Intervention de Éric Doligé

Réunion du 7 mai 2015 à 9h30
Octroi de mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur de la commission des finances :

Madame la ministre, nous n’avons pas de divergence avec les points qui viennent d’être évoqués. Par conséquent, mes propos seront relativement redondants avec les vôtres, mais je tiens néanmoins à souligner quelques éléments.

Plus de dix ans après la dernière réforme de l’octroi de mer, le Sénat a été une nouvelle fois appelé à se prononcer sur un texte visant à modifier le régime de cette imposition très ancienne, son principe remontant au « droit des poids » mis en place au XVIIe siècle sur les importations de Martinique. Si cet impôt est, dans une large mesure, méconnu dans l’Hexagone, il revêt pourtant un caractère essentiel, voire vital, pour les départements d’outre-mer, et ce pour deux raisons.

Tout d’abord, l’octroi de mer constitue une recette fiscale de près de 1 milliard d’euros par an, au bénéfice principal des communes de ces départements. En 2012, il représentait ainsi entre 38 %, à La Réunion, et 48 %, en Martinique, des recettes fiscales communales. Chacun peut donc en mesurer le poids.

Ensuite, l’octroi de mer contribue au développement d’une production locale, en venant compenser une partie du déficit de compétitivité résultant des handicaps structurels dont souffrent les départements d’outre-mer, parmi lesquels l’éloignement, l’étroitesse des marchés locaux ou encore la dépendance vis-à-vis de la métropole.

En 2012, une étude réalisée par le cabinet de conseil Louis Lengrand et associés – vous avez évoqué l’étude, madame la ministre, mais sans citer le cabinet - a mis en avant l’importance de ce dispositif pour de nombreuses entreprises ultramarines. Comme vous l’avez souligné, cette étude estimait l’aide procurée par ce biais à un montant compris entre 170 et 250 millions d’euros par an.

Jusqu’en 1992, l’octroi de mer s’est apparenté à un droit de douane, ne frappant que les importations. Dans sa version initiale, ce dispositif était donc contraire aux principes de libre circulation et de non-discrimination prévus par les traités européens. Aussi le régime de l’octroi de mer a-t-il fait l’objet d’un strict encadrement communautaire, mis en œuvre par des décisions successives du Conseil datant de 1989 et de 2004.

Le dispositif actuellement en vigueur est issu de la décision du Conseil du 10 février 2004, transposée en droit interne par la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

Au terme d’un processus de plus d’un an et demi, le Conseil, dans une décision du 17 décembre 2014, a autorisé la France à maintenir un dispositif d’octroi de mer jusqu’au 31 décembre 2020, sous réserve de diverses modifications devant être mises en œuvre à compter du 1er juillet 2015. Je peux vous assurer, mes chers collègues, que le groupe de travail institué au sein du Sénat a beaucoup travaillé au cours de ces dix-huit mois. Nous avons également eu quelques inquiétudes quant à l’avenir de l’octroi de mer. Nous pouvons donc nous féliciter de l’issue de cette affaire, qui fait l’objet de notre discussion de ce jour.

Le présent projet de loi, dont le Sénat est saisi après engagement de la procédure accélérée, vise effectivement à transposer en droit interne la décision du Conseil du 17 décembre 2014, tout en prévoyant différentes mesures tendant à moderniser le dispositif de l’octroi de mer. La principale mesure, issue directement de la décision du Conseil de décembre dernier, réside dans la fixation d’un seuil d’assujettissement à l’octroi de mer de 300 000 euros.

Jusqu’à présent, l’ensemble des entreprises de production ultramarines, indépendamment de leur taille, étaient assujetties à l’octroi de mer. Toutefois, celles dont le chiffre d’affaires était inférieur à 550 000 euros étaient exonérées de plein droit. Cette situation posait deux difficultés : d’une part, les déclarations d’existence remplies par les petites entreprises étaient, soit inexistantes, soit lacunaires ; d’autre part, cette obligation se traduisait, lorsqu’elle était respectée, par une charge administrative contraignante pour des entreprises dont les effectifs ne dépassent généralement pas un ou deux salariés.

Le Gouvernement a donc demandé la fixation d’un seuil d’assujettissement à 300 000 euros. Désormais, les entreprises n’atteignant pas ce nouveau seuil seront situées « hors champ » et ne seront donc plus soumises à l’obligation de transmettre une déclaration d’existence auprès des services de la douane. En contrepartie, l’ensemble des entreprises assujetties devront s’acquitter de la taxe.

S’il n’est pas question de revenir sur ces dispositions, qui, comme cela a été souligné, sont désormais fixées par le droit communautaire, je rappelle néanmoins que ce choix a été critiqué par la très grande majorité des conseils régionaux, ainsi que par les organismes socio-professionnels. En effet, il se traduira pour les entreprises concernées par des obligations déclaratives plus contraignantes et, donc, par un coût supplémentaire estimé, pour l’ensemble d’entre elles, à près de 800 000 euros la première année.

