les ESAT à diversifier leurs prestations pour ne pas être trop exposés à un seul client dont ils dépendraient trop fortement.
En temps de crise, les marchés que les ESAT peuvent gagner sont souvent plus précaires et plus courts, ce qui leur donne moins de visibilité. La concurrence pèse beaucoup sur leurs activités traditionnelles de conditionnement et d'emballage, qui sont peu rentables, et qui peuvent aller à d'autres prestataires. Ceci fragilise l'équilibre budgétaire des ESAT.
Il faut que le secteur public et que les collectivités territoriales soient davantage mobilisés. D'ailleurs un guide est paru récemment pour inciter les collectivités à avoir en tête de manière permanente l'existence de ces structures lors de la passation de marchés publics.
Nous n'avons pas d'éléments sur la typologie entre ESAT ruraux et ESAT urbains. En revanche, étant donné que ce sont les associations qui ont été à l'initiative de la création de ces établissements, le territoire est globalement bien couvert, et il existe moins de disparités territoriales que pour d'autres établissements médico-sociaux.
Enfin, le problème évoqué de la sélection à l'entrée des travailleurs les plus productifs est une réalité dans certains établissements. Dès lors que ceux-ci sont pleinement inscrits dans une logique économique, ils ont le souci de garantir un certain niveau de productivité. C'est tout le changement de culture à l'oeuvre en ESAT. Nous avons rencontré des personnes très engagées dans ces établissements, mais le fait est qu'elles deviennent aussi des gestionnaires et des chefs d'entreprise, et cette évolution ne se fait pas sans poser de problèmes.
Conformément à l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.
Le Haut Conseil a rendu un avis le 14 avril 2015 appréciant la crédibilité du scénario macroéconomique retenu dans le cadre du projet de programme de stabilité et identifié les principaux aléas, positifs ou négatifs, entourant ce scénario.
Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission pour vous présenter, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, les principales conclusions de l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018, qui devrait être rendu public aujourd'hui.
Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Boris Melmoux-Eude, rapporteur général adjoint, Nathalie George et Annabelle Mourougane, rapporteurs.
C'est la troisième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet de programme de stabilité adressé par la France au Conseil de l'Union européenne et à la Commission. Comme vous le savez, l'avis du Haut Conseil, en application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012, ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu'en 2018. Le Haut Conseil, s'il se prononce sur les seules prévisions macroéconomiques, ne peut, bien entendu, ignorer les finances publiques, qui ont un impact sur la situation économique.
Avant d'en venir aux observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement concernant la période de programmation, je souhaiterais revenir brièvement sur le contexte macroéconomique actuel. Celui-ci a sensiblement évolué depuis le dernier avis du Haut Conseil, conduisant la plupart des analystes à revoir à la hausse leurs prévisions de croissance. Je rappelle, à cet égard, que le Haut Conseil ne produit pas lui-même de prévisions, mais s'appuie sur celles d'un ensemble d'organismes comprenant les institutions internationales - Commission européenne, Fonds monétaire international (FMI), OCDE -, l'INSEE et des instituts de conjoncture.
Nous observons, comme l'ensemble des analystes, que le contexte macroéconomique actuel bénéficie d'une conjonction de facteurs qui devraient soutenir un rebond, en France et, plus largement, dans l'ensemble de la zone euro. Deux moteurs principaux devraient y contribuer. La baisse du prix du baril de pétrole, de près de 40 %, depuis un an, tout d'abord, qui constitue un choc positif, à la fois de demande - en soutenant la consommation des ménages - et d'offre - via la baisse du coût des consommations intermédiaires des entreprises. Cela représente une économie de 20 milliards d'euros, qui bénéficie pour moitié aux entreprises et pour moitié aux ménages. La dépréciation de l'euro, d'environ 10 % en un an contre toutes les autres devises, en second lieu, qui contribue à améliorer la compétitivité-prix des exportations françaises, même si elle ne garantit pas de gains de parts de marché par rapport aux autres pays de la zone euro qui en bénéficient également.
Ces deux chocs positifs conduisent le Haut Conseil à considérer que l'hypothèse d'une accélération de la croissance dès 2015, jugée incertaine à l'automne à l'occasion de l'avis sur le projet de loi de finances qui s'inscrivait dans un contexte très différent, est désormais étayée.
