Je remercie nos collègues députés Alain Claeys et Jean Leonetti d'avoir bien voulu venir nous présenter ce matin leur proposition de loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ».
Ces nouveaux droits, vous le savez, s'appuient sur la notion de « sédation profonde et continue » accompagnant l'arrêt des traitements jusqu'au décès, mais aussi sur un renforcement des directives anticipées. Celles-ci s'imposeraient au médecin, sauf dans des cas limités, et obéiraient à des modèles-types destinés à les rendre plus opérationnelles.
La proposition de loi a été déposée le 21 janvier dernier, dans la foulée des conclusions qu'Alain Claeys et Jean Leonetti avaient remises au Premier ministre sur la mission que celui-ci leur avait confiée.
Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 17 mars. Le calendrier de discussion au Sénat prévoit un examen en commission à la fin du mois de mai et en séance publique vers la mi-juin.
Il m'a paru important, au moment où débutent nos travaux sur ce texte, que nos deux collègues qui l'ont élaboré puissent nous rappeler le cadre de leur démarche, les objectifs poursuivis par la proposition de loi et les modifications qu'elle va entrainer par rapport à législation actuelle, mais aussi par rapport aux pratiques et aux situations concrètes constatées pour les malades en fin de vie.
A l'Assemblée nationale, une trentaine d'amendements ont été adoptés au stade de la commission, et une vingtaine lors de la séance publique.
Je souhaiterais également qu'Alain Claeys et Jean Leonetti puissent évoquer les points qui ont fait débat et les modifications qui ont été apportées par rapport au texte initial qu'ils avaient déposés.
Je leur laisse la parole, avant que chacun puisse leur poser ses questions.
Je vous remercie de votre invitation, le dialogue entre nos deux assemblées étant essentiel sur ce sujet.
Permettez-moi de rappeler tout d'abord le contexte dans lequel nous avons travaillé. Avant son élection à la présidence de la République, le candidat François Hollande avait pris l'engagement que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. ». Une fois élu, le Président de la République a donné pour mission à Didier Sicard de faire un état des lieux de la question de la fin de vie en France. Le constat de la commission Sicard est accablant : on meurt mal en France, c'est-à-dire dans de mauvaises conditions. Les inégalités territoriales sont fortes, les structures de soins palliatifs étant peu nombreuses en Ehpad et inégalement implantées dans les CHU. Plus de la moitié des décès ont lieu aux urgences. Les Ehpad manquent souvent d'infirmières le soir à partir d'une certaine heure puis la nuit.
Les soins palliatifs souffrent de deux principales carences : d'une part, un manque de formation des professionnels de santé, la culture palliative restant peu enseignée ; d'autre part, le caractère inadapté aux soins palliatifs de la tarification à l'activité.
Plusieurs analyses ont été réalisées à la suite du rapport Sicard dans le cadre de l'avis 121 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et de la consultation citoyenne qui a elle-même fait l'objet d'un rapport du CCNE. Dans la foulée, nous avons reçu en juin dernier une lettre de mission du Premier ministre qui nous demandait de formuler des propositions dans trois directions : « assurer le développement de la médecine palliative, y compris dès la formation initiale des professionnels de santé ; mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées dont le caractère engageant doit être pleinement reconnu ; définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l'apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l'autonomie de la personne ». Cette mission nous a conduits à procéder à une quarantaine d'auditions.
Quel était notre état d'esprit ? Nous ne partions pas de rien. Après la loi sur les soins palliatifs de 1999 et la loi « Kouchner » de 2002, la loi « Leonetti » de 2005 a constitué une avancée importante, traitant en particulier de l'acharnement thérapeutique. Dans ce contexte, la proposition de loi que nous avons déposée le 21 janvier dernier s'inscrit dans le prolongement de la législation actuelle et n'introduit en aucun cas une rupture.
