Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a reconduit le régime de l’octroi de mer. C’est une bonne chose.
Je salue, madame la ministre, votre action, ainsi que celle de vos collaborateurs et de vos services, lesquelles ont été déterminantes pour aboutir à ce résultat positif. Il nous importe maintenant de transposer la décision du Conseil dans notre droit national avant la date impérative du 30 juin 2015 si nous voulons éviter d’entraver la bonne marche de nos entreprises de production locale et si nous voulons aussi éviter de fragiliser encore plus nos collectivités locales. Il convient, en effet, de ne pas oublier que l’octroi de mer est aussi une ressource indispensable et irremplaçable pour les collectivités locales des départements d’outre-mer.
Le projet de loi qui nous est proposé transpose les dispositions de la décision du Conseil du 17 décembre 2014, mais il contient également différentes mesures qui ne procèdent pas de la décision du Conseil. Si je peux comprendre que l’on ne puisse revenir sur les premières sans connaître les effets dommageables que j’ai évoqués pour nos entreprises et nos collectivités locales, en revanche, s’agissant des secondes, des interventions sont possibles, surtout quand leurs effets créent des distorsions et des déséquilibres contraires à l’esprit et à l’objet même de l’octroi de mer. C’est le cas des dispositions particulières, dérogatoires qui s’appliquent aux échanges entre le marché unique antillais et la Guyane. Si ces dispositions sont juridiquement symétriques, la disparité des situations des Antilles, d’une part, et de la Guyane, d’autre part, crée de facto une situation déséquilibrée, doublement pénalisante pour la Guyane, comme le constate la propre étude d’impact du projet de loi.
Elles pénalisent une première fois la Guyane, parce que les recettes d’octroi de mer de la Guyane sont réduites du fait de son impossibilité de taxer sur son territoire les importations de marchandises produites dans les Antilles. En effet, aucun mécanisme de compensation comparable à celui mis en place au sein du marché unique antillais n’a été prévu. Les consommateurs guyanais acquittent donc une taxe sur leur consommation qui est perçue par les collectivités situées dans le marché unique antillais.
Une seconde pénalisation pour la Guyane vient du fait que le dispositif actuel rend inopérant une grande partie des différentiels de taux décidés par son conseil régional.
Après plusieurs rencontres et d’âpres discussions, un premier pas, important, a été franchi avec un consensus sur une liste de produits – huit produits, alors que la Guyane en demandait plus de vingt – et la mise en place d’une instance de concertation en charge de proposer si nécessaire la modification de la liste.
Comme convenu, madame la ministre, vous avez déposé un amendement en ce sens, mais il n’est pas en totale conformité avec les conclusions de la réunion du 28 avril dernier, notamment sur deux points. D’une part, le relevé de conclusions fait état de la nomenclature 4818, et non 4818-10. D’autre part, il était entendu entre nous que la présidence serait tournante entre la Guyane et le marché unique antillais, alors qu’elle revient désormais au ministère des outre-mer. La question du reversement semblait aussi être actée entre toutes les parties. Or vous n’en faites aucunement état. Si nous voulons que l’instance de concertation fonctionne, il va falloir que les dispositions arrêtées en son sein soient suivies d’effets. Je présenterai donc des amendements en ce sens.
Une autre mesure dérogatoire dont est victime une fois de plus la Guyane dans ce projet de loi porte sur la répartition de l’octroi de mer. Le droit commun prévoit en effet que l’octroi de mer est affecté à une dotation globale garantie répartie entre les communes de chaque département d’outre-mer. En Guyane, la situation est différente : depuis 1974, afin de résoudre le déficit du conseil général, l’État lui verse à titre dérogatoire une part de la recette communale correspondant à 35 % du montant total de la dotation globale garantie, plafonnée à 27 millions d’euros par an.
Chers collègues des autres départements, comment réagiriez-vous si l’État agissait de la sorte chez vous ? Cette situation est en effet unique et inique, car elle frappe des communes pour la plupart faiblement dotées de ressources fiscales directes, dont les besoins sont criants en raison de la forte croissance démographique qu’elles connaissent.
À plusieurs reprises, dans cet hémicycle, j’ai défendu des amendements pour que l’on revienne sur cette disposition. Dans un rapport que j’ai effectué à la demande du Gouvernement, j’en ai fait l’une de mes principales propositions. Pour l’heure, point de réponse positive. Excédés, les maires de Guyane, à l’unanimité, ont décidé « d’agir en justice à l’encontre de l’État en vue d’obtenir réparation du préjudice subi du fait du système illégal et discriminatoire de répartition de l’octroi de mer mis en place par ce dernier en 1974 et aboutissant à soustraire une part de 35 % sur la dotation devant revenir intégralement aux communes ».
Chers collègues, croyant en votre esprit d’équité et de justice, je reviens de nouveau devant vous avec deux amendements censés rétablir la situation : un qui prévoit une suppression immédiate dès janvier 2016, un autre pour une suppression progressive sur trois ans connaissant la situation contrainte des finances de l’État.
Je voterai ce projet de loi, car l’octroi de mer est un outil spécifique aux DOM, indéniablement indispensable pour le développement de leur production locale et pour le financement de leurs collectivités locales. Néanmoins, il ne convient pas d’en faire un outil uniforme qui ne tiendrait pas compte des spécificités de chacun des DOM. Dans sa communication du 20 juin 2012, la Commission européenne a déclaré : « Chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles ».
Les départements d’outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène : l’immensité du territoire guyanais et son insertion continentale s’opposent à l’étroitesse et au caractère insulaire de la Martinique et de la Guadeloupe. Trop souvent, trop facilement, la Guyane est purement et simplement assimilée à ces économies. La conséquence en est que les mesures et dispositions qui sont prises en faveur de ces deux îles lui sont calquées de façon trop systématique, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec ces dernières. Si les effets sont parfois comparables, les causes sont différentes et les éventuelles solutions sont à rechercher aussi avec des moyens différents. L’illustration en a été donnée avec la récente rencontre dans votre ministère. C’est cette démarche de recherche de mesures adaptées de façon consensuelle qui devra désormais être privilégiée.