Séance en hémicycle du 7 mai 2015 à 9h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Pépin, qui fut sénateur de l’Ain de 1989 à 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.

La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Daniel Chasseing.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Je rappelle également que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au Comité des finances locales.

La commission des lois a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Christophe Béchu, comme membre titulaire, et celle de M. Alain Richard, comme membre suppléant. La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Charles Guéné, comme membre titulaire, et celle de M. Vincent Éblé, comme membre suppléant.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

Est autorisée l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement, adopté à Doha le 11 octobre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’arrangement concernant les services postaux de paiement (projet n° 327, texte de la commission n° 412, rapport n° 411).

Le projet de loi est définitivement adopté.

Est autorisée l'approbation de la convention postale universelle (ensemble un protocole final), adoptée à Doha le 11 octobre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention postale universelle (projet n° 328, texte de la commission n° 413, rapport n° 411).

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, M. Oleksiy Goncharenko, coprésident du groupe d’amitié Ukraine-France de la Rada d’Ukraine. (Mmes et MM. les sénateurs, M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes se lèvent.)

Notre collègue nous fait l’honneur de sa présence aujourd’hui à l’occasion de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre, d’une part, l’Union européenne, la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres et, d’autre part, l’Ukraine. Cette séance revêt naturellement, pour l’Union européenne et pour l’Ukraine, une importance toute particulière.

La délégation ukrainienne est présente à l’invitation de notre président, M. Gérard Larcher, qui a rencontré M. Petro Porochenko, Président d’Ukraine, le 22 avril dernier.

À l’issue de notre débat, la délégation sera reçue par le président Larcher, puis par le groupe d’amitié France-Ukraine du Sénat.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement d’Ukraine, ainsi qu’à leur délégation, une très cordiale bienvenue et un fructueux séjour.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part (projet n° 365, texte de la commission n° 401, rapport n° 400).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le président du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce matin pour l’examen et le vote en première lecture par la Haute Assemblée du projet de loi autorisant la ratification par la France de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Je tiens à mon tour à saluer la présence dans la tribune d’honneur du Sénat de M. Oleksiy Goncharenko, coprésident du groupe d’amitié Ukraine-France de la Rada d’Ukraine.

Dans la situation difficile que traverse l’Ukraine, l’examen de ce texte revêt une importance particulière. Et la mobilisation de votre assemblée pour vous en saisir dans des délais particulièrement brefs est un signe fort à l’égard de l’Ukraine. En franchissant aujourd’hui une première étape vers la ratification de l’accord d’association, la France va en effet adresser un message d’amitié, de soutien et de solidarité à l’Ukraine, à quelques jours du sommet qui se tiendra à Riga, les 21 et 22 mai prochains, sur le Partenariat oriental.

Le projet de loi de ratification qui vous est soumis constitue en effet la dernière phase d’un processus qui a été long et difficile, mais qui a montré le profond désir de l’Ukraine de s’ancrer dans les valeurs européennes et de s’associer dans un partenariat privilégié avec l’Union européenne.

Cet accord, selon ses propres termes, vise à établir une « association politique et une intégration économique entre l’Union européenne et l’Ukraine ». Il constituera un puissant levier de modernisation et de réforme, au service des citoyens ukrainiens et dans l’intérêt de la stabilité dans le voisinage de l’Union.

L’accord d’association permettra d’améliorer le cadre de nos relations par deux biais.

Premièrement, il le permettra par un renforcement du dialogue politique ainsi qu’une coopération accrue en matière de réformes intérieures, de politique extérieure et de sécurité et dans un large éventail de domaines d’intérêt communs. Ce dialogue sera fondé sur les valeurs et principes fondamentaux de l’Union européenne, en premier lieu le respect des valeurs démocratiques, des droits de l’homme, de l’État de droit, de la bonne gouvernance et du développement durable.

Deuxièmement, il le permettra par le développement des échanges commerciaux, alors que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Ukraine – 31 % des échanges commerciaux.

L’accord permettra en effet une libéralisation quasi totale des échanges, assortie d’un calendrier de diminution des droits de douane asymétrique afin de prendre en compte les différences de développement économique entre l’Union européenne et l’Ukraine.

En contrepartie, l’accord d’association prévoit la reprise progressive et la mise en œuvre par l’Ukraine de l’acquis européen en matière de réglementations, normes et standards. C’est le cœur du dispositif : pour chaque domaine, l’accord décrit le périmètre et le calendrier de l’acquis à reprendre, véritable feuille de route pour les réformes que le gouvernement ukrainien s’est engagé à mettre en œuvre.

Sont concernées, de manière non exhaustive, les normes en matière sanitaire et phytosanitaire, en matière de droit du travail, d’égalité entre les femmes et les hommes, de propriété intellectuelle et particulièrement de protection des indications géographiques.

La ratification de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne revêt donc un triple enjeu.

Le premier, c’est d’apporter notre soutien à la démocratie, au développement économique et social et à la stabilité d’un grand pays voisin immédiat de l’Union européenne. Je sais que vous êtes nombreux, dans cette assemblée, à partager cette préoccupation.

Je me suis moi-même rendu à Kiev, à l’occasion du premier anniversaire de « Maïdan », le 22 février dernier. J’ai alors pu mesurer les attentes des autorités et des citoyens ukrainiens pour qui l’Europe et le lien avec l’Europe sont synonymes d’État de droit, de démocratie, de lutte contre la corruption, de liberté, de solidarité, mais aussi de nouvelles perspectives sociales et économiques. Notre responsabilité est d’encourager cet élan réformateur.

Le deuxième enjeu, c’est de souligner l’engagement de la France en faveur d’une politique européenne forte et ambitieuse pour soutenir le développement et la stabilité de son voisinage oriental.

Dans un contexte marqué par la crise en Ukraine, mais également par la persistance de nombreux conflits gelés dans la région, l’Union européenne doit accompagner chacun de ses pays partenaires en adoptant une approche adaptée aux spécificités et aux besoins de chacun. Ce sera l’un des principaux enjeux du sommet de Riga.

Le troisième enjeu, c’est de consolider nos relations bilatérales qui sont aujourd’hui dans une phase d’intensité exceptionnelle sur le plan politique : le Président Porochenko a effectué une visite officielle à Paris le 22 avril dernier – vous l’avez rappelé, madame la présidente – et le Premier ministre, M. Iatseniouk, sera à Paris le 13 mai prochain.

Ce lien privilégié, c’est aussi à la mobilisation sans faille de la France pour soutenir l’Ukraine depuis le début de la crise que nous le devons. Car la France, mieux que tout autre, sait que la paix ne se décrète pas, elle se bâtit.

La situation reste aujourd’hui très fragile dans l’est de l’Ukraine et de fortes tensions persistent, notamment autour de Donetsk et de Marioupol. Toutefois, le processus de sortie de crise négocié le 12 février à Minsk avec le Président de la République François Hollande et la Chancelière Angela Merkel, en présence du Président Porochenko et du Président Poutine, est aujourd’hui la seule feuille de route pour la paix.

Cette feuille de route doit être pleinement et strictement respectée : le cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes, le volet politique concernant le futur statut des régions de l’Est et les élections qui doivent s’y tenir, le respect de l’intégrité territoriale des frontières et de la souveraineté de l’Ukraine. Tel est l’intérêt de l’Ukraine et de la Russie, et il convient absolument de respecter les préconisations et les éléments de l’accord signé à Minsk au mois de février.

Les premières réunions des quatre groupes de travail techniques – ils portent sur la sécurité, les questions économiques, la politique, à savoir l’avenir des régions de l’Est en particulier, et la situation humanitaire – mis en place dans le cadre du groupe de contact trilatéral, sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, qui se sont déroulées hier à Minsk, ont marqué une avancée importante de ce point de vue et ont notamment permis d’avoir un premier échange sur les modalités des futures élections qui seront organisées dans l’est de l’Ukraine. C’est d’ailleurs l’ambassadeur français Pierre Morel qui préside le groupe de travail sur le volet politique. Nous suivons donc tout cela très attentivement. Nous devons évidemment rester prudents, mais il est important que le dialogue entre toutes les parties se poursuive et que ces groupes de travail continuent à se réunir régulièrement comme ils ont prévu de le faire au cours du mois de mai.

Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius restent en contact permanent avec leurs homologues ukrainiens et russes, dans le cadre du « format Normandie », afin de garantir l’application intégrale des accords de Minsk, qui, je le répète, constituent la seule issue possible à cette crise.

L’accord d’association permettra à l’Ukraine de tirer tous les bénéfices du retour à la paix, en particulier par l’intensification des échanges économiques et des investissements.

La France elle-même et ses entreprises prendront toute leur part dans ce retour des échanges économiques. Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux fournisseurs et investisseurs dans le pays, croient au potentiel de l’Ukraine. Elles profiteront de l’amélioration attendue de l’État de droit, du climat des affaires, des conditions d’investissement, qui seront facilitées, ainsi que des avancées réglementaires permises par l’accord dans de nombreux domaines, par exemple en matière de protection des indications géographiques. La France y a accordé une attention particulière au cours de la négociation.

Cet accord ne porte pas sur une perspective d’adhésion à l’Union européenne. Ce n’est pas son objet, et il n’y a pas d’ambiguïté sur ce point. Il s’agit non pas d’un traité d’élargissement, mais d’un accord de voisinage, qui doit permettre d’intensifier la coopération entre l’Union européenne et l’Ukraine, et d’appuyer cette dernière pour ses réformes, son développement économique, ses choix démocratiques et son adhésion aux valeurs européennes.

J’ajoute enfin que la conclusion de cet accord d’association avec l’Union européenne n’implique en aucun cas que l’Ukraine doive renoncer à ses relations avec la Russie. Le partenariat oriental n’est dirigé contre aucun pays et ne vise pas à créer de lignes de fracture sur le continent européen ; son seul objet est la modernisation politique et économique de nos voisins, au bénéfice de tous, au service et dans le respect de la souveraineté de chacun et de la stabilité aux frontières de l’Union européenne.

Les consultations trilatérales conduites par la Commission européenne avec l’Ukraine et la Russie sur la mise en œuvre de l’accord d’association doivent d’ailleurs permettre à cet égard de rassurer la Russie sur l’impact potentiel de celui-ci pour son économie et de mettre en évidence la compatibilité entre un rapprochement économique de l’Ukraine avec l’Union européenne et le maintien de relations commerciales étroites entre l’Ukraine et la Russie.

Tels sont, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands objectifs de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation.

En apportant votre soutien à ce texte, vous témoignerez de l’amitié profonde qui lie la France et l’Ukraine, vous soutiendrez le développement de ce pays dans le cadre d’une relation nouvelle qu’il a souhaité nouer avec l’Union européenne et contribuerez à renforcer la stabilité et la paix sur le continent, aux frontières de l’Union européenne.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi le premier de ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, dont la signature est intervenue en deux étapes – le 21 mars 2014 pour les dispositions politiques et le 27 juin 2014 pour les autres dispositions –, à la suite de négociations entamées depuis 2007.

Cet accord vise à remplacer l’accord de partenariat et de coopération signé en 1994 entre l’Union européenne et l’Ukraine. Il s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, initiative lancée en 2009 pour relancer la politique européenne de voisinage sur le flanc est de l’Europe, lequel, je le rappelle, concerne aussi la Moldavie et la Géorgie, deux pays avec lesquels des accords d’association similaires ont été passés, ainsi que l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie, qui ne se sont pas encore engagées dans de tels accords.

L’accord d’association que nous examinons aujourd’hui est un accord ambitieux, qui comprend à la fois un volet politique, un volet commercial visant à une libéralisation quasi totale des échanges et un volet dit « de coopération », dont l’objectif est la reprise par l’Ukraine de l’acquis normatif communautaire dans un grand nombre de domaines.

Le contexte actuel en Ukraine donne évidemment une dimension particulière à l’examen de ce texte, et je salue la délégation parlementaire ukrainienne présente ici même.

On se souvient que c’est la décision du président Viktor Ianoukovytch de suspendre brutalement le processus de négociation, à une semaine de la signature de l’accord prévue au sommet de Vilnius du 28 novembre 2013, qui avait été l’élément déclencheur du soulèvement populaire de Maïdan. Néanmoins, très vite, la protestation a dépassé la question de la non-signature de l’accord et débouché sur une crise politique et internationale aux multiples implications.

Le gouvernement provisoire mis en place en février 2014 après le départ de Viktor lanoukovytch a, quant à lui, affirmé très vite son intention d’entériner l’accord, qui a été signé quelques semaines plus tard. Sa ratification par le Parlement ukrainien, la Rada, est intervenue, quant à elle, le 16 septembre 2014, symboliquement le même jour que celle du Parlement européen.

Le volet politique de cet accord particulièrement volumineux – je rappelle que l’accord comporte 486 articles et 44 annexes, le tout sur plus de 1 500 pages – prévoit le développement d’un dialogue sur les réformes intérieures et le renforcement de la coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Il s’agit, par ce dialogue, de promouvoir la paix et la sécurité internationales et de renforcer le respect par l’Ukraine des principes démocratiques, de l’État de droit, de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’accord de libre-échange complet et approfondi, qui constitue le noyau dur de l’accord en même temps que son deuxième volet, prévoit la libéralisation complète des échanges grâce à la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des lignes tarifaires et à des mesures non tarifaires visant à faciliter l’accès aux marchés, comme l’harmonisation des procédures douanières, la transparence des marchés publics, la libéralisation des services ou encore les règles visant à garantir la libre concurrence.

Enfin, le troisième volet vise à l’adoption par l’Ukraine d’une grande partie de la réglementation communautaire applicable dans vingt-sept domaines, allant de l’énergie à l’agriculture et aux transports, de la politique industrielle à la politique en faveur des PME, de l’environnement à la protection des consommateurs, au tourisme, à l’éducation ou à la culture. Ce rapprochement réglementaire et normatif doit être réalisé avec l’assistance de l’Union européenne.

Quels sont les avantages de cet accord pour chacune des parties ?

Pour l’Ukraine, il s’agit d’accélérer son rapprochement économique avec l’Union européenne, qui est d’ores et déjà son premier partenaire commercial, avec 31 % de ses échanges extérieurs. L’accord représente également un puissant levier pour moderniser son économie, en incitant à l’instauration d’un environnement favorable à la concurrence et aux investissements dans un pays où la corruption et l’économie informelle sont encore, hélas ! des réalités.

Or la situation économique de l’Ukraine est telle qu’elle a besoin de manière urgente d’une modernisation en profondeur qui lui permette de se relever et de redémarrer. À lui seul, le conflit à l’Est coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour. Depuis un an, l’activité s’est effondrée, la monnaie ukrainienne a perdu plus de la moitié de sa valeur, les réserves de change ont fortement diminué et le secteur bancaire se trouve largement fragilisé.

Si l’application de l’accord est susceptible, dans un premier temps, de provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, l’Ukraine bénéficiera, pour certains produits sensibles, d’une asymétrie transitoire, la diminution des droits de douane étant plus rapide pour les exportations ukrainiennes que pour les exportations européennes. À moyen terme, l’Ukraine espère valoriser son potentiel dans des domaines comme l’agriculture et l’agroalimentaire, l’énergie et les transports, où elle excelle.

Enfin, l’Ukraine bénéficiera sur la période 2014-2020 d’une aide financière européenne importante d’environ 4, 8 milliards d’euros, sans compter les prêts que peuvent accorder la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne de reconstruction et de développement, soit un total approchant les 13 milliards d’euros sur la période.

En ce qui concerne l’Union européenne, l’accord a pour premier avantage de favoriser le développement économique et la stabilité d’un pays de son voisinage immédiat. L’Union gagne également des perspectives en matière d’investissements directs et de commerce. Enfin, l’accord permet des avancées au bénéfice des pays européens, notamment en ce qui concerne la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques protégées. Ainsi, des dénominations telles que Cognac, Champagne ou encore Cahors, pour ne citer que quelques exemples intéressant particulièrement la France, ne pourront plus être utilisées pour des vins produits sur le territoire ukrainien. L’application par l’Ukraine des normes sanitaires et phytosanitaires représentera également un progrès, contribuant à l’égalisation des conditions de concurrence en même temps qu’à une sécurité sanitaire accrue pour le commerce des produits végétaux et issus de l’élevage.

Pourquoi ratifier maintenant cet accord ?

Il s’agit tout d’abord – et c’est essentiel – de permettre à la France d’être à la hauteur du rôle important qu’elle joue en faveur du règlement du conflit en Ukraine et de l’engagement personnel du Président de la République, avec la Chancelière allemande, dans le cadre des accords de Minsk. Il s’agit de faire en sorte que, dans la perspective du sommet de Riga des 21 et 22 mai prochains sur le Partenariat oriental, la France ait engagé le processus de ratification.

Il s’agit également de répondre à l’attente de l’Ukraine, qui, dans la perspective de la mise en œuvre de l’accord, a lancé des chantiers de réformes dans un certain nombre de domaines : fiscalité, secteur bancaire, lutte contre la corruption, politique énergétique, dépenses publiques. Même s’il ne faut pas sous-estimer les difficultés rencontrées, il existe une volonté réformatrice en relation avec l’accord d’association, qui mérite d’être encouragée. Il convient aussi de ne pas décevoir les aspirations de la société ukrainienne à l’égard de l’Europe.

Néanmoins, il faut souligner que cet accord, si ambitieux soit-il, ne donne pas de perspective européenne à l’Ukraine. C’est un point sensible sur lequel la position de la France, qui est aussi celle de plusieurs autres États membres, est claire et a été exprimée : nous ne sommes pas favorables à un élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine.

A contrario, cet accord n’implique pas que l’Ukraine se tourne exclusivement vers l’Union européenne et renonce aux relations économiques qu’elle peut avoir, par ailleurs, avec d’autres partenaires, au premier rang desquels figure la Russie. Il est à cet égard souhaitable que se poursuivent les discussions trilatérales entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, afin d’identifier les problèmes pratiques que l’accord d’association pourrait poser et de tenter d’y remédier, pour la plus grande satisfaction de tous.

En conclusion, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d’adopter ce projet de loi de ratification.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La parole est à M. Hervé Maurey, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer à mon tour la présence dans la tribune d’honneur du Sénat de M. Oleksiy Goncharenko, coprésident du groupe d’amitié Ukraine-France, et de lui souhaiter la bienvenue. Il sera rejoint tout à l’heure par Mme Irina Herachtchenko, présidente de la commission de l’intégration européenne de la Rada. Leur présence témoigne de l’importance qu’accorde l’Ukraine à nos travaux de ce matin, c’est-à-dire à l’autorisation de la ratification de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne.

Pour ma part, c’est avec une réelle émotion que j’aborde ce débat. Le projet de loi qui nous est soumis est en effet bien plus qu’une simple ratification d’accord international, et ce pour deux raisons : d’une part, cet accord a provoqué des événements politiques et historiques majeurs, parfois dramatiques ; d’autre part, la signature et la ratification de cet accord témoignent d’une volonté politique forte de l’Ukraine de construire son avenir en partenariat avec l’Europe.

Les négociations, entamées en mars 2007, ont permis d’aboutir au paraphe de l’accord dès 2012, sa signature étant programmée pour le sommet du Partenariat oriental à Vilnius des 28 et 29 novembre 2013.

Président de notre groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine, j’ai, tout au long de l’année 2013, multiplié les contacts, à Paris et lors du déplacement du groupe d’amitié en septembre 2013 à Kiev, à Lviv, mais aussi à Donetsk, avec des responsables politiques ukrainiens, de la majorité et de l’opposition, ainsi qu’avec des acteurs économiques et des représentants de la société civile. Nous avons ainsi pu mesurer à quel point cet accord était souhaité par nos interlocuteurs ukrainiens.

Aussi, nous avons œuvré au Sénat en faveur de la ratification de cet accord, en tenant toutefois un discours exigeant à l’égard de l’Ukraine, sur la mise en place des réformes ambitieuses et structurelles demandée par l’Union européenne en matière de refonte de la procédure pénale et d’amélioration de l’indépendance de la justice notamment.

La suite, nous la connaissons, mes chers collègues.

La volte-face du Président Ianoukovitch, à seulement quelques jours du sommet de Vilnius, a déclenché les événements de Maïdan, dont je regrette que la France, pas plus que les autres diplomaties européennes, n’ait pris tout de suite la mesure. Il a en effet fallu attendre que les caméras du monde entier se braquent sur les sacrifiés de Maïdan pour qu’une initiative conjointe des ministres des affaires étrangères français, allemands et polonais permette d’entendre la voix de l’Europe dans le règlement de cette crise.

Sitôt installé, en février 2014, le gouvernement intérimaire a réaffirmé sa ferme volonté de parvenir à la signature de l’accord.

Cette volonté politique d’avancer dans le partenariat avec l’Union européenne et ses États membres a été largement confirmée depuis par les résultats des élections présidentielle et législatives, qui témoignent d’un choix sans équivoque des Ukrainiennes et des Ukrainiens en faveur de l’Europe et des valeurs qu’elle porte.

Je ne reviendrai par sur les différentes dispositions de cet accord – M. le rapporteur l’a fait excellemment –, lequel compte 486 articles répartis en un volet politique, un accord de libre-échange, et une reprise de l’acquis européen en matière normative et réglementaire.

Cet accord a été approuvé en même temps, ce qui est à la fois symbolique et inédit, par les parlements européen et ukrainien le 16 septembre dernier.

Mes chers collègues, le vote de la Haute Assemblée est attendu.

J’ai eu l’honneur d’assister à l’entretien du Président Porochenko et du président Larcher le 22 avril dernier. J’ai pu constater avec quelle joie le Président ukrainien a accueilli la nouvelle de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat.

Cette satisfaction, je la partage pleinement. En effet, cet accord a d’ores et déjà favorisé un certain nombre de réformes importantes, courageuses, bien que parfois encore difficiles, dans les domaines économique et fiscal, mais aussi dans le domaine politique.

Les effets du volet économique de cet accord, conjugués à ceux de l’aide financière de l’Union européenne, doivent permettre d’accompagner l’Ukraine dans une sortie de crise financière, que nous appelons de nos vœux.

Au-delà, cet accord et sa ratification, laquelle n’est pas encore achevée puisque seuls quatorze pays y ont procédé, témoignent de notre volonté de saisir la main amicale que nous tend l’Ukraine. Il convient de lui adresser, nous aussi, un message fort d’amitié et de soutien.