Les débats sur ce texte à l'Assemblée nationale ont montré que certains considéraient qu'il n'allait pas assez loin tandis que d'autres estimaient qu'il n'y avait rien à changer. Mais nous avons tenu bon sur nos propositions pour deux raisons essentielles. En premier lieu, nous devions répondre précisément à la demande du Premier ministre et à l'engagement du Président de la République. En second lieu, s'agissant d'un débat de société de cette importance, nous devions trouver non pas un consensus mais une convergence qui permette de régler un grand nombre de cas concrets dans notre pays.
La proposition de loi n'est pas en contradiction avec le développement des soins palliatifs. Nous proposons de nouveaux droits qu'il ne faut pas opposer au corps médical. Il s'agit de consacrer de nouveaux droits sans supprimer ce qui existe déjà, c'est-à-dire le dialogue singulier entre patients et médecins.
La proposition de loi comporte deux mesures phares. S'agissant tout d'abord de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, il faut rappeler que la sédation existe déjà. Elle est pratiquée dans certaines indications précises dans les services de soins palliatifs. Des risques d'abus existent toutefois, certains patients se voyant administrer conjointement sédatifs et antalgiques alors qu'ils n'ont pas de douleurs. La société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFSP) précise les indications dans lesquelles un patient a le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir. L'objectif de la sédation profonde et continue est d'empêcher toute souffrance ou toute situation d'inconfort. Comme le dit Régis Aubry, le malade n'est pas obligé d'assister à sa mort.
La SFSP prévoit deux conditions essentielles pour pouvoir recourir à cette pratique. Ces deux conditions sont reprises par la proposition de loi : la mort doit être imminente, c'est-à-dire le « pronostic vital engagé à court terme » et la souffrance ressentie par le malade doit être « réfractaire » au traitement. Cette dernière condition permet d'éliminer toute demande engendrée par des souffrances d'ordre existentiel.
Le malade continue de souffrir malgré les traitements et la mort va survenir dans les heures ou les jours qui viennent. La réponse mise en place doit être continue jusqu'au décès. La mort étant proche, il serait anormal de réveiller le malade après la sédation pour déterminer si un autre traitement peut être mis en place. Cela ne ferait qu'aggraver ses souffrances. Nous nous sommes donc fondés sur deux éléments pour définir les conditions susceptibles d'ouvrir la voie à la mise en place d'une sédation profonde et continue : la souffrance réfractaire - elle ne doit pas pouvoir être traitée par d'autres moyens - et la mort imminente.
Quelles sont les différences entre cette proposition de loi et les textes qui l'ont précédée ? La sédation profonde existe de façon diffuse, dans certains services de soins palliatifs. En revanche, elle n'existe ni en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ni à domicile. De plus, les personnels médicaux y sont trop peu sensibilisés. Dès lors, nombreux sont les malades qui, en France, continuent de mourir mal et dans la souffrance.
Les directives anticipées existent depuis 2005 et doivent être prises en compte. Pourtant, seuls 2,5 % des Français en ont rédigé. Leur écriture est en effet complexe. Il est difficile de se projeter dans une situation de fin de vie lorsque l'on n'est porteur d'aucune maladie. A l'inverse, un malade peut avoir peur des conséquences que peut avoir la pathologie dont il souffre. Une réponse doit alors être apportée dans le colloque singulier entre le patient et son médecin, fondée sur la relation de confiance qui a pu se nouer. Nous nous sommes inspirés des législations allemande, suisse et anglaise pour définir un modèle dont nous estimons qu'il doit garantir un certain degré de pédagogie et permettre d'écrire les recommandations de façon réfléchie. A titre personnel, je pense que les directives anticipées devraient être rédigées dans le cadre d'un dialogue avec un médecin. Mais je reconnais que l'intervention de celui-ci peut s'avérer intrusive. Pour plus de sécurité, nous avons prévu que le modèle unique de directive anticipée serait défini par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé (HAS).
