Cet article, que le Gouvernement a introduit à l’Assemblée nationale par voie d’amendement et que la commission spéciale du Sénat a modifié, supprime la peine d’emprisonnement encourue par toute personne qui porte ou tente de porter atteinte à l’exercice par les instances représentatives du personnel de leurs prérogatives. Ainsi, en s’acquittant d’amendes allant de 7 500 euros à 15 000 euros, selon le type d’entrave, les employeurs pourront désormais en toute liberté empêcher les représentants du personnel d’exercer leurs prérogatives.
Le Syndicat national des pilotes de ligne, l’une des nombreuses organisations syndicales qui redoutent cette mesure, estime que, serait-elle adoptée, « les tentations de réforme sans consultation des institutions représentatives du personnel seraient fortes, pour ne pas dire privilégiées, au détriment du dialogue social entre partenaires sociaux. »
Sans doute le délit d’entrave est-il peu utilisé, mais il possède une valeur dissuasive non négligeable, qui constitue un garde-fou réel contre les abus de certains dirigeants. D’ailleurs, en mai 2010, deux dirigeants de l’usine Molex ont été condamnés sur ce fondement par le tribunal correctionnel de Toulouse ; six mois de prison avec sursis ont été prononcés à leur encontre, pour défaut d’information des représentants du personnel avant l’annonce de la fermeture de l’usine.
Une telle condamnation, coûteuse en termes d’image, est en quelque sorte une épée de Damoclès, qui pèse sur les dirigeants de manière beaucoup plus sensible qu’une simple amende financière. Du reste, c’est précisément parce que les peines encourues sont suffisamment dissuasives que le délit d’entrave est peu sanctionné. Nul doute que celui-ci deviendra beaucoup plus fréquent si les employeurs n’encourent plus qu’une amende. Nous savons bien que certaines entreprises préfèrent parfois payer plutôt que de se conformer à leurs obligations légales : l’exemple de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés est éloquent en la matière.
De plus, la disposition proposée s’inscrit dans le cadre de la réforme du dialogue social entreprise par le Gouvernement, qui a transmis un avant-projet de loi aux partenaires sociaux le 3 avril dernier.
Comment envisager cette réforme dans de bonnes conditions quand on commence par affaiblir les représentants des salariés dans le rapport de force qui les oppose aux représentants des employeurs par la dépénalisation du délit d’entrave ? Cette mesure revient, selon nous, à prendre d’ores et déjà le parti des seconds au détriment des premiers et à prendre de court les partenaires sociaux ; c’est, d’une certaine manière, mépriser le dialogue social avant de le réformer !