Cependant, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savons, la ratification de cet accord, pourtant obtenu de haute lutte, ne règle pas, tant s’en faut, tous les problèmes auxquels l’Ukraine est confrontée. L’actualité nous le rappelle, hélas ! quotidiennement : de nombreux problèmes demeurent et demeureront.

Le problème le plus important est indéniablement celui de la sécurité et de la paix. Je partage totalement les propos de M. le secrétaire d’État, l’application des accords de Minsk II est la seule solution possible. Elle est malheureusement – nous le mesurons chaque jour – largement imparfaite. C’est une source d’inquiétude partagée sur ces travées.

Des violences se poursuivent à l’est de l’Ukraine, et, avec plus 6 000 morts à ce jour, ce conflit est le plus meurtrier que l’Europe ait connu depuis les années quatre-vingt-dix. Il entraîne avec lui son lot de violences contre les personnes et les biens, et de violation du droit international. À cet égard, nous ne devons pas oublier les conditions d’annexion de la Crimée.

La question du retour des prisonniers n’est pas non plus réglée à ce jour. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je veux ici une nouvelle fois vous exprimer notre inquiétude quant à leur situation. Parmi eux, j’appelle votre attention sur notre collègue Nadia Savtchenko, députée ukrainienne et membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont nous avons reçu la sœur au Sénat, voilà quelques semaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Quant au volet institutionnel, sa mise en œuvre semble à ce stade suspendue à la fin des violences.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par notre vote aujourd’hui, nous n’exprimerons pas seulement notre approbation à cet accord, nous manifesterons aussi notre volonté que la France poursuive ses efforts avec la plus grande détermination afin de faire émerger une solution politique durable. Nous manifesterons notre volonté que l’Ukraine retrouve une situation pacifiée et stabilisée. Nous manifesterons notre volonté de renforcer les liens d’amitié et de solidarité entre l’Ukraine et l’Europe.

Cela nécessitera, nous le savons, un dialogue constant et constructif, mais aussi de la fermeté, avec l’ensemble des parties prenantes et bien entendu la Russie.

Soyez certain, monsieur le secrétaire d’État, que nous serons très attentifs aux initiatives qui seront prises par le Gouvernement sur ce point dans les prochains jours et les prochaines semaines.

Vous pourrez compter sur notre engagement dans le dialogue parlementaire entre nos deux pays. Notre groupe d’amitié ira d’ailleurs dans les prochaines semaines en Ukraine pour se rendre compte par lui-même de la situation dans le pays. Il poursuivra ainsi les efforts engagés par le président du Sénat, qui est très attaché au rôle de la diplomatie parlementaire, pour une coopération concrète en matière de décentralisation, cela afin d’accompagner la mise en œuvre du volet institutionnel des accords de Minsk.

Cette volonté du président du Sénat m’a conduit à me rendre à Kiev, voilà quelques semaines, afin de remettre un message de sa part au président de la Rada et lui faire part de l’engagement du Sénat dans ce domaine.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai ce projet de loi avec enthousiasme et conviction, et je vous invite à en faire autant.

Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, comme les orateurs qui m’ont précédé, à saluer chaleureusement la présence dans notre tribune d’honneur de représentants de la Rada, venus spécialement à Paris pour suivre nos débats.

Il faut le rappeler, c’est dans un contexte géopolitique qui reste extrêmement tendu que nous débattons aujourd’hui de ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Le groupe écologiste votera évidemment en faveur de ce texte. En effet, nous croyons sincèrement que cet accord constitue une base pertinente sur laquelle nous pouvons consolider nos relations avec l’Ukraine. Nous estimons que ce serait une grave erreur que d’ignorer le choix libre d’un peuple européen de se rapprocher de valeurs si chères à l’Union européenne que sont la démocratie, l’état de droit et le respect des libertés fondamentales. Nous saluons donc ce texte, qui s’attèle à renforcer le dialogue politique et les relations commerciales avec l’Ukraine.

En ce qui concerne le volet relatif à l’accord de libre-échange complet et approfondi, les réserves que nous pourrions avoir sur certains points spécifiques ne doivent pas nous empêcher de considérer que, dans le contexte si particulier du moment, une telle intégration économique constitue globalement une réponse adaptée aux impacts provoqués par les embargos russes sur l’économie ukrainienne.

Cet accord prévoit également une coopération en matière de nucléaire civil. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que pour nous, écologistes, il ne s’agit pas là d’une source d’énergie que nous considérons comme propre ou sûre.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Mais, faute de mieux, il faut reconnaître que cette disposition permettra a minima de réduire les risques, vu le caractère vieillissant du parc nucléaire ukrainien.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Ce volet permettra aussi de desserrer le lien de dépendance à l’égard de la Russie en matière d’entretien des centrales nucléaires, en particulier du site de Tchernobyl.

Je relève également que la sécurisation du réseau ukrainien de transit de gaz naturel permettra à l’Union européenne de sécuriser son propre approvisionnement énergétique.

Dans cette période de transition que traverse l’Ukraine, l’Union européenne peut devenir un véritable élément stabilisateur, en accompagnant le processus de réformes. Il existe aujourd’hui, en effet, une réelle volonté politique ukrainienne de mener de grandes réformes. Certains de ces chantiers ont ainsi déjà débuté, et c’est là un signal fort encourageant. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Bien sûr, le processus de réformes encore à engager pour consolider la démocratisation du pays prendra du temps. La France comme l’Union européenne se refusent, pour l’instant, à envisager la possibilité d’une intégration pleine et entière de l’Ukraine au sein de l’Union européenne.

Néanmoins, et devant l’ampleur d’un défi qui n’est rien moins que la mise en œuvre d’un processus réel de désoviétisation – ou de « dé-post-soviétisation » – du pays, nous croyons que l’Union européenne et ses États membres ne doivent pas avoir peur de voir plus loin, d’aller plus loin, en ouvrant le plus rapidement possible le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est la seule mesure à même d’assurer un cadre et un calendrier appropriés aux indispensables réformes que nous attendons.

Enfin – et cela dépasse naturellement le strict cadre du présent projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association –, l’Union européenne et ses États membres doivent à très court terme relever un autre type de défi : celui qui consiste à contrer les campagnes de désinformation massives actuellement menées par la Russie.

L’Union européenne est d’ailleurs très préoccupée par cette manipulation de l’information. Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, élabore en ce moment, et en prévision du prochain Conseil européen de juin, un important plan d’action sur la communication stratégique à avoir.

À l’échelle des citoyens, je veux profiter de mon intervention pour saluer la belle et très sérieuse initiative de plateforme collaborative des étudiants de l’école de journalisme de Mohyla à Kiev, qui s’attèle depuis plus d’un an, au jour le jour, à déconstruire et contrer la désinformation russe.

L’usage intensif des outils numériques et des réseaux sociaux par le Kremlin pour diffuser sa propagande dans les médias crée en effet un véritable désordre. Je partage pleinement l’avis du rapporteur, M. Daniel Reiner, quand il affirme qu’il faut absolument démentir ce qui est infondé et met de l’huile sur le feu.

Ainsi, il est faux d’affirmer que la ratification de cet accord avec l’Union européenne ait pour conséquence d’empêcher tout autre partenariat commercial de l’Ukraine, par exemple avec la Russie ou encore l’Union eurasiatique.

Il est également faux d’affirmer que l’Union européenne négocie sans tenir compte de la position russe, alors que celle-ci a accepté en particulier de reporter au 1er janvier 2016 l’entrée en vigueur du volet commercial de l’accord.

Des consultations trilatérales sont ainsi organisées pour identifier les problèmes posés à la Russie. De ce point de vue, la nouvelle demande des autorités russes de reporter au 1er janvier 2017 l’entrée en vigueur de l’accord semble surtout démontrer que les autorités russes rencontrent quelques difficultés à identifier leurs propres problèmes.

Pour conclure et pour resituer une dernière fois l’importance de l’enjeu ukrainien pour l’Europe, je me référerai à l’étymologie même du mot « Ukraine », qui, en ukrainien comme en russe, signifie « région située à la frontière ». Cela ne peut en aucun cas constituer un alibi pour estimer que l’Ukraine serait condamnée à rester entre deux mondes, ce qui serait une manière commode de nier la vassalisation de fait qu’implique cette perspective.

Au cours des dix-huit derniers mois, les Ukrainiens ont démontré la force et la détermination de leur choix en faveur de la démocratie, de l’État de droit et de la participation au projet européen. Leur combat est un magnifique combat, et je crois sincèrement qu’il doit être aussi le nôtre.

Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur la ratification d’un accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine signé par le gouvernement ukrainien les 21 mars et 27 juin 2014, puis ratifié par la Rada le 16 septembre 2014.

Je rappelle ces dates et ces faits, parce qu’il faut connaître le processus de l’accord pour en comprendre la portée et les enjeux. Le refus par un gouvernement pro-russe de le signer a été à l’origine de la guerre civile et de la quasi-partition du pays en 2013. Aujourd’hui encore, c’est au cœur de l’actualité politique de la région.

La ratification de cet accord interviendrait donc dans le contexte très sensible du conflit de haute intensité qui se déroule depuis un an dans l’est de l’Ukraine, au moment où les récents accords dits de « Minsk II », dont notre pays est l’un des garants, s’efforcent avec difficulté de mettre en œuvre des solutions politiques pour y mettre fin.

Nous sommes donc particulièrement concernés. Nos actes auront inévitablement des répercussions sur l’évolution de la situation dans la région.

Il faut aussi avoir à l’esprit que, en arrière-plan du premier sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine, qui s’est tenu à Kiev le 27 avril, figurait la mise en œuvre de cet accord d’association, vital pour le maintien au pouvoir du gouvernement ukrainien.

Force est de constater que les représentants européens se sont montrés particulièrement prudents. Ils ont demandé des résultats effectifs sur les réformes promises par l’exécutif ukrainien.

Malgré cela, la seule véritable annonce du sommet a été la réaffirmation que l’accord d’association entrerait bien en vigueur le 1er janvier 2016, son application concrète dépendant des consultations trilatérales avec la Russie.

C’est cette prudence de l’Union européenne qui explique la prise en compte assez large, pendant le sommet, des préoccupations des Russes en termes aussi bien d’approvisionnements gaziers que d’application du processus de paix dans le Donbass.

Cela explique également que l’appel du Président ukrainien au déploiement d’une force européenne de maintien de la paix n’ait pas été suivi d’effets.

En revanche, l’Union européenne a exigé des Ukrainiens des engagements substantiels en faveur des accords de Minsk, et ce malgré les violations du cessez-le-feu qui s’intensifient dans le Donbass.

Dans un tel contexte, où le gouvernement ukrainien joue manifestement un rôle ambigu, est-il opportun de ratifier si rapidement cet accord ? La procédure accélérée a été engagée sur ce projet de loi, ce qui est assez inhabituel pour les accords internationaux de ce type. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette ratification par le Parlement français contribuera, ou non, à trouver une solution politique à la crise actuelle.

De plus, le contenu même de l’accord d’association avec l’Ukraine nous paraît critiquable. Il entre, nous le savons, dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne, dite de politique de voisinage. Or cette stratégie, au lieu de mettre en place chez nos voisins des politiques de coopération sur une base d’égalité et de réciprocité, vise en réalité à étendre la zone d’influence de l’Union européenne par le biais d’une libéralisation économique, afin d’instaurer une économie de marché dans les pays concernés.

En Ukraine, cette politique, en démantelant progressivement la structure étatique de l’économie et en favorisant la mise en coupe réglée des principaux secteurs stratégiques de l’industrie par des oligarques qui se sont partagé le pouvoir, a pris en otage la population, lui faisant subir des réformes ultralibérales dévastatrices !

Les Russes, de leur côté, ont perçu cette stratégie, qui vise de fait à instaurer un rapport de force, comme une menace directe contre les pays membres de l’Union eurasiatique.

N’entrons donc pas dans ce jeu, où l’Ukraine tient le rôle de tête de pont de l’économie libérale !

Notre pays gagnerait à ne pas s’inscrire dans une telle stratégie, qui veut isoler la Russie, sur fond de sanctions économiques et de surenchères militaires auxquelles la Pologne et les États-Unis poussent en permanence.

À la suite du sommet de Kiev, Angela Merkel, François Hollande, Petro Porochenko et Vladimir Poutine ont affirmé ensemble que l’apaisement sur le terrain était la « priorité absolue. » Nous y souscrivons pleinement.

Or les événements récents nous ont montré que le rapprochement économico-institutionnel avec l’Union européenne n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser la situation dans cette région.

Compte tenu de ces considérations et des tensions actuelles entre le gouvernement ukrainien, les éléments pro-russes de l’est de l’Ukraine et la Russie, la ratification de l’accord par notre pays nous semble prématurée. Nous ne pensons pas qu’elle apparaîtra comme un signe d’apaisement et qu’elle contribuera à aider un processus de paix.

Telles sont les raisons pour lesquelles la majorité du groupe CRC a décidé de voter aujourd’hui contre le présent projet de loi de ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue les membres de la délégation ukrainienne.

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, lancé pour donner une dynamique nouvelle à la politique de voisinage avec les pays de l’Est, plus particulièrement avec six d’entre eux : la Moldavie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Conçue pour favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans l’environnement immédiat de l’Union européenne, cette politique est bien évidemment souhaitable.

Nous avons clairement intérêt à développer un dialogue politique conduisant toutes ces républiques à mener les réformes indispensables en matière économique et institutionnelle ; je pense notamment à l’approfondissement de la démocratie. Les accords d’association vont en ce sens. Mais ce n’est pas exclusif. Il y a aussi des plans d’action et un outil financier, l’Instrument européen de voisinage, qui ont déjà produit des effets dans certaines des six républiques concernées.

Par ailleurs, des États membres de l’Union européenne entretiennent depuis plusieurs années des relations bilatérales avec ces pays. Ainsi, en Ukraine, les Alliances françaises sont très actives. La coopération décentralisée est également à l’œuvre, avec une quarantaine de jumelages entre villes françaises et ukrainiennes.

Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour que ces pays amis se hissent au niveau de nos standards européens, malgré les difficultés que nous connaissons.

Les membres du groupe du RDSE sont donc évidemment favorables au principe qui consiste à accompagner l’Ukraine dans son développement et son élan réformateur. Il faut encourager le développement économique de ce pays, qui dispose d’atouts et d’un formidable potentiel ; disant cela, je pense par exemple aux ressources minérales ou à l’agriculture. L’Ukraine offre à l’évidence des perspectives d’investissements et de commerce importantes pour ses voisins. Mais le climat des affaires devrait être plus serein pour que cela puisse se concrétiser.

Il faut le reconnaître, l’accord d’association comporte un certain nombre d’avancées en son titre III, qui concerne des points très importants : la justice, la liberté et la sécurité.

L’urgence paraît être à la consolidation des institutions judiciaires et de sécurité. L’Ukraine figure malheureusement en queue de peloton dans le classement sur la corruption de l’organisation Transparency international.

La Rada a adopté une stratégie anti-corruption pour 2014-2017, et les services de sécurité ont été largement réformés. Mais l’assassinat d’un député et d’un journaliste au mois d’avril dernier témoigne tragiquement des difficultés actuelles du pays, difficultés accentuées par la crise politique depuis 2013.

Ainsi que notre collègue rapporteur l’a indiqué, l’accord avec l’Ukraine intervient dans un contexte très sensible. Le conflit a fait plus de 6 000 morts. De nombreuses personnes ont été déplacées. Certes, les accords de Minsk des 11 et 12 février ont permis de contenir la situation, mais celle-ci reste instable, fragile, difficile.

Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous interroger sur la stratégie du Gouvernement visant à engager rapidement la procédure de ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine en vue du prochain sommet de Riga.

Comme vous le savez, nous pouvons tous ici souscrire aux objectifs de l’accord. Mais personne n’ignore le fond du sujet : sa portée politique à l’égard de la Russie, qui s’inquiète de la concurrence exercée par l’Union européenne au détriment de l’Union économique eurasiatique et d’une potentielle avancée de l’OTAN vers l’Est. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’esprit de nos amis russes, et il convient de le prendre en considération.

Notre diplomatie doit aussi se soucier de l’équilibre à trouver entre l’Europe, qui regarde légitimement vers l’Est, et la Russie, qui souhaite tout aussi légitimement conserver une aire d’influence, conformément à son histoire et à son poids sur la scène internationale. Il faut donc faire preuve de lucidité et d’honnêteté : des deux côtés, chacun peut avancer ses intérêts au regard de son passé et de son influence.

L’Ukraine constitue évidemment un point névralgique, pour les raisons géostratégiques, géopolitiques et historiques que nous connaissons tous. La Russie souhaite en faire une zone neutre, une zone tampon.

D’ailleurs, l’Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. La révolution de la place Maïdan en a été l’illustration. Si le pouvoir actuel est pro-occidental aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Les liens historiques et culturels entre l’Ukraine et la Russie sont très forts !

Ainsi, le président ukrainien Leonid Koutchma déclarait que personne en Occident n’attendait l’Ukraine en 1996 et demandait l’intégration européenne en 1999.

Viktor Ianoukovitch a développé le même syndrome du louvoiement, en suspendant les discussions sur l’accord d’association avec l’Union européenne, contre la promesse de Vladimir Poutine d’une aide économique importante.

C’est donc une situation d’équilibre. Il importe d’avoir un dialogue franc et clair à l’égard de tous les acteurs, y compris l’Ukraine, tant le poids de chacun est important.

À l’égard des républiques du Partenariat oriental, il faut rappeler – cela a été fait par M. le rapporteur – que les accords d’association ne constituent en rien un tremplin vers une adhésion future à l’Union européenne. À l’égard de la Russie, il sera opportun d’éviter les provocations telles que les entraînements militaires de l’OTAN à proximité des frontières russes.

Enfin, l’Union européenne doit définir collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre dans sa relation avec la Russie, afin d’éviter de bâtir des murs d’incompréhension qui obscurciraient l’avenir des peuples.

Dans la mesure où les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui et où le moment n’est pas le mieux choisi, les membres du RDSE ont décidé de s’abstenir sur ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue à mon tour les représentants de la Rada présents dans la tribune d’honneur du Sénat.

M. le rapporteur a parfaitement analysé l’ensemble des éléments de l’accord que nous étudions aujourd’hui, et je n’y reviendrai pas. Je centrerai mon propos sur le contexte dans lequel la France va signer cet accord.

L’accord a déjà eu une conséquence majeure : la très grave crise internationale déclenchée par la Russie, avec la volte-face de Viktor Ianoukovitch, la révolution du Maïdan, la fuite du président ukrainien, l’annexion de la Crimée, l’invasion déguisée de l’est de l’Ukraine par les troupes russes, les sanctions occidentales, la crise économique en Russie, tout cela en quelques mois !

Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les responsabilités ? Que faut-il faire aujourd’hui ?

Pour commencer, cet accord menace-t-il qui que ce soit ? Est-il élaboré contre qui que ce soit ? Comporte-t-il des clauses hostiles à qui que ce soit ? La réponse à toutes ces questions est évidemment « non ».

Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, cette convention n’est que la poursuite de celle de 1994, qui n’avait déclenché aucune réaction de la Russie. En gage de bonne volonté, nous avons même tendu la main, en créant des commissions tripartites incluant la Russie, pour examiner les points qui pourraient lui poser problème. Que fait la Russie ? Elle s’abstient soigneusement de répondre aux questions et fait traîner au maximum les discussions. Elle a déjà obtenu le report à 2016 de la mise en place de l’accord. Pendant ce temps, elle continue de saigner l’Ukraine, mois après mois.

Pour son malheur, l’Ukraine a fait partie pendant soixante-dix ans de l’Union soviétique. Elle est aujourd’hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Moldavie avant elle et peut-être demain les pays baltes, par la politique agressive de Vladimir Poutine, pour qui la chute de l’URSS est « la plus grande catastrophe du XXe siècle ».

Nous savons, nous, que la catastrophe ne fut pas la mort, mais la naissance de l’URSS. La Russie aura donc, hélas, manqué par trois fois l’occasion de partager la réussite de l’Europe : au XIXe siècle à cause de l’autocratie tsariste, au XXe siècle en raison de la dictature communiste et au XXIe siècle du fait d’un nouveau nationalisme impérialiste et revanchard condamné à l’échec.

Ce qui est étonnant, c’est que le Président russe passe encore souvent pour un stratège. Pendant des années, dans l’affaire syrienne, dans l’affaire iranienne, dans l’affaire géorgienne, on nous a rebattu les oreilles du génie de Poutine, de sa stratégie toujours gagnante contre une Europe impuissante et une Amérique démotivée. Ce prétendu génie n’était dû qu’au traditionnel retard des démocraties à réagir et à leur aversion aux conflits. Mais l’avantage des démocraties, c’est que, lorsqu’elles prennent conscience du danger, la puissance de leurs institutions et de leur économie entraîne des réponses qui font mal. Alors que nous sommes, avec les sanctions, au bas de l’échelle des réactions possibles, le tigre de papier russe s’est effondré en quelques mois : récession de 5 % en 2015, fuite des capitaux massive, baisse de 30 % des réserves de change, chute du rouble de 40 %, taux de crédit à 17 %.

Devant des démocraties qui ne tremblent plus, devant des alliés comme le Kazakhstan et la Biélorussie qui renâclent, car ils ont compris qu’ils risquaient d’être les prochaines victimes, la seule porte de sortie qu’a trouvée le génial Poutine est de se jeter dans les bras de la Chine, dix fois plus peuplée et trois fois plus riche, où Xi Jinping l’a accueilli à bras ouverts et s’est empressé de lui acheter à prix bradé tout le pétrole et le gaz disponible. Génial stratège, et pauvre Russie !

Mon deuxième sujet d’étonnement est que cette politique puisse trouver des soutiens chez nous. N’importe quel observateur objectif ne peut qu’être choqué par l’invraisemblable litanie des violations du droit international et du droit tout court opérées depuis quelques années par la Russie : intervention en Géorgie, soutien aux sécessions de l’Ossétie, de l’Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie, annexion de la Crimée, invasion quasi ouverte de l’est de l’Ukraine, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, violation des espaces aériens norvégiens, finlandais et portugais, envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, menaces contre des navires danois, affirmation publique par Poutine qu’il a envisagé l’utilisation d’armes nucléaires tactiques, augmentation de 30 % du budget militaire, propagande anti-occidentale massive, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, emprisonnement de Navalny et de bien d’autres, exil forcé pour Khodorkovski, Kasparov et tant d’autres, assassinat d’Anna Politkovskaïa, de Litvinenko, de Markelov, d’Anastasia Babourova, de Sergueï Magnitski, de Boris Beresovski, de Boris Nemtsov, plus récemment. Et la liste n’est pas exhaustive !