Les directives anticipées doivent être contraignantes. Jusqu'à présent, elles sont suivies par les médecins dans 70 % des cas. Pour les 30 % restants, il est très difficile de savoir s'il s'agit d'un refus du corps médical d'appliquer la volonté du patient ou si les directives sont inapplicables car inadaptées, par exemple lorsqu'elles se résument à l'expression d'un refus d'hospitalisation. Le texte que nous avons adopté doit permettre au patient d'exprimer sa volonté concernant la limitation ou l'arrêt des traitements et actes médicaux. Ces directives s'imposeront au médecin, ce qui signifie qu'elles seront opposables.
Il existe cependant deux situations dans lesquelles les directives anticipées ne pourront pas être opposables. La première est celle de l'urgence vitale. Les gestes de réanimation doivent être rapidement mis en oeuvre. Même si les directives anticipées sont facilement accessibles, elles ne pourront être examinées de façon sereine dans de tels contextes d'urgence. Cela signifie en particulier que les réanimations doivent pouvoir continuer à être pratiquées lorsqu'elles interviennent à la suite d'une tentative de suicide. N'oublions pas que 60 % à 70 % des personnes qui font une tentative de suicide ne récidivent jamais. Nous avons précisé que les directives anticipées ne s'imposeraient pas « pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation », c'est-à-dire à l'analyse de leur caractère approprié ou non. En effet, si toutes les urgences vitales peuvent être opposées aux directives anticipées, alors ces dernières n'ont plus de sens. La deuxième situation de non opposabilité est celle dans laquelle la directive anticipée s'avère manifestement inappropriée, par exemple lorsque l'état de santé du malade est en réalité réversible ou lorsque la directive anticipée n'est pas adaptée à la situation en cause. Plutôt que d'essayer de dresser une liste exhaustive des situations inappropriées, nous avons adopté une formulation volontairement large qui conduira à la mise en place d'une procédure spécifique : le médecin devra solliciter un avis collégial et la décision à la suite de celui-ci sera inscrite dans le dossier médical.
S'agissant de la personne de confiance, nous avons adopté un éventail large. En particulier, il ne nous a pas semblé opportun d'exclure le médecin ou les membres de la famille. L'essentiel est que la personne puisse être choisie librement dans un climat de confiance. La personne de confiance ne donnera plus un avis mais un témoignage qui prévaudra sur tout autre témoignage. Il sera le reflet fidèle de la volonté du patient.
On ne peut pas obliger quelqu'un à envisager sa mort. J'estime par conséquent qu'il n'est pas souhaitable de rendre obligatoire la rédaction de directives anticipées. Dans certains cas, il sera donc nécessaire de se tourner vers la famille et les proches pour connaître la volonté du patient. Faut-il établir une hiérarchie, par exemple au bénéfice de la famille ou au sein de celle-ci ? Nous n'avons pas souhaité le faire. En revanche nous avons voulu donner toute leur valeur aux opinions qui auront pu être exprimées par le patient. Ce passage de l'avis au témoignage est significatif.
Nous avons par ailleurs tenu à rappeler dans la loi que la position du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur primera sur celle de la personne de confiance.
J'en viens à la question de l'hydratation et de la nutrition artificielles : constituent-elles un traitement ? Il me semble que c'est devenu une évidence, rappelée par le Conseil d'Etat dans l'affaire Vincent Lambert ; le texte de 2005 faisait d'ailleurs bien référence à l'arrêt de « tout traitement », et non pas à celui « du traitement ». Constitue un traitement toute intrusion sur le corps d'autrui, qui doit dès lors y donner son consentement. On ne peut considérer que le fait de placer, par voie chirurgicale, un tuyau dans l'estomac dans le but d'apporter des nutriments à l'organisme constitue un simple soin : c'est bien sûr un traitement. Cet élément, auquel est attachée une symbolique forte, apparaît comme une nouveauté dans le débat ; il constitue pourtant une évidence depuis bien longtemps pour les médecins.
