Ces deux amendements, quasiment identiques, tendent à rétablir le texte issu de l’Assemblée nationale.
Le débat est purement juridique ; je vais essayer de vous convaincre que le texte proposé par la commission spéciale répond tout à fait aux objectifs visés.
En l’état actuel du droit, en cas de redressement judiciaire – sauf cession –, un plan de redressement doit être élaboré, en principe, par les dirigeants de l’entreprise et l’administrateur judiciaire. Toutefois, lorsque la procédure de redressement comporte des comités de créanciers, ceux-ci peuvent présenter un plan alternatif, souvent en vue de prendre le contrôle de l’entreprise afin de se dédommager de leurs créances.
Dans certains droits étrangers, les créanciers d’une entreprise en difficulté jouissent de plus de pouvoir qu’en droit français. Celui-ci évolue d’ailleurs progressivement sur ce point : l’avenir nous dira si c’est une bonne chose.
Les comités de créanciers doivent statuer sur les différents plans de redressement proposés, avant que le tribunal statue lui-même pour déterminer lequel devra être mis en œuvre en vue d’assurer au mieux la continuité de l’activité de l’entreprise, de préserver l’intérêt général et de sauvegarder l’emploi.
Qu’il soit proposé par les dirigeants de l’entreprise ou par des créanciers, le plan de redressement peut comporter une modification de capital, avec l’arrivée de nouveaux actionnaires. Ce sera a priori le cas si le plan émane de créanciers désireux de prendre le contrôle de l’entreprise à la place des actionnaires déjà présents.
Dans cette hypothèse de modification de capital, l’assemblée des actionnaires est convoquée pour statuer sur le plan, auquel les actionnaires en place peuvent s’opposer. En pratique, cette situation est extrêmement rare : quel serait l’intérêt des actionnaires en place à empêcher l’adoption d’un plan comportant une évolution de l’actionnariat ? Parfois, cependant, l’actionnaire, buté, refuse !
Le projet de loi ne vise donc qu’à surmonter les situations de blocage dans lesquelles certains actionnaires font échec à l’adoption d’un plan de redressement prévoyant l’arrivée de nouveaux actionnaires.
Deux mécanismes étaient prévus dans le texte initial : premièrement, la dilution du capital, qui consiste en une augmentation de capital ordonnée par le tribunal au profit de nouveaux actionnaires prévus par le plan, l’objectif étant d’ôter le pouvoir aux actionnaires en place récalcitrants ; deuxièmement, la cession forcée par les actionnaires récalcitrants, sur décision judiciaire, de tout ou partie de leur capital.
Compte tenu de l’impact de ces mécanismes sur le droit de propriété des actionnaires, le projet de loi prévoit des critères stricts d’engagement de la procédure, dont le respect devra être vérifié par le tribunal. Celle-ci ne pourra être enclenchée que sur demande de l’administrateur judiciaire ou du parquet. Elle ne pourra concerner que les entreprises d’une certaine taille, dont la cessation d’activité créerait un trouble grave à l’économie nationale ou régionale. Sur ce point, la commission n’a pas modifié le texte.
Le projet de loi prévoit en outre que les actionnaires évincés par cession forcée recevront le paiement de leurs titres cédés sur décision du tribunal, sur la base, si nécessaire, d’une évaluation à dire d’expert. Cette seconde innovation est très importante au regard du droit des sociétés et nécessaire à la réussite du redressement.
Qu’a fait la commission ? Elle a supprimé le mécanisme de dilution forcée au profit du maintien de la seule cession forcée, considérant que le risque constitutionnel et conventionnel au regard du droit européen encouru par la dilution forcée était très important, alors que les deux mécanismes – c’est le point essentiel du raisonnement – permettent d’aboutir exactement au même résultat, à savoir l’éviction des actionnaires récalcitrants. Ils constituent deux armes de même calibre, susceptibles d’atteindre la même cible. Dès lors, il est possible de se passer de l’une des deux.
La commission spéciale a retenu cette solution pour éviter le risque constitutionnel et conventionnel que j’ai évoqué.
Du point de vue constitutionnel, la dilution forcée s’analyse comme une privation, sans aucune contrepartie, d’un attribut essentiel du droit de propriété des actionnaires : le droit de vote. Une fois privés de leur droit de vote pour statuer sur l’augmentation de capital, ils n’ont plus que le droit de se retirer de la société, sans bénéficier d’une indemnisation.
Outre la suppression de ce mécanisme, la commission spéciale a également clarifié la procédure afin de la rendre plus simple et plus lisible, ce qui ne paraissait pas inutile. Par souci de cohérence juridique, elle a aussi repris les notions connues du droit des entreprises en difficulté. Ce n’était pas tout à fait le cas dans le texte initial.
Au nom du principe de proportionnalité et par cohérence avec le relèvement du seuil de compétence automatique des tribunaux de commerce spécialisés, la commission a en outre prévu que seules soient concernées les entreprises appartenant au moins à la catégorie des entreprises de taille intermédiaire, c’est-à-dire comptant 250 salariés ou plus.
La commission a également renforcé les garanties susceptibles d’être exigées des nouveaux actionnaires par le tribunal, et a apporté diverses précisions dans l’application et le déroulement de la procédure.
Même si, cet après-midi, je ne parviens guère à convaincre, je veux insister fortement sur le fait que les modifications apportées par la commission n’affaiblissent en rien la portée du dispositif. En effet, les deux mécanismes de la dilution forcée et de la cession forcée permettent d’atteindre le même objectif : modifier la composition de l’actionnariat en vue de permettre la prise de contrôle de la société par les personnes qui se sont engagées, en contrepartie, à mettre en œuvre un plan de redressement. La clarification et la simplification du dispositif apportées par la commission pourraient, au contraire, donner plus de force à celui-ci.
Enfin, sans déchaîner la colère de Mme Bricq, je voudrais me réjouir que le groupe socialiste, comme l’indique l’objet de l’amendement n° 259, ait eu accès à l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, alors que celui-ci n’est pas public !