Pourtant, certains continuent de nier l’évidence. Les plus ardents soutiens de l’autocrate ne surprennent pas. Les extrémistes de droite et de gauche ont un flair infaillible pour renifler les dictateurs et leur faire la courte échelle. De Le Pen à Mélenchon, de Orban à Tsipras, qui gouverne à Athènes avec l’extrême droite et qui recueille les applaudissements du Front national français, c’est à qui gagnera le concours de courbettes. Alors que les troupes russes sont en Crimée et dans le Donbass, ils nous disent que les responsables de la situation sont les Américains. Les autres responsables à leurs yeux sont les dirigeants européens, cette Europe qu’ils haïssent et qu’ils veulent abattre ; cette Europe dont la politique de voisinage propose exactement ce que Poutine, tout comme eux, ne peut supporter : la démocratie, le respect de la loi et des droits de l’homme, le développement économique et la solidarité entre les États membres.

Ce qui est navrant, en revanche, c’est le soutien incompréhensible de personnalités appartenant à des formations démocratiques, les petits groupes de parlementaires invités au Kremlin ou chaque semaine à l’ambassade de Russie à Paris, les libres opinions dans les journaux expliquant que la Crimée est russe, comme l’est de l’Ukraine, qu’il faut se dissocier des Américains qui sont des va-t-en-guerre, les pétitions que nous avons tous reçues visant à faire revenir le Président français sur sa décision de ne pas participer le 9 mai prochain aux cérémonies de Moscou. Toutes ces actions derrière lesquelles la patte de l’ours russe n’est que trop visible me choquent profondément.

Les arguments utilisés sont la transcription au mot près de la propagande russe, qui nous explique que « les Ukrainiens sont des fascistes, la nation ukrainienne n’existe pas, l’Ukraine fait partie de la sphère d’influence de la Russie, la Crimée a choisi volontairement son annexion par la Russie, la Russie a été humiliée pendant des années depuis la chute du mur de Berlin et il faut la comprendre ». Je remarque au passage que personne ne semble s’émouvoir de l’humiliation durant des décennies, ô combien plus grave, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois et de toutes les autres victimes de l’occupation soviétique, à commencer par les Ukrainiens.

Les thuriféraires de Poutine ne se donnent même pas l’élégance d’habiller, au moins en façade, la propagande russe. Un exemple : ils ne parlent pas de russophones en Ukraine, mais de « Russes ethniques ». Personne n’a réagi à cette expression nouvelle, qui fait désormais florès, et qui est une transcription directe des chargés de propagande de Moscou. Des Russes ethniques, mais qu’est-ce que c’est ? Imaginez les réactions si un homme politique français utilisait l’expression de « Français ethniques ». Il y a donc une ethnie russe, il y aurait donc une ethnie française, ou anglaise, ou allemande ? Renan doit se retourner dans sa tombe. Et pourtant, cela ne semble gêner personne ! Je n’arrive pas à comprendre comment on peut oublier aussi rapidement les leçons de l’histoire. En 1938, les nazis expliquaient que la nation autrichienne n’existait pas, comme Poutine explique aujourd’hui que la nation ukrainienne est une fiction. Les nazis disaient vouloir défendre les minorités allemandes dans les Sudètes comme Poutine prétend vouloir défendre les « Russes ethniques » en dehors de la Russie.

Pour toutes ces raisons, je pense qu’il convient de soutenir l’action diplomatique menée aujourd’hui par la France et par ses partenaires européens. Les sanctions sont une décision délicate ; elles ont un coût pour nous-mêmes. Pourtant, il fallait les décider, et il faut s’y tenir sans écouter les sirènes qui nous disent qu’elles n’ont aucun effet alors qu’à l’évidence leur effet est majeur. L’arrêt désormais assumé de la vente des Mistral est un acte courageux, qu’il faut soutenir. Le fait que nous n’ayons jamais autant engrangé de contrats d’armement est d’ailleurs le meilleur démenti aux porte-voix de Poutine qui martelaient l’argument selon lequel notre crédibilité commerciale était en jeu et que nous allions perdre tous les marchés militaires.

L’Ukraine est devenue un piège pour Poutine. Ses propres erreurs lui ont déjà infligé trois défaites. La première, qu’il n’avait pas prévue, fut la chute de Ianoukovitch et le printemps de Maïdan. La deuxième défaite fut que l’Ukraine soit très largement unie et capable de se battre, ce qu’il n’avait pas prévu non plus. Et la troisième défaite, encore moins prévue tellement est grand son mépris pour les Européens, fut que l’Europe soit capable de réagir.

Il faut donc aider l’Ukraine, et l’aider bien au-delà de l’accord que nous examinons aujourd’hui ! Il faut aider l’Ukraine diplomatiquement. Cela suppose d’abord, et c’est difficile, que l’Europe reste unie, et unie avec les États-Unis. Il faut tenir sur la ligne adoptée jusqu’ici : fermeté et dialogue. Il faut continuer la politique qui consiste à maintenir les sanctions tant que les accords de Minsk ne sont pas totalement mis en œuvre, et nous savons qu’un point dans ces accords est un véritable trou noir : l’impossibilité de contrôler la frontière russo-ukrainienne par où passent chaque jour – c’est un secret de Polichinelle – de nouveaux soldats et de nouvelles armes russes en prévision d’éventuels combats, à Marioupol par exemple. La France et l’Allemagne, donc l’Europe, doivent tenir bon sur le respect des accords de Minsk.

Il faut aider l’Ukraine financièrement, et je me félicite que le Fonds monétaire international ait décidé d’augmenter son aide pour compenser le retard des paiements de la dette, pour payer les achats de gaz et pour renforcer les réserves de change de la banque centrale.

Il faut examiner les propositions de transformation des obligations en euros par des obligations à plus long terme garanties par les États-Unis et l’Europe ou encore la participation à la réorganisation indispensable de l’entreprise publique Naftogaz, qui constitue un véritable trou dans le budget de l’État.

Il faut inciter la Banque mondiale à appuyer les projets de développement que l’Ukraine ne peut réussir seule.

Enfin, il faut aider l’Ukraine en ratifiant l’accord de partenariat que nous examinons aujourd’hui ; c’est l’un des signaux qu’attendent les Ukrainiens pour être assurés que, dans l’épreuve terrible qu’ils traversent, l’Europe ne les oublie pas. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP du Sénat votera en faveur de cet accord.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les membres de la délégation ukrainienne, mes chers collègues, après avoir défendu l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie, nous voici réunis pour parler d’association avec l’Ukraine. Demain, je l’espère, ce sera avec la Géorgie.

Mes chers collègues, je crois qu’il est grand temps que nous nous posions les questions suivantes : l’Europe mène-t-elle une politique de coopération régionale avec ces ex-républiques soviétiques suffisamment ambitieuse ? Comment faire du Partenariat oriental, sinon un outil véritablement efficace, du moins une réalité pour tous ?

L’acte I de la politique européenne de coopération régionale avec ces pays, dite « politique européenne de voisinage », créée en 2003, à l’approche de l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale, avait pour objectif de renforcer la stabilité, la sécurité aux nouvelles frontières de l’Union européenne. La Commission européenne appelait en 2006 à son renforcement, premièrement par une offre économique enrichie – intégration économique et perspective d’accords de libre-échange, facilitation des visas – et, deuxièmement, par un engagement accru dans les conflits régionaux.

Dès août 2008, le second point est activé par le conflit en Géorgie, ce qui donne une impulsion significative à la politique de voisinage. Le Conseil européen extraordinaire réuni dans la foulée le 1er septembre 2008 affirme sa décision de renforcer l’engagement de l’Union européenne dans ses confins orientaux : « L’Union européenne considère qu’il est plus nécessaire que jamais de renforcer les relations qu’elle entretient avec ses voisins orientaux, notamment à travers sa politique de voisinage, le développement de la “synergie mer Noire” et un “partenariat oriental” », que le Conseil a adopté en mars 2009.

L’acte II de cette politique de coopération apparaît comme une tentative sans précédent pour l’Union européenne d’accompagner et de guider le processus de réforme des pays situés à la périphérie orientale de l’Union.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Peut-on encore croire aux promesses du Partenariat oriental ? Pour ma part, j’en suis convaincue. Toutefois, il faut de toute urgence que l’Europe prenne conscience, eu égard au difficile contexte géopolitique présent, que la modernisation de ce partenariat est désormais une question de survie pour ces ex-républiques soviétiques que nous devons plus que jamais épauler, car elles ont besoin que l’Europe les aide à s’assumer dans le respect de toutes les puissances en présence, tout particulièrement de la Russie. En ce sens, le Président François Hollande a tracé la voie avec les accords de Minsk II, qui doivent nous inciter à regarder les choses diplomatiquement et pragmatiquement : les équilibres sont fragiles, mais ce n’est pas parce qu’ils sont fragiles que nous devons désespérer. L’Europe doit conforter son poids politique ; la présence d’Angela Merkel à ses côtés étant à mon sens de bon augure. Ces accords doivent impérativement être respectés par les deux parties, la Russie et l’Ukraine.

À ce jour, la situation n’est pas simple. Le long parcours emprunté par l’accord qui nous est soumis en témoigne largement, et les années écoulées pèsent lourdement dans le processus. En effet, force est de constater qu’au fil du temps l’offre de partenariat de l’Union n’a pas eu la même portée pour tous les pays partenaires et, de fait, a pu créer des frustrations, notamment par rapport à l’Ukraine, pays pionnier qui a fait figure de modèle pour les relations bilatérales que l’Union européenne proposait dans le cadre du Partenariat oriental.

Mais, en la matière, toutes les pierres sont loin d’être dans le jardin de l’Europe. Les liens entre l’Union européenne et l’Ukraine étaient déjà altérés depuis plusieurs mois par le cours politique suivi par l’Ukraine elle-même et par le contexte régional « mouvant ». N’oublions pas que, dès 2011, l’Ukraine a été fortement incitée par la Russie à rejoindre l’Union eurasiatique avec la Biélorussie et le Kazakhstan et surtout sa fameuse union douanière, incompatible avec la zone de libre-échange approfondi négociée avec l’Union européenne.

Posons-nous également cette question importante : à défaut d’avancées significatives pour l’Ukraine, le Partenariat oriental a-t-il eu des incidences en matière de coopération régionale entre partenaires de l’ex-URSS ? Les progrès bilatéraux de chacun les ont-ils rapprochés entre eux, créant ainsi un référentiel européen commun ? Parce que si la réponse est positive, cela pourrait contribuer à une stabilité régionale, ce qui est un objectif central de la politique de voisinage de l’Union.

Rappelons enfin que le Partenariat oriental est financé par l’instrument européen de voisinage, et je me réjouis que l’accord que nous examinons aujourd’hui propose une aide financière importante à l’Ukraine : jusqu’à 12, 8 milliards d’euros pour la période 2014-2020.

Mes chers collègues, le Partenariat oriental doit être reconsidéré. À l'évidence, il n'est pas équipé pour répondre à un scénario aussi grave que celui qui se passe en Ukraine depuis plusieurs mois. Où sont les instruments concrets qui auraient permis à l'Union européenne d'aider ses partenaires à faire face aux pressions tel le blocage des flux de marchandise ? Ces défauts expliquent peut-être pourquoi seuls trois États sur les six participent effectivement à l’initiative. Leur nombre serait tombé à deux si les citoyens ukrainiens ne s’étaient pas mobilisés pour manifester leur volonté de rapprochement avec l’Union européenne.

Oui, l’Ukraine se bat pour l’Europe ! Le soulèvement populaire de Maïdan l’illustre parfaitement, tout comme la signature de cet accord d’association par le gouvernement provisoire quelques mois à peine après le départ de Viktor Ianoukovitch – accord ratifié le 16 septembre 2014. Cela prouve la pugnacité de ce pays.

Pour les Européens que nous sommes, les accords d’association semblent n’être qu’une simple impulsion, une sorte de routine, mais, pour la jeunesse ukrainienne, c’est un puissant symbole, un signe d’espérance et d’espoir. Pour Raphaël Glucksmann, conseiller de l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili, « ces documents incarnent l’Europe, la possibilité ou l’impossibilité d’un avenir ». C’est pourquoi le sommet de Vilnius de novembre 2013 apparaît de plus en plus comme ayant été le préambule à l’acte III de la politique de coopération régionale de l’Union européenne avec ces pays.

Dans la perspective du futur sommet de Riga des 21 et 22 mai prochain, cet excellent accord, qui a été parfaitement détaillé par le rapporteur Daniel Reiner, constitue une réelle chance pour l’Ukraine, pour l’Europe et pour la France. Sa ratification s’impose comme une évidence salutaire. Je le voterai avec force, et l’ensemble du groupe socialiste en fera de même.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue moi aussi la présence amicale, dans nos tribunes, de nos collègues du Parlement ukrainien.

La question qui se pose à nous n’est pas simple : faut-il ou non ratifier l’accord d’association de l’Union européenne avec l’Ukraine ? Cette question légitime se pose, alors même que ce pays connaît encore aujourd’hui une situation très instable dans la partie orientale de son territoire. Le conflit est à l’origine de mesures et de sanctions de l’Europe à l’égard de son grand voisin russe, qui y répond par d’autres sanctions. Cette spirale funeste doit être arrêtée.

Certes, c’est d’abord l’annexion de la Crimée qui est à l’origine de ces sanctions, mais cela fait déjà plusieurs années que nous savons que la politique européenne dite du « Partenariat oriental » va dans le mur. D’abord, elle coûte cher. Nous avons dépensé des milliards d’euros dans la politique de coopération sans vraiment savoir à qui étaient destinés les fonds. Ensuite et surtout, elle repose sur une vision manichéenne et technocratique ; cette vision a placé les anciens pays du bloc soviétique dans une position trop difficile : choisir entre l’Union européenne ou l’Union eurasiatique proposée par la Russie, sachant que choisir l’un implique de rejeter l’autre. Quelle maladresse dans une zone où les identités, produits d’une histoire tourmentée, peuvent être multiples !

Deux langues sont communément employées en Ukraine : l’ukrainien et le russe. Si l’ouest est naturellement tourné vers l’Europe, la majorité des échanges de l’est du pays ont continué de se faire avec la Russie, même après l’indépendance de l’Ukraine, les populations des régions frontalières étant intimement liées. C’est pourquoi il faut que le Partenariat oriental évolue. Il doit mieux prendre en compte la position d’un partenaire aussi important que la Russie. Ne soyons pas candides, rien de durable ne pourra se construire dans cette région sans relations normalisées avec les Russes. Cela n’implique pas un renoncement aux valeurs et principes de l’Europe ; bien au contraire, il s’agit de les assumer et de les affirmer dans un dialogue franc et constructif. Mais une concurrence sans vision stratégique ne peut rien donner d’heureux, si ce n’est créer de l’instabilité aux frontières orientales de l’Union et radicaliser les populations. On ne peut que déplorer aujourd’hui les effets tragiques de cette voie sans issue.

Concrètement, il s’agira de réfléchir, dans les mois qui viennent, à une articulation entre l’Union eurasiatique et les accords de libre-échange que conclut l’Union européenne avec l’Ukraine, mais aussi la Moldavie et la Géorgie. Nous savons combien, dans ces trois pays, l’appétence pour l’Union européenne est grande. Par ailleurs, la question des relations avec la Russie y demeure très sensible. Mais ne nous trompons pas de moment ! Le Partenariat oriental fera l’objet d’un sommet européen à Riga. C’est la première fois que la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker se penchera sur le sujet. Il faut espérer qu’elle le fera avec davantage de vision et de diplomatie que la Commission précédente. Vous pouvez compter sur la commission des affaires européennes du Sénat et sur Jean Bizet, son président, pour y porter toute l’attention nécessaire.

Si, aujourd’hui, l’accord d’association avec l’Ukraine est issu d’une politique dont nous constatons et dénonçons les limites, prenons garde de ne pas nous tromper non plus de sujet. C’est bien sur sa ratification que nous devons nous prononcer, et non sur les orientations de la politique européenne de voisinage.

Je ne reviens pas sur le contenu de l’accord, il a été très bien analysé par notre collègue rapporteur Daniel Reiner. Je veux simplement que nous mesurions la mobilisation et la somme de travail technique, normatif et législatif que sa préparation a impliquées. Je voudrais également que l’on mesure à quel point cet accord est susceptible d’inscrire durablement la démocratie et l’économie de marché en Ukraine. Je souhaite néanmoins que cette économie de marché ne soit pas accaparée par quelques oligarques de l’ancien système, …

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

… reconvertis dans les affaires, comme cela a pu se passer dans d’autre pays. L’Europe devra y veiller attentivement pour que les Ukrainiens ne soient pas dépossédés des fruits du développement économique.

Il reste, certes, de nombreux problèmes à régler. La première urgence, c’est la crise au Donbass. Le cessez-le-feu ne semble pas respecté, et une solution doit être trouvée pour éviter que de nouvelles victimes ne trouvent la mort, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Mais l’Est n’est pas le seul à souffrir, car c’est toute l’économie ukrainienne qui est en panne : le PIB a diminué de plus de 6 % l’an dernier, la monnaie a perdu la moitié de sa valeur face au dollar et le pays a connu une inflation de 25 %. Les aides financières au pays, pourtant nombreuses et significatives, ne lui ont pas permis jusque-là de surmonter ces difficultés que seul un retour à la stabilité et à la paix permettra. Ne nous cachons pas la réalité, après avoir accompli dans la douleur leur « révolution », les Ukrainiens vivent mal, et la vie quotidienne reste précaire.

L’accord d’association est ambitieux. Sa mise en œuvre sera longue et complexe. Cependant, sa ratification et son entrée en vigueur, envisagée à compter du 1er janvier 2016, seront un signal fort de la volonté de trouver une solution stable et pérenne aux maux qui frappent l’Ukraine depuis trop longtemps. Au-delà, le règlement de la situation dans l’est du pays pourrait passer aussi par une décentralisation réussie. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a proposé l’aide de la Haute Assemblée, qui connaît bien ce sujet ; l’initiative mérite d’être soulignée et soutenue. C’est la proposition que nous faisons à nos amis ukrainiens.

Dans un monde multipolaire, la ratification de l’accord d’association doit être la première étape d’une relation approfondie avec l’Ukraine et d’une relation renouvelée avec la Russie. L’Ukraine a rappelé à tous son attachement à la liberté et à la famille européenne. Quant à la Russie, il est dans son intérêt, comme dans celui des Européens, que nous nous entendions. C’est pourquoi je voterai la ratification de cet accord.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est avec une très grande émotion que je prends la parole aujourd'hui, car je pense à ce qu’a vécu l’Ukraine depuis l’été 2013.

Lorsque le Président Ianoukovitch a finalement refusé de signer l’accord d’association, la population s’est mobilisée pour protester, malgré les pressions russes qui commençaient à peser sur l’économie du pays. Cette mobilisation populaire s’explique par l’évolution qu’a connue la société ukrainienne en vingt ans : elle ne supportait plus le système kleptocratique et elle voyait en l’Europe une garantie de l’État de droit.

Après le départ du Président Ianoukovitch, le pays a dû faire face, d’une part, à la plus grande violation du droit international en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – l’annexion de la Crimée – et, d’autre part, à une déstabilisation majeure. La France et l’Allemagne se sont engagées aux côtés de l’Ukraine pour donner toute leur force aux accords de Minsk et prévoir une feuille de route qui mette fin à cette déstabilisation et permette à l’Ukraine de s’engager, dès la fin du conflit, sur la voie de la construction d’un État de droit. Aujourd'hui, la feuille de route issue de Minsk semble très difficile à respecter. En raison de la situation de guerre dans le pays, les promesses de Maïdan semblent bien loin.

L’État de droit est un but pour la population ukrainienne. Il faut les aider à l’atteindre – je pense en particulier aux parlementaires, élus à la fin du mois d’octobre 2014, qui veulent réformer leur pays. Or la situation de guerre empêche de faire ces réformes. La situation sociale est explosive, l’économie est totalement bloquée, l’oligarchie est toujours très présente et, en raison du conflit, les forces armées occupent une place très importante dans la société. Par ailleurs, il ne faut pas se le cacher, il y a des enjeux en termes de liberté d’expression.

J’ai néanmoins la conviction que l’accord que nous allons ratifier permettra d’aider l’Ukraine à relever ces défis pour construire l’État de droit que sa population a exigé au cours des manifestations de 2013 et 2014. Grâce à cet accord, le dialogue politique, la coopération judiciaire, la libéralisation des visas – j’appelle les gouvernements européens à faire en sorte qu’elle puisse être mise en œuvre le plus rapidement possible, car si l’on accueille les Ukrainiens dans la famille européenne, si l’on ratifie le traité d’association, la liberté de circulation doit être effective –, la zone de libre-échange, le rapprochement des législations et la reprise d’un certain nombre d’acquis communautaires seront des outils qui permettront à l’Ukraine de se réformer et d’assurer la stabilité du pays.

Cet accord s’inscrit dans l’esprit de 1989, de la chute du mur de Berlin, des combats menés durant toute leur vie politique par Charles de Gaulle, Willy Brandt ou François Mitterrand pour sortir l’Europe du joug de Yalta, du joug totalitaire et faire en sorte que les peuples décident de leur avenir. Cet accord marquera l’entrée de l’Ukraine dans la famille européenne et un système de valeurs partagées.

Il est important de dire que cet accord n’est pas dirigé contre la Russie. Je pense notamment à certains aspects, comme les accords commerciaux, le dialogue politique et la question des visas. Les nombreuses perspectives que nous offrons aujourd'hui à l’Ukraine pourraient l’être aussi à la Russie. L’histoire nous a montré que, lorsque la France et la Russie sont opposées, c'est l’ensemble de l’Europe qui est malade. Cette conviction historique ne doit pas nous empêcher de nous manifester quand la Russie commet l’inacceptable. À ce moment-là, nous devons montrer notre solidarité au pays qui en est victime.

À l’avant-veille des célébrations du 9 mai, n’oublions pas que c'est à Stalingrad que le totalitarisme nazi a marqué le pas. Je le redis, notre désir que l’Ukraine rejoigne l’Union européenne et partage ses valeurs n’est pas dirigé contre la Russie.

