Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 16 avril 2015 à 9h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article additionnel après l'article 33 nonies

Emmanuel Macron, ministre :

Pour qualifier juridiquement « un effet structurant sur le fonctionnement de l’économie numérique » qui entraînerait l’imposition d’une obligation, on peut se référer au droit de la concurrence, mais, dans ce cas, on est ramené au régime actuel. Le droit sectoriel, comme celui des télécommunications, recourt quant à lui à des analyses exhaustives des marchés en cause avant d’imposer des remèdes, parce qu’il repose sur la base du droit européen. Je pense donc que la qualification que vous retenez, madame Morin-Desailly, vous empêche de reprendre une simple notion de droit de la concurrence, parce qu’il s’agit du secteur des télécommunications et qu’il faudra aller plus loin.

Vous prévoyez ensuite quatre types d’obligations.

La première de ces obligations consisterait, en quelque sorte, à demander à Renault d’afficher sur le pare-brise de ses véhicules qu’il est aussi possible d’acheter une voiture de marque Peugeot ou Fiat. La Commission européenne vient de relever le biais que le moteur de recherche introduisait dans le fonctionnement du comparateur de prix. Une telle obligation ex ante que vous proposez d’imposer est à la fois peu praticable et exagérée. En outre, elle serait vraisemblablement jugée inconstitutionnelle, car elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

La deuxième obligation vise l’information du consommateur. Sur ce point, je vous soutiens. Je pense que nous pouvons faire beaucoup dans ce domaine ; c’est d’ailleurs l’un de nos leviers d’action. Le manquement à cette obligation ne peut néanmoins pas faire l’objet du type de sanction que vous prévoyez, j’y reviendrai plus précisément.

La troisième obligation que vous proposez est au cœur de la procédure engagée par la Commission européenne, car elle est déjà couverte par le droit de la concurrence, à l’échelon national et européen. Il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que la procédure européenne que je viens d’évoquer a franchi une étape importante avec la notification des griefs qui est intervenue hier : elle porte sur les conditions de traitement de ses propres services par Google, dans les résultats affichés par son moteur de recherche. L’ouverture d’une phase contentieuse va permettre d’avancer sur ce point. Je déplore comme vous les délais, mais cette étape est significative.

La quatrième obligation que vous prévoyez confond deux sujets : le moteur de recherche et la fourniture des systèmes logiciels pour les terminaux, comme le fait Google avec Android. Ce n’est plus le moteur de recherche qu’il faut encadrer, mais ces systèmes logiciels, ce qui montre que le sujet est bien plus large que le seul objet de votre amendement. Il faut appréhender cette question non seulement dans le cadre de la politique de la concurrence européenne, mais aussi dans une approche beaucoup plus englobante, qui traitera également des logiciels pour terminaux que ne mentionne pas votre amendement. Vous êtes déjà en retard par rapport à ce que Google a fait !

Ces réflexions m’amènent au deuxième volet de votre amendement, à savoir le régime de contrôle et de sanction. Vous proposez de confier ce rôle à l’ARCEP.

En premier lieu, je ne pense pas qu’il soit souhaitable de donner à un régulateur, dont la compétence est circonscrite aux télécommunications, une compétence générale de supervision du « bon fonctionnement des marchés de l’économie numérique », pour reprendre vos propres termes. En effet, le périmètre de ces marchés est évolutif et dépasse largement les compétences de l’ARCEP. J’en veux pour preuve que, à l’échelon européen, c’est non pas la direction générale sectorielle qui s’est saisie de ces sujets, mais bien la commissaire chargée de la concurrence. L’ARCEP n’est donc pas le bon levier.

Je ne vais pas m’exposer à de nouveaux reproches de votre part en disant que l’Autorité de la concurrence serait sans doute plus compétente ! §J’observe cependant que vous invoquez « l’effet structurant sur le fonctionnement de l’économie », qui est une notion de droit de la concurrence et non de droit des télécommunications que l’ARCEP est chargée de faire respecter. Il y a donc un décalage : vous utilisez la base juridique du droit de la concurrence pour fonder une obligation et vous demandez à un régulateur sectoriel de l’appliquer !

Ensuite, l’ARCEP se verrait dotée d’un pouvoir de sanction des moteurs de recherche. Or l’essentiel de son pouvoir de sanction en matière de télécommunications relève du cadre réglementaire européen, qui ne lui donne aucun pouvoir dans ce domaine et ne lui en donnera pas. Votre régime de sanctions risque donc d’être inopérant.

Plus globalement, l’amendement échappe à la logique sur laquelle sont fondées les différentes régulations sectorielles et qui permet justement de déroger à la liberté d’entreprendre. Or c’est là que nous voulons enfoncer un coin aujourd’hui. Cette logique impose d’identifier, à l’échelon européen, un marché pour lequel les remèdes concurrentiels ne permettent pas d’établir des conditions satisfaisantes de marché, de mettre en place un cadre réglementaire ad hoc et de déterminer au plan national des remèdes et leviers d’intervention ex ante permettant d’assurer un encadrement structurel ou comportemental des entreprises en cause. C’est cette base que nous souhaitons mettre en œuvre en Europe s’agissant des plateformes numériques, mais cela suppose de continuer la démarche sur le terrain de la concurrence et de construire cette feuille de route numérique qui n’existe pas encore. Cette politique a été esquissée par le Conseil européen de l’automne 2013 qui a posé le principe des plateformes numériques, des places de marché, des systèmes d’exploitation, mais il faut maintenant construire ses éléments de droit.

Vous l’avez bien compris, madame Morin-Desailly, je vise le même objectif que vous, mais je pense que la méthode que vous avez adoptée n’est pas la bonne. En effet, elle est défaillante et sera donc inopérante. En plus, elle se trouve en décalage.

Si l’on envisage la situation de l’opérateur que vous voulez réguler, Google, il ne se trouve pas en France, où il n’a qu’une régie publicitaire ; il n’a même pas de moteur de recherche en tant que tel qui soit situé dans notre pays. Par conséquent, les dispositions que vous voulez introduire se heurteraient à ces limites de même qu’au droit européen. En effet, les autorités communautaires ne manqueraient pas d’y voir des mesures contraires au principe de libre prestation au sein de l’Union européenne. Paradoxalement, si cet amendement était adopté, nous serions pris à contre-pied !

Néanmoins, que faire ? Selon moi, il nous faut continuer avec vigueur. Le débat que nous avons montre toute la sensibilité de ce sujet. Il faut donc le poursuivre fortement, médiatiquement, l’accompagner, montrer la préoccupation de la Haute Assemblée et celle du Gouvernement – je veux en cet instant la réaffirmer – pour aller en ce sens, et plus vite.

Cela, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, l’a compris, et elle a pris depuis le début de ses fonctions toutes ses responsabilités sur ce dossier. Celui-ci, en effet, était plutôt mal emmanché...

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