Je rappelle par ailleurs que le principe du « double effet » avait été mal écrit dans la loi de 2005. Le texte indiquait que tout traitement ayant un double effet devait être inscrit sur le dossier médical, sans que la notion soit précisée. Sans que l'on puisse envisager de développer un argumentaire à l'appui d'une double intentionnalité, on ne peut refuser la mise en oeuvre de traitements permettant de soulager la souffrance au motif qu'ils pourraient avoir pour effet d'abréger la vie. C'est pourquoi nous avons choisi d'employer l'expression « même si » dans le texte qui vous est proposé : on peut recourir à des traitements antalgiques et sédatifs pour soulager la souffrance, même s'ils pourraient avoir pour conséquence un abrègement de la vie. Suivant en cela la position d'Alain Claeys, nous avons choisi de ne pas utiliser le terme « secondaire », qui renvoie à l'idée que l'effet induit serait soit consécutif, soit négligeable ; or, il paraît difficile de suggérer que le raccourcissement de la vie puisse constituer un simple effet secondaire.
Je n'ai évoqué que le cas de la sédation à la demande du malade ; il existe cependant d'autres cas de figure. Le paragraphe III de l'article 37 du code de déontologie envisage la situation dans laquelle un patient présente des lésions cérébrales majeures qui l'empêchent d'exprimer sa volonté, et dans laquelle sa souffrance est impossible à évaluer : le médecin doit alors mettre en oeuvre un traitement antalgique et sédatif pour éviter toute souffrance potentielle - la phrase étant formulée au présent de l'indicatif, elle vaut impératif. Je ne reviens pas sur l'affaire Pierrat, dans laquelle les traitements avaient été arrêtés sans poursuite des soins, ce dont avaient résulté une souffrance et une agonie importantes.
L'arrêt de tout traitement de survie doit nécessairement être accompagné de la mise en place d'un traitement destiné à soulager la souffrance ; les familles également ont droit à la vision d'une vie finissant de manière sereine et apaisée. C'est la raison pour laquelle cette disposition du code de déontologie a été intégrée dans le code de la santé publique en 2010, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Désormais, l'arrêt d'un traitement de survie, qu'il résulte de la demande du malade ou d'une réflexion collégiale constatant une obstination déraisonnable, est obligatoirement assorti d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès - dont on est alors certain qu'il surviendra à court terme.
J'en termine par deux points d'insatisfaction qui subsistent, pour moi-même comme pour les députés. En premier lieu, le texte prévoit la nécessité de ne pas prolonger inutilement l'agonie. Je porte la responsabilité et la culpabilité de l'utilisation du terme « inutilement », qui a été sujet à polémique. Il ne s'agissait bien évidemment pas de sous-entendre que des vies pourraient être inutiles ; c'est, dans certains cas, leur prolongation qui pourrait l'être. Si la formulation ainsi comprise ne me paraît pas choquante, sans doute cet adverbe pourrait-il être utilement - pour le coup - modifié. En second lieu, le texte fait référence à l'arrêt d'un traitement de maintien en vie. Notre intention était de faire référence aux traitements dont la vie du malade dépend ; sans doute la formulation pourrait-elle, ici également, être améliorée.
Je rappelle enfin que la mise en oeuvre de la procédure collégiale, dans le cadre du droit nouveau reconnu au malade de demander une sédation, n'a pas pour objet de décider de l'opportunité de répondre à cette demande, mais simplement de vérifier que les deux conditions prévues sont bien réunies.
Je vous remercie pour cette intervention utile, et même indispensable à nos travaux.
S'agissant de la décision collégiale, il faut tout de même souligner qu'il s'agit bien, justement, d'une décision : après la phase de discussion, il est nécessaire de trancher dans un sens ou dans l'autre.
Il me semble que le texte de 2005 était un texte équilibré, qui a permis de prendre en compte la quasi-totalité des situations dans lesquelles peuvent se trouver le corps médical comme les patients. Il comporte certes des lacunes et des défauts, que vous vous employez aujourd'hui à corriger et à préciser. Je pense que la question de l'hydratation et de la nutrition artificielles méritaient d'être précisée.