En hommage à nos collègues de la délégation ukrainienne présente dans les tribunes, je voudrais clore mon propos par quelques mots dans leur langue : Українo, ми знаємо, як ваші люди хочуть жити у вільній країні, у вільній Європі. Сьогодні ми говоримо, що ваша свобода є наша свобода. Ми говоримо, що ваше майбутнє це наше майбутнє.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je vous les traduis, mes chers collègues : Ukraine, nous savons combien vos citoyens ont combattu et veulent vivre dans un pays libre, dans une Europe libre. Nous vous disons aujourd'hui que votre liberté est notre liberté, que votre avenir est notre avenir.

Сьогодні народ Франції висловлює свою солідарність з українським народом.

Le peuple français envoie au peuple ukrainien sa solidarité.

Ми єдині у захисті європейських цінностей.

Nous sommes ensemble pour la défense des valeurs européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

M. Jean-Yves Leconte. Voilà pourquoi je voterai avec conviction le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne.

Applaudissements sur la plupart des travées.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d'État

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier tous les orateurs de la qualité de leur contribution à ce débat sur un texte très important. Vous l’avez tous souligné, ratifier cet accord d’association, c’est dire – en français, car je ne m’en sens pas capable en ukrainien

Sourires.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d'État

Nous pouvons l’accompagner en soutenant la démocratisation, la stabilisation et la modernisation de ce pays et de son économie. Bien entendu, comme plusieurs d’entre vous l’ont indiqué, nous devons être très attentifs au fait que cette étape de rapprochement entre l’Union européenne et l’Ukraine ne doit en aucun cas être interprétée comme un acte d’hostilité à l’égard de qui que ce soit, notamment de la Russie.

Vous y avez également tous insisté, un ensemble d’actions doivent être mises en œuvre de façon concomitante.

Premièrement, nous devons veiller au respect et à la mise en œuvre des accords de Minsk.

Deuxièmement, nous devons faire preuve de solidarité macroéconomique et financière. L’Ukraine a en effet été durement éprouvée par ce conflit, qui a entraîné l’interruption des relations économiques normales avec la Russie, des suspensions sporadiques de livraison de gaz et, de manière générale, la déstabilisation profonde, non seulement des régions où se déroulaient les conflits, mais aussi de l’économie ukrainienne dans son ensemble. Je rappelle d’ailleurs qu’une nouvelle aide de 1, 8 milliard d’euros lui a été accordée par l’Union européenne le 31 mars.

Troisièmement, nous devons faciliter les échanges entre acteurs économiques et au sein de la société civile grâce à la libération des visas ; nous attendons à ce sujet un rapport imminent de la Commission européenne

L’accord d’association concerne à la fois les échanges économiques, culturels et, bien sûr, politiques. Adopter le projet de loi autorisant sa ratification, c’est envoyer un message d’espoir, d’amitié et de solidarité à l’Ukraine. Je remercie donc l’ensemble des orateurs, qui, dans leur immense majorité, ont exprimé leur volonté de franchir cette étape et de faire en sorte que la Haute Assemblée, saisie la première de ce projet de loi, initie le processus de ratification de cet accord par la France.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Est autorisée la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part (ensemble quarante-quatre annexes et trois protocoles), signé à Bruxelles les 21 mars et 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Pour faire partie de la commission Ukraine au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je sais l’importance de ce pays pour la sécurité de l’Europe. Personne n’a oublié le nuage de Tchernobyl...

Je voudrais simplement appeler votre attention sur quelques points, mes chers collègues.

M. le secrétaire d'État vient d’indiquer qu’une aide de 1, 8 milliard d’euros a été récemment versée à l’Ukraine. Je rentre de ce pays, où j’ai rencontré le président de la commission des droits de l’homme, M. Rabinovitch, qui a longuement insisté sur le problème de la corruption. Il est donc indispensable de veiller au bon usage de ces fonds. Notre ancien collègue Jean Arthuis, aujourd’hui député européen, rentre lui aussi d’Ukraine, car le Parlement européen est lui aussi inquiet de la façon dont ces fonds seront dépensés.

Il faut également parler des droits de l’opposition. Il existe bien une Constitution, mais celle-ci n’est pas respectée : l’opposition parlementaire n’a qu’une seule commission au lieu d’en avoir six. En outre, le fait que le gouvernement compte des membres qui ne sont pas de nationalité ukrainienne contribue à rendre plus complexe l’appréciation de la situation politique.

L’Ukraine est définitivement l’alliée de l’Europe, ce qui ne doit pas poser de problème avec la Russie, beaucoup de nos collègues l’ont largement souligné. Que ce soit clair : nous ne demandons pas à l’Ukraine de choisir entre l’Europe et la Russie. Reste que, en soutenant le gouvernement ukrainien, l’Europe a une responsabilité : elle doit s’assurer que la démocratie et la Constitution sont respectées et surtout que les fonds qu’elle a versés sont bien utilisés. Il ne peut y avoir d’aide efficace sans ce contrôle rigoureux ; cela doit constituer un corollaire essentiel. Je compte donc sur vous, monsieur le secrétaire d'État, et sur le Parlement européen pour y veiller.

Enfin, je veux rendre hommage à Hervé Maurey et au président Larcher, qui ont fait preuve d’une forte implication dans la diplomatie parlementaire. Je me réjouis que celle-ci fonctionne si bien et que le Sénat suive le projet de décentralisation en Ukraine. À cet égard, nous avons la chance que notre collègue Hervé Maurey ait une double casquette : président du groupe d’amitié France-Ukraine et président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Je voterai évidemment ce texte.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Je voudrais à mon tour saluer les membres de la délégation ukrainienne. La situation de leur pays ne laisse personne indifférent et tout ce qui peut aider à sa stabilité, au retour de la paix et de la démocratie doit être encouragé. Malheureusement, même si l’esprit de Maïdan a soufflé – j’ai eu la chance de me trouver personnellement place de l’Indépendance à Kiev en décembre 2013 –, même si un espoir s’est levé, on constate que les difficultés perdurent.

Dans cette affaire très délicate, sachons raison garder : nous devons être à la fois prudents et fermes. N’oublions pas que la France est fortement impliquée dans le retour de la stabilité en Ukraine. C’est notre diplomatie et celle de l’Allemagne qui ont réuni autour d’une même table la Russie et l’Ukraine, conduisant ainsi aux accords de Minsk II. L’accord de cessez-le-feu éprouve peut-être quelque difficulté à être respecté, mais il a le mérite d’exister. En tant que vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE – qui est un intervenant majeur dans la crise ukrainienne –, je me réjouis d’ailleurs que les délégations française et allemande aient réussi à réunir au « format Normandie », il y a quelques jours, les 28 et 29 mars, les délégations ukrainienne et russe. Nous devons compter parmi ceux qui apportent leur force de persuasion pour trouver une solution de paix et de démocratie en Ukraine. Or cela passe aussi par la stabilité économique.

L’accord de partenariat que le présent projet de loi autorise à ratifier représente un élément de progrès. Évidemment, cet accord ne doit en aucun cas être interprété comme une perspective donnée à l’Ukraine d’adhérer à l’Union européenne ou à l’OTAN. Il précise d’ailleurs clairement qu’il n’est pas incompatible avec une participation à l’Union eurasiatique qui prend forme autour de la Russie. C’est une façon de rappeler notre solidarité au peuple ukrainien dans son combat pour le respect des droits de l’homme et de montrer notre volonté de défendre le principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Nous devons poursuivre nos efforts pour permettre aux Ukrainiens et aux Russes de retrouver le chemin des négociations dans l’esprit des accords de Minsk II, en gardant en tête les succès de notre diplomatie dans ce domaine. Notre diplomatie parlementaire doit œuvrer dans le même sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Alain Néri. Mon collègue Allizard – avec qui je siège à l’OSCE, et que je salue – et moi-même continuerons de travailler dans cet état d’esprit. Nous sommes en particulier investis dans l’initiative « Helsinki +40 » visant à moderniser l’acte final d’Helsinki, qui date de quarante ans, afin d’instaurer des relations normales dans toute l’Europe, pour le progrès, la paix et la démocratie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Daniel Chasseing membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.

Je rappelle également que la commission des finances et la commission des lois ont proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Christophe Béchu et Charles Guené membres titulaires du Comité des finances locales et MM. Alain Richard et Vincent Eblé membres suppléants de ce même organisme extraparlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer (projet n° 366, texte de la commission n° 408, rapport n° 407).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, que j’ai l’honneur de présenter à votre assemblée, est, je le sais, particulièrement attendu dans nos régions d’outre-mer.

Il est attendu, parce que l’octroi de mer est une source essentielle du financement des collectivités, à hauteur de plus de 1 milliard d’euros par an, soit 40 % en moyenne des ressources des collectivités.

Il est attendu, parce qu’il constitue un mécanisme de soutien et d’accompagnement efficace de nos productions locales, en favorisant des stratégies de développement économique cohérentes. Il est donc un outil indispensable du développement de nos économies, encore trop dépendantes des importations.

Il est attendu, enfin, parce que son examen par le Parlement, après de longues négociations avec les instances européennes, est la dernière étape avant l’entrée en vigueur du nouveau régime, qui doit intervenir impérativement au 1er juillet prochain.

Le régime de l’octroi de mer, impôt extrêmement ancien, dont on trouve des prémices dès le XVIIe siècle, a beaucoup évolué, notamment sous l’influence du droit européen. Ce dispositif est, aujourd’hui, à la fois mature et complexe.

Il est mature, parce qu’il bénéficie de l’expérience de décennies de mise en œuvre et a été largement conforté par la décision récente du Conseil de l’Union européenne, rendue en décembre 2014.

Il est complexe, parce que son régime s’articule autour de différents dispositifs : différentiels de taxation, exonérations, déductions, permettant d’offrir une palette adaptée de soutiens à nos filières productives.

Les enjeux de ce dispositif sont considérables : les handicaps structurels dont souffrent nos économies éloignées, les surcoûts engendrés mécaniquement par cet éloignement et les spécificités de ces territoires, marqués par un faible nombre de productions locales et l’étroitesse de leurs marchés, dans des bassins régionaux au surplus extrêmement concurrentiels, exigent la mise en œuvre de dispositifs adaptés à ces caractéristiques. Dans ces conditions, le soutien à l’émergence, puis au développement de productions locales est un enjeu majeur.

Faut-il rappeler que ces territoires affichent une balance commerciale, hors services, structurellement déficitaire – de 1, 2 milliard d’euros pour la Guyane à 4, 4 milliards d’euros pour La Réunion –, un taux de couverture des importations par les exportations encore trop faible, variant, selon les territoires, de 1 % à 18 %, et une trop faible part des productions locales dans le PIB, de 11, 6 % à 14 % selon les DOM ?

La mise en œuvre d’un outil ad hoc demeure, dans ces conditions, pleinement justifiée. Cet outil, que constitue l’octroi de mer, ne permet pas à lui seul de corriger toutes les imperfections des marchés des DOM – loin de là –, mais il permet, a minima, d’en atténuer les faiblesses et, surtout, d’accompagner efficacement les filières productives, ressorts de croissance, de richesse et d’emplois.

L’évaluation du dispositif par un cabinet indépendant, conduite à la faveur du renouvellement de ce dispositif, a permis de souligner plusieurs éléments importants. L’aide effectivement procurée par l’octroi de mer aux entreprises de production est évaluée à une fourchette allant de 170 à 250 millions d’euros annuels sur la période 2005-2007. L’impact du différentiel de taxation a contribué au maintien, voire au développement de certaines activités de production dans les DOM depuis une dizaine d’années. Les effectifs salariés dans l’industrie y ont augmenté de 15 % entre 2000 et 2008. En données consolidées, le poids du différentiel d’octroi de mer sur le PIB varie entre 0, 22 % et 1, 55 % suivant les DOM.

Toutefois, si les parts de marché de la production locale ont tendance à augmenter depuis 2005, les importations de produits équivalents n’ont pas pour autant diminué sur la même période. Les produits bénéficiant du différentiel de taxation demeurent donc particulièrement exposés à la concurrence.

Dans ces conditions, l’étude conclut que le régime d’octroi de mer ne compense pas tous les handicaps supportés par les productions locales.

Par ailleurs, l’analyse des comptes de résultat des entreprises montre que les principales filières bénéficiant du différentiel de taxation répartissent le surcroît de valeur ajoutée qu’elles en retirent de façon équilibrée entre les salaires, les investissements et les profits, ce qui est plutôt sain. Dans ces conditions, je crois pouvoir affirmer que le dispositif ne contribue pas à la création d’une distorsion de marché et d’une situation de rente. C’est pourquoi la Commission européenne en a validé le principe.

Ce régime reste donc, en toute hypothèse, un outil essentiel de l’accompagnement de la production dans les DOM, face à des handicaps qui ont, par nature, vocation à perdurer, parce qu’ils sont structurels. J’observe que cette appréciation est partagée par les députés Mathieu Hanotin et Jean Jacques Vlody, auteurs d’un rapport d’information sur l’octroi de mer, établi en janvier 2013. Vos collègues députés ont estimé que quatre raisons principales justifiaient la reconduction de l’économie générale du dispositif : sa faible incidence sur les prix, notamment grâce à des possibilités d’exonérations, partielles ou totales, sur les produits de grande consommation ; l’aide réelle en faveur des entreprises, évaluée entre 170 et 250 millions d’euros pour les quatre DOM historiques ; son adaptation aux handicaps des régions ultrapériphériques, les RUP, et l’adoption de solutions très comparables à l’étranger, notamment en Espagne ; l’absence de dispositif alternatif présentant le même rendement pour les finances des collectivités et le même effet sur le soutien aux filières productives.

Fort de ces constats, le Gouvernement, en lien avec les exécutifs régionaux et les représentants des socio-professionnels, a souhaité reconduire le régime de l’octroi de mer. Ce processus de reconduction a été engagé à l’hiver 2012 par mon prédécesseur, Victorin Lurel, et s’est matérialisé par des échanges approfondis avec les parlementaires et les exécutifs des collectivités, pour arrêter les termes de notre demande de reconduction à la Commission européenne.

Pour les raisons déjà évoquées, notamment le poids de l’octroi de mer dans les ressources des collectivités, il semblait évident que la position des autorités françaises devait, au préalable, faire l’objet d’une large consultation. Nous avons donc ouvert de nombreux chantiers : sur le seuil d’assujettissement, sur le traitement des plus petites entreprises, sur l’extension du dispositif aux services, sur l’évolution des relations entre le marché unique antillais et la Guyane... Cette concertation très en amont a permis un débat nourri et de qualité, lequel a aussi mis en évidence des positions divergentes, mais a renforcé la position des autorités françaises dans leurs négociations avec la Commission européenne, grâce au consensus qui s’est dégagé sur le principe de reconduction du régime.

Contrairement à ce que l’on nous avait prédit et à ce que chacun redoutait depuis des années, la Commission, à l’issue d’une instruction très précise, a largement conforté le bien-fondé de ce dispositif et son adaptation aux économies des outre-mer, en légitimant le principe de l’octroi de mer, c’est-à-dire une différence d’imposition entre les produits locaux et les productions importées, sur le fondement de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, compte tenu des handicaps spécifiques qui frappent les économies ultramarines, en justifiant la finalité de l’octroi de mer comme instrument de stratégie de développement économique et social des départements d’outre-mer, en démontrant l’absence de surcompensation du régime, par une analyse exhaustive, menée position douanière par position douanière, et, enfin, en augmentant sensiblement le nombre de productions bénéficiant d’un différentiel de taxation, témoignant ainsi de l’intérêt du dispositif pour renforcer le dynamisme de nos filières productives.

Les échanges avec la Commission européenne ont permis de préserver les grands équilibres du texte existant, en autorisant des différentiels de taxation jusqu’en 2020, mais aussi d’introduire des améliorations. Parmi celles-ci, je retiens notamment l’abaissement du seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires et, conséquemment, la mise hors champ de l’octroi de mer des entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros.

Cette disposition a été initialement critiquée par certains, mais elle s’apprécie au regard de certains faits établis : d’une part, le faible nombre d’entreprises concernées – quelques dizaines par territoire – et l’absence d’obligations déclaratives nouvelles pour les nouveaux redevables dont le chiffre d’affaires est situé entre 300 000 et 550 000 euros qui étaient déjà assujettis sous l’empire du précédent dispositif ; d’autre part, l’intérêt d’une simplification majeure pour la très grande majorité de notre tissu entrepreneurial, constitué de très petites entreprises, qui ne sera pas assujettie à la taxe de l’octroi de mer, ce qui représente une avancée majeure, que chacun doit mesurer.

Je sais que certains parlementaires souhaitent revenir sur cette évolution, mais cela me semble extrêmement difficile, compte tenu de la décision prise par Bruxelles.

Le projet de loi clarifie et modernise la mise en œuvre de l’octroi de mer. En complément de l’abaissement du seuil d’assujettissement, plusieurs dispositions doivent être soulignées.

Tout d’abord, conformément à l’article 72-2 de la Constitution et à la demande expresse du Conseil d’État, le texte encadre les taux que le conseil régional de Guadeloupe, celui de La Réunion, l'assemblée de Guyane, l'assemblée de Martinique et le conseil départemental de Mayotte sont autorisés à fixer.

Ensuite, le projet de loi étend le champ des opérations pouvant être exonérées par ces mêmes collectivités, ces opérations concernent dorénavant non seulement les entreprises, mais aussi les établissements de santé, de recherche, d’enseignement ainsi que les organismes caritatifs ou philanthropiques.

Enfin, les possibilités de déduction sont élargies : elles permettent à un nouvel assujetti de déduire l’octroi de mer qui a grevé les biens d’investissement qu’il a acquis.

Ce texte est équilibré, car il me semble répondre aux attentes de nos économies. À cet égard, je tiens à saluer la qualité du travail accompli en commission des finances, qui a permis d’améliorer et, plus particulièrement, de préciser certaines rédactions, sans remettre en cause l’équilibre du texte. La qualité de nos échanges avec M. le rapporteur y a également contribué.

Par ailleurs, j’ai souhaité, en responsabilité, lever autant que possible les incertitudes qui auraient pu affecter la sérénité de notre débat sur ce texte et masquer les enjeux globaux du dispositif. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité faciliter l’émergence d’un consensus sur la révision des relations entre le marché unique antillais et la Guyane, qui faisait, semble-t-il, l’objet de quelques difficultés.

Le travail de longue haleine des services du ministère comme la réunion dont nous avons pris l’initiative il y a quelques jours pour lever les derniers questionnements ont permis d'aboutir à un accord, que je salue. D’une part, cet accord prévoit la création d’une commission interrégionale chargée de suivre et d’évaluer les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais. D’autre part, il fixe une liste de produits bénéficiant d’une exception. L’ensemble des acteurs considèrent que cet accord est équilibré et profitable pour tous. Celui-ci est retranscrit dans les amendements qui vous seront présentés aujourd'hui par le Gouvernement, comme je m’y étais engagée. Je souhaite que votre assemblée puisse les adopter tels quels.

Le travail se poursuivra à la faveur de la préparation du décret qui viendra préciser la composition et les missions de la commission interrégionale.

Je crois que l’on peut aujourd’hui se féliciter du caractère globalement consensuel du texte, pour ce qui concerne ses dispositions principales. Il reste, bien entendu, de la marge pour le débat parlementaire, dans le cadre, toutefois, que nous trace la décision du Conseil de l’Union européenne de décembre 2014.

Je dois aussi rappeler que nous devons impérativement respecter le délai du 30 juin prochain pour l’adoption du projet de loi, sauf à mettre en péril la sécurité juridique de notre régime et, par suite, les ressources des collectivités territoriales. Cette échéance a imposé l’examen de ce texte en procédure accélérée. Il importe de le garder en mémoire à l’occasion du travail que nous engageons ici. Les parlementaires pourront en déduire que notre liberté est quelque peu bridée…

Parallèlement, je veille à obtenir, dans le même délai, une autorisation européenne pour l’aide d’État que constitue le différentiel de taxation. Cette autorisation fait l’objet d’une procédure en plusieurs étapes. Notre demande est en cours d’instruction, et la décision de la Commission doit intervenir également d’ici à la fin du mois de juin, pour nous permettre de disposer de l’intégralité de l’encadrement juridique, communautaire comme national.

En conclusion, il me semble que le texte qui vous est soumis répond aux attentes à la fois de nos collectivités, en termes de niveau de ressources, et des acteurs socio-économiques, pour l’accompagnement adapté des filières productives.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour le travail que nous avons réalisé ensemble. Je pense que nous allons pouvoir le conclure aujourd'hui dans de bonnes conditions – par l’adoption du texte !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Madame la ministre, nous n’avons pas de divergence avec les points qui viennent d’être évoqués. Par conséquent, mes propos seront relativement redondants avec les vôtres, mais je tiens néanmoins à souligner quelques éléments.

Plus de dix ans après la dernière réforme de l’octroi de mer, le Sénat a été une nouvelle fois appelé à se prononcer sur un texte visant à modifier le régime de cette imposition très ancienne, son principe remontant au « droit des poids » mis en place au XVIIe siècle sur les importations de Martinique. Si cet impôt est, dans une large mesure, méconnu dans l’Hexagone, il revêt pourtant un caractère essentiel, voire vital, pour les départements d’outre-mer, et ce pour deux raisons.

Tout d’abord, l’octroi de mer constitue une recette fiscale de près de 1 milliard d’euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements. En 2012, il représentait ainsi entre 38 %, à La Réunion, et 48 %, en Martinique, des recettes fiscales communales. Chacun peut donc en mesurer le poids.

Ensuite, l’octroi de mer contribue au développement d’une production locale, en venant compenser une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent les départements d’outre-mer, parmi lesquels l’éloignement, l’étroitesse des marchés locaux ou encore la dépendance vis-à-vis de la métropole.

En 2012, une étude réalisée par le cabinet de conseil Louis Lengrand et associés – vous avez évoqué l’étude, madame la ministre, mais sans citer le cabinet - a mis en avant l’importance de ce dispositif pour de nombreuses entreprises ultramarines. Comme vous l’avez souligné, cette étude estimait l’aide procurée par ce biais à un montant compris entre 170 et 250 millions d’euros par an.

Jusqu’en 1992, l’octroi de mer s’est apparenté à un droit de douane, ne frappant que les importations. Dans sa version initiale, ce dispositif était donc contraire aux principes de libre circulation et de non-discrimination prévus par les traités européens. Aussi le régime de l’octroi de mer a-t-il fait l’objet d’un strict encadrement communautaire, mis en œuvre par des décisions successives du Conseil datant de 1989 et de 2004.