À ces deux moteurs s'ajoutent d'autres paramètres de politique économique. En premier lieu, la politique de rachat d'actifs conduite par la Banque centrale européenne (BCE) depuis mars 2015, dont les effets se feront surtout sentir via la dépréciation de l'euro, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de problème d'accès au crédit pour la majorité des entreprises françaises. En deuxième lieu, le ralentissement du rythme d'ajustement budgétaire en zone euro, après trois années de consolidation budgétaire importante et simultanée, qui pèsera donc moins fortement sur l'activité. En troisième lieu, les baisses d'impôts et de cotisations pour les entreprises mises en oeuvre dans le cadre du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité, qui contribuent à baisser le coût du travail mais dont les pleins effets dépendent des comportements de marge des entreprises. Enfin, dans une moindre mesure, les plans de soutien à l'investissement, tant au niveau national, avec les mesures récemment annoncées, qu'au niveau européen, avec le « plan Juncker », qui pourraient stimuler l'activité à moyen terme.
Même si c'est encore de façon timide, les enquêtes de conjoncture annoncent les premiers indices d'une reprise qui devrait d'abord passer par la consommation. Celle-ci a bénéficié, au cours des derniers mois, d'un regain de pouvoir d'achat lié, notamment, à la baisse des prix de l'énergie et à l'amélioration de la confiance des ménages. S'agissant des entreprises, les carnets de commande se redressent progressivement, tout comme le climat des affaires, même si cela est plus marqué dans le commerce que dans l'industrie et les services. On n'observe pas, cependant, de reprise nette de la production à ce stade.
Si les ingrédients d'une reprise sont bien présents - je viens de les rappeler - des incertitudes demeurent sur l'ampleur de la reprise et sa pérennité. D'une part, les effets pleins d'une baisse du prix du pétrole et celle du change peuvent mettre du temps à se faire sentir sur la production, comme l'ont montré les épisodes de reprise passés - ils dépendront en grande partie du comportement de marge des entreprises -, d'autre part, la durée de ces chocs est imprévisible et leurs effets sont amenés à s'estomper. Ensuite, il faut rappeler que les conséquences de l'assouplissement quantitatif de la BCE - ou Quantitative Easing - sont encore mal connues, notamment sur l'inflation. À cet égard, les anticipations d'inflation à moyen terme sont inchangées, autour de 1,8 % pour les prévisionnistes, mais sont nettement inférieures pour les investisseurs financiers.
Au-delà des incertitudes sur les facteurs conjoncturels et les mesures de politique économique soutenant la croissance, d'autres freins pourraient également brider la reprise de l'économie française. Nous pensons en particulier à la faiblesse persistante de l'investissement, qui menace à terme d'obsolescence les capacités industrielles, et aux difficultés que pourraient rencontrer les entreprises françaises face à la concurrence de certains pays européens où le coût du travail a fortement diminué au cours des dernières années.
Malgré les réserves que je viens de mentionner, nous sommes bien en présence de facteurs favorables à un rebond de la croissance. La question est maintenant de savoir si nous réussirons à transformer l'essai. S'agira-t-il d'une reprise durable dans laquelle l'impulsion initiale donnée par la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro enclencherait d'autres moteurs, ou d'un rebond sans véritable reprise, auquel cas l'économie française croîtrait durablement à des taux modérés ? En définitive, nous pensons que le rebond prévu en 2015 ne se transformera en une reprise durable que si la demande intérieure et les exportations prennent le relais des stimuli extérieurs, ce qui suppose un redémarrage de l'investissement.
Notre analyse de la situation macroéconomique prend également en compte l'importance des risques financiers qui se sont accrus depuis 2014.
La hausse des marchés boursiers a été massive et rapide aux États-Unis puis en Europe, faisant craindre une correction brutale. Dans un environnement de taux historiquement bas, les acteurs de marché recherchent davantage de rendement pour résoudre leur déséquilibre bilanciel, altérant ainsi la perception et la représentation du risque et du prix des actifs. Du côté des marchés des devises, la poursuite de l'appréciation du dollar serait de nature à enrayer la croissance américaine en pénalisant les exportations et à accroître la vulnérabilité des économies émergentes dont beaucoup sont endettées en dollar.
Ces facteurs sont très difficiles à quantifier et sont, par conséquent, peu intégrés dans les exercices de prévision, du Gouvernement comme des organisations internationales. Mais ce sont des risques qu'il faut garder à l'esprit.
Permettez-moi, à présent, de revenir plus en détail sur chacune des années de la prévision : 2015 et, ensemble, 2016, 2017 et 2018.
S'agissant de l'année 2015, le Haut Conseil considère que, compte tenu du contexte que je viens de décrire, la prévision de croissance du Gouvernement est désormais prudente. Dans le projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement retenait une prévision de 1 %. Cette prévision avait été, en l'état des informations disponibles à l'époque, jugée « optimiste » par le Haut Conseil des finances publiques. Malgré les profondes évolutions depuis l'automne, que j'ai mentionnées dans le premier temps de mon intervention, la prévision de croissance présentée dans le programme de stabilité est inchangée. Cela témoigne de la volonté de prudence du Gouvernement dans ce nouvel exercice de prévision sous-jacent à la trajectoire de finances publiques soumise aux autorités européennes. Le Haut Conseil ne peut que saluer cette démarche qui nous paraît bienvenue.
