Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 avril 2015 à 9h00
Audition du général jean-pierre bosser chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Merci pour la présentation de ce nouveau modèle, qui s'adapte à la réalité des menaces que vous avez décrites.

Vous n'avez toutefois pas abordé le sujet de la réduction des effectifs. La réduction prévue par la loi de programmation militaire portait sur 24 000 hommes. À la suite des arbitrages du Président de la République, il semble que 11 000 à 18 000 vont demeurer, dont une forte proportion pour l'armée de terre. Vous avez laissé entendre que vous ne souhaitiez pas supprimer de régiment. Vous ne voulez pas non plus employer le terme d'échenillage, et préférez parler de réduction de certaines unités périphériques, les régiments n'étant plus que des réservoirs de force. Vous en avez d'ailleurs tiré les conséquences dans votre présentation. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Autre sujet : l'opération Sentinelle : celle-ci devrait être pérennisée à hauteur de 7.000 hommes, contre 10 500 actuellement. Nous saluons cette décision, car on ne pouvait tenir dans la durée au même niveau d'effectifs. Certaines missions en opération extérieure (OPEX) ont été prolongées d'un mois, des permissions ont été supprimées... Par ailleurs, il s'agissait initialement de gardes statiques ; vous êtes heureusement passé en phase dynamique, en prenant en compte les moments où ces gardes ne s'imposent pas.

Ressentez-vous malgré tout une fatigue des militaires sur ces missions intérieures ? Depuis quelques jours, l'équivalent de trois compagnies de CRS, qui n'ont pourtant pas les mêmes obligations que les vôtres, se sont mis collectivement en arrêt maladie. Qu'en est-il de vos troupes ? Leur engagement sur le sol national constitue-t-il une véritable mobilisation ? Rentrer d'OPEX pour surveiller des gares par exemple, est-ce motivant ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Ce sont deux questions extrêmement lourdes.

Lorsque j'ai été désigné à la tête de l'armée de terre, nous étions dans une dynamique qui visait la compression des effectifs plutôt que la montée en puissance. Quand j'ai initié mon modèle, j'ai imaginé, autour d'un seuil critique que j'évaluais alors à 100 000 hommes, une zone permettant de redescendre ou de remonter objectivement le format de l'armée de terre. Cette démarche présente l'avantage de définir un horizon du besoin opérationnel, qui établit un modèle de référence opérationnel, et un horizon des ressources, qui fixe quant à lui la maquette de l'armée de terre. Six à huit mois après, nous assistons à une volonté de remonter en puissance qui donne toute sa pertinence à cette approche. Grâce à elle, nous pouvons aujourd'hui proposer au ministre de la défense des choix éclairés en termes de capacités. La décision du Président de la République de suspendre des déflations d'effectifs est motivée par la nouvelle situation sécuritaire. Notre responsabilité collective consiste donc à lui proposer des solutions qui répondent aux défis qui sont devant nous et pas à ceux d'hier. L'effort de défense supplémentaire que notre pays s'apprête à faire en renonçant à une partie des économies qui étaient programmées n'a pas vocation à reproduire le passé, mais bien à préparer l'avenir. Et une partie de cet avenir se joue actuellement avec l'opération Sentinelle. J'y suis très attentif. Faire comme s'il ne s'était rien passé constituerait une erreur fondamentale. Ce n'est en tout cas pas la direction que je prends.

Vous avez évoqué la suppression de régiments. J'ai la volonté de maintenir le nombre des régiments pour conserver une présence militaire dans les territoires. Cette volonté m'a mis en contradiction avec certains, qui voulaient réduire la surface de l'armée de terre sur le territoire national pour des raisons d'économie en termes de soutien. J'ai souhaité au contraire maintenir ce maillage territorial, qui me semble capital en matière de sécurité et de capacité de réaction en cas de crise.

Il existe désormais beaucoup de « déserts militaires » et nous savons bien que le maillage territorial est important pour le lien armée-Nation, mais aussi pour la sécurité des Français. On parle des villes, mais assez peu des campagnes, et jamais des frontières. Or on ne sait jamais de quoi demain sera fait !

Pas plus que par le passé, je n'ai aujourd'hui l'intention de supprimer des régiments, alors que l'on va me rendre des effectifs - en tous cas, je l'espère. En revanche, il ne vous a pas échappé que, dans mon modèle à deux divisions et six brigades, une brigade sera transformée en brigade d'aérocombat. Je vais donc répartir les régiments de cette septième brigade dans d'autres brigades. Ma volonté est de rééquilibrer les effectifs des brigades pour les densifier. Il existe en effet des brigades dont les effectifs varient parfois du simple au double, ce qui pose des problèmes de préparation opérationnelle.

Un mot à propos de l'opération Sentinelle. Je suis intervenu, en novembre dernier, dans le cadre du cours d'état-major où se trouvent tous les capitaines qui viennent de finir leur temps de commandement. J'y ai évoqué le territoire national. Je n'ai pas ressenti un élan enthousiaste de cette jeune génération, qui n'a connu que les théâtres d'opérations extérieures. Je les ai prévenus qu'il fallait qu'ils s'attendent à passer une partie de leur futur parcours en alternance entre opérations extérieures et opérations intérieures.... Ce sujet est un sujet de fond, qui reste d'actualité. Celle-ci nous a montré que parler du territoire national pouvait avoir du sens.

Je ne note aucun signe de faiblesse s'agissant du déploiement de l'armée de terre au titre de l'opération Sentinelle. Je pense que l'adhésion est réelle. Les jeunes de vingt ans sont fiers d'effectuer cette mission. Nous demeurons cependant très vigilants. Le 11 janvier, nous avons en effet mis en place, sur le terrain, un dispositif très exigeant pour nos hommes, parfois présents 24 heures sur 24, sept jours sur sept, dans des conditions météorologiques assez rudes. Nous avons employé les forces armées comme des forces de sécurité intérieure, sur un mode de garde statique. Tout le monde l'a compris, dans le contexte de l'époque ; personne n'a discuté cette situation.

Il est vrai qu'aujourd'hui les militaires sont favorables à la mise en place de dispositifs plus dynamiques, car la garde statique de points sensibles, si elle peut dissuader, perd de son efficacité avec le temps et réduit l'adhésion à la mission. Une plus grande mobilité permettrait de mieux rentabiliser les atouts spécifiques des forces terrestres. Le fond du sujet est là, et l'armée de terre réfléchit actuellement à la façon de faire évoluer son action, aux côtés des forces de sécurités intérieures, pour tirer le meilleur parti de ses aptitudes spécifiques et de son expérience opérationnelle. On pourrait ainsi réfléchir à l'emploi sur réquisition de capacités de type équipes cynophiles, modules NRBC ou drones ? ou à l'utilisation des savoir-faire relatifs à la surveillance d'une zone. Il est essentiel de dépasser des procédés qui pourraient s'avérer comme une nouvelle « ligne Maginot » et proposer une « offre de service » intelligente, conforme à la spécificité d'une force militaire.

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