Mon cher collègue, votre idée est séduisante, d’autant que M. le ministre l’a défendue oralement à plusieurs reprises. Je m’étais personnellement interrogé à son sujet, avant d’y renoncer pour plusieurs raisons. Je vais vous les exposer, en précisant dès à présent qu’elles ne valent pas pour autant avis défavorable.
Tout d’abord, les juges consulaires que j’ai interrogés sur votre proposition s’y sont montrés hostiles.
Ensuite, cette mesure pourrait – je pense que vous admettrez assez facilement que cela soulève une difficulté, même si le mur n’est pas infranchissable – créer une sorte de tutelle des tribunaux spécialisés sur les tribunaux ordinaires si le président du tribunal non spécialisé dans le ressort duquel l’entreprise a son siège devient un membre ordinaire du tribunal spécialisé, sous l’autorité de son président. Spécialisation ne signifie pas subordination.
Il serait par ailleurs tout à fait original, dans notre organisation judiciaire, qu’un même magistrat soit membre de deux tribunaux dont les ressorts sont géographiquement distincts.
Enfin, d’un point de vue purement pratique, votre mesure paraît difficile à mettre en œuvre. Un tribunal spécialisé peut être à plusieurs centaines de kilomètres d’un tribunal non spécialisé ; même si la distance n’est que d’une centaine de kilomètres, cela peut poser problème. Les présidents des tribunaux de commerce sont bénévoles ; ils gèrent par ailleurs une entreprise ou un commerce. Ils n’ont donc pas forcément la disponibilité pour se rendre à des audiences au tribunal spécialisé en plus de l’exercice de leurs missions propres.
Pour autant, ces réserves qui m’ont conduit à renoncer à votre idée, qui nous était initialement commune, me semblent pouvoir être écartées si le Gouvernement profite de cette proposition pour conduire une négociation d’ensemble sur le fonctionnement des tribunaux spécialisés.
La balle est donc dans le camp du Gouvernement. J’attends sa réponse avec beaucoup d’impatience, car, si elle est positive, nous pourrons parvenir en commission mixte paritaire à une solution qui, si elle avait été retenue dès le début, nous aurait évité toutes les irritations inutiles que nous avons connues ces deux derniers jours.