Intervention de Jean-Marie Bockel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 avril 2015 à 9h00
Renseignement

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Le Sénat rend aujourd'hui publique le rapport d'une commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes. Parmi ses propositions, que pensez-vous des aspects vous concernant ?

En Afrique, la nouvelle donne au Nigeria peut-elle changer les choses en matière de partenariat, notamment s'agissant de la sécurité du Cameroun et les pays au-delà ?

Quant au Tchad, vous avez dit qu'il constituait pour nous un allié, mais que bien des questions demeuraient à propos de l'avenir. La relation avec le Soudan, son voisin, est-elle aujourd'hui stabilisée ?

Quelle est votre réflexion sur la situation en Libye ? Je sais qu'il est compliqué de répondre à cette question et même de dire quels seront demain les bons interlocuteurs, notamment militaires, tant la confusion actuelle est grande...

Enfin, la Syrie soulève la question de nos relations avec la Turquie, dont on a souligné l'ambiguïté. C'est un vrai sujet, la Turquie constituant un allié incontournable dans le conflit syrien, notamment à la frontière...

Général Christophe Gomart. - La question de savoir s'il est nécessaire pour la France de disposer de six services de renseignement revient souvent. Ne doit-on réduire ce nombre ?

Même si ma position d'ancien adjoint de Bernard Bajolet, alors coordonnateur national du renseignement, m'a permis d'acquérir une vision assez large de l'ensemble des capacités de chacun de ces services, je pense que la DRM répond à un vrai besoin. Sa création, en 1992, était liée au besoin d'appréciation autonome face à certaines menaces.

On sortait alors de la guerre froide et on n'était pas capable de fédérer les capacités des armées de terre, d'air et de la marine nationale pour répondre au CEMA et au ministre de la défense et apprécier la menace en face de nos forces armées.

À l'époque, une compagnie de parachutistes, de légionnaires ou de troupes de marine suffisait pour répondre aux quelques guerres africaines. Un passage de nos Jaguar était alors suffisant. Cela répondait à un vrai besoin ; la mise en orbite de nos satellites d'observation militaire a permis d'apprécier les situations de façon autonome.

C'est aujourd'hui ce qui permet au CEMA, aux décideurs politiques ou aux chefs militaires d'expliquer la position française.

Le problème vient du fait qu'on fait plus confiance à celui qui crie au loup qu'à celui qui ne crie pas, on aime se faire peur. La vraie difficulté d'un analyste est de ne pas se laisser influencer par les médias, mais de dire ce qu'il voit, ce qu'il analyse. Maintenir une ligne en dépit des pressions extérieures est le plus difficile.

On prétend que Daesh a constitué une surprise stratégique, ou qu'on ne savait rien avant le coup de force intervenu en Centrafrique le 5 décembre 2013. C'est faux ! Quand on lit les notes de la DRM, on s'aperçoit que c'était écrit, mais on ne s'y est pas forcément intéressé parce que ce n'était pas le sujet du moment.

La vraie capacité d'un service réside dans le fait de pouvoir dire ce qui est, à l'instant où on le voit, grâce aux capteurs qui sont les nôtres. Le problème des linguistes est par ailleurs un de nos sujets essentiels : comment faire pour en avoir davantage ? En Centrafrique, on a eu besoin de linguistes en sango. Il en va de même pour le Tamasheq. Vous avez également abordé le sujet de nos échanges avec les alliés. Pendant longtemps, pour les militaires français, appartenir à la communauté Five Eyes devait permettre de tout connaître du monde grâce au réseau Échelon. Il vaut mieux échanger de façon bilatérale.

Pour ce qui est du renseignement spatial, le lancement du satellite Hélios nous a permis de porter des appréciations autonomes. Hélios s'achève ; nous avons la chance de profiter du satellite Pléiade, qui est excellent ; il donne des images en couleur, alors que celles d'Hélios étaient en noir et blanc. Les images sont donc plus faciles à interpréter.

Cérès sera lancé en 2020. Musis est constitué de trois satellites, l'un à extrêmement haute résolution, deux à très haute résolution. Toutes ces images sont néanmoins partagées avec certains alliés, la France étant leader en ce domaine.

Élisa tourne toujours, répond aux besoins et doit s'éteindre avant que Cérès ne soit lancé, mais nous avons acquis un certain nombre de données. On aurait préféré qu'il n'y ait pas de trou capacitaire, mais il y en aura vraisemblablement un entre la fin d'Élisa et le lancement de Cérès. C'est extrêmement utile.

En termes de renseignement humain, il est vrai que nous partageons bien avec le COS. En tant qu'ancien patron du COS, j'ai d'excellentes relations avec le général de Saint-Quentin, que je remercie d'avoir cité la DRM lors de son interview sur Europe 1. Il a également cité la DGSE. Tout cela est un petit monde, où chacun cherche à préserver ses acquis, mais on sait qu'il faut partager. On est tous là pour la France. C'est l'équipe France qui compte !

Le renseignement humain est partagé à travers le 13e RDP. Les équipes remontent au COS des renseignements qui lui permettent de monter ses actions. Il s'agit d'un partage, même si je sais que j'ai le droit d'utiliser un certain nombre d'équipes de recherche par an, et que le COS, de son côté, a le droit d'utiliser un certain nombre d'équipes de recherche par an. Les choses sont en fait bien plus souples qu'elles n'en ont l'air.

Lorsque j'étais patron des forces spéciales, et que nous avons pris le pont et la ville de Gao, en janvier 2013, j'avais un visuel sur mes hommes au sol grâce aux drones et aux caméras embarquées, voire grâce aux images satellites, dont la redondance permet seule de comprendre ce qui se passe.

Quoi qu'il en soit, nous suivons les choses de très près au Nigeria. Boko Haram est selon moi plus ou moins en train de reculer. Avec le nouveau président nigerian, qui est issu d'une ethnie du nord, les problèmes vont se déplacer au sud. Il en a toujours été ainsi.

Les Tchadiens, quant à eux, ont essuyé des pertes de plus de soixante-dix morts. Ils ont repris la ville de Malam Fatori. On sent bien que les combats sont très violents. Boko Haram ne tient en fait pas le terrain et revient commettre des exactions, tenant ainsi la population par la peur.

Sans l'intervention tchadienne, Boko Haram aurait pu continuer à prospérer par rapport à un pouvoir nigérian absent des régions du nord.

La Libye constitue un vrai souci : sur quel acteur jouer ? J'ai fait le tour de tous les pays où je pouvais me rendre afin de me faire une idée exacte de ce qu'il était possible de faire, de façon à rendre compte de ce que l'on me disait.

Le sud est quelque peu délaissé par les gens du nord. Certains Touaregs se font la guerre entre eux pour des raisons de trafics. Finalement, l'intervention française au Sahel gêne tous ces intérêts. Au Niger, le fait que la mine d'Imouraren n'ouvre pas va créer une zone de chômage. L'orpaillage illégal est très suivi par les forces armées nigériennes. Les jeunes Touaregs vont donc être attirés par les groupes armés terroristes.

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