La prévision de croissance présentée par le Gouvernement s'appuie sur une accélération de la consommation, soutenue par l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages et sur une progression plus rapide des exportations. Cette prévision est proche de celle retenue par la Commission européenne, les organisations internationales et le consensus des économistes qui se situent tous autour de 1 %, voire au-dessus - le FMI parlait, ce matin, de 1,2 %. Dans un contexte favorable lié à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation du change, elle est désormais jugée prudente par le Haut Conseil.
Les composantes de la demande retenues par le Gouvernement sont cohérentes avec cette prévision de croissance. Le faible rythme d'évolution de l'investissement des entreprises est en ligne avec un lent redémarrage de l'activité. La révision à la baisse de la croissance du commerce mondial s'inscrit dans les tendances observées au second semestre 2014. De même, le Haut Conseil estime que c'est à juste titre que les prévisions d'inflation et de masse salariale ont été revues à la baisse par rapport au projet de loi de finances pour 2015. Une inflation légèrement négative en moyenne annuelle en 2015 ne nous semble néanmoins pas être totalement exclue.
S'agissant des prévisions pour les années 2016 à 2018, le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont prudentes et permettent d'assurer la crédibilité de la trajectoire nominale de finances publiques. Il formule cependant des réserves sur certains aspects du scénario.
Le Gouvernement retient une prévision de croissance annuelle de 1,5 % en 2016 et en 2017 puis 1,75 % en 2018 à laquelle contribuerait un redémarrage modéré de l'investissement. Ces chiffres sont revus à la baisse par rapport à la loi de programmation : moins 0,2 point en 2016, moins 0,4 point en 2017 et moins 0,3 point en 2018. À l'inverse, la croissance potentielle est revue à la hausse de 0,2 point dès 2016 pour intégrer l'effet des réformes structurelles.
Ce scénario de reprise durable était déjà celui du Gouvernement dans les précédents exercices, mais il en présente cette fois une version prudente avec une croissance qui n'accélèrerait que modérément en 2016, serait stable en 2017 et un peu plus élevée en 2018. Il ne tient pas compte, par construction, des risques financiers qu'il faut pourtant bien avoir à l'esprit. Il repose sur une reprise de l'inflation dont le Haut Conseil estime qu'elle pourrait être plus tardive en raison d'un taux de chômage encore élevé et d'un besoin de reconstitution de marge peut-être encore pas entièrement satisfait.
S'il reconnaît la prudence de ce scénario, le Haut Conseil s'interroge toutefois sur la pertinence d'un écart entre la production effective et la production potentielle - ou écart de production - très creusé pendant près d'une décennie et qui ne se réduit pratiquement pas à l'horizon 2018 : - 3,5 % de 2015 à 2017 et - 3,2 % en 2018. L'absence de fermeture de cet écart est le résultat du rapprochement d'hypothèses de croissance effective plutôt prudentes et d'estimations de croissance potentielle revues à la hausse à partir de 2016, de 0,2 point par an par rapport à la loi de programmation. Prévoir le maintien d'un écart de production aussi important pendant une si longue période, ne semble pas cohérent avec l'accélération de l'investissement, de l'inflation et des salaires retenue par ailleurs dans le scénario du Gouvernement. Une hypothèse de croissance potentielle moins élevée aurait permis un début de fermeture de l'écart de production. Pour la même trajectoire de déficit nominal, elle aurait conduit à un ajustement structurel moins important.
Enfin, le Haut Conseil regrette que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes - comme il a eu l'occasion de le rappeler dans son avis relatif au projet de loi de programmation - ait été révisée quelques mois seulement après l'adoption de cette loi, en décembre 2014. Le fait que le programme de stabilité révise la croissance potentielle arrêtée dans la loi de programmation, qui constitue la référence pour examiner le respect, par le Gouvernement, des objectifs de solde structurel, pose à cet égard un problème de principe. En effet, cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et, partant, rend difficile l'analyse de la politique budgétaire.
Dans ces conditions, le Haut Conseil recommande que la croissance potentielle ne soit pas trop fréquemment révisée. Rappelons que pour apprécier la cohérence des textes financiers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel, c'est la croissance potentielle présentée dans la dernière loi de programmation qui constitue la référence, en application des dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012. C'est cette référence que le Haut Conseil doit utiliser dans ses avis sur les projets de loi de règlement ; c'est ce que nous ferons à la fin du mois de mai pour 2014.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre entière disposition pour répondre à vos questions dans la limite des compétences qui sont les nôtres.