Le dispositif actuellement en vigueur est issu de la décision du Conseil du 10 février 2004, transposée en droit interne par la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

Au terme d’un processus de plus d’un an et demi, le Conseil, dans une décision du 17 décembre 2014, a autorisé la France à maintenir un dispositif d’octroi de mer jusqu’au 31 décembre 2020, sous réserve de diverses modifications devant être mises en œuvre à compter du 1er juillet 2015. Je peux vous assurer, mes chers collègues, que le groupe de travail institué au sein du Sénat a beaucoup travaillé au cours de ces dix-huit mois. Nous avons également eu quelques inquiétudes quant à l’avenir de l’octroi de mer. Nous pouvons donc nous féliciter de l’issue de cette affaire, qui fait l’objet de notre discussion de ce jour.

Le présent projet de loi, dont le Sénat est saisi après engagement de la procédure accélérée, vise effectivement à transposer en droit interne la décision du Conseil du 17 décembre 2014, tout en prévoyant différentes mesures tendant à moderniser le dispositif de l’octroi de mer. La principale mesure, issue directement de la décision du Conseil de décembre dernier, réside dans la fixation d’un seuil d’assujettissement à l’octroi de mer de 300 000 euros.

Jusqu’à présent, l’ensemble des entreprises de production ultramarines, indépendamment de leur taille, étaient assujetties à l’octroi de mer. Toutefois, celles dont le chiffre d’affaires était inférieur à 550 000 euros étaient exonérées de plein droit. Cette situation posait deux difficultés : d’une part, les déclarations d’existence remplies par les petites entreprises étaient, soit inexistantes, soit lacunaires ; d’autre part, cette obligation se traduisait, lorsqu’elle était respectée, par une charge administrative contraignante pour des entreprises dont les effectifs ne dépassent généralement pas un ou deux salariés.

Le Gouvernement a donc demandé la fixation d’un seuil d’assujettissement à 300 000 euros. Désormais, les entreprises n’atteignant pas ce nouveau seuil seront situées « hors champ » et ne seront donc plus soumises à l’obligation de transmettre une déclaration d’existence auprès des services de la douane. En contrepartie, l’ensemble des entreprises assujetties devront s’acquitter de la taxe.

S’il n’est pas question de revenir sur ces dispositions, qui, comme cela a été souligné, sont désormais fixées par le droit communautaire, je rappelle néanmoins que ce choix a été critiqué par la très grande majorité des conseils régionaux, ainsi que par les organismes socio-professionnels. En effet, il se traduira pour les entreprises concernées par des obligations déclaratives plus contraignantes et, donc, par un coût supplémentaire estimé, pour l’ensemble d’entre elles, à près de 800 000 euros la première année.

En résumé, auparavant l’entreprise payait l’octroi de mer au-dessus de 550 000 euros de chiffre d’affaires et était tenue de déclarer si elle n’atteignait pas ce seuil ; désormais, l’entreprise paie si son chiffre d’affaires dépasse 300 000 euros, mais n’a plus à déclarer s’il est inférieur à cette limite. Les critiques exprimées portent donc sur la charge supplémentaire imposée aux entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros, qui, par le passé, étaient juste tenues de déclarer. Observons toutefois qu’elles n’effectuaient pas forcément leur déclaration. Donc, il vaut tout de même mieux fixer une règle plus claire et qui sera respectée.

Ce texte contient en outre différentes mesures nationales destinées à actualiser et à améliorer le dispositif issu de la loi de 2004. Globalement, celles-ci semblent favorables aux entreprises et aux économies des départements d’outre-mer.

Au cours de sa réunion du 15 avril 2015, la commission des finances a adopté vingt-trois amendements visant à progresser dans la rédaction du projet de loi, à corriger certains oublis et à mettre en place ou améliorer certains dispositifs. Vous l’avez relevé dans votre propos, madame la ministre.

La commission a tout d’abord modifié l’article 7 afin de prévoir l’encadrement par décret du champ des secteurs économiques dont les importations pourront être exonérées d’octroi de mer. Cette précision doit permettre d’éviter un éventuel contournement des dispositions de cet article, dans la mesure où la seule notion de « secteur économique » aurait pu donner lieu à des interprétations excessivement larges.

En outre, la commission a prévu, à l’article 9, l’élargissement du champ des secteurs d’activité dont les carburants pourront être exonérés. Afin de diminuer le risque de fraude, elle a néanmoins précisé que seuls les carburants ayant fait l’objet d’une adjonction de produits colorants et d’agents traceurs pourront bénéficier de cette exonération.

Considérant que les plafonds de taux d’octroi de mer fixés à l’article 20 du projet de loi étaient inférieurs à ceux qui étaient constatés dans certains départements d’outre-mer, en particulier à Mayotte, la commission a procédé à leur augmentation à hauteur de 10 points afin de préserver les recettes des collectivités locales.

Enfin, elle a créé un article 36 bis nouveau, selon lequel le Gouvernement remettra au Parlement le rapport de mi-parcours, dont la transmission à la Commission européenne est prévue par la décision du Conseil du 17 décembre dernier. Il s’agit, je le précise, non pas de demander l’établissement d’un nouveau rapport, mais simplement d’envisager la communication automatique du rapport déjà prévu au Parlement.

Sur proposition de notre collègue Georges Patient, la commission des finances a précisé que ce rapport devra comporter une évaluation de l’abaissement du seuil de taxation – de 550 000 euros à 300 000 euros de chiffre d’affaires - prévu par le projet de loi.

Si, de manière globale, on peut se féliciter du maintien d’un outil indispensable pour les collectivités et les entreprises des départements d’outre-mer, un point demeurait toutefois en suspens concernant les relations entre le marché unique antillais et la Guyane. J’emploie le terme « suspens », mais j’aurais pu parler de « suspense », car l’affaire n’a abouti que le 28 avril dernier…

Depuis 2004, les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique, d’une part, qui forment un marché unique antillais, et la Guyane, d’autre part, sont soumis à un dispositif dérogatoire en matière d’octroi de mer. Le principe s’appliquant à ces échanges est celui d’une taxation sur le lieu de production, et non sur le lieu de livraison, comme cela est normalement le cas. Cette disposition serait sans incidence si le degré de maturité de ces deux marchés était comparable. Or force est de constater que ce n’est pas le cas. Cette situation était par conséquent extrêmement favorable aux importations et a rendu plus difficile l’émergence d’un tissu productif guyanais.

Au cours des auditions que j’ai pu mener, ce sujet s’est révélé constituer une difficulté majeure, à l’origine de tensions croissantes entre ces départements. Aussi je me félicite qu’un accord ait pu être trouvé le 28 avril dernier, prévoyant l’application du droit commun à huit produits, en particulier le rhum, et réglant ainsi le principal point de crispation entre les différentes parties.

Les cinq amendements déposés en ce sens par le Gouvernement, sur lesquels la commission des finances a émis un avis favorable, me semblent protéger les intérêts des entreprises guyanaises, comme antillaises.

Mes chers collègues, l’économie générale du projet de loi apparaît donc satisfaisante. Ce texte apporte des améliorations significatives et des réponses bienvenues, s’agissant notamment de la question des échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. C’est pourquoi, au bénéfice des observations que je viens de formuler, je vous propose d’adopter le texte.

Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, pour l’essentiel, traduit en droit interne la décision prise par le Conseil de l’Union européenne au mois de décembre dernier. De ce point de vue, c’est-à-dire s’agissant de tout ce qui vient impacter directement la production locale par rapport à l’importation similaire à travers l’autorisation d’une taxation différentielle, il ne peut être véritablement amendé.

Néanmoins, un constat s’impose : au fil des décisions prises sur l’octroi de mer par l’Union européenne depuis 1989, l’encadrement du dispositif, qui tire sa légitimité du statut de l’ultrapériphérie reconnu par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, se resserre quelque peu. Ainsi sa durée - autrefois dix ans – a-t-elle été limitée, avec la fixation d’une échéance au 31 décembre 2020, afin de ne pas anticiper sur la révision des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale prévue à cette date.

Ce dispositif de l’octroi de mer représente une aide comprise entre 169 et 251 millions d’euros pour les outre-mer. À ce titre, c’est la première aide en faveur des entreprises ultramarines, devant les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale.

La réduction de la durée du dispositif à un peu plus de cinq ans limitera d’autant la vision des acteurs économiques, alors même qu’il est souligné dans les considérants de Bruxelles – considérant n° 8 de la décision du Conseil de décembre 2014 - que l’affectation des recettes d’octroi de mer à une stratégie de développement économique et social constitue une obligation légale.

Le resserrement précédemment évoqué est aussi révélé par la liste des codes douaniers concernés par les différentiels de taxation, qui sont limités par le jeu d’une nomenclature douanière de plus en plus finement précisée, même si, faute d’informations suffisantes sur les valeurs de production et d’importation affectées, il demeure difficile d’en mesurer l’impact. Au-delà de l’octroi de mer, cette approche se retrouve dans d’autres dossiers - je pense, notamment, à la fin des quotas sucriers -, dans lesquels prévaut une logique d’intégration des RUP dans une Union européenne chaque jour davantage libéralisée et mondialisée.

Bien évidemment, le projet de loi comporte aussi des aspects purement nationaux. Ainsi le projet élargit-il le champ des exonérations possibles, certes laissées à la décision des conseils régionaux, mais suffisamment « fléchées » pour que le travail des lobbies s’exerce au mieux.

On peut s’interroger sur le sujet, s’agissant notamment des dispositions concernant les établissements exerçant des activités scientifiques d’enseignement ou de recherche, les œuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, par exemple, ou encore l’avitaillement des navires et les carburants. Cet élargissement concourt effectivement à une perte potentielle de recettes, qui affectera en premier lieu les collectivités locales. Quelles compensations face à cette évolution et quels compensateurs dès lors que les exonérations sont de la compétence régionale ?

Mais la question primordiale, en définitive, est celle de la fiscalité.

Notre collègue Éric Doligé, auteur du rapport sur ce projet de loi, estime que la question de la réforme de la fiscalité dans les outre-mer n’est pas à l’ordre du jour. On peut le regretter !

Quelques chiffres suffisent pour bien comprendre la situation : en France métropolitaine, le rapport entre la fiscalité directe et la fiscalité indirecte s’établit autour de 80 % pour la première, contre 20 % pour la seconde. La proportion est pratiquement inverse dans les outre-mer.

Pour les communes, selon les données de 2011, les recettes des quatre taxes fiscales directes représentent moins de 25 % des recettes de fonctionnement en outre-mer, alors que ce chiffre dépasse 39 % dans l’Hexagone.

Pour les départements, l’écart est moins sensible : 62, 08 % dans les outre-mer, contre 67, 67 % en France hexagonale.

Pour les régions, selon cette fois des données de 2012, la part des impôts locaux dans le total des produits budgétaires s’élève à seulement 6, 6 % en outre-mer, contre 24, 3 % pour les régions métropolitaines.

En résumé, la fiscalité indirecte, c’est-à-dire celle qui est payée par l’ensemble des consommateurs, est plus importante outre-mer qu’en France hexagonale. Il y a là une aberration assez incroyable : dans l’ensemble des outre-mer, le taux de pauvreté et le taux de chômage sont supérieurs aux taux de la France métropolitaine. Avec près de 60 % des jeunes privés d’emploi et 343 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté monétaire, soit 42 % de sa population, La Réunion est, par exemple, un département hors norme, selon les termes de l’INSEE. Peut-on se satisfaire d’un tel constat ? Poser la question, c’est déjà y répondre !

Concernant les collectivités locales, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, expliquait récemment, lors de son séjour à La Réunion, que « le contexte économique et social spécifique dans lequel [les collectivités d’outre-mer] évoluent montre depuis quelques années des signes de tension qui ont des conséquences sur [leurs] priorités. […] C’est la structure spécifique de leur financement qui repose sur des bases fragiles. Le financement des communes est constitué pour plus du tiers par la fiscalité indirecte – octroi de mer et taxe sur les carburants – qu’elles ne maîtrisent pas ».

En 2009, un rapport du Sénat envisageait la suppression de l’octroi de mer et son remplacement par la TVA, le produit de l’octroi de mer d’environ un milliard et demi d’euros étant supérieur à celui de la TVA d’environ 900 millions d’euros – ce sont les chiffres de 2009. Cependant, remplacer l’octroi de mer par la TVA impliquerait d’augmenter sensiblement son taux, excepté en Guyane, où elle n’existe pas. Les taux de la TVA applicables dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion sont de 2, 1 % pour le taux réduit, contre 10 % ou 5 % selon les cas en France métropolitaine, et de 8, 5 % pour le taux normal au lieu de 20 % en France hexagonale. La réforme doit surtout s’accompagner de la garantie pour les collectivités locales de pouvoir maîtriser le produit de la TVA régionale.

Le chantier de la réforme de la fiscalité, notamment en outre-mer, nécessite donc d’être obligatoirement et rapidement ouvert, bien entendu, dans la concertation la plus large.

Le Premier président de la Cour des comptes ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait que l’octroi de mer repose sur un fondement dérogatoire, dont l’avenir est incertain, et qu’il faut travailler aux moyens de redresser, outre-mer, la part de la fiscalité directe. Cela suppose d’établir des bases cadastrales là où elles font défaut – je pense à Mayotte et à la Guyane –, bases servant d’assiette aux impositions locales directes et qui permettraient de collecter l’impôt le plus correctement possible. Néanmoins, cela ne sera pas suffisant. Tout doit être repensé.

Le Premier président de la Cour des comptes évoquait ensuite la refonte du système de sur-rémunération : redéployer en crédits les sommes versées par l’État sous forme de salaires, ces sommes devant rester sur place.

Enfin, traiter uniquement de la question de l’octroi de mer revient à n’aborder qu’une partie de la question du développement et de l’avenir des outre-mer. Le sujet est nettement plus vaste, et le temps est compté pour élaborer des pistes de développement, d’autant que la situation est de plus en plus tendue. Espérons seulement que ce constat soit partagé par tout le monde, y compris par le Gouvernement.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime au nom de mon collègue Guillaume Arnell, retenu à Saint-Martin en raison de la visite – rare dans ce territoire – du Président de la République. J’avoue que je connaissais mal cette taxe. Si elle pouvait être mise en place pour les îles de l’intérieur, cela représenterait un progrès considérable, en particulier pour mon département.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Avant toute chose, je tiens à saluer le travail effectué en commission, qui contribue à moderniser le dispositif actuellement en vigueur sans pour autant déstabiliser les collectivités et les entreprises des outre-mer.

Cette taxe méconnue en métropole s’inscrit dans l’histoire commune que nous partageons avec nos compatriotes des Antilles, de la Guyane, de La Réunion et, plus récemment, de Mayotte. Héritier du « droit des poids » introduit par Colbert en 1670 en Martinique, l’octroi de mer est appliqué dans les cinq départements et régions d’outre-mer avec un double objectif : la protection de la production locale et le financement des collectivités. Cette seconde fonction est particulièrement importante pour les communes et les régions d’outre-mer, qui réalisent ainsi 1 milliard d’euros de recettes chaque année. Ainsi, en 2012, l’octroi de mer représentait 38 % des recettes des communes de La Réunion, et même 48 % des recettes de celles de la Martinique.

Toutefois, les règles de libre circulation et de non-discrimination des marchandises introduites par la Communauté européenne dans les années 1990 ont obligé ce dispositif historique à évoluer. Institué par les décisions du Conseil de l’Union européenne de 1989 et 2004 et retranscrites dans la loi de transposition du 2 juillet 2004, l’actuel régime de l’octroi de mer soumet également les productions locales à la taxation. Afin de préserver l’objectif de stimulation de la production locale, les départements et régions d’outre-mer peuvent appliquer des taux de taxation différenciés entre les productions locales et les biens importés, sous la forme d’une surtaxe sur les biens importés avec un écart de taux maximum qui varie, selon les catégories A, B ou C de produit, respectivement de 10 %, 20 % et 30 %, ce qui permet de compenser le déficit de compétitivité. C’est ce régime, en vigueur depuis une vingtaine d’années, avec des taux spécifiques à chaque région, qu’il nous est proposé de reconduire avec quelques modifications.

Le Conseil de l’Union européenne du 17 décembre 2014 a décidé de proroger le dispositif jusqu’à la fin de 2020 avec des modifications applicables à partir du 1er juillet prochain. La principale modification consiste à exonérer de l’octroi de mer toutes les entreprises au chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros. Cette mesure représente une simplification par rapport au régime antérieur – exonération totale et identique dans toutes les régions, suppression de tâches administratives, notamment les déclarations d’existence pour les très petites entreprises – et une protection pour les petits producteurs locaux. En contrepartie, le seuil d’assujettissement des entreprises de production, qui s’élevait jusqu’à présent à 550 000 euros, sera abaissé à 300 000 euros, ce qui dégagera un surcroît de ressources pour les collectivités estimé par l’étude d’impact à 2, 5 millions d’euros.

En plus de la transcription de cette modification décidée au niveau européen, le Gouvernement a proposé plusieurs modifications. D’abord, il clarifie et actualise la rédaction de la loi de 2004. Ensuite et surtout, il propose d’étendre le champ des possibilités d’exonérations aux activités de recherche, d’enseignement et de santé, aux organisations caritatives, aux marchandises destinées à l’avitaillement des aéronefs et des navires, ainsi qu’aux carburants utilisés pour des activités d’agriculture et de pêche. Cela signifie qu’une entreprise assujettie à l’octroi de mer pourra déduire une partie de ses dépenses d’investissement du montant de son impôt. Nous approuvons cette mesure, qui va dans le sens des intérêts des entreprises et des économies d’outre-mer.

Concernant les problèmes liés au régime dérogatoire à l’octroi de mer entre la Guyane et le marché unique antillais, la commission a soulevé à juste titre que le projet de loi n’apportait pas de solution. Le marché guyanais n’a pas la même maturité que le marché unique de Martinique et de Guadeloupe, si bien que les productions guyanaises sont potentiellement désavantagées. Pourtant, en permettant d’appliquer l’octroi de mer sur le lieu de production et non de livraison, la dérogation empêche le département de Guyane de protéger et de développer des filières locales. Sur ce point, nous souhaiterions connaître les résultats de la rencontre du 28 avril dernier entre Mme la ministre et les élus régionaux et départementaux.

Enfin, la discussion sur l’octroi de mer doit nous amener à évoquer le recouvrement de l’impôt dans les départements d’outre-mer. Il faudra un jour remédier aux difficultés pratiques posées en outre-mer par l’absence de cadastre, les insuffisances des infrastructures ou du cadre réglementaire, ou encore les lacunes de recensement.

Ces réserves faites, nous sommes favorables à la reconduction du régime de l’octroi de mer avec les modifications mentionnées. Nous nous félicitons du maintien d’un outil indispensable à l’économie et aux collectivités des départements d’outre-mer et, de ce fait, tous les membres du groupe du RDSE voteront pour le projet de loi.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la situation financière des collectivités territoriales est de plus en plus fragile du fait de la baisse des dotations de l’État, nous mesurons à quel point l’octroi de mer est un enjeu crucial, en particulier pour le financement de l’action publique locale outre-mer.

Cet impôt représente la première recette fiscale des collectivités ultramarines. Le taux de base d’octroi de mer est de 17, 5 % en Guyane, de 9, 5 % en Guadeloupe et en Martinique et de 6, 5 % à La Réunion. À ces taux, il faut ajouter la taxe additionnelle à discrétion des exécutifs locaux. Le taux régional d’octroi de mer, taxe additionnelle, oscille entre 1 % et 2, 5 %. Au total, la recette s’élève ainsi à près de 1, 146 milliard d’euros par an, soit un montant non négligeable et difficilement substituable.

L’octroi de mer représente parfois jusqu’à 40 % des recettes fiscales de certaines collectivités territoriales ultramarines. Nous sommes tous conscients que l’insularité, l’éloignement et les différentes contraintes géographiques imposent au service public ultramarin des sujétions particulières. Par conséquent, il faut trouver une solution financière pour y répondre. L’octroi de mer est-il pourtant une solution parfaitement adaptée ?

Le présent projet de loi vient actualiser la loi de 2004 au regard du droit européen sans remettre fondamentalement en cause les équilibres et le fonctionnement de cet impôt. C’est bien dommage, car, au-delà de l’enjeu financier pour les collectivités d’outre-mer, cet impôt pose de véritables questions de justice sociale et représente également un enjeu pour le fonctionnement des services et l’image de l’État en outre-mer.

L’octroi de mer est une taxe ancienne, comme cela a été rappelé, qui frappe à la fois les importations de marchandises et les activités de production en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion. Son origine remonte au « droit des poids » institué en 1670. Bien que toiletté ou actualisé, cet impôt demeure particulièrement complexe : en Guadeloupe et en Martinique, treize taux effectifs s’appliquent, quatorze à La Réunion, dix-huit en Guyane et vingt-cinq à Mayotte.

Au-delà de sa complexité, l’octroi de mer est un impôt inéquitable. De fait, cette taxe frappe aveuglément – je dis bien aveuglément – toutes les personnes résidant dans les régions, les départements et les territoires d’outre-mer. Il pénalise le consommateur sans aucune forme de distinction : c’est un impôt régressif. Par définition, ce sont donc les personnes et les familles les plus fragiles qui en souffrent le plus. Ne pas prendre en compte le niveau de revenu du consommateur final revient en l’espèce à accepter de frapper plus durement les familles avec plusieurs enfants.

Il est donc bien dommage que le présent projet de loi ne prenne pas cette question à bras-le-corps. Il s’agit du premier toilettage de la loi de 2004 depuis la grève générale des Antilles en Guadeloupe et en Martinique de 2009 menée par Élie Domota et le LKP au nom justement de la « vie chère ». Or nous continuons de financer le service public local au moyen d’une taxe sur la dépendance extérieure. Est-ce bien raisonnable ? Il est difficilement acceptable de pénaliser ainsi nos concitoyens ultramarins.

A fortiori, le développement économique lui-même est touché. L’octroi de mer est une forme de mauvaise TVA sociale. Taxer les importations pour favoriser la production locale est une chose, mais taxer ce qui ne peut pas être produit localement est injuste. Ainsi, consacrer la recette dégagée au financement du service public et, par conséquent, à son coût de fonctionnement est une déperdition pour le financement de l’économie réelle. L’octroi de mer ne saurait agir comme un protectionnisme éducateur ; il ne fait qu’étouffer l’économie locale.