En résumé, auparavant l’entreprise payait l’octroi de mer au-dessus de 550 000 euros de chiffre d’affaires et était tenue de déclarer si elle n’atteignait pas ce seuil ; désormais, l’entreprise paie si son chiffre d’affaires dépasse 300 000 euros, mais n’a plus à déclarer s’il est inférieur à cette limite. Les critiques exprimées portent donc sur la charge supplémentaire imposée aux entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros, qui, par le passé, étaient juste tenues de déclarer. Observons toutefois qu’elles n’effectuaient pas forcément leur déclaration. Donc, il vaut tout de même mieux fixer une règle plus claire et qui sera respectée.

Ce texte contient en outre différentes mesures nationales destinées à actualiser et à améliorer le dispositif issu de la loi de 2004. Globalement, celles-ci semblent favorables aux entreprises et aux économies des départements d’outre-mer.

Au cours de sa réunion du 15 avril 2015, la commission des finances a adopté vingt-trois amendements visant à progresser dans la rédaction du projet de loi, à corriger certains oublis et à mettre en place ou améliorer certains dispositifs. Vous l’avez relevé dans votre propos, madame la ministre.

La commission a tout d’abord modifié l’article 7 afin de prévoir l’encadrement par décret du champ des secteurs économiques dont les importations pourront être exonérées d’octroi de mer. Cette précision doit permettre d’éviter un éventuel contournement des dispositions de cet article, dans la mesure où la seule notion de « secteur économique » aurait pu donner lieu à des interprétations excessivement larges.

En outre, la commission a prévu, à l’article 9, l’élargissement du champ des secteurs d’activité dont les carburants pourront être exonérés. Afin de diminuer le risque de fraude, elle a néanmoins précisé que seuls les carburants ayant fait l’objet d’une adjonction de produits colorants et d’agents traceurs pourront bénéficier de cette exonération.

Considérant que les plafonds de taux d’octroi de mer fixés à l’article 20 du projet de loi étaient inférieurs à ceux qui étaient constatés dans certains départements d’outre-mer, en particulier à Mayotte, la commission a procédé à leur augmentation à hauteur de 10 points afin de préserver les recettes des collectivités locales.

Enfin, elle a créé un article 36 bis nouveau, selon lequel le Gouvernement remettra au Parlement le rapport de mi-parcours, dont la transmission à la Commission européenne est prévue par la décision du Conseil du 17 décembre dernier. Il s’agit, je le précise, non pas de demander l’établissement d’un nouveau rapport, mais simplement d’envisager la communication automatique du rapport déjà prévu au Parlement.

Sur proposition de notre collègue Georges Patient, la commission des finances a précisé que ce rapport devra comporter une évaluation de l’abaissement du seuil de taxation – de 550 000 euros à 300 000 euros de chiffre d’affaires - prévu par le projet de loi.

Si, de manière globale, on peut se féliciter du maintien d’un outil indispensable pour les collectivités et les entreprises des départements d’outre-mer, un point demeurait toutefois en suspens concernant les relations entre le marché unique antillais et la Guyane. J’emploie le terme « suspens », mais j’aurais pu parler de « suspense », car l’affaire n’a abouti que le 28 avril dernier…

Depuis 2004, les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique, d’une part, qui forment un marché unique antillais, et la Guyane, d’autre part, sont soumis à un dispositif dérogatoire en matière d’octroi de mer. Le principe s’appliquant à ces échanges est celui d’une taxation sur le lieu de production, et non sur le lieu de livraison, comme cela est normalement le cas. Cette disposition serait sans incidence si le degré de maturité de ces deux marchés était comparable. Or force est de constater que ce n’est pas le cas. Cette situation était par conséquent extrêmement favorable aux importations et a rendu plus difficile l’émergence d’un tissu productif guyanais.

Au cours des auditions que j’ai pu mener, ce sujet s’est révélé constituer une difficulté majeure, à l’origine de tensions croissantes entre ces départements. Aussi je me félicite qu’un accord ait pu être trouvé le 28 avril dernier, prévoyant l’application du droit commun à huit produits, en particulier le rhum, et réglant ainsi le principal point de crispation entre les différentes parties.

Les cinq amendements déposés en ce sens par le Gouvernement, sur lesquels la commission des finances a émis un avis favorable, me semblent protéger les intérêts des entreprises guyanaises, comme antillaises.

Mes chers collègues, l’économie générale du projet de loi apparaît donc satisfaisante. Ce texte apporte des améliorations significatives et des réponses bienvenues, s’agissant notamment de la question des échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. C’est pourquoi, au bénéfice des observations que je viens de formuler, je vous propose d’adopter le texte.

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