Le Haut conseil évoque des risques financiers importants - vous avez mentionné la hausse des marchés boursiers, les risques liés aux devises. Quels sont, plus précisément, les risques que vous avez identifiés. Peut-on craindre une bulle immobilière liée à la baisse des taux d'intérêt ? Un risque sur les activités d'assurance vie, du fait de la baisse du taux de rendement alors qu'ils sont garantis par les contrats ?
Tout le monde s'accorde à tabler sur une croissance de l'ordre de 1 % à 1,2 %. Le Haut Conseil a d'ailleurs fait évoluer sa sémantique et ne qualifie plus la prévision gouvernementale d'optimiste, mais de prudente. Le fait est que la baisse du cours du pétrole et celle des taux d'intérêt ne sont pas pour rien dans cette réévaluation. Mais la vraie question réside, à mon sens, dans ce que l'on peut lire en caractères gras dans l'avis du Haut Conseil : « Le Haut Conseil regrette [...] que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes, ait été revue quelques mois seulement après l'adoption de la loi de programmation de décembre 2014. » Et vous ajoutez que « cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et plus difficile l'analyse de la politique budgétaire. » Autrement dit, trois mois seulement après la loi de programmation, dont vous rappelez qu'elle devrait être la norme, le Gouvernement révise la croissance potentielle. Si l'on change en permanence de référence, sur quoi fonder notre analyse ? Comment jouer notre rôle de contrôle du respect des engagements de la France ? Et quels sont les effets d'une telle révision sur le calcul du solde et de l'ajustement structurels ? Je rappelle qu'à l'initiative de Jean-Pierre Caffet, le Sénat avait inscrit dans la loi organique relative à la gouvernance et à la programmation des finances publiques le principe selon lequel le respect de la trajectoire du solde structurel devait être mesuré à partir des hypothèses de croissance potentielle figurant dans la loi de programmation. Il y a là un vrai problème de principe. Je rappelle que la loi de programmation est pluriannuelle. Modifier l'estimation de croissance potentielle pèse sur le solde, donc sur la définition des ajustements à opérer, et sur notre capacité d'analyse.
Je précise que chacune des parties de l'exposé se termine par une conclusion en caractères gras. Nous relevons aussi, en caractères gras, que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement est prudente...
Vous m'interrogez sur les risques financiers. C'est un fait que dans tous les scenarii, celui de la Commission européenne comme ceux d'autres organismes, ils ne sont guère intégrés. Celui du Gouvernement envisage une remontée des taux courts - de 0,1 % en 2015 à 0,7 % en 2018 - et des taux longs - de 0,7 % en 2015 à 3,3 % en 2018. Reste qu'il est difficile, faute d'instruments adéquats, d'intégrer l'ensemble des risques financiers.
Ce que l'on constate, en revanche, c'est une différence de perception sensible entre les acteurs des marchés financiers, inquiets de la montée de déséquilibres résultant de politiques monétaires accommodantes, et les conjoncturistes, qui s'accordent sur un rebond de l'activité en début d'année. Il ne faut pas négliger le sentiment des marchés - même si leur insistance actuelle est peut-être le contrecoup du silence qu'ils avaient observé en 2008 - car il fait partie des facteurs de risque. Le FMI insiste, lui aussi, sur les risques financiers. Le premier est boursier, et pourrait se traduire en une correction brutale. Le risque que vous avez évoqué sur l'assurance vie peut aussi être réel si les taux remontent brutalement. On ne peut non plus écarter le risque d'une forte variation des changes, en particulier sur le dollar. Ce peut être aussi la conséquence d'une augmentation trop rapide du crédit dans certains pays - ont été évoqués les crédits automobile et les crédits étudiants, notamment aux États-Unis. Le risque est toujours présent, enfin, d'une remontée mal maîtrisée du cours du dollar américain, avec ses conséquences sur les pays émergents, dont la dette est en dollar. Tout cela additionné représente, de fait, un risque ; il n'est pas dit que ce risque se transforme en réalité, mais il faut le garder présent à l'esprit.
Vous vous interrogez, comme beaucoup, sur la notion de croissance potentielle. C'est une notion, qui avec d'autres, comme celle d'effort structurel, est apparue dans les traités internationaux, parce qu'il semblait utile de ne pas raisonner systématiquement en fonction de facteurs conjoncturels. Cela dit, on sait combien, sur ces sujets, les points de vue des économistes sont partagés. Les estimations de croissance potentielle sont différentes selon les acteurs. Le Gouvernement, dans la loi de programmation, s'était appuyé sur le taux de croissance potentielle retenu par la Commission européenne, laquelle a modifié son estimation à la baisse, tandis que le Gouvernement juge désormais que, compte tenu des mesures qu'il a annoncées, elle peut être revue à la hausse. Si bien qu'il existe à présent un décalage. Pour 2016, la Commission européenne retient 1,1 %, alors que dans la loi de programmation, le Gouvernement retenait 1,3 % et qu'il table sur 1,5 % dans le programme de stabilité. Pour 2017, où il n'existe pas de prévision de la Commission européenne, le Gouvernement table sur 1,5 %, prévision qui se situe dans la fourchette haute des estimations.
