Alain Claeys dit ce que je pense. Cette forme de fusion devient inquiétante ! Ce qui est important, c'est que nous ayons des interrogations et des doutes sur ce sujet. Plus encore que des moyens en soins palliatifs, il faut qu'une culture se développe qui soit au moins aussi attentive à soulager et à accompagner qu'à guérir ou à sauver.
Le déni de la mort est profond dans notre société. Nous devons être attentifs à ce qu'un jour on n'en vienne pas à la régler par des protocoles médicaux. Effectivement, on rentrait avant chez soi pour mourir ; aujourd'hui, on meurt à l'hôpital.
Ce n'est pas une loi sur l'euthanasie. Certains le déplorent, d'autres s'en inquiètent. La sédation profonde n'est pas une euthanasie déguisée : les médicaments qui tuent et les médicaments qui soulagent ne sont pas les mêmes. Il s'agit de savoir si le « lâcher prise » doit être accepté quand on a le sentiment d'être arrivé au bout du chemin. Si l'on interroge les Français sur ce qu'est « la bonne mort », dont on peut noter qu'elle est la traduction du mot grec « euthanasie », ils répondent que c'est dormir et ne pas se réveiller. Face à la mort douloureuse et brutale, il y a la mort apaisée. Beaucoup de gens voient la mort « en dormant » comme l'euthanasie alors que l'euthanasie, c'est la mort donnée volontairement. La situation est différente.
La définition de l'euthanasie a évolué : avant, c'était l'absence d'acharnement ; aujourd'hui, c'est la mort donnée volontairement.
La loi de 2005 était floue. Certaines notions, comme le double effet, n'étaient pas définies. Il y a un devoir du corps médical de ne pas s'acharner mais il y a aussi un devoir de la société envers les plus vulnérables. Le droit du patient est d'exiger de ne pas souffrir. Le corps médical doit faire face à un regain de l'autonomie et de la liberté du patient qui se voit conférer un droit à demander au médecin de faire son devoir. Les deux ne sont pas antagonistes.
La notion de court terme est évidemment problématique. Qu'est-ce que la fin de vie ? Potentiellement, nous sommes tous en fin de vie. Confucius disait que tout homme à deux vies et que la seconde commence au moment où il prend conscience qu'il n'en a qu'une. La mort sans souffrance n'existe pas. Elle suppose au moins la douleur de l'arrachement. Ce problème existentiel de l'humain ne sera pas résolu par un texte de loi. Il s'agit d'essayer de garantir qu'il n'y aura pas de souffrance subie face à l'indifférence d'un monde médical mal formé.
Je regrette que le problème du droit à la mort ait occulté tous les autres sujets. Depuis 1792, les hommes sont libres de se suicider. La vie appartient aux hommes. Certains, comme Robert Badinter, s'interrogent ainsi sur le fait d'incriminer l'aide à un acte qui n'est pas lui-même incriminable. En Suisse, l'aide au suicide est admise dès lors qu'elle n'est pas « égoïste ». Le débat porte sur l'équilibre entre l'autonomie et la vulnérabilité. Dans cet équilibre, le droit à la mort deviendrait un droit créance alors qu'actuellement, le droit à la vie est un droit créance. Le débat ne sera jamais achevé.
Il n'est pas sûr que l'on puisse établir une comparaison avec l'IVG. Avant la légalisation, les femmes mettaient leur vie en danger. La mort de ces jeunes femmes était un scandale. La loi Veil a réparé cette injustice.
Notre société demande « de ne pas se dégrader ». C'est une mission impossible. Cela signifierait de mourir très tôt, au début de la maladie. Il y aurait un vrai problème dans une société qui considèrerait qu'il est légitime de mourir dès lors que l'on n'est plus performant ou rentable.
De même, l'idée de « ne pas attendre » pose d'énormes difficultés. La sédation ne peut pas être trop longue. Nous assistons à un changement majeur dans l'exercice de la médecine qui devient beaucoup plus juridique et devra affronter l'émergence de l'autonomie de l'individu.