Cette intervention vaudra explication sur l’ensemble des votes que j’ai l’occasion d’émettre sur ce débat relatif au travail du dimanche. J’ai choisi de m’abstenir sur les propositions du Gouvernement, comme, d'ailleurs, sur celles qui visent à supprimer ces dispositifs.
Pourquoi ? Pas tellement en raison du contenu même du texte. À la différence de certains de mes collègues qui expriment ici un très vif enthousiasme contre ce texte dans lequel ils voient des reculs considérables, j’ai tendance à ne voir, quant à moi, qu’un texte au fond assez modeste et qui ne mérite pas peut-être ces emportements.
Ce qui me gêne dans ce projet de loi, c’est moins son contenu que les arguments avancés pour le défendre, et là, je suis un peu dans l’embarras. Je reprendrai ce que disait tout à l’heure mon collègue Collombat, qui a réagi avec la passion qu’on lui connaît lorsque le mot « gauche » a été évoqué.
« La gauche », on peut évidemment en avoir des définitions très variables. Je suis persuadé que sur ces travées, pour ceux en tout cas qui s’y reconnaissent, nous pourrions tous en donner des définitions différentes, mais nous avons tous le sentiment qu’elle se reconnaît néanmoins à certains éléments de repère, à certaines références.
Je prendrai un exemple sur l’argument qui a été évoqué ici au sujet de la durée du travail. Cet argument, j’avais coutume de l’entendre par le passé sur d’autres travées et venant d’un autre gouvernement qui nous expliquait qu’il fallait que les Français travaillent plus longtemps. S’il faut travailler le dimanche, c’est pour travailler plus longtemps et c’est par ce travail plus long que les Français amélioreront leur pouvoir d’achat. Cet argument, je l’ai entendu tant de fois !
Or, nous le savons, ce dont notre pays a besoin, c’est d’avoir plus de gens qui travaillent. §Et en voyant le chômage augmenter, on peut se demander si le travail du dimanche est une véritable réponse. En tout cas, c’est une réponse que la gauche peut proposer de manière sérieuse.
Lorsqu’on entend dire que le travail du dimanche va permettre d’apporter des réponses aux questions sur le pouvoir d’achat, on peut aussi se demander en quoi la gauche travaille aujourd'hui pour améliorer la qualification de nos emplois. En effet, ce que l’on sait, et nous l’avons dit pendant dix ans dans l’opposition, c’est que la faiblesse de ce pays, c’est non d’avoir trop d’emplois peu qualifiés, c’est de ne pas avoir assez d’emplois qualifiés. Cela demande de faire une véritable réforme de la formation et d’accompagner l’évolution du pouvoir d’achat par l’amélioration des qualifications. Ces réformes, elles ne sont pas à l’ordre du jour. Je ne suis même pas sûr qu’on les ait envisagées.
Quand j’entends la gauche, ou une partie de la gauche – je ne sais pas en quoi elle se définit – nous dire que c’est la liberté qui doit primer sur le terrain du droit du travail, là encore, je ne m’y reconnais plus ! La gauche, c’est sans doute la négociation, ce sont les références à un droit du travail qui protège, mais c’est l’idée qu’on s’appuie d’abord sur les syndicats et le dialogue social, en amont, et pas en aval, de la démarche.
Nous nous sommes battus pendant des années à l’Assemblée nationale et au Sénat contre des dispositions visant à augmenter, au nom de la liberté, les quotas d’heures supplémentaires, tout comme on nous disait qu’il fallait, au nom de la liberté, travailler plus pour gagner plus. Cette liberté, on sait qu’elle n’est pas juste et que, par conséquent, elle ne peut pas incarner la gauche.
Monsieur le ministre, vous avez fait référence tout à l’heure – et j’en ai été extrêmement heureux – à François Mitterrand, pour dire qu’on lui a reproché longtemps de ne pas être socialiste. Je ne sais pas si ce procès était justifié, je ne sais pas s’il a été conduit longtemps, mais ce que je sais, c’est que François Mitterrand avait un double souci.
Il avait ce souci, qui vous anime sans doute et qui anime le Président de la République aujourd'hui, de la modernisation de notre économie et de la société, souci parfaitement légitime. Mais il avait aussi le souci, qui vous manque aujourd'hui, d’associer à ce souci de modernisation un souci de justice. François Mitterrand, c’est sans doute l’homme qui a dû régler la question de la sidérurgie, c’est l’homme qui, avec Jacques Delors, a mis un terme à l’indexation des salaires sur les prix – on pouvait en discuter –, des décisions difficiles et fortes à l’époque, mais c’est aussi l’homme qui a su faire la cinquième semaine de congés payés, la retraite à soixante ans et qui a enclenché d’autres réformes.
Ce qui manque malheureusement dans votre démarche, monsieur le ministre, et dans la démarche de ce gouvernement, c’est que l’on voit ce qu’il a de libéral, mais on ne voit pas ce qu’il a de social ; on voit en quoi il veut moderniser, on ne voit pas en quoi il veut favoriser la justice.
S’il y avait un reproche que l’on puisse vous faire, monsieur le ministre, indépendamment de toute autre considération, c’est que, au fond, vous ne regardez pas ce qu’est ce pays, et cette gauche, qui a besoin, pour s’y retrouver, sans doute de pragmatisme mais aussi de conviction et d’idéal.
Et la conviction et l’idéal, ce ne sont pas simplement des déclarations dans un texte comme celui-ci. Cela se traduit de manière forte par des réformes d’ensemble qui font avancer notre société dans l’esprit de la justice, pas simplement par des coups de menton en disant vouloir faire bouger les choses parce qu’il y a des résistances. Bouger, ce n’est pas changer ! Changer, ce n’est pas forcément réformer ! Changer et réformer, c’est mener du même mouvement un progrès économique et un progrès social !
Aujourd'hui, nous avons du chômage, un déficit de nos comptes extérieurs, une incertitude sur l’avenir de notre industrie. Je prends l’exemple de l’industrie de la construction dans la Nièvre : depuis quatre ans, 40 % des emplois ont été supprimés dans ce secteur. Où est la justice pour les salariés de ces petites entreprises ? Où est la justice pour ces territoires ? Où est la gauche, monsieur le ministre ?