La notion de croissance potentielle reste utile, mais il pèse sur elle des incertitudes considérables, en particulier dans la période atypique de longue stagnation que nous connaissons - le PIB est à peu de chose près à son niveau de 2007. Il y a eu, ces dernières années, d'importantes révisions à la baisse de la croissance potentielle et de l'écart de production, qui rendent le concept difficile à utiliser, ce qui ne veut pas dire qu'il faut totalement l'écarter, d'autant qu'il est sans incidence sur le déficit nominal. Il joue, en revanche, sur la répartition entre part structurelle et part conjoncturelle du déficit. Entre l'hypothèse retenue par le Gouvernement et la Commission européenne, il peut apparaître, de ce point de vue, des écarts...
Les révisions trop fréquentes posent, il est vrai, un problème de principe. Pour nous, la croissance potentielle retenue dans la loi de programmation est la référence. Si elle change en permanence, il devient difficile d'exprimer un point de vue stable.
Le président du Haut Conseil, suivi par le rapporteur général, a relevé que des ajustements ont été opérés peu de temps après l'adoption de la loi de programmation des finances publiques. Certes, mais le fait est que la conjoncture a évolué, ce qui a amené tout le monde, y compris les commentateurs, à changer de pied. J'en veux pour preuve l'appréciation du Haut Conseil sur l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement, jugée aujourd'hui prudente alors qu'il l'estimait optimiste il y a quelques mois. À la fin de l'année dernière, le Haut Conseil craignait que les ajustements intervenus ne conduisent à une augmentation de la dette, aujourd'hui stabilisée, voire en régression. Il craignait, enfin, que l'objectif de limiter la croissance de la dépense publique à 1,1 % en valeur ne soit pas atteint ; or, il apparaît désormais que cet objectif devrait être respecté.
On ne peut que se féliciter que le Gouvernement ait su tirer des bords pour atteindre cette trajectoire plus optimiste pour l'avenir.
Le Haut Conseil est chargé de veiller à la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France. Or, la Commission européenne nous demande un effort sur les dépenses structurelles de 0,8 % en 2016 et 0,9 % en 2017, tandis que le Gouvernement retient, pour chacune de ces deux années, 0,5 %. Quelle est votre appréciation sur cette différence ?
Le Gouvernement vient d'annoncer 4 milliards d'économies supplémentaires en 2015, 5 milliards d'euros en 2016. Si l'on ajoute cela aux changements dans les prévisions qu'à évoqués le rapporteur général, et qui auront in fine un impact sur la structure du budget, on finit par se demander ce que signifie le vote du Parlement et si se prononcer sur des prévisions a encore un sens. L'opinion publique peut-elle encore faire crédit au Gouvernement et au Parlement si ce qu'on lui propose et ce qu'on lui promet change tous les mois ?
Ces notions de croissance potentielle, de déficit structurel, de déficit conjoncturel me laissent perplexe. Pour moi, le conjoncturel qui s'étend sur dix ans, cela devient du structurel. Et si le Gouvernement change de pied tous les quatre mois, cela devient un problème. J'aimerais savoir précisément de combien il modifie sa prévision de croissance potentielle. Si cette prévision était restée ce qu'elle était en décembre 2014, quel en aurait été l'impact ?
Vous évoquez les prémices d'un redémarrage. Or, dans votre avis, vous vous montrez sceptique sur les effets potentiels, en France, de la politique de rachat d'actifs de la BCE, et vous relevez la faiblesse du redémarrage de l'investissement productif. Vous allez même plus loin, estimant qu'il n'est pas certain que les baisses d'impôts et de cotisations en faveur des entreprises, notamment via le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), soient suivies d'effet. Vous notez que si la consommation des ménages se redresse, des inquiétudes persistent sur l'investissement des entreprises. Quels sont les freins qui perdurent ? Dans un récent article, un économiste juge que l'on n'utilise pas suffisamment le couple Banque centrale européenne (BCE) - Banque européenne d'investissement (BEI). Qu'en pensez-vous ?
Les marchés financiers s'inquiètent, avez-vous dit, des risques attachés à des politiques monétaires trop accommodantes. Pouvez-vous préciser la nature de ces risques ?
La baisse des dotations aux collectivités locales a eu un effet récessif sur leur capacité d'investissement, ce qui aura un impact sur les recettes fiscales du budget national. Avez-vous évalué les effets de ce ralentissement sur la croissance ?