Pourquoi le texte de 2005 était-il aussi peu connu et appliqué ? Il est nécessaire qu'il puisse être diffusé de manière beaucoup plus importante et connu dans tous les services. Je m'interroge également sur le faible nombre de services palliatifs mise en place, alors même que l'on sait depuis longtemps maintenant qu'ils constituent une solution indispensable.
L'article 3, qui porte sur la sédation profonde, nous a posé plusieurs problèmes. Nous avons en effet buté sur l'expression de « prolonger inutilement » la vie ; afin de ne pas choquer les esprits, nous pourrions revenir à une formulation reposant sur la notion d'obstination déraisonnable.
Par ailleurs, ne faudrait-il pas préciser quel est le type de traitement qui peut être arrêté, en indiquant par exemple qu'il s'agit d'un traitement de survie ? Un patient diabétique qui décide d'arrêter son traitement d'insuline engage son pronostic vital à court terme ; pour autant, il ne pourrait bénéficier d'une sédation profonde dans la mesure et l'arrêt d'un tel traitement relève plutôt d'une forme de suicide. La question se poserait différemment pour le même patient diabétique qui aurait perdu la vue, serait en insuffisance rénale et aurait été amputé d'un membre.
Enfin, je pense qu'un cas de figure a été oublié à l'alinéa 7, pour prendre en compte les situations de fin de vie souvent dramatique en Ehpad - où, on le sait bien, le personnel manque souvent à partir du vendredi soir. Il pourrait être précisé que l'application de cet article se fait aussi en établissement médico-social.
Dernière question : cette proposition de loi opère-t-elle un rééquilibrage entre les pouvoirs du médecin et les droits du patient ?
Un regret, enfin, le fait que la question de la fin de vie des jeunes enfants, et notamment celle des nouveau-nés, ne soit pas abordée, comme si la fin de vie ne concernait que les personnes âgées et les victimes de cancers.
En effet, la loi de 2005 est insuffisamment connue. L'explication en est simple : les fondations nécessaires à une bonne application de cette loi n'existaient pas au moment où elle a été votée. En particulier, le nombre de structures permettant l'emploi des soins palliatifs était insuffisant. C'est pourquoi toute loi sur la fin de vie doit s'accompagner de mesures et de moyens destinés à mieux former les médecins et les personnels soignants et à développer les soins palliatifs.
Le terme « inutile » est en effet ambigu. Nous avons pour notre part souhaité le conserver même si nous sommes conscients qu'il peut être mal interprété.
En ce qui concerne les pouvoirs du médecin, notre proposition de loi n'entend pas du tout prendre le contrepied de la loi de 2005 mais seulement garantir de nouveaux droits au patient, sans rien enlever au médecin. Sur ce sujet, c'est la question des directives anticipées qui suscite le plus le débat.
Il est vrai que la loi de 2005 n'est pas aussi connue qu'elle devrait l'être. Peut-être les lois qui sont issues de propositions de loi ne sont-elles pas diffusées d'une manière aussi efficace que celles qui procèdent de projets de loi. Peut-être aussi a-t-elle été desservie par le fait qu'elle ait été votée à l'unanimité, laissant ainsi penser qu'elle était le fruit d'un compromis tiède et dénué d'ambitions. Surtout, je crois que le débat sur la fin de vie est trop souvent ramené en France, notamment par les médias, à la seule question « Y a-t-il un droit à la mort dans certaines circonstances ? », occultant le problème des 30 % de Français qui meurent dans de mauvaises conditions chaque année.
Nous avons dit au Président de la République qu'il était nécessaire de développer la culture palliative des médecins et des personnels soignants pour que la loi soit connue et appliquée. Il s'est engagé à ce que le Gouvernement consacre à cette question les moyens nécessaires.
En effet, le cas des nouveau-né est le plus difficile à gérer, il est impossible en pratique de demander son avis à la mère. Le personnel soignant se trouve dans une impasse éthique et le recours à la collégialité médicale est indispensable. S'agissant des mineurs en général, les titulaires de l'autorité parentale sont automatiquement personnes de confiance.
