La proposition de loi comporte deux mesures phares. S'agissant tout d'abord de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, il faut rappeler que la sédation existe déjà. Elle est pratiquée dans certaines indications précises dans les services de soins palliatifs. Des risques d'abus existent toutefois, certains patients se voyant administrer conjointement sédatifs et antalgiques alors qu'ils n'ont pas de douleurs. La société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFSP) précise les indications dans lesquelles un patient a le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir. L'objectif de la sédation profonde et continue est d'empêcher toute souffrance ou toute situation d'inconfort. Comme le dit Régis Aubry, le malade n'est pas obligé d'assister à sa mort.
La SFSP prévoit deux conditions essentielles pour pouvoir recourir à cette pratique. Ces deux conditions sont reprises par la proposition de loi : la mort doit être imminente, c'est-à-dire le « pronostic vital engagé à court terme » et la souffrance ressentie par le malade doit être « réfractaire » au traitement. Cette dernière condition permet d'éliminer toute demande engendrée par des souffrances d'ordre existentiel.
Le malade continue de souffrir malgré les traitements et la mort va survenir dans les heures ou les jours qui viennent. La réponse mise en place doit être continue jusqu'au décès. La mort étant proche, il serait anormal de réveiller le malade après la sédation pour déterminer si un autre traitement peut être mis en place. Cela ne ferait qu'aggraver ses souffrances. Nous nous sommes donc fondés sur deux éléments pour définir les conditions susceptibles d'ouvrir la voie à la mise en place d'une sédation profonde et continue : la souffrance réfractaire - elle ne doit pas pouvoir être traitée par d'autres moyens - et la mort imminente.
Quelles sont les différences entre cette proposition de loi et les textes qui l'ont précédée ? La sédation profonde existe de façon diffuse, dans certains services de soins palliatifs. En revanche, elle n'existe ni en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ni à domicile. De plus, les personnels médicaux y sont trop peu sensibilisés. Dès lors, nombreux sont les malades qui, en France, continuent de mourir mal et dans la souffrance.
Les directives anticipées existent depuis 2005 et doivent être prises en compte. Pourtant, seuls 2,5 % des Français en ont rédigé. Leur écriture est en effet complexe. Il est difficile de se projeter dans une situation de fin de vie lorsque l'on n'est porteur d'aucune maladie. A l'inverse, un malade peut avoir peur des conséquences que peut avoir la pathologie dont il souffre. Une réponse doit alors être apportée dans le colloque singulier entre le patient et son médecin, fondée sur la relation de confiance qui a pu se nouer. Nous nous sommes inspirés des législations allemande, suisse et anglaise pour définir un modèle dont nous estimons qu'il doit garantir un certain degré de pédagogie et permettre d'écrire les recommandations de façon réfléchie. A titre personnel, je pense que les directives anticipées devraient être rédigées dans le cadre d'un dialogue avec un médecin. Mais je reconnais que l'intervention de celui-ci peut s'avérer intrusive. Pour plus de sécurité, nous avons prévu que le modèle unique de directive anticipée serait défini par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé (HAS).
Les directives anticipées doivent être contraignantes. Jusqu'à présent, elles sont suivies par les médecins dans 70 % des cas. Pour les 30 % restants, il est très difficile de savoir s'il s'agit d'un refus du corps médical d'appliquer la volonté du patient ou si les directives sont inapplicables car inadaptées, par exemple lorsqu'elles se résument à l'expression d'un refus d'hospitalisation. Le texte que nous avons adopté doit permettre au patient d'exprimer sa volonté concernant la limitation ou l'arrêt des traitements et actes médicaux. Ces directives s'imposeront au médecin, ce qui signifie qu'elles seront opposables.
Il existe cependant deux situations dans lesquelles les directives anticipées ne pourront pas être opposables. La première est celle de l'urgence vitale. Les gestes de réanimation doivent être rapidement mis en oeuvre. Même si les directives anticipées sont facilement accessibles, elles ne pourront être examinées de façon sereine dans de tels contextes d'urgence. Cela signifie en particulier que les réanimations doivent pouvoir continuer à être pratiquées lorsqu'elles interviennent à la suite d'une tentative de suicide. N'oublions pas que 60 % à 70 % des personnes qui font une tentative de suicide ne récidivent jamais. Nous avons précisé que les directives anticipées ne s'imposeraient pas « pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation », c'est-à-dire à l'analyse de leur caractère approprié ou non. En effet, si toutes les urgences vitales peuvent être opposées aux directives anticipées, alors ces dernières n'ont plus de sens. La deuxième situation de non opposabilité est celle dans laquelle la directive anticipée s'avère manifestement inappropriée, par exemple lorsque l'état de santé du malade est en réalité réversible ou lorsque la directive anticipée n'est pas adaptée à la situation en cause. Plutôt que d'essayer de dresser une liste exhaustive des situations inappropriées, nous avons adopté une formulation volontairement large qui conduira à la mise en place d'une procédure spécifique : le médecin devra solliciter un avis collégial et la décision à la suite de celui-ci sera inscrite dans le dossier médical.