Ce qui reste vrai, dans la séquence que nous venons de vivre entre octobre et aujourd'hui, c'est que nous sommes encore, indéniablement, dans une période économique et financière troublée. Les évolutions sont très rapides, d'où la nécessité pour le Gouvernement de revoir régulièrement la croissance potentielle. D'où aussi, ainsi que l'a souligné François Marc, la modification, au même rythme, des avis sur les prévisions. C'est ainsi que le Haut Conseil, qui jugeait optimiste, il y a quelques mois, l'hypothèse de croissance du Gouvernement, la juge aujourd'hui prudente. Tout cela exige aussi de nous d'être plus réactifs. J'observe d'ailleurs que la tonalité de nos débats évolue, et que certaines des interventions que l'on a pu entendre en novembre ne sont plus de mise aujourd'hui.
Dans votre avis, vous relevez que le Gouvernement a fait le choix de la prudence à moyen terme. L'évaluation de la croissance future se veut conservatrice et l'hypothèse d'une remontée des taux est intégrée aux prévisions - plus de 3 % sur deux ans -, ce qui n'est pas ordinaire. Vous relevez également la volonté du Gouvernement de ne pas casser la croissance par des politiques trop récessives. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre la différence d'appréciation entre la Commission européenne et le Gouvernement sur la pente de déficit structurel.
En cette période trouble, la vision annuelle de la prospective devient peut-être dépassée. Il faudra, dorénavant, être plus réactifs, et nous serons amenés à nous revoir.
Vous jugez prudentes les hypothèses de croissance sur les trois années à venir. On rompt ici avec les habitudes, qui tendaient à tabler sur une croissance surestimée pour construire un budget confortable. Et l'on payait la facture, in fine, par de l'endettement.
Vous soulignez que la croissance espérée, pour être durable, devra s'accompagner d'une relance de l'investissement. Des mesures de soutien à l'investissement viennent précisément d'être annoncées, il faut s'en réjouir.
Vous estimez la croissance potentielle surestimée, afin de donner une meilleure appréciation de la réduction du déficit structurel. Je m'étonne, alors qu'il s'agit là de concepts à peine stabilisés dans la recherche en économie, de les voir prendre une importance croissante dans la prospective. Je crains qu'ils ne deviennent une source de débats sans fin, y compris avec la Commission européenne. Ne vous paraitrait-il pas judicieux de ramener ces notions au deuxième plan ? Ce que l'on peut dire avec certitude aujourd'hui, c'est que l'environnement est favorable et que l'on commence à voir apparaître des résultats, même si l'on reste, il ne faut pas l'oublier, dans l'incertitude.
Je retiens que le Haut Conseil souligne la prudence du Gouvernement. Il est vrai que l'on ne peut pas écarter des aléas, comme l'émergence d'une bulle spéculative, dont il a récemment été question dans les médias, mais qui tiennent aussi aux incertitudes sur la dette grecque. Qu'arriverait-il si ce pays était défaillant, voire sortait de l'euro ?
Les élus que nous sommes sont parfois interpellés sur les difficultés du monde économique, notamment des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), qui peinent à accéder au crédit. Cela fait-il partie, à votre sens, des freins à la reprise de l'activité ?
J'observe, très respectueusement, que vous rendez moins un avis que vous ne soumettez des interrogations. Vous nous dites, en termes choisis, que malgré des facteurs extérieurs qui devraient favoriser la reprise - même s'il faut tempérer les bénéfices de la baisse du prix du pétrole, sachant que nous payons la facture en dollar - cette embellie conjoncturelle ne masque pas les handicaps structurels de notre économie. La reprise a deux moteurs, la consommation et l'investissement. La consommation, dites-vous, s'améliore. Mais c'est que les salaires en France, comparables à ceux de l'Allemagne, continuent de croître malgré l'atonie de la croissance, ce qui handicape la compétitivité du pays. Notre marché du travail est rigide. Alors qu'avec cinq millions de chômeurs, les salaires devraient être entrainés à la baisse, c'est le contraire qui se passe. Et cela se retrouve au niveau des entreprises, qui manquent de marges. Elles souffrent certes aussi d'autres problèmes, comme la non-déductibilité des intérêts sur les investissements productifs, une véritable idiotie, mais la difficulté centrale reste le niveau des salaires, et l'on ose à peine l'évoquer. Êtes-vous de ce sentiment ?
La BCE devrait, en effet, fonctionner avec la BEI. Si l'on veut que le « plan Juncker » donne un vrai coup de fouet à l'économie européenne, il ne suffit pas de faire fonctionner la planche à billet, encore faut-il orienter cet argent vers l'investissement.
