Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que la morosité économique actuelle nous conduit parfois à l’autoflagellation, il y a de véritables succès qu’il faut savoir saluer. Or, comme l’a rappelé notre collègue Michelle Demessine, l’industrie aéronautique et spatiale en est assurément un.
Vous le savez, son dynamisme est fulgurant. En 2013, le secteur employait en France quelque 177 000 personnes, avec 6 000 emplois nets créés. Le chiffre d’affaires de la profession était de près de 48 milliards d’euros, dont une grande partie réalisée à l’export, contribuant ainsi au redressement de notre balance commerciale, comme en témoigne la vente récente de nos excellents Rafale à l’Égypte, à l’Inde et au Qatar.
Il s’agit d’une filière d’excellence, à la pointe des technologies, de l’innovation et de la recherche, avec près de 15 % du chiffre d’affaires consacré à la recherche et au développement, avec de multiples retombés dans les domaines militaire et civil.
C’est aussi une filière d’avenir : en témoigne le carnet de commandes du groupe Airbus. Nous devons d'ailleurs surmonter ensemble le tragique événement qui vient de se produire, sans nous décourager, car l’A400M est un très bon avion.
J’insiste sur cette notion de filière, car la France a la chance de posséder sur son territoire une filière aéronautique et spatiale complète, avec de grands constructeurs – Airbus, qui est une chance, Dassault –, des équipementiers – Thales, Safran –, mais également un vaste tissu de PME maîtrisant les savoir-faire les plus complexes.
J’ai assumé avec mon agglomération la présidence tournante de la communauté des villes Ariane, qui regroupe, en France et en Europe, les villes accueillant sur leur territoire des industries liées à Ariane, et j’ai pu mesurer à quel point cette industrie de pointe irriguait l’activité de nos territoires – à l’image de Clemessy, en Alsace.
Au-delà de cette dimension économique, il convient de garder à l’esprit que l’industrie aéronautique et spatiale n’est pas une industrie comme les autres. Maîtriser le ciel et l’espace n’est pas anodin ! Il y a là une dimension stratégique essentielle pour les États, étroitement liée aux enjeux de souveraineté – la sécurité, par exemple.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous devons être fiers de la réussite de notre filière aéronautique et spatiale. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’être lucides pour appréhender les réalités de demain. Alors que le contexte international est de plus en plus concurrentiel, l’industrie aéronautique et spatiale française et européenne devra inévitablement relever de nombreux défis pour se maintenir au sommet. En voici quelques-uns.
Historiquement, le succès de la filière repose d’abord sur un partenariat très fort entre l’État et les industriels. L’État a toujours joué un rôle prépondérant dans le lancement de grands programmes – A-380, Ariane, Rafale, etc. –, notamment via le mécanisme des avances remboursables. Or, dans un climat de restrictions budgétaires, d’aucuns s’interrogent sur le risque de désengagement de l’État, qui aurait des conséquences dramatiques sur le secteur.
J’émets à ce titre des réserves sur la politique de cessions d’actifs conduite par l’État. Si je comprends la logique budgétaire, est-ce bien raisonnable de brader ainsi les « joyaux de la couronne » ? N’y a-t-il pas un risque de perdre notre capacité décisionnelle au sein d’entreprises stratégiques en accroissant la part de l’actionnariat flottant, qui représente par exemple 70 % chez Airbus ? À tout le moins, soyons prudents.
La formation représente un autre défi. Alors que l’industrie aéronautique et spatiale tourne à plein régime, les entreprises peinent à recruter des techniciens et ouvriers qualifiés. Quel paradoxe dans un pays comme le nôtre !
Comment le Gouvernement entend-il renforcer la formation dans ce secteur, afin de permettre à nos jeunes d’acquérir les compétences recherchées ? Comment faire tomber les barrières entre écoles et entreprises ? Quid du projet de centre de formation sur la base de Dugny-Le Bourget ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que les marges de manœuvre du secteur ne cessent de se réduire. L’industrie aéronautique et spatiale est confrontée à une concurrence accrue des pays émergents et des États-Unis, qui n’hésitent pas à subventionner massivement certains programmes, à l’image du Boeing 777X, concurrent de l’A380 et de l’A350.