S'agissant de la personne de confiance, nous avons adopté un éventail large. En particulier, il ne nous a pas semblé opportun d'exclure le médecin ou les membres de la famille. L'essentiel est que la personne puisse être choisie librement dans un climat de confiance. La personne de confiance ne donnera plus un avis mais un témoignage qui prévaudra sur tout autre témoignage. Il sera le reflet fidèle de la volonté du patient.
On ne peut pas obliger quelqu'un à envisager sa mort. J'estime par conséquent qu'il n'est pas souhaitable de rendre obligatoire la rédaction de directives anticipées. Dans certains cas, il sera donc nécessaire de se tourner vers la famille et les proches pour connaître la volonté du patient. Faut-il établir une hiérarchie, par exemple au bénéfice de la famille ou au sein de celle-ci ? Nous n'avons pas souhaité le faire. En revanche nous avons voulu donner toute leur valeur aux opinions qui auront pu être exprimées par le patient. Ce passage de l'avis au témoignage est significatif.
Nous avons par ailleurs tenu à rappeler dans la loi que la position du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur primera sur celle de la personne de confiance.
J'en viens à la question de l'hydratation et de la nutrition artificielles : constituent-elles un traitement ? Il me semble que c'est devenu une évidence, rappelée par le Conseil d'Etat dans l'affaire Vincent Lambert ; le texte de 2005 faisait d'ailleurs bien référence à l'arrêt de « tout traitement », et non pas à celui « du traitement ». Constitue un traitement toute intrusion sur le corps d'autrui, qui doit dès lors y donner son consentement. On ne peut considérer que le fait de placer, par voie chirurgicale, un tuyau dans l'estomac dans le but d'apporter des nutriments à l'organisme constitue un simple soin : c'est bien sûr un traitement. Cet élément, auquel est attachée une symbolique forte, apparaît comme une nouveauté dans le débat ; il constitue pourtant une évidence depuis bien longtemps pour les médecins.
Je rappelle par ailleurs que le principe du « double effet » avait été mal écrit dans la loi de 2005. Le texte indiquait que tout traitement ayant un double effet devait être inscrit sur le dossier médical, sans que la notion soit précisée. Sans que l'on puisse envisager de développer un argumentaire à l'appui d'une double intentionnalité, on ne peut refuser la mise en oeuvre de traitements permettant de soulager la souffrance au motif qu'ils pourraient avoir pour effet d'abréger la vie. C'est pourquoi nous avons choisi d'employer l'expression « même si » dans le texte qui vous est proposé : on peut recourir à des traitements antalgiques et sédatifs pour soulager la souffrance, même s'ils pourraient avoir pour conséquence un abrègement de la vie. Suivant en cela la position d'Alain Claeys, nous avons choisi de ne pas utiliser le terme « secondaire », qui renvoie à l'idée que l'effet induit serait soit consécutif, soit négligeable ; or, il paraît difficile de suggérer que le raccourcissement de la vie puisse constituer un simple effet secondaire.
Je n'ai évoqué que le cas de la sédation à la demande du malade ; il existe cependant d'autres cas de figure. Le paragraphe III de l'article 37 du code de déontologie envisage la situation dans laquelle un patient présente des lésions cérébrales majeures qui l'empêchent d'exprimer sa volonté, et dans laquelle sa souffrance est impossible à évaluer : le médecin doit alors mettre en oeuvre un traitement antalgique et sédatif pour éviter toute souffrance potentielle - la phrase étant formulée au présent de l'indicatif, elle vaut impératif. Je ne reviens pas sur l'affaire Pierrat, dans laquelle les traitements avaient été arrêtés sans poursuite des soins, ce dont avaient résulté une souffrance et une agonie importantes.
L'arrêt de tout traitement de survie doit nécessairement être accompagné de la mise en place d'un traitement destiné à soulager la souffrance ; les familles également ont droit à la vision d'une vie finissant de manière sereine et apaisée. C'est la raison pour laquelle cette disposition du code de déontologie a été intégrée dans le code de la santé publique en 2010, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Désormais, l'arrêt d'un traitement de survie, qu'il résulte de la demande du malade ou d'une réflexion collégiale constatant une obstination déraisonnable, est obligatoirement assorti d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès - dont on est alors certain qu'il surviendra à court terme.
J'en termine par deux points d'insatisfaction qui subsistent, pour moi-même comme pour les députés. En premier lieu, le texte prévoit la nécessité de ne pas prolonger inutilement l'agonie. Je porte la responsabilité et la culpabilité de l'utilisation du terme « inutilement », qui a été sujet à polémique. Il ne s'agissait bien évidemment pas de sous-entendre que des vies pourraient être inutiles ; c'est, dans certains cas, leur prolongation qui pourrait l'être. Si la formulation ainsi comprise ne me paraît pas choquante, sans doute cet adverbe pourrait-il être utilement - pour le coup - modifié. En second lieu, le texte fait référence à l'arrêt d'un traitement de maintien en vie. Notre intention était de faire référence aux traitements dont la vie du malade dépend ; sans doute la formulation pourrait-elle, ici également, être améliorée.
Je rappelle enfin que la mise en oeuvre de la procédure collégiale, dans le cadre du droit nouveau reconnu au malade de demander une sédation, n'a pas pour objet de décider de l'opportunité de répondre à cette demande, mais simplement de vérifier que les deux conditions prévues sont bien réunies.