Pour qu'il y ait de la croissance, il faut qu'il y ait des investisseurs. Or, ils s'en vont à l'étranger, parce qu'ils ne peuvent plus supporter le niveau d'imposition en France. Des milliers de familles sont parties à Bruxelles, en Angleterre ou en Suisse, où elles investissent. Pour les faire revenir, il faut commencer par supprimer l'impôt sur la fortune (ISF). Quant à l'impôt sur le revenu, la France serait bien inspirée de faire comme ont fait l'Angleterre ou la Suède, qui a ramené le taux supérieur de 70 % à 40 % et a immédiatement constaté une reprise de la croissance. Il faut aussi réduire l'impôt sur le bénéfice des entreprises. Si les entreprises gardent leur argent, elles investissent. Ne croyez-vous pas qu'il serait bon d'insister sur cette nécessité ?
Vous avez évoqué l'impact de la baisse des prix du brent - 40 % en un an, soit 20 milliards d'économie, presque 1 % du PIB. Moitié est allé vers les ménages, moitié vers les entreprises. Pouvez-vous en estimer l'impact sur le taux de croissance ? 0,1 % ? 0,2 % peut-être ? Car pour les ménages, cela a représenté du pouvoir d'achat, ou une capacité d'épargne. Quant aux entreprises, cela a contribué à restaurer leurs marges.
Dans sa note de conjoncture de mars 2015, l'Insee juge que « beaucoup de conditions sont réunies pour que l'investissement des entreprises s'accélère ». Quels sont les facteurs qui expliquent, selon vous, le manque de dynamisme persistant de l'investissement ?
Vous prévoyez une remontée de l'inflation, tout en relevant qu'elle pourrait être plus tardive que ce qu'anticipe le Gouvernement. Peut-on en déduire que le risque de déflation est désormais écarté à court terme ?
Nombreux sont les économistes qui voient dans le recul de l'euro une opportunité pour l'économie française. Vous estimez toutefois que les effets pourraient en être limités ; pouvez-vous préciser votre analyse ?
La mission du Haut Conseil est d'apprécier les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent le programme de stabilité. Nous disons nettement qu'elles sont prudentes. Nous apportons, ensuite, un éclairage supplémentaire sur la situation économique telle que nous la voyons et les conséquences que l'on peut en tirer. Il ne nous appartient pas, en revanche, de formuler des recommandations sur ce qui pourrait soutenir la croissance ou répondre aux problèmes structurels de l'économie. Si bien qu'il me sera difficile de répondre à certaines des questions qui m'ont été posées, à commencer par celles de Serge Dassault, qui n'entrent pas dans le champ de notre compétence.
Vous avez été plusieurs à rappeler ce qu'avait formulé le Haut Conseil il y a quelques mois. Je m'attendais à une autre question de la part du sénateur François Marc : pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas modifié son hypothèse de croissance, alors que le contexte économique a beaucoup changé ? Le fait est que ce n'est pas le Haut Conseil qui a changé d'avis, mais le contexte qui n'est plus du tout le même. Des changements de grande ampleur sont intervenus depuis notre avis de septembre. La baisse du prix du pétrole, tout d'abord, qui a représenté un gain de 20 milliards ; c'est un choc considérable. La dépréciation du change, ensuite, qui est aussi un choc important. Pourtant, l'estimation du Gouvernement n'a pas changé, et c'est pourquoi nous estimons, désormais, qu'elle est prudente.
Ce rebond de la croissance se transformera-t-il en reprise durable, là est la question. Maurice Vincent a relevé que le Gouvernement a changé de pied ; il préfère présenter des hypothèses prudentes, quitte à avoir de bonnes surprises.
Nous disons que cette prudence est bienvenue, même si nous formulons quelques interrogations sur le scénario tel qu'il nous est proposé. Nous observons qu'alors que le Gouvernement retient un scénario de reprise, certes prudente, sur 2016 et 2017, il n'en tire pas, à notre avis, toutes les conséquences sur la répartition entre la part structurelle et la part conjoncturelle du solde. C'est le fameux débat sur la croissance potentielle. J'avoue que je rejoins Maurice Vincent pour constater que le débat autour de ces notions est loin d'être clos, tant entre les économistes qu'entre le Gouvernement et la Commission européenne.
Dès lors que le scénario inclut une reprise de l'investissement, il est étonnant que l'écart de production ne se réduise pas sensiblement plus que ne le prévoit le Gouvernement. On peut comprendre les raisons qui le poussent à s'en tenir à une hypothèse macroéconomique prudente, tout en éprouvant le besoin de réviser à la hausse l'estimation de la croissance potentielle, sachant le débat qui persiste avec la Commission européenne sur l'effort structurel. Avec cette estimation, l'effort structurel est plus important dans le programme de stabilité que dans la loi de programmation - 0,5 % au lieu de 0,3 % en 2016. La Commission européenne estime qu'il faudrait 0,8 %. Il ne nous appartient pas de nous exprimer dans ce débat. Reste que si l'effort structurel est plus important, cela peut avoir des conséquences sur la croissance, donc sur le niveau de l'emploi. Tel est le débat politique qui se tient entre le Gouvernement et la Commission européenne, sur lequel vous aurez l'occasion d'interroger le ministre.