Les termes « traitement de survie » sont en effet plus adaptés que ceux de « traitement de maintien en vie » pour désigner les traitements dont l'arrêt engage à court terme le pronostic vital du patient.
Les décisions relatives à la fin de vie du patient sont prises en responsabilité par un médecin unique même si la procédure qui conduit à cette prise de décision est collégiale.
Si vous me le permettez, je souhaiterais vous signaler les principaux amendements qui sont venus modifier notre proposition de loi à l'Assemblée nationale. Les députés ont autorisé la personne de confiance à accéder au dossier médical du patient contre l'avis de la commission et du Gouvernement. Ils ont rendu la sédation possible à domicile. Ils ont prévu que la loi s'applique en Nouvelle-Calédonie et que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport annuel sur le développement des soins palliatifs, en se fondant sur les informations réunies par les agences régionales de santé (ARS).
Je souhaiterais vous faire part de trois interrogations. Dès lors que l'on adopte un droit à une fin de vie digne et apaisée pour chacun, que se passe-t-il si la personne a le sentiment que ce droit n'est pas respecté ? Le Président de la République a pris des engagements sur les soins palliatifs, mais le Gouvernement peut-il vraiment dégager les moyens financiers nécessaires ? Enfin, je regrette qu'on ne dise pas plus clairement que cette proposition de loi ne porte pas sur l'euthanasie mais bien sur la fin de vie.
Certes la loi de 2005 est peu appliquée, mais la solution est-elle pour autant de légiférer de nouveau ? Les vrais problèmes, cela a été dit, concernent le manque de moyens et la formation insuffisante des médecins et des personnels soignants aux soins palliatifs. En outre, si cette proposition de loi entend combler des lacunes du texte de 2005, elle correspond surtout à un engagement de campagne du Président de la République.
Cette proposition de loi va encore retirer du pouvoir aux personnels soignants. Surtout, elle laisse une place considérable à la subjectivité de chacun. Ainsi par exemple de la formulation suivante : « apparaissent inutiles ou disproportionnés ». Quant à la qualification de la sédation comme « profonde et continue », une sédation n'est-elle pas nécessairement « profonde » ? Quand on y ajoute une analgésie et qu'on n'hydrate plus le patient, ne faut-il pas franchement parler d' « euthanasie » ? Y a-t-il une volonté d'éviter ce mot ?
Comment définir le « court terme » dans le contexte de la fin de vie ? Pour le professeur Sicard, c'est au moment de l'agonie. Faut-il le définir ou laisser ce terme être sujet à de multiples interprétations possibles ? Monsieur Amiel a raison d'évoquer les problèmes de la néonatologie mais je crois en effet qu'il faudrait aborder plus largement tous ceux qui concernent l'enfant mineur.
En conclusion, le texte de 2005 bien appliqué me paraissait suffisant.
Notre société soufre d'un problème culturel profond dans sa relation à la mort. D'un côté nous sommes confrontés en permanence à la mort violente via les écrans de télévision, de l'autre la mort est éliminée de la vie quotidienne et presque niée. Aujourd'hui les gens meurent en majorité à l'hôpital et, bien souvent, leur dépouille n'est même pas ramenée à leur domicile mais transportée dans un salon funéraire.
Par rapport au texte de 2005, les dispositions de la proposition de loi vont rendre la prise de décision plus complexe, en raison notamment des directives anticipées. Il est fondamental que la procédure soit collégiale jusqu'à la décision finale du médecin.
Pour répondre à mon collègue Gilbert Barbier, une sédation profonde est différente d'une simple sédation. Une sédation profonde accompagnée d'une analgésie et d'un arrêt de l'hydratation conduit à une fin de vie digne et sereine.
Je souhaiterais soulever la question des inégalités territoriales vis-à-vis de la question de la fin de vie. Comment les réduire ?
