Cet article, une fois n’est pas coutume, prévoit un renforcement des sanctions contre les employeurs qui ne respectent pas leurs obligations en matière de détachement de salariés. Le montant total de l’amende à laquelle ils s’exposent passe ainsi de 10 000 à 500 000 euros.
Cette mesure allant dans le bon sens, nous voterons bien sûr cet article. Néanmoins, il me semble important de revenir sur la réalité du travail détaché, véritable catastrophe économique et sociale, réalité à laquelle le projet de loi se garde bien, malheureusement, de s’attaquer.
Le travail détaché consiste à faire travailler des salariés en toute légalité dans un autre pays, tout en payant les cotisations sociales de leur pays d’origine.
En 2005, les partisans du traité établissant une constitution pour l'Europe qualifiaient parfois de racistes ou de xénophobes ceux qui osaient dénoncer la directive Bolkenstein, en s’appuyant sur la fameuse image du « plombier polonais », pour critiquer le modèle antisocial de l’Union européenne. Devant la réaction des peuples et la victoire du « non » au référendum portant sur ce traité, une version moins extrême de cette directive avait été adoptée en 2006.
La première version prévoyait d’obliger les immigrés à travailler dans les conditions de leur pays d’origine ; la suivante a instauré un système que l’on pourrait qualifier de délirant, puisque le salaire et le temps de travail doivent se conformer à la réglementation du pays où est exercée l’activité, tandis que les cotisations sociales continuent de dépendre du pays d’origine ! Par conséquent, dans le marché unique européen, soumis à la concurrence interne des pays à bas coût de l’Est, où le salaire minimum peut être de cinq à dix fois inférieur au nôtre, un nombre grandissant d’entreprises a recours à ces travailleurs détachés.
L’impact de ce mode de travail est calamiteux pour notre pays. Comme le rappelle un rapport d’information sur les travailleurs détachés rédigé par Éric Bocquet et paru en 2013, la directive 96/71/CE a été adoptée pour répondre au défi de l’intégration dans l’Union européenne de pays où le coût du travail était peu élevé.
Selon le principe de l’application du droit du pays d’accueil, les entreprises doivent rémunérer les salariés qu’elles détachent aux conditions du pays dans lequel est exécuté le contrat. Ce principe clair est pourtant contredit par la pratique, ce qui conduit à l’émergence progressive d’un salariat low cost. Ce phénomène est encore plus important depuis les élargissements de l’Union européenne de 2004 et de 2007. Bien qu’il reste difficile à quantifier, on estime à environ 300 000 le nombre de ces salariés low cost détachés en France, très souvent au mépris du droit communautaire. De nombreux secteurs d’activité sont concernés : le bâtiment, le transport, l’agriculture ou encore l’événementiel. C’est principalement l’absence de dispositions concrètes de contrôle dans la directive de 1996 qui cause cette explosion de la fraude au détachement.
On estime que seulement la moitié des salariés détachés seraient déclarés. Cette absence de déclaration s’observe particulièrement dans les secteurs non régis par la directive de 1996, tel le secteur routier. Cela étant, même lorsque les entreprises étrangères respectent les minima salariaux, les travailleurs détachés peuvent être amenés à faire des heures supplémentaires non rémunérées ou à rétrocéder une partie de leur salaire une fois rentrés dans leur pays, pour couvrir les frais de repas ou de logement en France. Tout cela est bien réel, monsieur le ministre, ce n’est pas de la science-fiction !
Votre texte, en confortant l’encadrement et le statut du travailleur détaché, n’aura d’autre effet, en réalité, que de conforter l’existence d’une réserve de main-d’œuvre exploitable à merci par des entreprises qui, du même coup, seront dispensées de cotisations sociales, c’est-à-dire de contribution aux dépenses de la collectivité.