Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, que j’ai l’honneur de présenter à votre assemblée, est, je le sais, particulièrement attendu dans nos régions d’outre-mer.
Il est attendu, parce que l’octroi de mer est une source essentielle du financement des collectivités, à hauteur de plus de 1 milliard d’euros par an, soit 40 % en moyenne des ressources des collectivités.
Il est attendu, parce qu’il constitue un mécanisme de soutien et d’accompagnement efficace de nos productions locales, en favorisant des stratégies de développement économique cohérentes. Il est donc un outil indispensable du développement de nos économies, encore trop dépendantes des importations.
Il est attendu, enfin, parce que son examen par le Parlement, après de longues négociations avec les instances européennes, est la dernière étape avant l’entrée en vigueur du nouveau régime, qui doit intervenir impérativement au 1er juillet prochain.
Le régime de l’octroi de mer, impôt extrêmement ancien, dont on trouve des prémices dès le XVIIe siècle, a beaucoup évolué, notamment sous l’influence du droit européen. Ce dispositif est, aujourd’hui, à la fois mature et complexe.
Il est mature, parce qu’il bénéficie de l’expérience de décennies de mise en œuvre et a été largement conforté par la décision récente du Conseil de l’Union européenne, rendue en décembre 2014.
Il est complexe, parce que son régime s’articule autour de différents dispositifs : différentiels de taxation, exonérations, déductions, permettant d’offrir une palette adaptée de soutiens à nos filières productives.
Les enjeux de ce dispositif sont considérables : les handicaps structurels dont souffrent nos économies éloignées, les surcoûts engendrés mécaniquement par cet éloignement et les spécificités de ces territoires, marqués par un faible nombre de productions locales et l’étroitesse de leurs marchés, dans des bassins régionaux au surplus extrêmement concurrentiels, exigent la mise en œuvre de dispositifs adaptés à ces caractéristiques. Dans ces conditions, le soutien à l’émergence, puis au développement de productions locales est un enjeu majeur.
Faut-il rappeler que ces territoires affichent une balance commerciale, hors services, structurellement déficitaire – de 1, 2 milliard d’euros pour la Guyane à 4, 4 milliards d’euros pour La Réunion –, un taux de couverture des importations par les exportations encore trop faible, variant, selon les territoires, de 1 % à 18 %, et une trop faible part des productions locales dans le PIB, de 11, 6 % à 14 % selon les DOM ?
La mise en œuvre d’un outil ad hoc demeure, dans ces conditions, pleinement justifiée. Cet outil, que constitue l’octroi de mer, ne permet pas à lui seul de corriger toutes les imperfections des marchés des DOM – loin de là –, mais il permet, a minima, d’en atténuer les faiblesses et, surtout, d’accompagner efficacement les filières productives, ressorts de croissance, de richesse et d’emplois.
L’évaluation du dispositif par un cabinet indépendant, conduite à la faveur du renouvellement de ce dispositif, a permis de souligner plusieurs éléments importants. L’aide effectivement procurée par l’octroi de mer aux entreprises de production est évaluée à une fourchette allant de 170 à 250 millions d’euros annuels sur la période 2005-2007. L’impact du différentiel de taxation a contribué au maintien, voire au développement de certaines activités de production dans les DOM depuis une dizaine d’années. Les effectifs salariés dans l’industrie y ont augmenté de 15 % entre 2000 et 2008. En données consolidées, le poids du différentiel d’octroi de mer sur le PIB varie entre 0, 22 % et 1, 55 % suivant les DOM.
Toutefois, si les parts de marché de la production locale ont tendance à augmenter depuis 2005, les importations de produits équivalents n’ont pas pour autant diminué sur la même période. Les produits bénéficiant du différentiel de taxation demeurent donc particulièrement exposés à la concurrence.
Dans ces conditions, l’étude conclut que le régime d’octroi de mer ne compense pas tous les handicaps supportés par les productions locales.
Par ailleurs, l’analyse des comptes de résultat des entreprises montre que les principales filières bénéficiant du différentiel de taxation répartissent le surcroît de valeur ajoutée qu’elles en retirent de façon équilibrée entre les salaires, les investissements et les profits, ce qui est plutôt sain. Dans ces conditions, je crois pouvoir affirmer que le dispositif ne contribue pas à la création d’une distorsion de marché et d’une situation de rente. C’est pourquoi la Commission européenne en a validé le principe.