J'apprécie le caractère mesuré de vos propos et la sérénité dont vous faites preuve dans l'appréhension de cette situation. Je suis convaincu que cette proposition de loi est utile ; pour autant je ne la trouve pas satisfaisante en ce qu'elle ne répond pas à la question fondamentale du droit à mourir. A l'époque où l'interruption volontaire de grossesse n'était pas autorisée en France, les femmes devaient se rendre en Angleterre. Aujourd'hui, les gens partent à l'étranger pour mourir, pour pouvoir faire leurs choix en libre conscience. La liberté trouve toujours son chemin mais il est regrettable de devoir s'expatrier. C'est une forme de violence. Dès lors que l'on sait que la maladie est incurable, on entre dans l'accompagnement. La dégradation physique est une violence pour la personne mais aussi pour ses proches. Il peut y avoir un refus de cette dégradation et un refus des soins palliatifs. Ce serait un progrès que de le prendre en compte car c'est important pour beaucoup de gens. Je vous apporte mon soutien dans votre démarche tout en considérant que ce texte ne répond pas à l'attente de nos concitoyens. Comment entrer de façon apaisée dans le débat sur le droit à mourir ?
L'accompagnement de la mort est chaque fois singulier. En tant que médecin rural, je fais intervenir l'unité de soins palliatifs du centre hospitalier dans les établissements pour personnes âgées. Depuis trois ans, les médecins ne souhaitent plus prendre de garde de nuit. Pour préserver la permanence des soins, il faudrait élargir le numérus clausus mais ceci est un autre débat. La loi de 2005 a constitué un progrès et il est vrai qu'il faudrait enseigner davantage les soins palliatifs. Le présent texte apporte un peu de complexité car chaque cas est un cas particulier. Je suis en accord avec les conditions posées : la mort doit être imminente et la douleur réfractaire à tout traitement.
Nous retrouvons dans vos interventions les débats intervenus à l'Assemblée nationale.
Le vrai sujet est celui des inégalités territoriales. Si nous ne les réduisons pas, nous ne réglerons aucun des problèmes. Pour le développement des soins palliatifs, des moyens financiers doivent être mobilisés. Il faut aussi faire évoluer la tarification à l'activité.
En matière de formation des soignants, le Président de la République a pris des engagements. Le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche et la conférence des doyens ont engagé des discussions et feront des propositions pour une mise en oeuvre à la rentrée 2015.
Pourquoi une sédation « profonde » ? Il ne s'agit pas d'une expression nouvelle mais bien, Catherine Génisson l'a indiqué, d'une notion médicalement reconnue.
S'agissant du débat sur l'euthanasie, le fait que certains nous reprochent d'aller trop loin et d'autres, pas assez, illustre bien le chemin sur lequel nous nous sommes engagés. Nous ne règlerons pas l'ensemble des cas avec ce texte dont la feuille de route était clairement définie. Il faut relire la lettre de mission qui évoque précisément la fin de vie et les cas où le pronostic vital est engagé. Je respecte beaucoup ceux qui défendent l'euthanasie mais je crois que nos concitoyens veulent surtout être entendus dans leur souhait d'avoir une mort digne. Notre société doit-elle répondre à ce souhait en décidant que la solution est un acte létal ? Je ne le crois pas. Nous devons répondre sur les sujets sur lesquels nous sommes interpellés. Si vous regardez les sondages, les Français nous disent qu'ils souhaiteront l'euthanasie si nous ne sommes pas capables de leur assurer une fin de vie digne et apaisée. Le débat a été très calme et respectueux à l'Assemblée nationale.
Je n'ai pas le sentiment que nous retirions des pouvoirs au corps médical. Au fur et à mesure du progrès des techniques médicales, il ne faudrait pas que la relation entre le patient et le médecin s'affaiblisse. Il me semble que le terme de médecine personnalisée appliquée à la génomique est impropre. La médecine personnalisée, c'est le souci du bien du patient.
Alain Claeys dit ce que je pense. Cette forme de fusion devient inquiétante ! Ce qui est important, c'est que nous ayons des interrogations et des doutes sur ce sujet. Plus encore que des moyens en soins palliatifs, il faut qu'une culture se développe qui soit au moins aussi attentive à soulager et à accompagner qu'à guérir ou à sauver.
