Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos propos.
En démocratie, il me paraît essentiel de mettre en œuvre ce que l’on a dit aux citoyens et de ne pas changer de ligne au milieu du gué !
Si vous pensez que les « talents », c’est-à-dire les hauts cadres, doivent être mieux rémunérés parce qu’ils sont compétitifs au niveau mondial et qu’ils risquent de partir ailleurs, si vous pensez qu’il faut revoir la fiscalité, si vous pensez que le chômage est dû à une excessive protection des salariés aux Français, présentez-vous aux élections et dites-le aux citoyens ! Mais il ne me semble pas que nous ayons été élus sur ce thème !
Vous caricaturez la situation ! Bon nombre de vos soutiens d’aujourd’hui étaient des gauchistes quand moi j’étais socialiste ! En 1971, j’étais déjà socialiste, et je le suis toujours !
Le soutien aux grandes entreprises, ce n’est pas le soutien aux cadres ! Pouvez-vous me dire que le patron et les cadres d’Acome, l’un des premiers groupes exportateurs français, qui est une coopérative, ont moins de talents que je ne sais quel haut cadre de ce fonds d’investissement qui a fait du déficit en distribuant plein d’actions gratuites ?
Je ne demande pas la suppression de l’aide aux actions gratuites. Je demande que l’on n’accroisse pas les inégalités et que l’on ne remette pas en cause ce que nous avons voté avec M. Ayrault. Les formes de rémunération gratuites doivent être aidées financièrement de la même manière que le travail ; elles doivent être taxées de la même manière que le travail !
Monsieur le ministre, puisque vous voulez soutenir les talents, utilisez l’argent pour aider nos doctorants et ingénieurs, qui, eux, sont très mal rémunérés ! Financez des programmes de recherche, qui sont bénéfiques aux grandes entreprises françaises, pour leur permettre de rester dans notre pays ! Je préfère financer ceux-là, plutôt que les cadres financiers, qui, la plupart du temps, n’apportent pas vraiment une super-compétence supplémentaire rendant discriminante l’efficacité des grandes entreprises !
Quand il a fallu aller négocier pied à pied à Bruxelles les normes pour les automobiles en matière de pollution ou les normes environnementales, j’ai toujours défendu l’industrie française, parfois avec des retards à l’allumage, toujours pour éviter qu’on désindustrialise notre pays.
Ce n’est pas la même chose de défendre l’industrie et de défendre les hauts cadres ! C’est comme si vous me disiez qu’il fallait rémunérer à mort les traders pour que nos banques soient performantes !
C’est cela que je conteste, surtout au moment où l’on demande des efforts partout et l’où on a du mal à financer la recherche et l’investissement, y compris privé ! J’avais déposé, avec d’autres collègues, des amendements visant à favoriser l’investissement privé. Vous les aviez refusés ; aujourd'hui, vous les jugez nécessaires.
Et ne nous accusez pas de ne pas être attentifs à l’avenir de notre pays ! Dans la République française, le premier moteur, ce n’est pas l’argent ou les inégalités ; en la matière, notre modèle républicain n’est pas optimal… C’est parce qu’il se fonde sur l’humanisme et non pas sur la mise en concurrence des forts, pour écraser les faibles, que notre modèle est le meilleur !
Le Premier ministre vient d’ailleurs de signer un texte dont je n’approuve pas toutes les idées, mais dont bien des éléments philosophiques peuvent nous réunir. Il est notamment écrit ceci : « Les inégalités minent la confiance et la croissance, sans lesquelles un pays ne peut aller de l’avant. […] Activons tous les leviers pour les combattre : la redistribution… » Ce que nous faisons là, ce n’est pas de la redistribution !