Ce régime reste donc, en toute hypothèse, un outil essentiel de l’accompagnement de la production dans les DOM, face à des handicaps qui ont, par nature, vocation à perdurer, parce qu’ils sont structurels. J’observe que cette appréciation est partagée par les députés Mathieu Hanotin et Jean Jacques Vlody, auteurs d’un rapport d’information sur l’octroi de mer, établi en janvier 2013. Vos collègues députés ont estimé que quatre raisons principales justifiaient la reconduction de l’économie générale du dispositif : sa faible incidence sur les prix, notamment grâce à des possibilités d’exonérations, partielles ou totales, sur les produits de grande consommation ; l’aide réelle en faveur des entreprises, évaluée entre 170 et 250 millions d’euros pour les quatre DOM historiques ; son adaptation aux handicaps des régions ultrapériphériques, les RUP, et l’adoption de solutions très comparables à l’étranger, notamment en Espagne ; l’absence de dispositif alternatif présentant le même rendement pour les finances des collectivités et le même effet sur le soutien aux filières productives.
Fort de ces constats, le Gouvernement, en lien avec les exécutifs régionaux et les représentants des socio-professionnels, a souhaité reconduire le régime de l’octroi de mer. Ce processus de reconduction a été engagé à l’hiver 2012 par mon prédécesseur, Victorin Lurel, et s’est matérialisé par des échanges approfondis avec les parlementaires et les exécutifs des collectivités, pour arrêter les termes de notre demande de reconduction à la Commission européenne.
Pour les raisons déjà évoquées, notamment le poids de l’octroi de mer dans les ressources des collectivités, il semblait évident que la position des autorités françaises devait, au préalable, faire l’objet d’une large consultation. Nous avons donc ouvert de nombreux chantiers : sur le seuil d’assujettissement, sur le traitement des plus petites entreprises, sur l’extension du dispositif aux services, sur l’évolution des relations entre le marché unique antillais et la Guyane... Cette concertation très en amont a permis un débat nourri et de qualité, lequel a aussi mis en évidence des positions divergentes, mais a renforcé la position des autorités françaises dans leurs négociations avec la Commission européenne, grâce au consensus qui s’est dégagé sur le principe de reconduction du régime.
Contrairement à ce que l’on nous avait prédit et à ce que chacun redoutait depuis des années, la Commission, à l’issue d’une instruction très précise, a largement conforté le bien-fondé de ce dispositif et son adaptation aux économies des outre-mer, en légitimant le principe de l’octroi de mer, c’est-à-dire une différence d’imposition entre les produits locaux et les productions importées, sur le fondement de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, compte tenu des handicaps spécifiques qui frappent les économies ultramarines, en justifiant la finalité de l’octroi de mer comme instrument de stratégie de développement économique et social des départements d’outre-mer, en démontrant l’absence de surcompensation du régime, par une analyse exhaustive, menée position douanière par position douanière, et, enfin, en augmentant sensiblement le nombre de productions bénéficiant d’un différentiel de taxation, témoignant ainsi de l’intérêt du dispositif pour renforcer le dynamisme de nos filières productives.
Les échanges avec la Commission européenne ont permis de préserver les grands équilibres du texte existant, en autorisant des différentiels de taxation jusqu’en 2020, mais aussi d’introduire des améliorations. Parmi celles-ci, je retiens notamment l’abaissement du seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires et, conséquemment, la mise hors champ de l’octroi de mer des entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros.
Cette disposition a été initialement critiquée par certains, mais elle s’apprécie au regard de certains faits établis : d’une part, le faible nombre d’entreprises concernées – quelques dizaines par territoire – et l’absence d’obligations déclaratives nouvelles pour les nouveaux redevables dont le chiffre d’affaires est situé entre 300 000 et 550 000 euros qui étaient déjà assujettis sous l’empire du précédent dispositif ; d’autre part, l’intérêt d’une simplification majeure pour la très grande majorité de notre tissu entrepreneurial, constitué de très petites entreprises, qui ne sera pas assujettie à la taxe de l’octroi de mer, ce qui représente une avancée majeure, que chacun doit mesurer.