Le déni de la mort est profond dans notre société. Nous devons être attentifs à ce qu'un jour on n'en vienne pas à la régler par des protocoles médicaux. Effectivement, on rentrait avant chez soi pour mourir ; aujourd'hui, on meurt à l'hôpital.
Ce n'est pas une loi sur l'euthanasie. Certains le déplorent, d'autres s'en inquiètent. La sédation profonde n'est pas une euthanasie déguisée : les médicaments qui tuent et les médicaments qui soulagent ne sont pas les mêmes. Il s'agit de savoir si le « lâcher prise » doit être accepté quand on a le sentiment d'être arrivé au bout du chemin. Si l'on interroge les Français sur ce qu'est « la bonne mort », dont on peut noter qu'elle est la traduction du mot grec « euthanasie », ils répondent que c'est dormir et ne pas se réveiller. Face à la mort douloureuse et brutale, il y a la mort apaisée. Beaucoup de gens voient la mort « en dormant » comme l'euthanasie alors que l'euthanasie, c'est la mort donnée volontairement. La situation est différente.
La définition de l'euthanasie a évolué : avant, c'était l'absence d'acharnement ; aujourd'hui, c'est la mort donnée volontairement.
La loi de 2005 était floue. Certaines notions, comme le double effet, n'étaient pas définies. Il y a un devoir du corps médical de ne pas s'acharner mais il y a aussi un devoir de la société envers les plus vulnérables. Le droit du patient est d'exiger de ne pas souffrir. Le corps médical doit faire face à un regain de l'autonomie et de la liberté du patient qui se voit conférer un droit à demander au médecin de faire son devoir. Les deux ne sont pas antagonistes.
La notion de court terme est évidemment problématique. Qu'est-ce que la fin de vie ? Potentiellement, nous sommes tous en fin de vie. Confucius disait que tout homme à deux vies et que la seconde commence au moment où il prend conscience qu'il n'en a qu'une. La mort sans souffrance n'existe pas. Elle suppose au moins la douleur de l'arrachement. Ce problème existentiel de l'humain ne sera pas résolu par un texte de loi. Il s'agit d'essayer de garantir qu'il n'y aura pas de souffrance subie face à l'indifférence d'un monde médical mal formé.
Je regrette que le problème du droit à la mort ait occulté tous les autres sujets. Depuis 1792, les hommes sont libres de se suicider. La vie appartient aux hommes. Certains, comme Robert Badinter, s'interrogent ainsi sur le fait d'incriminer l'aide à un acte qui n'est pas lui-même incriminable. En Suisse, l'aide au suicide est admise dès lors qu'elle n'est pas « égoïste ». Le débat porte sur l'équilibre entre l'autonomie et la vulnérabilité. Dans cet équilibre, le droit à la mort deviendrait un droit créance alors qu'actuellement, le droit à la vie est un droit créance. Le débat ne sera jamais achevé.
Il n'est pas sûr que l'on puisse établir une comparaison avec l'IVG. Avant la légalisation, les femmes mettaient leur vie en danger. La mort de ces jeunes femmes était un scandale. La loi Veil a réparé cette injustice.
Notre société demande « de ne pas se dégrader ». C'est une mission impossible. Cela signifierait de mourir très tôt, au début de la maladie. Il y aurait un vrai problème dans une société qui considèrerait qu'il est légitime de mourir dès lors que l'on n'est plus performant ou rentable.
De même, l'idée de « ne pas attendre » pose d'énormes difficultés. La sédation ne peut pas être trop longue. Nous assistons à un changement majeur dans l'exercice de la médecine qui devient beaucoup plus juridique et devra affronter l'émergence de l'autonomie de l'individu.
La commission nomme M. Alain Milon, Mme Catherine Deroche et Mme Elisabeth Doineau, rapporteurs sur le projet de loi relatif à la santé.
La réunion est levée à 11 h 20.
Présidence commune de M. Alain Milon, président, et de M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable -