Cet amendement a pour objet de rétablir le texte initial des dispositions du projet de loi concernant les tribunaux de commerce spécialisés, car elles sont la traduction législative d’une proposition formulée dans un rapport parlementaire sur la justice commerciale.
Compte tenu de la technicité du droit des entreprises en difficulté, nous considérons qu’il est nécessaire de spécialiser les juridictions commerciales existantes, en regroupant les affaires les plus sensibles au sein de tribunaux dédiés au traitement de ces dossiers identifiés comme étant particulièrement complexes.
Cet amendement vise aussi à répondre au problème très concret qui se pose lorsqu’un groupe en grande difficulté économique se retrouve devant deux ou plusieurs tribunaux de commerce, comme cela fut le cas pour les entreprises Villeneuve Pet Food et Mory-Ducros. Cette dispersion judiciaire nuit à l’efficacité de la justice commerciale, voire aux chances concrètes de restructuration de l’entreprise.
Au contraire, des tribunaux de commerce spécialisés traitant de manière centralisée les procédures collectives des plus grandes entreprises, celles qui ont développé leurs activités sur plusieurs sites, bénéficieront d’une vision d’ensemble, de ressources et d’une expertise précieuses s’agissant de dossiers consolidés aussi complexes.
Je présenterai en détail les quatre mesures contenues dans cet amendement. Cette présentation vaudra ainsi pour les autres amendements que le Gouvernement a déposés sur les articles suivants.
Premièrement, pour ce qui concerne le nombre de tribunaux de commerce spécialisés, ou TCS, la commission spéciale a retenu la possibilité de créer au moins un tribunal par ressort de cour d’appel, soit 35 tribunaux au moins, compte tenu du nombre de cours d’appel dans notre pays. Cette option ne nous semble pas de nature à assurer une centralisation suffisante des affaires complexes.
La proposition du Gouvernement consiste, au contraire, à limiter le nombre des tribunaux de commerce spécialisés, en prévoyant un TCS par cour d’appel au maximum, et non pas au minimum. Le Gouvernement ne limite donc pas le nombre de ces tribunaux spécialisés à huit, contrairement à ce qui a été annoncé par la Conférence générale des juges consulaires de France, mais souhaite garantir une véritable spécialisation. Cette réforme va dans le sens de l’élaboration d’une cartographie adaptée.
Avec le schéma défendu par la commission spéciale, nous aurions entre 35 et 70 juridictions spécialisées sur moins de 140 tribunaux de commerce concernés aujourd’hui. Cela ne permettrait pas à ces juridictions spécialisées d’acquérir l’expérience et l’habitude de ces dossiers particulièrement complexes.
Dans un référé de mai 2013, la Cour des comptes constatait que plus de la moitié des tribunaux de commerce en France n’atteignaient pas le chiffre des 400 nouvelles procédures contentieuses par an, lequel comprend les injonctions de payer, les contestations de créances et les procédures collectives. Cela signifie que ces juridictions traitent moins de quatre ou cinq procédures collectives par mois.
Dans 60 des 134 tribunaux de commerce, chaque juge traite moins de 15 affaires contentieuses par an. Rapporté aux seules procédures collectives, le chiffre est, au mieux, d’une procédure collective traitée par trimestre.
Il est à noter que les entreprises de plus de 50 salariés représentent seulement 1 % des défaillances, mais aussi, à elles seules, 25 % des emplois menacés ; d’où l’importance de concentrer une certaine expertise et des efforts de ressources sur ces cas qui, pour l’année 2013, concernent 244 400 emplois. Quant aux entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 15 millions d’euros, elles représentaient 159 procédures en 2014.
Aujourd’hui, l’ensemble du droit économique est spécialisé, qu’il s’agisse du droit de la concurrence, du droit de la propriété intellectuelle, des règles relatives aux dessins, marques et modèles, aux brevets, ou encore du droit boursier. Cette spécialisation répond à une complexification grandissante du droit et à son internationalisation. Il lui manquait une branche, celle des procédures collectives. Il est temps d’aboutir.
Deuxièmement, pour ce qui concerne le mécanisme de saisine, la commission spéciale a prévu une compétence organisée selon trois niveaux : une compétence de droit au-delà de 250 salariés, c’est-à-dire pour les entreprises de taille intermédiaire, les ETI, et les grandes entreprises ; une compétence facultative pour les entreprises comptant entre 150 et 250 salariés, sur renvoi de la cour d’appel, qui est tenue de statuer après l’avis du ministère public ; une compétence facultative en deçà de 150 salariés, sur renvoi de la cour d’appel, dans le cadre actuel de la procédure de délocalisation.
Ce mécanisme à trois niveaux constitue une base de travail qui peut être intéressante, à la condition toutefois qu’elle s’intègre dans le cadre dessiné par l’Assemblée nationale. Il est en effet acquis que le principe selon lequel il appartient à une juridiction ou à une cour d’appel de décider si elle demeure saisie, ou si elle se dessaisit au profit d’une autre juridiction, ralentit très fortement les procédures. Or la célérité dans l’instruction des dossiers est un élément clef pour apporter des réponses satisfaisantes à ces cas difficiles. En pratique, il faut en effet plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour organiser un regroupement de procédures.
Troisièmement, pour le traitement des groupes, la rédaction proposée par la commission spéciale vise à permettre, dans certaines circonstances, au tribunal spécialisé compétent pour traiter le cas d’une filiale d’être compétent, aussi, pour sa société mère et pour tout le groupe. Le texte de la commission est donc plus large que celui qu’a adopté l’Assemblée nationale, qui prévoyait le regroupement auprès du TCS de la société mère de toutes les filiales tombées en procédure collective postérieurement à la procédure touchant la société mère.
Cette rédaction n’est pas satisfaisante, car elle pourrait conduire une société mère à relever du TCS de l’une de ses filiales qui ferait déjà l’objet d’une procédure collective. Surtout, une telle disposition placerait plusieurs tribunaux en situation de concurrence : elle provoquerait une véritable course à la première saisine et des conflits de juridiction qui, là encore, complexifieraient grandement le traitement des procédures et le retarderaient. Par ailleurs, dans l’hypothèse de groupes transnationaux, se poserait une difficulté d’ordre communautaire, sur laquelle nous reviendrons.
Enfin, quatrièmement, vous réservez la spécialisation aux seules procédures collectives. Or les procédures de prévention, le mandat ad hoc et la conciliation sont devenus des procédures préparatoires indissociables des procédures collectives et ont fait la preuve de leur efficacité. Cette évolution a d’ailleurs été renforcée par une ordonnance du 12 mars 2014. Les sauvegardes accélérées et les sauvegardes financières accélérées sont, en réalité, des procédures de conciliation qui se poursuivent par des moyens différents. L’esprit de la conciliation étant toujours bien là, il est impératif que le même juge suive et surveille l’ensemble des procédures du livre VI du code de commerce.
Pour l’ensemble de ces raisons, au nom de la cohérence et d’une réforme qu’il s’agit d’assumer dans toute sa logique et de mener à son terme, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter cet amendement du Gouvernement, qui donnera une plus grande lisibilité aux compétences des tribunaux de commerce spécialisés.