M. le corapporteur ayant déployé une argumentation juridique pour motiver l’avis défavorable de la commission spéciale sur les deux amendements, je vais moi aussi recourir à des arguments juridiques pour étayer l’avis favorable du Gouvernement !
Le dispositif de ces amendements vise à permettre de changer la structure de contrôle d’une entreprise en difficulté, et d’assurer in fine un compromis satisfaisant entre, d’une part, l’atteinte possible aux intérêts et aux droits des actionnaires, et, d’autre part, l’impérieuse nécessité de préserver les emplois et l’activité de l’entreprise. À mes yeux, ce dispositif est équilibré et devrait permettre de faciliter le redressement des entreprises en difficulté, partant le maintien de l’emploi. Voilà pourquoi le Gouvernement est favorable à ces amendements.
On ne saurait nous soupçonner d’éventuelles motivations politiques : d’autres États se montrent très pragmatiques sur ce sujet et n’hésitent aucunement à donner plus de droits aux créanciers, parfois au détriment des droits des actionnaires. Ainsi, aux États-Unis, pour sauver l’entreprise General Motors, il a été procédé à une éviction des actionnaires en place au bénéfice de certains créanciers.
La procédure qui a été présentée par Mme Bricq permettra soit de diluer le capital, soit d’imposer la vente d’actions de contrôle au profit de créanciers ou de tiers afin de sauver une entreprise, selon un plan d’action devant se dérouler – ce point est important – sur dix ans. Elle ne pourrait intervenir que dans le cadre des procédures de redressement judiciaire – les procédures de sauvegarde ou de prévention ne sont pas concernées – et que si l’actionnariat en place ne veut ou ne peut pas financer un plan crédible de redressement de l’entreprise, alors même que celle-ci peut être sauvée. Il s’agit notamment de remédier à des situations où des actionnaires, mus par une vision individualiste et de court terme, refuseraient de refinancer l’entreprise alors même qu’une restructuration permettrait de la sauver. Dans de tels cas, la seule alternative est la liquidation, c’est-à-dire la disparition de toute l’activité, de tous les emplois, de tous les actifs.
Enfin, un seuil est prévu : ce dispositif ne concernera que les entreprises comptant au moins 150 salariés. Il faudra en outre que l’hypothèse de la disparition de l’entreprise soit de nature à causer un trouble grave pour l’économie nationale ou régionale et le bassin d’emploi. La modification de capital devra également apparaître comme la seule solution sérieuse permettant d’éviter ce trouble, de poursuivre l’activité et de préserver l’emploi.
Vous l’aurez compris, ce dispositif est encadré et équilibré. Il ne sera mis en œuvre que si les créanciers et les tiers qui veulent prendre le contrôle proposent un plan crédible de continuation et financent la mise en œuvre de celui-ci par le redressement de l’entreprise. Ce plan devra être accepté par le tribunal saisi et son exécution contrôlée pendant dix ans.
Le tribunal aura le choix entre deux procédures pour le changement de contrôle : la dilution par une augmentation de capital ou la cession forcée des actions de contrôle.
La commission spéciale refuse d’intégrer dans le nouveau dispositif la possibilité de procéder à une dilution forcée mais accepte la cession forcée des actions de contrôle. Je ne comprends pas sa logique : la cession forcée pourrait apparaître plus intrusive que la dilution forcée.
Toujours est-il que, pour l’essentiel, la commission spéciale fonde son opposition à la dilution forcée sur deux arguments : elle ne serait ni conforme au droit communautaire ni constitutionnelle.
Concernant un éventuel manquement au droit communautaire, la dilution forcée ne respecterait pas la directive « sociétés », qui impose l’intervention obligatoire des assemblées d’actionnaires pour toute modification des structures de capital : avec la dilution forcée, les droits des actionnaires ne seraient pas respectés parce que leur droit de vote serait bafoué.
Or le texte proposé par les auteurs des amendements respecte cette obligation, puisque le tribunal devra désigner un mandataire, qui convoquera lui-même une assemblée générale des actionnaires. D’ailleurs, ce mécanisme de convocation est directement inspiré d’un exemple étranger tout proche : l’Allemagne a mis en place en 2012 une telle dilution forcée dans le cadre des procédures de redressement d’entreprise en difficulté.
La Commission européenne, loin de critiquer cette procédure allemande, a l’intention de s’en inspirer. Après l’avoir fait expertiser, elle veut désormais en faire un nouveau standard applicable à l’échelon européen. Pour votre information, j’indique que la Commission européenne vient de charger un avocat franco-allemand de former un groupe de travail qui aura pour mission de formuler des propositions d’extension de la procédure de dilution au niveau communautaire en modifiant la directive applicable. Les travaux doivent commencer à la fin du mois. Les Pays-Bas, qui conduisent des réflexions sur la même thématique, y seront associés. Loin de risquer un manquement au droit communautaire, nous avons donc bien plutôt là l’occasion d’harmoniser les procédures à l’échelle européenne, en promouvant les avancées de notre droit national.
Sur le plan constitutionnel, la dilution forcée n’est pas une suppression du droit de propriété. Il faut d’ailleurs rappeler que le travail de rédaction de ce dispositif a été mené en étroite concertation avec le Conseil d’État, qui s’est prononcé sur cette question spécifique d’une atteinte éventuelle au droit de propriété. Les actionnaires dilués auront le choix : ils pourront soit rester au capital de l’entreprise, soit demander à en sortir, moyennant rachat et indemnisation. Il reviendra au tribunal de statuer sur l’indemnisation.
Il est essentiel d’empêcher certaines pratiques de prédation, certains créanciers pouvant être tentés de n’entrer au capital que pour en sortir rapidement en faisant ainsi un bénéfice financier. C’est pourquoi le tribunal pourra interdire aux nouveaux acquéreurs de vendre leurs actions durant cinq années. Par ailleurs, toute vente d’actifs qui serait susceptible d’avoir une incidence sur le bon déroulement du plan, d’une durée de dix ans, devra être autorisée au préalable par le tribunal.
Ces explications un peu longues…