N’oublions pas, enfin, que la concurrence peut être intraeuropéenne. Je pense en particulier à la politique spatiale européenne, qui a conduit depuis quelques années à l’apparition d’une multiplicité d’acteurs. Ne serait-il pas souhaitable, pour le secteur spatial, de favoriser une rationalisation des savoir-faire en Europe ?
Dans ce contexte tendu, le défi pour la filière sera de poursuivre son développement, en renforçant sa compétitivité. Des mécanismes de soutien financier existent déjà – vous les connaissez, mes chers collègues –, ainsi que des plateformes de dialogue entre l’État et les industriels. C’est très bien !
Je sais que les industriels attendaient aussi beaucoup du pacte de compétitivité pour améliorer leurs capacités de production en France. Êtes-vous en mesure, monsieur le secrétaire d’État, d’en dresser un premier bilan ?
Certes, les marchés nationaux constituent une formidable vitrine, mais du fait de la baisse des commandes publiques, notamment en matière de défense, la croissance de la filière se jouera aussi à l’export.
Certains grands groupes ont commencé à mettre en place des partenariats locaux pour des activités de montage et de maintenance. De tels projets ne doivent pas voir le jour au prix de transferts de valeur ajoutée trop importants.
Il y a là, toujours, une recherche d’équilibre assez difficile. Ces transferts, en effet, constituent parfois la clef du marché. Ce n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu récemment, mais la question est toujours susceptible de revenir sur la table, avec, par exemple, un pays comme l’Inde. Il importe donc de fixer des limites au regard de notre savoir-faire, mais aussi des problématiques de préservation de l’emploi et d’accompagnement de nos PME, qui peinent encore à s’implanter sur les marchés.
J’ai néanmoins conscience que le sujet est d’importance, mais que l’art est difficile !
Depuis cinquante ans, l’industrie aéronautique et spatiale a réalisé des progrès considérables. Toutefois, face à la concurrence qui s’annonce, il faut garder une longueur d’avance.
L’innovation doit par conséquent être au cœur du développement de la filière, notamment eu égard aux enjeux environnementaux, qui offrent de formidables perspectives d’innovations, à l’image du projet d’avion électrique.
Plus généralement, dans un monde en pleine mutation – le secteur aéronautique et spatial n’échappe pas à ce phénomène –, les enjeux environnementaux, comme les enjeux technologiques vont s’imposer chaque jour davantage. Ni nous ni nos entreprises ne devons les voir comme des freins. Au contraire, il faut les considérer comme de nouvelles chances. Dans ce cadre, il sera également déterminant de disposer d’une longueur d’avance s’agissant de règles et de normes qui s’installeront progressivement au niveau international, y compris dans des domaines aussi pointus que ceux qui nous intéressent aujourd'hui.
Sur cet aspect, comme sur d’autres, la France ne peut agir seule, et c’est à l’échelle européenne qu’il faut amplifier nos efforts. La décision de développer le lanceur Ariane 6 afin de contrecarrer l’offensive de la société américaine SpaceX est, à ce titre, une bonne nouvelle. Le projet est crucial pour l’avenir du leadership européen en matière spatiale. Des initiatives similaires pour d’autres types de matériel, comme les satellites militaires, devraient être encouragées.
Certes notre filière aéronautique et spatiale se porte bien, mais le principal danger serait de nous reposer sur ses acquis ! Pour affronter les défis à venir, nous devons renouer avec une véritable politique industrielle volontariste, la renforcer ou l’amplifier, avec, à la clef, des emplois, de la croissance, une place de leader dans un secteur hautement stratégique et, bien évidemment, toutes les retombées que l’on peut imaginer et que l’on engrange déjà actuellement.
En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur les sénateurs centristes pour soutenir tous vos efforts en ce sens !