L’article 76 définit les modalités des accords qui sont la condition de l’ouverture le dimanche dans les zones touristiques, les zones touristiques internationales et les zones commerciales. Il renvoie à ces accords la responsabilité de définir le niveau des compensations au travail dominical.
Le principe que nous avons retenu et constamment défendu est le suivant : dans tous les secteurs, ces accords sont la condition préalable à l’ouverture le dimanche, en raison de notre volonté d’homogénéiser et de simplifier les règles. Je comprends la préoccupation exprimée notamment par M. Desessard sur ce point, puisqu’il est vrai que la commission spéciale a rétabli une proposition initiale du Gouvernement.
J’insiste sur une difficulté : nous avons fini par estimer qu’il convenait que l’obligation de conclure un accord s’applique à tous les commerces, quelle que soit leur taille, parce que nous constatons que, dans beaucoup d’endroits, le seuil de onze salariés peut être un instrument de contournement – un amendement du groupe socialiste aborde ce point. Ainsi, certains points de vente, généralement détenus par de grandes enseignes, emploient moins de onze salariés. Si l’on renvoie la compensation à un accord, mais que les commerces de moins de onze salariés ne sont pas soumis à l’obligation de conclure un tel accord et peuvent décider de manière unilatérale d’ouvrir le dimanche, on crée de fait un biais qui peut profiter à de plus grandes structures.
Je suis tout à fait ouvert à l’idée que l’on puisse trouver une solution pragmatique plus intelligente que celle que prévoit le texte actuel, mais je pense que cette exemption crée un élément de fragilité au regard de la cohérence d’ensemble de ce projet de loi et de l’équité. En effet, nous proposons à tous les salariés qui travaillent le dimanche la protection que constitue l’accord collectif.
Nous pouvons avoir des différences d’appréciation, en fonction de nos différentes sensibilités, sur la réalité de l’accord collectif. Ces divergences sont tout à fait respectables et elles font partie de la discussion démocratique que nous menons depuis plusieurs semaines sur le présent texte. Il n’en demeure pas moins que la proposition de la commission spéciale renvoie les salariés des plus petits commerces à la décision unilatérale de leur employeur après référendum. Les accords fixeront les contreparties accordées, afin que celles-ci correspondent le mieux possible aux nécessités du terrain.
Comme nous souhaitons que les commerces de moins de onze salariés soient couverts par un accord, il a fallu prévoir la situation des entreprises ne disposant pas de parties pour discuter, faute de représentants du personnel. C’est pourquoi l’article 76 fait référence aux modalités de négociation des accords de maintien de l’emploi institués par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Ce texte prévoit que l’accord peut être négocié avec des représentants du personnel mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, au niveau national ou interprofessionnel. En l’absence de représentant élu du personnel, un salarié peut être mandaté et tout accord conclu selon ces modalités doit ensuite être approuvé par les salariés.
Nous nous sommes servis de cette disposition de la loi relative à la sécurisation de l’emploi comme d’une « accroche », sans qu’il y ait aucun rapport à établir quant au fond, pour nous assurer que, dans tous les cas, un accord pourra être négocié en s’appuyant sur une organisation, puisque nous vivons encore dans un régime où les entreprises de moins de onze salariés n’ont pas une couverture syndicale parfaite. Il faudra ensuite prendre en compte les modifications que le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi introduira, notamment la couverture à l’échelon régional qui sera offerte aux salariés des entreprises de moins de onze salariés. À ce stade, il était important d’indiquer une méthodologie claire applicable à ces entreprises.
Là aussi, il y aura un débat. Nous pouvons avoir des désaccords avec la commission spéciale, mais la référence aux accords de maintien de l’emploi n’a pour objet que d’indiquer le modus operandi. Je suis prêt à vous donner de plus amples précisions, monsieur le sénateur, si je n’ai pas parfaitement répondu à votre interrogation.
Reste enfin la question des modalités d’entrée en vigueur, que nous aborderons à l’occasion de l’examen de l’article 82. Je tiens cependant à préciser qu’un délai d’adaptation est prévu pour les entreprises qui sont couvertes, ou non, par des accords dans les zones où les commerces sont ouverts. Le texte initial du Gouvernement prévoyait un délai de trois ans, ramené à deux ans par l’Assemblée nationale ; la commission spéciale du Sénat propose de le rétablir à trois ans. Nous laissons donc aux entreprises un délai raisonnable pour leur permettre de s’adapter et de conclure partout des accords.
Cet élément me semble important, puisque nous avons vu s’exprimer, ces dernières années, des volontés successives, émanant de toutes les sensibilités politiques, de faire vivre le dialogue social dans ce pays pour accompagner la transformation économique. Je ne crois pas qu’une telle transformation soit possible sans que les acteurs sociaux puissent l’accompagner, avec les protections adéquates. Quand on essaie de faire passer une réforme sans prendre en considération la régulation sociale qui existe dans l’entreprise, on s’expose à ce qu’elle ne fonctionne pas et qu’il y ait un retour de balancier.
Lorsque l’on se fixe des objectifs ambitieux, mais dans des délais trop courts, on n’arrive à rien. Nous l’avons vécu cruellement nous-mêmes au sujet du travail à temps partiel : nous nous étions donné six mois pour mener à bien cette réforme ; ce délai n’était pas tenable et nous avons repoussé cette réforme de six mois en six mois, ce qui n’est pas bon pour la vie des entreprises.
Lorsque l’on fait confiance au dialogue social, tout en se fixant des objectifs, mais sans éléments de contrainte, ce dialogue prend du temps, ses acteurs ayant parfois tendance à la procrastination, qu’il s’agisse des représentants patronaux ou des syndicats, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Le pacte de responsabilité et de solidarité prévoyait de conclure des accords de branche et, j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, la couverture n’est pas encore satisfaisante aujourd’hui.
Nous sommes dans un cas typique où prendre le risque du dialogue social peut s’avérer judicieux. Le principe « pas d’accord, pas d’ouverture » est une bonne règle, parce qu’il met chacun face à ses responsabilités.
Il faudra dénoncer celles et ceux qui, voulant ouvrir le dimanche, ne sont pas capables d’obtenir le consensus dans leur entreprise, leur branche, leur territoire ou leur groupe pour trouver les voies et moyens de compenser cette ouverture et de convaincre les salariés. Il faudra aussi dénoncer celles et ceux qui, par principe, veulent tout bloquer : en effet, il faut bien le dire, certains employeurs qui voudraient ouvrir le dimanche et sont prêts à accorder des compensations se heurtent à des partenaires sociaux qui ne veulent rien entendre. Ces deux types de blocage devront donc être dénoncés.
Je constate cependant que, partout où l’on a laissé sa chance au dialogue social, la démocratie sociale a fait gagner les réformistes. Partout où l’on a permis à des accords de compétitivité ou à des accords de maintien de l’emploi d’être conclus, les réformistes ont gagné. C’est ce principe de respiration démocratique qui fait que j’adhère profondément à la philosophie de l’article 76 – même s’il faudra bien sûr aller le plus vite possible !
Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.