À ce titre, je souhaite vous alerter, madame la ministre, sur la réduction du seuil d’imposition des entreprises de 550 000 euros à 300 000 euros. À l’occasion d’un récent déplacement en Guyane, le président du conseil régional m’a fait connaître ses doutes quant à l’opportunité de frapper ainsi plus durement le tissu économique local en période de crise.

Dans le même ordre d’idée, on mesure encore trop mal les conséquences commerciales, les effets d’aubaine et les distorsions concurrentielles induites par cet impôt. En effet, certains territoires se livrent une petite guerre commerciale en faisant varier le prix de leur production locale grâce à leurs pouvoirs de taux sur la part additionnelle de l’octroi de mer.

Enfin, autre incohérence provoquée par cet impôt : la fragilisation des services publics de l’État.

J’avais proposé en commission, et je le présenterai en séance dans quelques instants, un amendement visant à exonérer les importations nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l’État. Il soulève la question de taxer les importations des services de secours et d’incendie. Faut-il imposer les munitions ou le matériel des forces de l’ordre ?

Peut-être présume-t-on de la capacité de l’État à payer l’impôt quel que soit son montant, car en l’espèce, les gestionnaires locaux rationnent leurs consommables et ajustent leur matériel à l’impôt, et non l’inverse.

Cela a pour conséquence de rompre de fait l’égalité de nos concitoyens devant les charges publiques. Ils peuvent subir une moindre qualité de service public selon qu’ils habitent sur une rive ou l’autre de l’océan.

Cela est aussi dommageable pour l’image et l’autorité de l’État. La baisse des dotations aux collectivités bloque toute forme de dialogue et de négociation sur ces questions. Rendez-vous compte, madame la ministre, de nombreux responsables administratifs de l’État en outre-mer sont contraints d’aller quémander des baisses de taux d’octroi de mer aux exécutifs locaux. Le ministère de la défense et le ministère de la santé viennent justement de demander des exonérations à la région de Guyane. Le dialogue a tourné court : du fait de la baisse des dotations de l’État, toute exonération est désormais rendue improbable. Les négociations sont difficiles et tournent rapidement au dialogue de sourds, dès l’instant où chacun est soumis à des contraintes budgétaires fortes. Comment pensez-vous faire respecter l’autorité de l’État de la même manière sur l’ensemble du territoire si nous continuons de perpétrer ce système fiscal ?

Il faut choisir clairement : soit on accepte ce système et, dans ce cas, il faut que l’État adapte son budget à l’inflation des coûts d’entretien et d’approvisionnement de ses services en outre-mer ; soit on exonère et on soulage les gestionnaires et les services publics nationaux de la contrainte exercée par cet impôt.

Au-delà, les solutions à apporter ne sont pas simples à concevoir. Je l’ai déjà dit, les sénateurs du groupe UDI-UC sont conscients de l’enjeu financier important pour les collectivités territoriales concernées. Nous sommes également conscients des limites importantes de ce mode de fiscalité.

Il faudra de toute façon continuer à réfléchir à une voie de sortie de l’octroi de mer et définir des ressources pérennes pour nos territoires ultramarins qui soient respectueuses des populations les plus fragiles, du développement économique et de l’autorité de l’État.

Dans l’immédiat, le groupe UDI-UC votera par défaut le présent projet de loi. Bien qu’il ne réponde pas aux véritables questions, il a au moins le mérite de mettre notre droit en conformité avec les exigences européennes et permettra, dans l’immédiat, de répondre aux besoins de financement des collectivités ultramarines. Ce sera déjà ça, mais prenons date pour que l’on poursuive nos échanges en vue de trouver d’autres solutions.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Jean Desessard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a reconduit le régime de l’octroi de mer. C’est une bonne chose.

Je salue, madame la ministre, votre action, ainsi que celle de vos collaborateurs et de vos services, lesquelles ont été déterminantes pour aboutir à ce résultat positif. Il nous importe maintenant de transposer la décision du Conseil dans notre droit national avant la date impérative du 30 juin 2015 si nous voulons éviter d’entraver la bonne marche de nos entreprises de production locale et si nous voulons aussi éviter de fragiliser encore plus nos collectivités locales. Il convient, en effet, de ne pas oublier que l’octroi de mer est aussi une ressource indispensable et irremplaçable pour les collectivités locales des départements d’outre-mer.

Le projet de loi qui nous est proposé transpose les dispositions de la décision du Conseil du 17 décembre 2014, mais il contient également différentes mesures qui ne procèdent pas de la décision du Conseil. Si je peux comprendre que l’on ne puisse revenir sur les premières sans connaître les effets dommageables que j’ai évoqués pour nos entreprises et nos collectivités locales, en revanche, s’agissant des secondes, des interventions sont possibles, surtout quand leurs effets créent des distorsions et des déséquilibres contraires à l’esprit et à l’objet même de l’octroi de mer. C’est le cas des dispositions particulières, dérogatoires qui s’appliquent aux échanges entre le marché unique antillais et la Guyane. Si ces dispositions sont juridiquement symétriques, la disparité des situations des Antilles, d’une part, et de la Guyane, d’autre part, crée de facto une situation déséquilibrée, doublement pénalisante pour la Guyane, comme le constate la propre étude d’impact du projet de loi.

Elles pénalisent une première fois la Guyane, parce que les recettes d’octroi de mer de la Guyane sont réduites du fait de son impossibilité de taxer sur son territoire les importations de marchandises produites dans les Antilles. En effet, aucun mécanisme de compensation comparable à celui mis en place au sein du marché unique antillais n’a été prévu. Les consommateurs guyanais acquittent donc une taxe sur leur consommation qui est perçue par les collectivités situées dans le marché unique antillais.

Une seconde pénalisation pour la Guyane vient du fait que le dispositif actuel rend inopérant une grande partie des différentiels de taux décidés par son conseil régional.

Après plusieurs rencontres et d’âpres discussions, un premier pas, important, a été franchi avec un consensus sur une liste de produits – huit produits, alors que la Guyane en demandait plus de vingt – et la mise en place d’une instance de concertation en charge de proposer si nécessaire la modification de la liste.

Comme convenu, madame la ministre, vous avez déposé un amendement en ce sens, mais il n’est pas en totale conformité avec les conclusions de la réunion du 28 avril dernier, notamment sur deux points. D’une part, le relevé de conclusions fait état de la nomenclature 4818, et non 4818-10. D’autre part, il était entendu entre nous que la présidence serait tournante entre la Guyane et le marché unique antillais, alors qu’elle revient désormais au ministère des outre-mer. La question du reversement semblait aussi être actée entre toutes les parties. Or vous n’en faites aucunement état. Si nous voulons que l’instance de concertation fonctionne, il va falloir que les dispositions arrêtées en son sein soient suivies d’effets. Je présenterai donc des amendements en ce sens.

Une autre mesure dérogatoire dont est victime une fois de plus la Guyane dans ce projet de loi porte sur la répartition de l’octroi de mer. Le droit commun prévoit en effet que l’octroi de mer est affecté à une dotation globale garantie répartie entre les communes de chaque département d’outre-mer. En Guyane, la situation est différente : depuis 1974, afin de résoudre le déficit du conseil général, l’État lui verse à titre dérogatoire une part de la recette communale correspondant à 35 % du montant total de la dotation globale garantie, plafonnée à 27 millions d’euros par an.

Chers collègues des autres départements, comment réagiriez-vous si l’État agissait de la sorte chez vous ? Cette situation est en effet unique et inique, car elle frappe des communes pour la plupart faiblement dotées de ressources fiscales directes, dont les besoins sont criants en raison de la forte croissance démographique qu’elles connaissent.

À plusieurs reprises, dans cet hémicycle, j’ai défendu des amendements pour que l’on revienne sur cette disposition. Dans un rapport que j’ai effectué à la demande du Gouvernement, j’en ai fait l’une de mes principales propositions. Pour l’heure, point de réponse positive. Excédés, les maires de Guyane, à l’unanimité, ont décidé « d’agir en justice à l’encontre de l’État en vue d’obtenir réparation du préjudice subi du fait du système illégal et discriminatoire de répartition de l’octroi de mer mis en place par ce dernier en 1974 et aboutissant à soustraire une part de 35 % sur la dotation devant revenir intégralement aux communes ».

Chers collègues, croyant en votre esprit d’équité et de justice, je reviens de nouveau devant vous avec deux amendements censés rétablir la situation : un qui prévoit une suppression immédiate dès janvier 2016, un autre pour une suppression progressive sur trois ans connaissant la situation contrainte des finances de l’État.

Je voterai ce projet de loi, car l’octroi de mer est un outil spécifique aux DOM, indéniablement indispensable pour le développement de leur production locale et pour le financement de leurs collectivités locales. Néanmoins, il ne convient pas d’en faire un outil uniforme qui ne tiendrait pas compte des spécificités de chacun des DOM. Dans sa communication du 20 juin 2012, la Commission européenne a déclaré : « Chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles ».

Les départements d’outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène : l’immensité du territoire guyanais et son insertion continentale s’opposent à l’étroitesse et au caractère insulaire de la Martinique et de la Guadeloupe. Trop souvent, trop facilement, la Guyane est purement et simplement assimilée à ces économies. La conséquence en est que les mesures et dispositions qui sont prises en faveur de ces deux îles lui sont calquées de façon trop systématique, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec ces dernières. Si les effets sont parfois comparables, les causes sont différentes et les éventuelles solutions sont à rechercher aussi avec des moyens différents. L’illustration en a été donnée avec la récente rencontre dans votre ministère. C’est cette démarche de recherche de mesures adaptées de façon consensuelle qui devra désormais être privilégiée.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la fiscalité ultramarine est un sujet à la fois très technique et très politique. Il a d’ailleurs beaucoup occupé les travaux au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. La question de sa mise en conformité avec les règles communautaires en est une autre, non moins complexe, à laquelle nous voici ici confrontés.

Le fait que le taux de l’octroi de mer soit différent entre les produits locaux et les produits importés est en effet assimilable à une aide d’État au sens de l’Union européenne et rend donc nécessaire un processus régulier d’approbation pour que la taxe soit reconduite.

On pourrait longuement débattre de ce que doit être une fiscalité juste, pour les consommateurs, pour les collectivités locales, pour la justice sociale, pour la lutte contre les inégalités entre les territoires, pour la stimulation de l’économie locale, pour la protection de l’environnement ou encore contre la vie chère – un sujet important. La vérité, c’est que nous sommes aujourd’hui placés dans le court terme absolu, puisqu’il nous faut avoir trouvé une solution qui entre en vigueur au plus tard au 1er juillet 2015, sous peine de voir l’ensemble du dispositif remis en question par l’Union européenne, avec toutes les conséquences économiques que cela engendrerait immanquablement pour les collectivités d’outre-mer.

Que l’on soit pour ou contre l’octroi de mer tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui, pour ou contre les ajustements d’exonérations et de seuils prévus par ce texte, la priorité est donc, pour les membres du groupe écologiste au Sénat, de s’assurer que cette « exception française » puisse être, sur le principe, pérennisée avant l’été. C’est pourquoi nous voterons le projet de loi, de même que les amendements déposés par le Gouvernement.

Cela étant, l’examen du projet de loi doit bien sûr également être l’occasion de tenter d’améliorer les modalités de mise en œuvre de l’octroi de mer, qui souffre de dysfonctionnements, comme l’a très bien décrit notre collègue Georges Patient dans son rapport. Parmi ces dysfonctionnements, on peut rappeler la sensibilité de cette taxe à la conjoncture, déstabilisante pour les collectivités territoriales, l’impact des taux d’octroi de mer sur la formation des prix, qui met de fait en contradiction les ressources des collectivités territoriales et la lutte contre la vie chère, ou encore la prépondérance du critère démographique dans la répartition des recettes de l’octroi de mer, au détriment des petites communes rurales.

Pour notre groupe, le système de l’octroi de mer, ressource très importante des outre-mer, doit donc continuer d’être débattu, y compris après l’adoption du projet de loi, sans pour autant mettre en danger la situation financière déjà fragile de ces collectivités. Parmi les pistes qui nous tiennent à cœur, notons déjà la nécessaire poursuite du dialogue avec l’Union européenne, afin de réfléchir aux moyens de pérenniser cette ressource au-delà de 2020 sans pénaliser les collectivités ultramarines.

Cependant, il nous semble que nous ne pouvons pas éviter le débat sur la nécessité absolue, selon les écologistes, de trouver par ailleurs d’autres initiatives pour renforcer le développement économique local. C’est pourquoi, au-delà du débat d’aujourd’hui – dont je rappelle encore une fois qu’il se conçoit dans un cadre très contraint et à très court terme –, nous souhaitons et nous demandons de nouveau avec force que soit mise en place par le Gouvernement une réflexion pour aboutir à des propositions qui encouragent l’investissement public et privé dans des filières économiques locales, innovantes et fortes, par exemple en agriculture, éco-agriculture, aquaculture, pêche, transformation des produits locaux, éco-tourisme, services aux personnes et énergies nouvelles – solaire, éolien, biomasse, etc.

Pour que ces filières se développent, il faut à la fois renforcer ou créer de la recherche-développement, de la formation initiale et continue ainsi qu’un fort encouragement à l’investissement dans les réseaux locaux de PME, PMI et TPE. Seul le développement volontariste d’une telle économie locale peut permettre de répondre, sur le fond, structurellement, à la grave crise sociale actuelle en créant des emplois durables tout en respectant et en valorisant l’existence dans ces territoires d’extraordinaires ressources en biodiversité terrestre et marine. Ce patrimoine naturel, fragile, parfois menacé, constitue non seulement une richesse qu’il ne faut bien entendu ni massacrer ni piller, mais aussi une formidable opportunité pour envisager structurellement un développement économique local beaucoup plus fort et durable.

Nous espérons donc que le Gouvernement marquera fortement sa volonté que ce débat ne soit pas toujours repoussé. Nous attendons une impulsion forte en ce sens. Il y en a besoin rapidement.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet du projet de loi est de maintenir l’octroi de mer dans nos départements et régions d’outre-mer. L’octroi de mer est une taxe indirecte absolument essentielle pour les finances de ces territoires insulaires et éloignés. D’un montant supérieur à 1 milliard d’euros, il représente une part prépondérante – 45 % pour les communes – des ressources des collectivités locales.

L’objet du projet de loi est également de maintenir temporairement, jusqu’en 2020, un certain nombre d’exonérations partielles ou totales d’octroi de mer dont bénéficient les productions locales les plus sensibles des départements d’outre-mer, afin de les protéger de la concurrence des produits importés. Il s’agit de préserver le tissu économique productif de ces collectivités situées à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole.

Comme l’a fort justement rappelé Mme la ministre, l’octroi de mer existe dans les départements d’outre-mer depuis le XIXe siècle. Il visait à l’origine à taxer les produits importés. Cependant, l’Acte unique a mis en œuvre le marché unique européen à partir de 1987. Dès lors, il n’était plus possible d’établir une discrimination entre produits locaux et produits importés. La décision du Conseil du 22 décembre 1989 a donc acté l’extension de la taxation aux produits fabriqués dans les départements d’outre-mer. Toutefois, le Conseil a reconnu la nécessité de prendre en compte les « difficultés de l’éloignement et de l’insularité » et autorisé, à cette fin, la mise en place d’exonérations partielles ou totales d’octroi de mer, d’une durée maximale de dix ans, pour certaines productions locales sensibles, comme le rhum, les jus de fruits, le riz, les crevettes, le poisson congelé, le bois, le sable, les cailloux, le béton, le ciment…

La loi du 17 juillet 1992 en a tiré les conséquences, en instaurant un régime fiscal permettant d’exonérer certaines productions locales de manière partielle ou totale pendant dix ans, soit jusqu’au 31 décembre 2002, afin de favoriser le développement économique des départements d’outre-mer. Ces exonérations ont été prorogées d’un an, soit jusqu’au 31 décembre 2003, par la ministre de l’outre-mer de l’époque.

Le 17 décembre 2003, Bruxelles a pris une décision favorable au maintien des exonérations pour une nouvelle période de dix ans. La décision du Conseil du 10 février 2004 a fixé les conditions de différenciation de la taxation. La loi du 2 juillet 2004 a autorisé des écarts de taxation au bénéfice des productions locales pour une nouvelle période de dix ans, soit jusqu’au 1er juillet 2014. Enfin, la décision du Conseil du 17 décembre 2014 a autorisé une nouvelle prorogation des exonérations, jusqu’au 31 décembre 2020.

Il s’agit donc, à travers le présent projet de loi, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2015, de tirer les conséquences de cette décision européenne en clarifiant et en précisant la rédaction de la loi du 2 juillet 2004, mais aussi, et surtout, en prorogeant l’octroi de mer et ses exonérations jusqu’au 31 décembre 2020.

Le texte prévoit également – plusieurs amendements porteront sur ce point, comme nous l’a indiqué Mme la ministre – de diminuer de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires le seuil d’exonération totale de plein droit pour les entreprises et d’étendre le champ des exonérations aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l’avitaillement des bateaux et des aéronefs et aux importations de biens destinés à certains opérateurs, comme les établissements de santé, de recherche, scientifiques ou caritatifs. Enfin, les taux d’octroi de mer que peuvent fixer les assemblées délibérantes seront plafonnés à 50 %, avec une exception pour les alcools et les tabacs, qui pourront être taxés à 80 %.

Bien qu’il soit technique, le projet de loi n’est pas sans enjeu. Il va à n’en pas douter dans le sens des intérêts économiques des départements d’outre-mer, en protégeant leurs productions locales de la concurrence des produits importés de la métropole, mais surtout de pays étrangers. Il s’agit à nos yeux d’un texte très important. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP le votera et salue la qualité du travail de notre rapporteur Éric Doligé.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de notre présence ici pour discuter de la reconduction et des nouvelles dispositions de l’octroi de mer. Nous savons que les négociations menées par le ministère des outre-mer ont été longues et ardues ; je félicite notre gouvernement de sa ténacité.

Je regrette cependant un manque de concertation entre le ministère et les élus locaux et nationaux sur certains sujets lors du dialogue avec Bruxelles. Cela nous aurait peut-être permis d’anticiper plus en amont les difficultés auxquelles nous avons été confrontés, notamment pour définir les règles organisant le marché unique antillo-guyanais, qui sont énoncées à l’article 5 du projet de loi. Une solution de compromis a finalement pu être trouvée. On peut s’en féliciter dans l’immédiat, mais on ne peut s’en satisfaire durablement.

Le déséquilibre entre le marché antillais et le marché guyanais est réel. Ce n’est donc pas une mesure transitoire de soutien par le biais de l’octroi de mer qui suffira à le réduire. Il faut une véritable politique volontariste de l’État pour soutenir réellement l’économie guyanaise et permettre aux biens produits en Guyane d’irriguer plus fortement le marché local guyanais, voire le marché antillais.

Le dialogue a également fait défaut en ce qui concerne la définition du seuil d’assujettissement à l’octroi de mer pour les entreprises, sur lequel on ne peut désormais plus revenir. De manière générale, la prudence nous invite à ne pas prendre le risque d’affirmer des positions divergentes qui pourraient mettre en péril la décision de Bruxelles.

Dernier regret, et non des moindres : loin d’être pérennisé, le régime de l’octroi de mer n’est reconduit que pour cinq ans, et non dix ans. Cette réduction de la durée de la prorogation est susceptible d’engendrer des difficultés pour tous les acteurs : les collectivités, qui n’ont aucune vision précise de leur avenir proche, mais aussi les entreprises, y compris dans l’arc antillais, qui doutent de la stabilité du régime.

Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le moment est venu d’engager, d’ici à 2020, une réflexion sur la définition d’un système alternatif plus pérenne qui se substituerait à l’octroi de mer ? En plus de son instabilité, l’octroi de mer a un impact sur le coût de la vie dans des collectivités où l’on se bat déjà contre la vie chère. Il pèse aussi, indirectement, sur le taux d’emploi du fait de son double objectif, qui me semble paradoxal. Je m’explique. On assigne à l’octroi de mer deux ambitions difficilement conciliables, voire antagonistes : la première est d’assurer le financement des collectivités locales, la seconde est de stimuler le développement économique.

Plus les importations de biens en provenance de l’Hexagone ou de l’Europe augmentent, plus les ressources financières de nos collectivités augmentent. Cependant, l’augmentation des importations se traduit également par une dégradation de la compétitivité des prix des biens produits au niveau local et entraîne une diminution du taux de couverture de la balance commerciale. Les conseils régionaux tentent alors de relancer la production régionale afin de retrouver des parts de marché, soit au niveau local, soit à l’export, pour soutenir l’emploi. Ils mettent donc en place diverses exonérations partielles ou totales qui génèrent un manque à gagner en termes de recettes budgétaires...

Vous le voyez, il s’agit d’un cercle vicieux auquel il devient urgent de trouver une alternative. En 2009, la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, que je présidais et dont Éric Doligé, déjà, était le rapporteur, avait évoqué l’idée d’une TVA régionale à taux variable selon les départements. C’est l’une des pistes à explorer. Il en existe certainement d’autres. En tout cas, c’est un chantier qu’il faut ouvrir afin de répondre aux objectifs communs à tous les départements ultramarins, à savoir le financement des collectivités et, plus généralement, la défense de nos intérêts et la prise en compte de nos spécificités et de nos contraintes.

Comme j’arrive au terme du temps qui m’est imparti, je m’arrête là. Madame la ministre, je voterai votre projet de loi, et j’espère que l’ensemble de la Haute Assemblée montrera une fois de plus sa compréhension des outre-mer en en faisant de même.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer est un texte très important pour nos quatre départements d’outre-mer, car il apportera davantage de ressources aux collectivités territoriales, en particulier aux communes, et favorisera le développement des entreprises locales. Je rappelle que l’octroi de mer est l’une des plus anciennes taxes du régime fiscal français. Il remonte en effet à Colbert : c’est un édit de décembre 1663 qui est à l’origine de sa pérennisation.

Afin que ce système de taxation, assimilable à un droit de douane, ne porte pas atteinte au principe de libre circulation des marchandises introduit par le traité de Rome, il a été aménagé par la décision du Conseil du 22 décembre 1989, qui dispose que l’octroi de mer doit être appliqué indistinctement aux importations et à la production locale, mais autorise les autorités régionales à en exonérer les activités économiques locales pour une période ne dépassant pas dix ans et sous certaines conditions. Le Conseil tenait ainsi compte de l’achèvement du marché unique tout en reconnaissant la réalité régionale spécifique des départements d’outre-mer.