Je sais que certains parlementaires souhaitent revenir sur cette évolution, mais cela me semble extrêmement difficile, compte tenu de la décision prise par Bruxelles.
Le projet de loi clarifie et modernise la mise en œuvre de l’octroi de mer. En complément de l’abaissement du seuil d’assujettissement, plusieurs dispositions doivent être soulignées.
Tout d’abord, conformément à l’article 72-2 de la Constitution et à la demande expresse du Conseil d’État, le texte encadre les taux que le conseil régional de Guadeloupe, celui de La Réunion, l'assemblée de Guyane, l'assemblée de Martinique et le conseil départemental de Mayotte sont autorisés à fixer.
Ensuite, le projet de loi étend le champ des opérations pouvant être exonérées par ces mêmes collectivités, ces opérations concernent dorénavant non seulement les entreprises, mais aussi les établissements de santé, de recherche, d’enseignement ainsi que les organismes caritatifs ou philanthropiques.
Enfin, les possibilités de déduction sont élargies : elles permettent à un nouvel assujetti de déduire l’octroi de mer qui a grevé les biens d’investissement qu’il a acquis.
Ce texte est équilibré, car il me semble répondre aux attentes de nos économies. À cet égard, je tiens à saluer la qualité du travail accompli en commission des finances, qui a permis d’améliorer et, plus particulièrement, de préciser certaines rédactions, sans remettre en cause l’équilibre du texte. La qualité de nos échanges avec M. le rapporteur y a également contribué.
Par ailleurs, j’ai souhaité, en responsabilité, lever autant que possible les incertitudes qui auraient pu affecter la sérénité de notre débat sur ce texte et masquer les enjeux globaux du dispositif. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité faciliter l’émergence d’un consensus sur la révision des relations entre le marché unique antillais et la Guyane, qui faisait, semble-t-il, l’objet de quelques difficultés.
Le travail de longue haleine des services du ministère comme la réunion dont nous avons pris l’initiative il y a quelques jours pour lever les derniers questionnements ont permis d'aboutir à un accord, que je salue. D’une part, cet accord prévoit la création d’une commission interrégionale chargée de suivre et d’évaluer les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais. D’autre part, il fixe une liste de produits bénéficiant d’une exception. L’ensemble des acteurs considèrent que cet accord est équilibré et profitable pour tous. Celui-ci est retranscrit dans les amendements qui vous seront présentés aujourd'hui par le Gouvernement, comme je m’y étais engagée. Je souhaite que votre assemblée puisse les adopter tels quels.
Le travail se poursuivra à la faveur de la préparation du décret qui viendra préciser la composition et les missions de la commission interrégionale.
Je crois que l’on peut aujourd’hui se féliciter du caractère globalement consensuel du texte, pour ce qui concerne ses dispositions principales. Il reste, bien entendu, de la marge pour le débat parlementaire, dans le cadre, toutefois, que nous trace la décision du Conseil de l’Union européenne de décembre 2014.
Je dois aussi rappeler que nous devons impérativement respecter le délai du 30 juin prochain pour l’adoption du projet de loi, sauf à mettre en péril la sécurité juridique de notre régime et, par suite, les ressources des collectivités territoriales. Cette échéance a imposé l’examen de ce texte en procédure accélérée. Il importe de le garder en mémoire à l’occasion du travail que nous engageons ici. Les parlementaires pourront en déduire que notre liberté est quelque peu bridée…
Parallèlement, je veille à obtenir, dans le même délai, une autorisation européenne pour l’aide d’État que constitue le différentiel de taxation. Cette autorisation fait l’objet d’une procédure en plusieurs étapes. Notre demande est en cours d’instruction, et la décision de la Commission doit intervenir également d’ici à la fin du mois de juin, pour nous permettre de disposer de l’intégralité de l’encadrement juridique, communautaire comme national.
En conclusion, il me semble que le texte qui vous est soumis répond aux attentes à la fois de nos collectivités, en termes de niveau de ressources, et des acteurs socio-économiques, pour l’accompagnement adapté des filières productives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour le travail que nous avons réalisé ensemble. Je pense que nous allons pouvoir le conclure aujourd'hui dans de bonnes conditions – par l’adoption du texte !