Intervention de Henri Tandonnet

Réunion du 6 mai 2015 à 14h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 66

Photo de Henri TandonnetHenri Tandonnet :

Dans votre argumentaire, madame la secrétaire d’État, vous justifiez le principe d’une juridiction spécialisée par le fait que le contentieux serait spécialisé. C’est là, me semble-t-il, une fausse bonne idée !

La France a multiplié les juridictions spécialisées et elle est déjà très critiquée pour cette raison. Dernièrement, par exemple, le barreau de Toulouse s’est plaint de la spécialité créée autour des brevets et des problèmes de concurrence. Celle-ci oblige à se rendre à Bordeaux pour plaider des affaires ordinaires de brevet ou de concurrence concernant des entreprises implantées dans des métropoles comme Toulouse ou Montpellier !

En Allemagne, il n’existe aucune juridiction spécialisée en matière de brevets. Pour autant, le pays en dépose de nombreux et ne rencontre aucune difficulté particulière en la matière.

Dans la version initiale de son projet de loi relatif à la consommation, M. Benoît Hamon prévoyait la création de neuf juridictions spécialisées pour faire face à de prétendues difficultés concernant les actions collectives. Heureusement, la navette entre les deux assemblées lui a permis de reconnaître que cette idée n’était pas bonne et d’y renoncer. Aujourd’hui, tous les tribunaux de grande instance de France peuvent donc en connaître.

Il en va de même pour les procédures collectives. Il n’y a pas de différence entre une procédure qui concernerait 100 salariés et une autre qui en concernerait 150. Le plus important, c’est que le tribunal de commerce saisi de l’affaire connaisse le tissu économique dans lequel l’entreprise s’inscrit.

En outre, on voit bien que ce projet a été proposé par le ministère de l’économie, car tout un pan d’activité est oublié : il s’agit de l’économie solidaire, qui relève, non pas des tribunaux de commerce, mais des tribunaux de grande instance.

Je ne crois pas que le Gouvernement propose la création de juridictions spécialisées au sien des tribunaux de grande instance pour traiter les procédures collectives concernant ce secteur. Pourtant, le président du tribunal de commerce d’Agen, qui est expert-comptable, ancien commissaire aux comptes, et qui a exercé pendant six ans la fonction de juge-commissaire, m’apparaît disposer de beaucoup plus de compétences qu’un vice-président tout juste nommé au tribunal de grande instance d’Agen pour traiter d’une procédure collective concernant, par exemple, une association employant 600 salariés. Or de tels cas existent bien !

Par conséquent, rien qu’en se limitant à cette idée de juridiction spécialisée, le dispositif proposé dans le projet de loi apparaît complètement déséquilibré.

L’essentiel, me semble-t-il, est de bien différencier la juridiction – l’instance ayant le pouvoir de juger - et les professionnels qui auront à s’occuper du redressement de l’entreprise, car, en définitive, toute cette discussion recouvre une préoccupation : celle de l’emploi.

Souvent, la difficulté se situe au niveau de la recherche des professionnels compétents pour assurer la continuité de l’entreprise et trouver un repreneur. Elle n’est pas d’ordre juridique, c’est-à-dire liée à la décision à prendre, mais réside dans la préparation du redressement de la société et, donc, de la cession. Cette étape exige effectivement l’intervention de professionnels qui sont actuellement surchargés, peut-être en nombre insuffisant ou pas nécessairement compétents pour intervenir dans la spécialité de l’entreprise.

Hier soir, je le rappelle, le Sénat a renoncé à supprimer cet article 66 du projet de loi, au motif que la commission spéciale avait avancé une proposition équilibrée s’agissant du nombre de juridictions que l’on pouvait envisager de voir spécifiquement saisies dans le cadre de procédures collectives pour des entreprises ayant un effectif important.

Pour ma part, j’estime qu’il faut au moins une juridiction spécialisée par cour d’appel et je me permets d’apporter cette précision à l’adresse de mon collègue Jacques Bigot : ce n’est pas parce qu’une cour d’appel est de petite taille qu’elle ne peut pas avoir un champ d’action spécialisé. Ainsi, la cour d’appel d’Agen, qui n’est pas grande, dispose d’un territoire spécialisé en matière d’activités agricoles et a une connaissance particulière des coopératives ou de dispositifs tels que les contrats d’intégration. Je juge nécessaire que cette cour d’appel ait au moins une juridiction spécialisée.

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