L’octroi de mer représente à la fois la principale ressource des communes d’outre-mer et une protection indispensable pour les économies ultramarines. Il est d’autant plus indispensable au budget des communes d’outre-mer que celles-ci doivent faire face à des surcoûts liés à divers facteurs, comme l’éloignement, l’insularité ou le climat, alors même que leurs recettes fiscales sont inférieures à celles des communes de métropole.

Ce bref rappel historique a, selon moi, le mérite de souligner deux éléments qu’il ne faut jamais perdre de vue. Premièrement, l’Union européenne, tout en reconnaissant les spécificités des départements d’outre-mer, parmi lesquelles leurs handicaps structurels, s’inscrit toujours dans une logique d’intégration. Deuxièmement, les dérogations qu’elle accepte d’accorder à ces départements, comme les aides qu’elle leur apporte au moyen des fonds structurels, ont toujours pour objectif un possible rattrapage du niveau de vie et du PIB moyens européens. Elles sont donc toujours considérées comme transitoires. C’est ce qui explique les remises en cause périodiques de l’octroi de mer.

Cependant, les autorités de Bruxelles savent s’incliner devant les réalités. En fait, toute la difficulté est de parvenir à les leur faire appréhender correctement. C’est la raison pour laquelle des négociations bien menées, qui s’appuient sur ceux qui connaissent parfaitement ces réalités, car ils vivent au plus près d’elles, ont leur importance.

L’octroi de mer, rappelons-le, n’a pas altéré les échanges en défaveur de l’Europe : les importations en provenance des pays de l’Union, France métropolitaine comprise, se sont accrues d’environ 5 % par an, et le déficit de notre balance commerciale continue de s’aggraver, nos exportations couvrant moins de 20 % de nos importations. Cela contredit l’argument selon lequel l’octroi de mer constitue une dérogation indue au principe de libre concurrence.

Cependant, des dispositions dérogatoires successives ne permettront jamais d’inscrire durablement le tissu économique des DOM dans une dynamique de développement. En effet, de dérogation en dérogation, toute stratégie de croissance risque de se voir périodiquement remise en cause, eu égard aux incertitudes que fait nécessairement peser sur les DOM la non-conformité à la législation européenne.

En fait, le véritable défi que nous devons relever est d’éradiquer le mal économique qui ronge l’outre-mer et qui se manifeste notamment dans le chômage massif subi par nos jeunes.

Par sa décision du 17 décembre 2014, le Conseil de l’Union européenne a défini le cadre dans lequel les DOM sont autorisés à exonérer totalement ou partiellement de l’octroi de mer les productions locales sensibles, limitativement énumérées, pour leur permettre de supporter la concurrence des produits similaires importés. Le présent projet de loi modifie la rédaction de la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, afin de transposer les dispositions issues de cette décision du Conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Globalement, j’exprime un avis favorable sur ce projet de loi, qui traduit une certaine continuité par rapport à la loi précédente du mois de juillet 2004.

Pour autant, comme les industriels martiniquais, je souhaite que les travaux de la Commission s’appuient sur des critères objectifs, notamment des relevés de prix, et portent sur l’ensemble des produits importés, et non pas sur les seuls produits antillais.

Malgré ces réserves, madame la ministre, je voterai, bien entendu, en faveur de ce projet de loi, car les modifications qu’il prévoit au régime actuel d’octroi de mer sont conformes aux attentes de nos territoires et aux besoins de nos entreprises.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

En préambule, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne peux que me féliciter du dialogue constructif que nous avons eu tout au long de nos travaux, y compris aujourd’hui, dialogue riche de toutes les précisions que vous avez pu apporter et des observations que vous avez formulées.

Je ne reviendrai pas sur les propos de M. le rapporteur, qui, globalement, a approuvé le dispositif, tout en soulignant qu’il nous reste à trouver les moyens pour un développement satisfaisant et équitable des DOM. À tous les orateurs qui ont souligné les dysfonctionnements qui affectent encore ces économies, je veux dire que nous sommes évidemment tous conscients des difficultés que rencontrent les départements et collectivités d’outre-mer. Le travail que fait, au jour le jour, le ministère des outre-mer tend à essayer de compenser ces handicaps et de rapprocher la situation des ultramarins de celle de leurs compatriotes vivant dans l’Hexagone.

Évidemment, l’économie est un domaine dans lequel nous sommes amenés à intervenir tout particulièrement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous travaillons sur les fonds sociaux européens, sur les contrats de plan, ou sur le budget de la nation, nous essayons de nous battre pour que les moyens alloués au développement des outre-mer soient suffisants. Le rattrapage à effectuer est encore très important. Même entre les outre-mer, il y existe des situations d’iniquité.

En tout cas, vous savez pouvoir bénéficier de toute ma disponibilité, ainsi que de celle de mon cabinet ou de mes services, pour avancer dans l’étude des difficultés et des problèmes que vous soulevez.

Monsieur Guerriau, vous avez souligné la charge supplémentaire que représentera l’assujettissement à l’octroi de mer pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires compris entre 300 000 euros et 500 000 euros. Nous en sommes conscients, mais, vous avez pu constater que les nouveaux assujettis pourront déduire l’octroi de mer payé sur les intrants, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Par ailleurs, nous partageons l’idée selon laquelle il faut développer la connaissance des causes de la vie chère dans les outre-mer grâce au développement des observatoires de prix. Cela va dans le sens de la politique que nous sommes en train de mener. De surcroît, vous savez que la lutte contre la vie chère a été un véritable marqueur de l’action menée par mon prédécesseur, Victorin Lurel.

En l’espèce, l’étude d’impact a montré que les effets de l’octroi de mer sur la vie chère étaient relativement limités, ce qui ne doit pas nous empêcher de travailler pour essayer de les réduire encore. Vous savez d’ailleurs que les collectivités régionales ont la possibilité d’exonérer un certain nombre de produits qui leur semblent importants, ainsi que les produits de première nécessité.

Je crois donc que, de façon à peu près unanime, nous voulons à la fois protéger le développement économique et arriver à des solutions équitables, compte tenu de la situation de pauvreté, que vous avez rappelée, d’un certain nombre d’habitants de ces régions.

Monsieur Bocquet, vous avez souligné le resserrement autour de l’octroi de mer, avec la réduction de la période d’autorisation à cinq ans, qui fragilise un peu la situation des acteurs économiques, et le fait que nous ayons des positions tarifaires très précises. Il est vrai qu’il a fallu justifier pied à pied, quasiment produit après produit, la nécessité du différentiel, et montrer que nous ne dépassions pas ce qui était strictement nécessaire pour compenser les écarts. Le travail fut assez long. Certes, nous sommes d’accord pour réfléchir à un autre système, mais, en l’état actuel des choses, nous ne sommes pas persuadés qu’instaurer la TVA, qui est aussi un impôt indirect sur la consommation, améliorerait significativement la situation.

Par ailleurs, nous sommes dans un système libéral, où les petites productions sont fragilisées. Par conséquent, nous pouvons essayer de les protéger, mais jusqu’à un certain point.

Monsieur Mézard, vous avez relevé l’absence de solution sur le marché antillo-guyanais dans le projet de loi, mais je puis vous dire que nous avons progressé depuis. C’est l’objet d’un amendement que je vous présenterai lors de la discussion des articles.

Monsieur Patient, vous nous avez rappelé avec beaucoup d’énergie un certain nombre de vos préoccupations. Mais vous êtes un peu dur, car j’ai l’impression que moi-même et mon cabinet dialoguons en permanence avec les élus, ce qui nous semble très important. Cependant, si nous devons améliorer encore un peu plus le dialogue, nous le ferons…

Sourires.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Pour autant, un certain nombre de sujets que vous avez soulevés ne peuvent pas être résolus aujourd’hui, telle, par exemple, la question des ressources du conseil général, même s’il s’agit d’une préoccupation partagée. De toute façon, elle se réglera facilement dans la mesure où le conseil général, en tant que tel, est appelé à disparaître dans quelques mois.

Madame Archimbaud, nous en convenons, il faut nous employer à atteindre les objectifs que vous avez évoqués en matière de développement. C’est d’ailleurs l’objet de la feuille de route sur la croissance et l’emploi que j’ai présentée, ainsi que du plan logement outre-mer que nous avons mis en place. S’agissant des communes de l’intérieur, vous savez que nous avons diligenté une mission pour étudier la façon d’aider leur développement en respectant leur identité. Par conséquent, nous aurons l’occasion, au travers des contrats de développement et du Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, de retravailler sur ces sujets.

Monsieur Larcher, vous nous avez demandé d’être mieux associé à la préparation des textes. Nous essayons de rencontrer les parlementaires très régulièrement. Comme c’est toujours un plaisir pour nous, nous le ferons encore plus souvent s’il le faut.

Enfin, monsieur Antiste, vous nous avez rappelé les défis à relever pour éradiquer le mal-développement économique dans les régions ultramarines. Là encore, nous avons du pain sur planche. Pourtant, au jour le jour, croyez-le bien, nous faisons un certain nombre d’efforts, souvent couronnés de succès, afin d’obtenir des crédits supplémentaires pour les outre-mer de la part de l’État comme de Bruxelles, car il est indispensable de se rapprocher de l’égalité nécessaire. Vous aurez l’occasion, dans les jours qui viennent, d’en parler directement au Président de la République, qui sera sur place, afin de le sensibiliser à vos problèmes. Ainsi, nous pourrons continuer tous ensemble à travailler main dans la main dans l’intérêt des outre-mer.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

L’article 1er de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer est ainsi rédigé :

« Art. 1 er . – I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion, sont soumises à une taxe dénommée octroi de mer :

« 1° Les importations de biens ;

« 2° Les livraisons de biens effectuées à titre onéreux par les personnes qui les ont produits.

« II

L'article 1 er est adopté.

L’article 2 de la même loi est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Sont assujetties à l’octroi de mer les personnes qui exercent de manière indépendante, à titre exclusif ou non exclusif, une activité de production dans une collectivité mentionnée à l’article 1er, lorsque, au titre de l’année civile précédente, leur chiffre d’affaires afférent à cette activité a atteint ou dépassé 300 000 €, quels que soient leur statut juridique et leur situation au regard des autres impôts. » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le seuil de 300 000 € mentionné au premier alinéa s’apprécie en faisant abstraction de la taxe sur la valeur ajoutée et de l’octroi de mer lui-même. Pour les personnes qui ont débuté leur activité au cours de l’année de référence, il est ajusté au prorata du temps d’exploitation. »

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L'amendement n° 14 rectifié bis, présenté par MM. Guerriau, Delahaye, Trillard, Gabouty, Canevet, Bonnecarrère et Fontaine et Mme Joissains, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 5

Remplacer le montant :

par le montant :

La parole est à M. Joël Guerriau.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Le présent amendement a pour objet de maintenir le plafond d'application de l'octroi de mer à 550 000 euros pour les entreprises produisant localement.

Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Gouvernement a justifié sa décision de fixer à 300 000 euros le seuil d'assujettissement par une décision du Conseil de l'Union européenne du 17 décembre 2014.

Dans un contexte de crise, cette décision nous paraît peu opportune. Vous avez tenté d’apporter une réponse à l’instant en indiquant qu’il y aurait des déductibilités en contrepartie, mais j’imagine que le solde sera forcément pénalisant pour les entreprises.

Cette mesure, qui élargit l'assiette de l'octroi de mer pour les collectivités, rapporterait 2, 5 millions d’euros, mais à quel prix sur le plan social ? En effet, elle conduira environ 650 petites entreprises ultramarines à inscrire dans leur bilan une charge supplémentaire. Autrement dit, des entreprises de production locale, avec un chiffre d'affaires supérieur à 25 000 euros mensuel, devront s'acquitter de ce nouvel impôt.

Je m’interroge sur cette disposition un peu contradictoire, dans la mesure où le Président de la République avait promis qu'il n'y aurait plus de nouvelle imposition. Faire payer un impôt supplémentaire aux entreprises revient à les rendre plus vulnérables, moins compétitives. C’est finalement fragiliser leurs activités.

De surcroît, le taux de chômage dans les outre-mer est déjà bien supérieur à celui de l'Hexagone, comme chacun le sait. Par ailleurs, les consommateurs locaux paieront in fine plus cher des produits fabriqués sur leur territoire, alors qu’ils ont déjà un pouvoir d'achat bien inférieur à celui des consommateurs de la métropole.

Sur le plan de l’équité sociale, cette décision contribuera à creuser l'écart entre une population qui bénéficie d'un traitement majoré et une population, plus nombreuse, qui tire des revenus bien inférieurs d’une production locale.

En résumé, cette mesure me paraît contraire à l'ambition de soutenir le développement économique, l'initiative locale, et à la volonté de lutter contre le chômage.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je comprends les arguments intéressants et le raisonnement de Joël Guerriau.

Néanmoins, la commission est défavorable au présent amendement, qui est contraire à la décision du Conseil de l’Union européenne du 17 décembre 2014 que nous n’avons pas la possibilité de remettre en cause, s’agissant d’un accord scellé et réglé.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Je le conçois, cette disposition peut être discutée. Cependant, comme je l’ai déjà dit, pour la grande majorité des entreprises ultramarines, qui sont de petite taille, cette mesure aboutira plutôt à un allégement des formalités.

En revanche, je reconnais que les entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 300 000 euros et 500 000 euros devront faire des déclarations. Néanmoins, elles pourront déduire l’octroi qui grève leurs intrants, ce qui est déjà une compensation. Par ailleurs, en toute hypothèse, ce seuil figure dans les décisions de Bruxelles qui nous lient. Par conséquent, aujourd’hui, nous ne pouvons pas revenir dessus. Nous pourrons éventuellement voir, à l’occasion du rapport d’étape, si cette disposition s’est révélée contraire aux intérêts d’un nombre important d’entreprises. À ce moment-là, nous déciderons s’il y a lieu de demander aux autorités européennes de modifier leur approche.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L'amendement n° 27, présenté par M. Cornano, n’est pas soutenu.

Je mets aux voix l'article 2.

L'article 2 est adopté.

L’article 3 de la même loi est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Pour l’application de la présente loi :

« 1° Est considérée comme importation d’un bien :

« a) Son entrée sur le territoire d’une collectivité mentionnée à l’article 1er.

« Par dérogation au premier alinéa du présent a, l’entrée en Guadeloupe d’un bien en provenance de la Martinique et l’entrée en Martinique d’un bien en provenance de la Guadeloupe ne sont pas considérées comme des importations ;

« b) Sa mise à la consommation sur le territoire d’une collectivité mentionnée à l’article 1er si, lors de son entrée sur le territoire, il a été placé :

« – sous l’un des régimes suivants prévus par les règlements communautaires en vigueur : entrepôt d’importation, perfectionnement actif, transformation sous douane, transit et admission temporaire en exonération totale, ou en magasin de dépôt temporaire ou s’il a reçu la destination douanière de l’entrepôt franc ou de la zone franche ;

« – ou sous le régime suspensif mentionné au a du 2° du I de l’article 277 A du code général des impôts ;

« 2° Est considérée comme livraison d’un bien le transfert du pouvoir de disposer d’un bien meuble corporel comme un propriétaire. » –

Adopté.

Après l’article 3 de la même loi, il est inséré un article 3-1 ainsi rédigé :

« Art. 3-1. – I. – L’importation d’un bien est effectuée dans la collectivité mentionnée à l’article 1er sur le territoire duquel le bien se trouve au moment de son entrée ou au moment de sa mise à la consommation.

« II. – Le lieu de la livraison d’un bien est :

« 1° L’endroit où le bien se trouve au moment de la livraison, dans le cas où le bien n’est pas expédié ou transporté ;

« 2° L’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur, dans le cas où le bien est expédié ou transporté ;

« 3° L’endroit où les produits pétroliers et assimilés transformés énumérés au tableau B du 1 de l’article 265 du code des douanes se trouvent au moment de la sortie d’un régime mentionné aux articles 158 A à 158 D et à l’article 163 du même code. » –

Adopté.

L’article 4 de la même loi est ainsi rédigé :

« Art. 4. - Sont exonérées de l’octroi de mer :

« 1° Les livraisons dans une collectivité mentionnée à l’article 1er de biens expédiés ou transportés hors de cette collectivité par l’assujetti, par l’acquéreur qui n’est pas établi dans cette collectivité ou pour leur compte, à l’exception des livraisons dans une collectivité du marché unique antillais de biens expédiés ou transportés à destination de l’autre collectivité du marché unique antillais ou de la Guyane et des livraisons en Guyane de biens expédiés ou transportés à destination du marché unique antillais ;

« 2° Les importations en Guyane de biens dont la livraison a été taxée dans le marché unique antillais et les importations dans le marché unique antillais de biens dont la livraison a été taxée en Guyane ;

« 3° Les livraisons de biens placés sous le régime fiscal suspensif mentionné au a du 2° du I de l’article 277 A du code général des impôts en vue de faire l’objet d’une livraison mentionnée au 1°. »

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par MM. Guerriau, Delahaye, Trillard, Gabouty, Canevet, Fontaine et Bonnecarrère et Mme Joissains, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les livraisons de biens destinés à l’accomplissement des missions de l’État ;

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

… – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

… – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Joël Guerriau.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Le projet de loi donne la possibilité aux collectivités régionales ou au département de Mayotte d’exonérer à leur convenance les biens destinés à l’accomplissement des missions de l’État. Cela signifie, en fait, que ces collectivités ont la liberté de taxer les biens destinés à l’accomplissement des fonctions régaliennes. Or une telle mesure grève lourdement les budgets alloués aux services de l’État.

J’illustrerai mes propos par des exemples concrets. La gendarmerie de Mayotte qui exerce une mission complexe sur ce territoire, comme chacun sait, a connu une augmentation très importante des taux appliqués à son matériel acheté en métropole. Pour le remplacement des pièces mécaniques – pales, rotor, etc. – du seul hélicoptère dont elle dispose, et afin qu’elle puisse exercer pleinement ses missions, elle acquittait en 2013 des taxes douanières à hauteur de 5 %, en 2014, on lui a appliqué l’octroi de mer à un taux de 30%. Autre exemple, l’approvisionnement en munitions était taxé à 5 % en 2013 et, grâce à l’octroi de mer, la taxation est passée à 50 % en 2014. Une simple antenne de radio – Dieu sait que cet équipement est important dans ce département ! – supportait des droits de douane de 10 % en 2013 ; en 2014, elle était taxée à hauteur de 55 %.

Ces exemples montrent que l’octroi de mer a forcément des conséquences, surtout quand ses taux sont nettement supérieurs à ceux de la TVA appliquée en métropole.

Dans ce contexte, l’application de l’octroi de mer est un frein au renouvellement et à l’entretien des matériels nécessaires à la bonne marche du service public, alors même que les budgets s’inscrivent dans une baisse généralisée. Ou alors, il faut augmenter en conséquence les budgets des services concernés, pour qu’ils puissent faire face à leurs besoins tout en acquittant l’octroi de mer.

La justification invoquée par les collectivités ultramarines pour limiter les exonérations s’explique : les besoins de financement résultant de la baisse des dotations de l’État. Il nous paraît donc plus judicieux soit de maintenir les dotations de l’État à un niveau convenable, soit d’augmenter les budgets des services déconcentrés de l’État, plutôt que de compenser la baisse des dotations par un octroi de mer qui entrave l’exercice de missions essentielles, telles que la santé, l’éducation et la sécurité.

Par ailleurs, est-il logique que les autorités qui représentent localement l’État soient amenées à solliciter au cas par cas des exonérations auprès des collectivités territoriales ? On donne ainsi une image plutôt déplorable du service public, tout en plaçant ses responsables dans une situation complexe.

Le présent amendement a pour objet de mettre un terme à cette incohérence fiscale dont les effets sont finalement contraires à l’intérêt général et préjudiciables à nos concitoyens ultramarins, voire à l’image de l’État sur ces territoires. Il est impératif que les missions du service public puissent être exercées partout, sans différenciation.

Encore une fois, ces exemples montrent que l’octroi de mer n’est pas adapté à la situation. Je comprends la position des collectivités ultramarines qui ont besoin de ressources et utilisent donc les moyens qui leur sont accordés. Il serait plus logique d’augmenter les dotations de l’État aux collectivités ultramarines ou les budgets des services de l’État pour qu’ils puissent assumer leurs missions, mais n’obligeons pas les représentants de l’État au sein de ces territoires à effectuer des choix très difficiles, alors qu’ils exercent des missions essentielles pour la sécurité, la santé et l’éducation des populations ultramarines.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’amendement n° 16 rectifié bis, présenté par MM. Guerriau, Delahaye, Trillard, Gabouty, Canevet, Fontaine et Bonnecarrère et Mme Joissains, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les livraisons de biens nécessaires aux services d’incendie et de secours ;

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

… – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

… – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Joël Guerriau.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Cet amendement s’inscrit dans le même ordre d’idées.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements de M. Guerriau et de ses collègues de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, considérant suffisant le dispositif d’exonération facultatif qui est prévu à l’article 7 de la loi de 2004. Les collectivités territoriales peuvent tout à fait accorder des exonérations, si elles le souhaitent.

Par ailleurs, les services de l’État situés outre-mer n’ont qu’à dégager les crédits suffisants pour répondre à leurs besoins. En revanche, pour les petites fournitures de services comme ceux de l’éducation nationale – crayons, des cahiers, etc. –, il conviendrait peut-être de mener une autre réflexion.

En ce qui concerne les services départementaux d’incendie et de secours, les départements, puisqu’ils sont acheteurs, doivent pouvoir trouver une solution avec les régions pour exonérer leurs achats de biens et d’équipements. Le sujet est tellement complexe que l’on se trouve devant des situations particulières qui seront toujours délicates à régler. La commission estime qu’il convient d’appliquer la règle générale et de laisser aux collectivités locales le soin de régler leurs problèmes en interne.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Je comprends bien le souci qui a pu animer les auteurs de cet amendement, mais il me semble que, là encore, la question n’est pas posée comme elle devrait l’être.

Effectivement, l’État assume les frais liés à la présence d’un certain nombre de ses services outre-mer. Les exemples que vous avez donnés, monsieur Guerriau, portaient tous sur des missions régaliennes, pour lesquelles il n’est pas souhaitable que les représentants de l’État soient amenés à demander des exonérations aux collectivités territoriales. Or votre amendement vise les missions de l’État d’une manière générale qui incluent également l’école et bien d’autres activités.