Si le Gouvernement augmente l'estimation de la croissance potentielle, c'est qu'il estime que les mesures en cours, comme celles du projet de loi « Macron » et d'autres auparavant, peuvent avoir un effet sur celle-ci. Il est, de ce point de vue, cohérent.
Plusieurs questions m'ont été posées sur l'investissement. Beaucoup pensent que l'on ne peut passer d'un rebond à une reprise de la croissance que si le moteur de l'investissement redémarre. Cela dépend du taux de marge des entreprises, qui s'améliore un peu. Des mesures ont été prises qui commencent à porter leurs fruits. Les entreprises bénéficieront aussi de la baisse des prix du pétrole et, pour certaines d'entre elles, de la dépréciation de l'euro. Cela dépend également de leurs perspectives de débouchés, c'est-à-dire de la croissance de leurs exportations. Des mesures sont en voie d'être prises, sur lesquelles vous serez bientôt appelés à vous prononcer, mais il est difficile de penser qu'elles auront des effets dès 2015.
S'agissant, Fabienne Keller, de l'investissement public, nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera remis dans la deuxième quinzaine de juin, puis du rapport sur les finances locales, qui doit être remis en octobre.
En ce qui concerne l'accès des entreprises au crédit, les études de la Banque de France estiment qu'il n'y a pas de rationnement bancaire, même s'il est vrai qu'il peut exister des problèmes d'accès pour les très jeunes entreprises ou les entreprises innovantes, qui demandent du temps avant d'être rentables.
La dette continuera d'augmenter en 2015. Tant que le déficit nominal restera au niveau qui est le sien, elle continuera de croître. Dans le programme de stabilité, le Gouvernement prévoit une stabilisation en 2016. Ce n'est pas la première fois qu'un scénario fait baisser le poids de la dette. La question est liée de près à celle de la croissance ainsi qu'à celle du déficit, et l'on aura l'occasion d'y revenir avec l'appréciation par la Cour des comptes de l'exécution du budget pour 2014 et du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
La dette grecque ? Un scénario extrême ne peut être exclu, mais reconnaissons que les partenaires européens ont montré leur capacité à s'accorder et à prendre le problème à bras le corps. Le risque de contagion est beaucoup plus contenu qu'il y a deux ou trois ans. Outre les efforts entrepris pour la mise en place de l'union bancaire, les économies de beaucoup de pays d'Europe du Sud sont en moins mauvaise santé qu'il y a quelques années.
Quels sont nos handicaps structurels ? Nous en évoquons quelques-uns. Je confirme que les salaires nominaux ne baissent pas, mais augmentent - c'est une particularité française qui peut avoir des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises. Le CICE, le Pacte de responsabilité et de solidarité ont pu contribuer, cependant, à l'améliorer, de même que l'environnement international, avec la baisse des prix du pétrole et la dépréciation de l'euro - dont il faut toutefois garder à l'esprit qu'elles profitent à toutes les économies européennes.
Comme il ne faut pas oublier que nous acquittons notre facture pétrolière en dollar.
La politique monétaire accommodante ? Elle est assumée par la BCE, à l'instar de la politique longtemps menée par la Réserve fédérale américaine, et qui conduit d'ailleurs à s'interroger sur les conséquences liées à sa sortie.
Le Haut Conseil ne retient pas, en effet, une perspective déflationniste. La hausse des prix, ainsi qu'il ressort d'un document publié par l'Insee ce matin, reste, sur un an, négative, - 0,1 % ce mois-ci, - 0,2 % le mois précédent, mais la baisse des prix sur les produits pétroliers y est pour beaucoup : l'inflation sous-jacente - c'est à dire hors prix de l'énergie - reste positive, à 0,2 % sur une année. L'augmentation nominale des salaires est supérieure, ce qui peut contribuer à contenir la baisse des prix. On constate également que la progression du PIB reste proche de 1 % en rythme annuel et que les anticipations en termes d'inflation des conjoncturistes restent positives, autour de 1,8 %, même si l'on peut considérer, comme je l'ai dit, qu'il faudra un peu de temps pour retrouver ce niveau. Reste également le bémol que j'ai apporté tout à l'heure en rappelant les anticipations, moins hautes, des acteurs du marché, compte tenu des risques qu'ils perçoivent sur la sphère financière.