Par ailleurs, nous vivons une période où l’État et les collectivités locales sont amenés à collaborer régulièrement, par exemple pour la gestion des fonds européens comme le Fonds social européen, le FSE. On ne peut pas se soustraire à cette évolution.

Je suis d’accord avec le principe que vous avez énoncé : l’État doit assumer ses responsabilités dans les matières régaliennes, par exemple l’équipement des forces de sécurité en matériels divers. Toutefois, ce sujet relève d’un autre débat qui n’a pas lieu d’être dans le cadre de l’examen de ce projet de loi relatif à l’octroi de mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Je ne suis absolument pas satisfait de ces explications.

En effet, nous nous trouvons dans une situation incroyable ! Vous nous répondez que les collectivités territoriales peuvent prendre l’initiative d’accorder des exonérations. Mais quel intérêt auraient-elles à le faire ? Elles objecteront qu’elles doivent faire face à des dépenses et que, si on les autorise à lever un impôt sur les services de l’État, elles vont le faire. Si les représentants de l’État demandent une exonération de cette taxe, on les renverra vers leurs ministères respectifs, en leur rappelant que l’État a réduit ses dotations. Pourquoi les collectivités locales accepteraient-elles de négocier une exonération avec ces responsables, puisque ceux-ci ne peuvent pas leur accorder de contreparties financières ?

Cette méthode n’est pas la bonne. Les outre-mer ont des besoins : faisons en sorte que les dotations qui leur sont versées soient à la hauteur de ces besoins et que le mode de financement soit plus direct.

En fait, le système actuel repose sur une forme de compensation : on sait que les collectivités d’outre-mer ont des besoins de financement et on les autorise à percevoir l’octroi de mer. Or les services de l’État, qui doivent faire face à la baisse de leur budget, doivent eux-mêmes assumer une augmentation énorme des taxes locales.

On finit par donner une image déplorable des services de l’État : quand vous montez sur la vedette de la gendarmerie, on vous explique que le projecteur défectueux ne pourra pas être remplacé parce que le budget ne le permet pas. On limite l’entraînement au tir des gendarmes, parce que l’on n’a plus les moyens d’acheter autant de munitions que dans le passé. On décide que l’hélicoptère volera moins souvent pour ne pas avoir à changer de pièces. Voilà la réalité !

Cessons d’appeler les collectivités locales à prendre leurs responsabilités en accordant des exonérations, puisqu’elles n’ont pas le moyen de le faire et qu’elles ont tout intérêt à prélever l’octroi de mer sur les services de l’État. Vraiment, nous mettons en place un montage financier qui n’est pas clair !

Si l'on considère que les fonctions de l’État exercées outre-mer sont essentielles, il faut qu’elles soient exonérées et que l’on verse des dotations suffisantes aux collectivités ultramarines pour exercer les missions qui sont de leur ressort. Il n’y a pas lieu de mélanger les missions des collectivités et celles de l’État ! Chacun doit financer son action avec les ressources les plus normales possible.

Le recours à l’octroi de mer me paraît inadapté et place les responsables des services de l’État dans une position très déplaisante, en les obligeant, par exemple, à aller négocier une exonération avec un président de conseil général. Ce type de démarche ne me paraît pas relever de leur mission, qui consiste à exercer les compétences de l’État et non pas à négocier avec les collectivités territoriales.

Il me semble que la loi devrait prévoir cette exonération et ne pas en renvoyer la responsabilité à d’autres. Nous représentons l’intérêt général, alors exerçons nos responsabilités en exonérant les services de l’État et demandons au Gouvernement d’assumer les siennes en finançant les collectivités ultramarines au niveau de leurs besoins. Nous devons refuser de cautionner ce montage financier de complaisance destiné à masquer le fait que l’on n’est pas capable de prendre des décisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Le problème soulevé est réel et sérieux. La solution qui consiste à « renvoyer la patate chaude » aux collectivités locales en les invitant à accorder des exonérations ne peut aboutir, dans la mesure où ces collectivités sont confrontées à des difficultés budgétaires chroniques. Même si nous avons enregistré ces dernières années des augmentations notables de nos dotations, nous savons parfaitement que nos collectivités locales ne sont toujours pas en mesure de répondre aux besoins des citoyens.

Je suis néanmoins sensible à un argument qui a déjà été exprimé à plusieurs reprises : il est temps d’engager une réflexion d’ensemble, afin de trouver une solution pérenne au financement des politiques publiques dans les outre-mer. En effet, on ne peut pas se satisfaire d’une situation où, lors du vote du budget, on cherche quel poste pourrait être augmenté. J’appelle de mes vœux cette réflexion d’ensemble.

Les exemples cités M. Guerriau sont parlants. Lorsque le seul hélicoptère de la gendarmerie présent à Mayotte tombe en panne, nous attendons plusieurs mois pour recevoir les pièces, alors que nous savons que cet appareil apporte une contribution essentielle à la lutte contre l’immigration clandestine. Je reviens sur ce sujet, même s’il n’a qu’un rapport indirect avec l’objet du présent projet de loi : il faut savoir que plus de la moitié des reconduites à la frontière prononcées en France sont exécutées à partir du territoire de Mayotte, qui ne fait que 374 kilomètres carrés !

Je ne sais pas si vous pouvez imaginer les problèmes que pose cette immigration clandestine, qui pèse sur toutes les politiques publiques. Aujourd’hui, dans ce département, il est impossible de réfléchir sainement à n’importe quelle politique publique, parce que nous ne savons pas pour combien de personnes nous devons construire des équipements, qu’il s’agisse d’écoles ou de retenues d’eau, et il y aurait profusion d’autres exemples !

Je m’abstiendrai sur ces amendements, parce qu’une réflexion d’ensemble doit être menée pour trouver des solutions pérennes, mais je tenais à souligner le fait que le problème posé est réel.

M. Joël Guerriau applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je vous signale, monsieur Guerriau, que nous examinons l’article 5, lequel concerne les productions locales, et non les importations, qui font l’objet de l’article 7.

Vous avez visé, dans vos amendements n° 15 rectifié bis et 16 rectifié bis, des produits utilisés dans le cadre des fonctions régaliennes de l’État, et qui sont plutôt d’importation, non fabriqués localement. On ne voit pas très bien quels produits locaux pourraient être exonérés dans le cadre de fourniture pour la gendarmerie, les SDIS, etc, en dehors de produits de consommation courante.

Ces amendements auraient plutôt dû être présentés à l’article 7. Comme les amendements déposés sur cet article sont satisfaits par l’article 6, il ne devrait pas se poser de problème particulier.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

La présentation de ces amendements, je l’entends bien, donne l’occasion à chacun de dire ce qui lui tient à cœur sur la situation des outre-mer. Néanmoins, en l’espèce, il se trouve que les exemples donnés par M. Guerriau ne concernent pas les productions locales.

Par ailleurs, puisque ce régime existe, des décisions sont en général prises, par les collectivités, dans la mesure où il est de leur intérêt que les services de l’État mettent tel ou tel équipement à leur disposition. Il me semble évident aussi que, s’agissant d’une taxe régionale, c’est la région qui peut accorder l’exonération, et non l’État. Pour le SDIS, par exemple, il n’y a pas eu de demande pour l’instant.

Nous pourrons reparler de ce sujet ultérieurement, car il n’a pas de lien avec l’examen du présent article.

Vous nous dites enfin, monsieur le sénateur, qu’il suffit d’augmenter les budgets. Mais c’est ce que nous avons fait depuis deux ans de manière significative !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur Guerriau, les amendements n° 15 rectifié bis et 16 rectifié bis sont-ils maintenus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Non, madame la présidente, je les retire, puisque cette discussion aura lieu de nouveau à l’occasion de l’examen des amendements que j’ai déposés à l’article 7 et qui vont dans le même sens. J’espère que ces derniers seront alors largement approuvés, eu égard à l’intérêt qu’ils présentent.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Les amendements n° 15 rectifié bis et 16 rectifié bis sont retirés.

L’amendement n° 1, présenté par MM. Patient et Karam, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Supprimer les mots :

ou de la Guyane et des livraisons en Guyane de biens expédiés ou transportés à destination du marché unique antillais

II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

... - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Georges Patient.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Dans la mesure où les parties concernées – Martinique, Guadeloupe, Guyane – sont parvenues à un consensus, je retire cet amendement. Mais je reviendrai sur ces points lors de l’examen de l’article 6, à l’occasion de la présentation de mon sous-amendement à l’amendement du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’amendement n° 1 est retiré.

L’amendement n° 2, présenté par MM. Patient et Karam, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Georges Patient.

L'article 5 est adopté.

L’article 5 de la même loi est abrogé.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

L’amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 5 de la même loi est ainsi rédigé :

« Art. 5. – I. – Pour les biens relevant des positions tarifaires 2208 40, 2208 70, 2208 90, 3208 90, 3209 10, 4818 10, 7214 20 et 7214 99 et par dérogation à l’article 4 :

« 1° Les livraisons mentionnées au 1° de l’article 4 dans une collectivité du marché unique antillais de biens expédiés ou transportés par l’assujetti, par l’acquéreur qui n’est pas établi dans cette collectivité ou pour leur compte à destination de la Guyane et les livraisons en Guyane de biens expédiés ou transportés par l’assujetti, par l’acquéreur qui n’est pas établi dans cette collectivité ou pour leur compte à destination du marché unique antillais sont exonérées de l’octroi de mer ;

« 2° Les importations en Guyane de biens dont la livraison a été exonérée dans le marché unique antillais et les importations dans le marché unique antillais de biens dont la livraison a été exonérée en Guyane sont soumises à l’octroi de mer.

« II. – Il est créé une commission qui a pour mission de suivre et d’évaluer les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais.

« Elle est chargée :

« - d’analyser les flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais ;

« - de proposer des évolutions des règles d’échanges et de taxation ;

« - de proposer, si nécessaire, la modification de la liste de produits mentionnée au I du présent article, notamment sur la base d’un état statistique des flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Cette proposition intervient au plus tard le 1er septembre.

« La présidence de la commission est assurée par le ministre en charge des outre-mer ou son représentant.

« La commission est composée d’élus du conseil régional de Guadeloupe, de l’assemblée de Guyane et de l’assemblée de Martinique.

« Les services de l’État compétents apportent leur expertise technique sur demande de la commission.

« Les acteurs socioprofessionnels peuvent être consultés sur proposition de la commission.

« Un décret fixe les conditions d’application du présent article. »

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Cet amendement est le résultat des discussions que nous avons eues avec les parlementaires concernés et les présidents de région des collectivités des Antilles et de la Guyane.

Il est vrai que le système en vigueur est quelque peu défavorable à la Guyane, dans la mesure où il existe un déséquilibre entre les importations du territoire guyanais en provenance des Antilles et les exportations de la Guyane en direction des Antilles.

La solution retenue consiste à maintenir le système existant, tout en établissant une liste de produits pour lesquels le déséquilibre est trop important et qui seront taxés comme s’ils provenaient de l’extérieur du marché unique.

Par ailleurs, pour vérifier que la situation de telle ou telle collectivité n’évolue pas défavorablement, nous avons prévu de mettre en place une commission qui procédera à des examens réguliers de cette situation et fera des propositions visant à intégrer des produits dans cette liste, arrêtée de concert, ou à les en faire sortir.

Monsieur Patient, je n’ai pas vu, dans le procès-verbal signé par toutes les parties, que la commission serait composée dans les termes que vous indiquez dans le sous-amendement que vous avez déposé au présent amendement. Je présume que tel était cependant l’esprit des uns et des autres, mais nous n’avons absolument pas pris acte dans ce document de la composition exacte de cette commission et de la personne qui devrait la présider. Nous nous sommes engagés, en revanche, à préparer un projet de décret sur lequel toutes les collectivités seront consultées, afin que la composition de la commission soit le résultat d’un accord entre tous.

Nous avons voulu que cette commission représente chaque territoire, chaque région, et que, du fait de sa composition, un territoire ne puisse pas être automatiquement « battu » par les deux autres. Nous avons proposé qu’elle soit plus ou moins paritaire. La question se pose en effet de la répartition entre le marché unique antillais et la Guyane.

Par ailleurs, nous avons souhaité que le ministère se charge de réunir cette commission et d’en assurer le secrétariat. Si les régions préfèrent assumer elles-mêmes ces tâches, pourquoi pas ? Je ne souhaite pas exercer absolument cette présidence ! Nous pouvons donc nous mettre d’accord sur de telles modalités, mais ces détails ne figurent pas dans l’accord auquel nous étions parvenus et qui représente, je crois, une solution raisonnable.

Nous avons aussi prévu de consulter les organisations socioprofessionnelles, lesquelles ont protesté énergiquement contre la concurrence de produits en provenance des Antilles. Je tiens à souligner que tous les acteurs concernés ont fait des efforts pour régler d’une manière consensuelle ce différend, mais nous avons bien conscience que l’immense majorité des produits importés en Guyane ne provient pas des Antilles.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Le sous-amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Patient, S. Larcher, J. Gillot et Karam, est ainsi libellé :

A. - Amendement n° 10

I. – Alinéa 3

Remplacer la référence :

par la référence :

II. – Alinéa 10, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et, dans le cas où ces flux ne pourraient être obtenus, tout élément de nature à apprécier la justification de la demande

III. – Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La présidence de la commission est assurée à tour de rôle par le président du conseil régional de Guadeloupe ou son représentant ou le président de l’assemblée de Guyane ou son représentant ou le président du conseil exécutif de l’assemblée de Martinique ou son représentant.

B. - Pour compenser la perte de recettes résultant du A, compléter cet amendement par deux paragraphes ainsi rédigés :

... - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent amendement est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

... - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Georges Patient.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

D’autres participants à cette fameuse réunion du 28 avril pourront confirmer que les trois points mentionnés dans ce sous-amendement n’ont pas été repris dans l’amendement n° 10 du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de sous-amender celui-ci.

Le premier point concerne le produit relevant de la nomenclature 4818, qui figure dans l’amendement sous la nomenclature 4818 10. Sur la liste des produits guyanais acceptés par la commission que j’ai parcourue, il est fait référence à la nomenclature 4818, et non à celle qui est citée dans l’amendement du Gouvernement.

Le deuxième point est de précision.

Le troisième point, relatif à la présidence de la commission qui va être créée, ne figure peut-être pas dans le relevé de conclusions de la réunion, mais il a cependant été dit lors de celle-ci que cette présidence devrait être tournante. Je suis également certain qu’il n’a pas été indiqué, toujours lors de cette réunion, que la présidence devrait être assurée par le ministre chargé de l’outre-mer ou son représentant. Après consultation de différents autres représentants de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, je peux confirmer que nous sommes tous favorables à une présidence tournante.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Sur l’amendement n° 10 du Gouvernement, la commission émet un avis favorable.

Je remercie d’ailleurs l’équipe de Mme la ministre de m’avoir appelé le 28 avril dernier, ce qui m’a permis de trouver enfin le sommeil après trois semaines d’une longue attente durant laquelle nous ne savions pas si une solution favorable serait trouvée.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je veux aussi remercier les nombreux signataires de l’accord, qui ont su trouver une solution acceptable pour leur territoire.

Sur le sous-amendement n° 35 rectifié, la commission émet également un avis favorable.

J’ai relu le relevé de conclusions de la réunion du 28 avril.

Le premier point soulevé dans le sous-amendement est exact. Cette précision est intéressante, dans la mesure où il est important que la nomenclature soit plus précise – les producteurs de papier peuvent également fabriquer des papiers essuie-tout – et plus protectrice des productions locales.

Par ailleurs, il est vrai qu’il n’est pas précisé dans le relevé de conclusions que la présidence devra être tournante, pas plus qu’il n’est écrit que la ministre ou son représentant devra présider d’office la commission.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Ce sous-amendement comporte plusieurs points assez différents, et l’avis du Gouvernement n’est pas identique sur chacun d’eux.

J’écarte d’emblée le point relatif à la présidence de la commission. Bien évidemment, je ne tiens pas particulièrement à présider cette dernière. Il me semblait cependant que cette solution résultait des débats, mais, si les régions en sont d’accord, le principe d’une présidence tournante me convient tout autant.

S’agissant du problème de la position tarifaire, le Sénat votera comme il l’entend. Mais je tiens à dire que nous avons retranscrit strictement, loyalement et exactement ce qui est inscrit dans le procès-verbal de la réunion que j’ai en main : le papier hygiénique relève bien de la nomenclature 4818 10.

Monsieur le sénateur, dans la mesure où la commission en question doit être mise en place pour vérifier l’état de la situation tous les six mois, et alors même que la production de l’article référencé sous la nomenclature 4818 10 démarre à peine, cette discussion me semble totalement prématurée. Il serait plus raisonnable de s’en tenir au texte de l’accord tel qu’il a été signé en notre présence. La commission examinera ensuite s’il convient d’élargir cette nomenclature afin de prendre en compte d’autres productions – par exemple le papier essuie-tout –, lesquelles n’existent pas encore.

Mieux vaudrait, soit retirer ce sous-amendement, soit le rectifier. Vous pourriez ainsi conserver le point relatif à la présidence de la commission, auquel le Gouvernement est tout à fait favorable.

S’agissant de la possibilité de compléter la liste des produits, j’ai compris que vous étiez ouvert ; nous savons, en effet, que tel sera le rôle de cette commission

Par conséquent, deux points pourraient être retirés de ce sous-amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur Patient, acceptez-vous de rectifier votre sous-amendement dans le sens suggéré par Mme la ministre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je crois me souvenir que la version initiale du relevé de conclusions faisait mention de deux nomenclatures, « 4818 » et « 4818 10 », et donc de deux produits. Puis a été indiqué la référence « 4818 papier hygiénique ». Je maintiens donc deux points de mon sous-amendement et j’accepte de supprimer le point de précision.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Non, madame la présidente.

Par ailleurs, monsieur Patient, je refuse, en émettant un avis favorable sur ce sous-amendement, d’avoir l’air d’aller au-delà de l’accord auquel nous avons eu tant de mal à aboutir ; mes services y ont passé des mois entiers et nous n’y sommes parvenus qu’à l’issue de discussions extrêmement précises. Je craindrais de ne pas respecter la volonté exprimée – et à mon sens de façon assez positive – par les représentants de la région Martinique.

Si le texte de l’accord comporte l’indication « 4818 papier hygiénique », c’est bien que seule était visée la partie 4818 10, c'est-à-dire le papier hygiénique mis en fabrication en Guyane, et non la nomenclature 4818 dans son ensemble.

C’est la raison pour laquelle, je le répète, il me semble préférable que vous retiriez ce sous-amendement. Il ne faudrait pas que son adoption remette en cause l’accord avec la région Martinique.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

La parole est à M. Antoine Karam, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Karam

C’est ce que l’on appelle une mine antipersonnel ! Nous sommes parvenus à un consensus après des tensions très fortes sur le marché unique des Antilles et de la Guyane, où la Guyane a longtemps été défavorisée.

Je me réjouis que, à l’occasion de la création d’une commission ayant pour mission de suivre et d’évaluer les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais, la question de la présidence ait été évoquée. En effet, il n’est pas possible de demander à la Guyane plus de responsabilités. Il était prévu que cette présidence soit assurée par le ministre chargé des outre-mer ou son représentant, mais Mme la ministre a immédiatement apporté une rectification.

Lors de la mise en place de cette commission, les représentants de la Guyane veilleront à ne pas être défavorisés. Je pense que le projet de décret apportera les explications nécessaires pour que tout le monde puisse avoir satisfaction.

Je profite de ce débat sur l’outre-mer pour demander à la Haute Assemblée d’avoir une pensée très forte pour les habitants de Camopi. Cette commune peuplée d’Amérindiens, située à la frontière du Brésil, est sans doute l’une des plus enclavées de France : elle est depuis plusieurs jours lourdement frappée par des inondations et se trouve aujourd'hui complètement coupée du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Nous avons écouté avec intérêt Mme la ministre. Avec ce sous-amendement, Georges Patient place le Gouvernement dans une situation délicate. Il y a un quiproquo : « 4818 papier hygiénique » équivaut à la nomenclature 4818 10.

Comme l’a souligné Mme la ministre, ne prenons pas le risque de relancer le débat, alors que nous ne connaissons pas la position des signataires de l’accord. L’examen de ce texte par l’Assemblée nationale sera l’occasion de trouver une solution.

La commission est favorable à l’idée d’une présidence tournante, de même que le Gouvernement. Nous pourrions donc nous en tenir à cette disposition.

Monsieur Patient, il serait par conséquent préférable que vous rectifiiez votre sous-amendement pour que nous ne nous prononcions que sur le III. Dans le cas contraire, nous ne pourrions voter ce sous-amendement, car le Gouvernement ne lèvera pas le gage, ce qui pose un véritable problème financier.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je ne suis pas le seul signataire de ce sous-amendement. Qui plus est, je représente la population et les élus guyanais. Des dispositions précises ont été prises sur une liste de vingt-trois produits. Nous sommes parvenus à un consensus et tout le monde a reconnu que la Guyane souffrait d’une distorsion de concurrence et de déséquilibres. De vingt-trois produits, nous sommes passés à huit. Aujourd’hui, il est question de passer à sept !

Certes se pose le problème du gage et je ne veux pas porter la responsabilité d’un échec. Pour autant, je rappelle que l’accord prévoit que la région Guyane fera tout son possible pour mettre fin aux actions en justice évoquées par ce projet de loi, mais les représentants de la Guyane n’ont accepté cette disposition que sur la base d’un relevé de conclusions énumérant la liste des produits retenus.

Une réunion aura lieu très prochainement et j’espère que, à cette occasion, tout rentrera dans l’ordre. Pour l’instant, la menace continue de peser.

Par conséquent, pour que nous parvenions à un compromis, je me rallie à la proposition du rapporteur et rectifie mon sous-amendement pour n’en conserver que la mesure relative à la présidence tournante.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je suis donc saisie d’un sous-amendement n° 35 rectifié bis, présenté par MM. Patient, S. Larcher, J. Gillot et Karam, et ainsi libellé :

Amendement n° 10

Alinéa 11

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La présidence de la commission est assurée à tour de rôle par le président du conseil régional de Guadeloupe ou son représentant ou le président de l’assemblée de Guyane ou son représentant ou le président du conseil exécutif de l’assemblée de Martinique ou son représentant.

Quel est l’avis de la commission sur ce sous-amendement rectifié ?

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre

Favorable !

Le sous-amendement est adopté.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Les amendements n° 28, 30 et 31 ne sont pas soutenus.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.