Nous devons rester à la pointe de l’innovation dans les satellites. Dans le domaine des télécoms, le PIA a permis de développer très rapidement de nouvelles plateformes de satellites à propulsion électrique, qui remportent déjà des succès à l’export.
En observation de la Terre à haute et très haute résolution, les développements entrepris depuis des années, grâce aux financements de la défense et du CNES, ont permis à notre industrie d’emporter des marchés très compétitifs aux Émirats Arabes Unis, par exemple.
S’agissant des lanceurs, il est nécessaire de faire évoluer la fusée Ariane elle-même pour l’adapter au marché et la rendre plus compétitive, mais aussi le modèle industriel et de gouvernance, afin de diminuer les coûts de production et gagner en réactivité.
Ariane 5 est un lanceur d’une fiabilité inégalée, mais d’une grande complexité technologique et limité au lancement double. L’enjeu est donc de le simplifier et d’augmenter sa flexibilité.
Après concertation entre les acteurs, le choix d’une nouvelle configuration pour Ariane 6, validé lors de la réunion ministérielle de Luxembourg, s’est porté sur un concept flexible comprenant deux versions à deux ou quatre boosters. Cette configuration répond aux besoins de lancement et permet une diminution du coût de production, tout en préservant l’essentiel des acquis industriels en France, en Italie et en Allemagne.
Le modèle industriel et la gouvernance d’Ariane sont aujourd’hui handicapés par un éclatement des sites de production et par une très longue chaîne d’approvisionnement et d’intégration. De plus, la forte imbrication des centres de décision et des responsabilités entre acteurs étatiques – ESA et CNES –, industriels de production et Arianespace ajoute de la lourdeur au processus.
L’évolution de la filière doit donc être double : tout d’abord, la création de la joint-venture Airbus Safran Launchers, ASL, annoncée en juin 2014, supprimera de nombreuses interfaces et permettra des synergies industrielles. Ensuite, la clarification des relations entre acteurs institutionnels et industrie pour le développement d’Ariane 6, avec les agences clairement positionnées en maîtrise d’ouvrage et les industriels en maîtrise d’œuvre, doit assurer une plus grande réactivité dans les développements. Elle permet aussi un meilleur levier sur la capacité d’investissement privé : ASL investira dans le développement d’Ariane 6, à l’inverse de ce qui s’est passé pour les précédents lanceurs.
Cette évolution des relations entre acteurs de la filière est une décision de l’ensemble des États membres de l’ESA, qui ont adopté une résolution en ce sens en décembre 2014.
C’est une évolution réelle, mais il ne s’agit ni d’un désengagement des États – ceux-ci investissent ensemble quelque 4 milliards d'euros pour ce nouveau lanceur – ni d’un affaiblissement du rôle des agences ou du contrôle des fonds publics : l’ESA, en s’appuyant sur le CNES, assurera la maîtrise d’ouvrage et le contrôle du programme.
Les paiements se feront par ailleurs à livraison et non plus sur développement, comme c’était le cas jusqu’à présent. Il ne s’agit pas non plus d’une remise en cause de l’importance d’Arianespace pour assurer la commercialisation d’Ariane et l’équité de traitement entre ses différents clients – c’est un rôle que nul, ni l’État ni ASL, n’a intérêt à minimiser.
Nous devons nous appuyer sur nos atouts pour être plus réactifs et plus forts encore demain : l’enjeu est majeur pour l’avenir de la filière, compte tenu des prix pratiqués par son concurrent, SpaceX. Bien sûr, ce dernier bénéficie d’aides massives du gouvernement américain. Toutefois, cette société a aussi su innover en faisant porter son effort sur la réduction des coûts de production, et elle continue de le faire en tentant de réutiliser les premiers étages des engins.
En ce qui concerne les lanceurs réutilisables, la réflexion est en cours au CNES, à l’ESA et dans l’industrie spatiale en France et en Europe.
Dans le passé, aucun lanceur réutilisable n’a été un succès technique et économique : la navette en est un exemple. Il apparaît, d’ores et déjà, que la piste d’un système de lancement totalement réutilisable n’est pas la bonne. En revanche, la question reste ouverte pour le premier étage.
Les efforts actuels de SpaceX sont suivis de près, et des études sont menées au CNES et chez Airbus Defence and Space sur un concept original de premier étage réutilisable.
J’en viens aux dirigeables. L’étude d’applications nouvelles pour les dirigeables fait l’objet, comme d’ailleurs les drones, d’un projet dans le cadre de la Nouvelle France industrielle. Ce plan est conduit par le pôle de compétitivité Pégase en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Deux projets sont engagés : le premier pour transporter des charges lourdes, jusqu’à soixante tonnes, le second pour développer un dirigeable stratosphérique dans le cadre de missions civiles et militaires de télécommunications et d’observation, en complément des satellites.
S’agissant de l’hélium, utilisé pour pressuriser les étages des lanceurs, on peut convenir qu’il est un gaz rare, certes, mais pas encore au point de constituer un problème d’approvisionnement pour la filière Ariane à court ou moyen terme.
Économiquement, l’hélium est un produit annexe de l’extraction du gaz naturel. À titre d’exemple, il existe au Qatar une usine qui produit 10 tonnes d’hélium par jour. Un lanceur Ariane en consomme 145 kilogrammes. Autrement dit, l’ordre de grandeur de la consommation annuelle est la tonne, soit 10 % de la production quotidienne de l’usine qatarie.
L’État est pleinement conscient que l’industrie aéronautique et spatiale réalise des investissements considérables dans le domaine de la recherche et développement. L’effort réalisé dépasse 15 % du chiffre d’affaires pour les entreprises aéronautiques, ce qui est extrêmement élevé. Il est fait, par ailleurs, sur des cycles très longs, car le point de rentabilité financière de certains programmes peut n’intervenir que vingt à vingt-cinq ans après les premiers investissements.
Ce contexte spécifique de l’innovation rend absolument nécessaire l’intervention publique pour compléter l’investissement industriel.
C’est d’autant plus indispensable que, dans le même temps, la concurrence se renforce. L’octroi récent à Boeing par l’État de Washington de la plus large exemption fiscale de l’histoire des États-Unis montre toute la volonté de ce pays d’aider massivement son industrie. La Chine, la Russie et, à un degré moindre, le Canada et le Brésil, pays émergents dans le domaine des avions de plus de cent places, subventionnent leur industrie de manière similaire.
Le système de soutien français repose en premier lieu sur des aides sectorielles à la recherche et développement. La filière aéronautique, particulièrement structurée, dispose, pour construire son dialogue avec les pouvoirs publics et bâtir ses projets, du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, que je préside personnellement.
Un comité de concertation État-Industrie pour le spatial, le COSPACE, a aussi été mis en place à la fin de 2013 par la ministre chargée de l’espace, Mme Fioraso, avec les ministres de la défense et de l’industrie. À l’instar du CORAC, ce comité rassemble les acteurs publics et privés du secteur pour partager une vision commune sur les grands enjeux. La création du COSPACE était d’ailleurs une recommandation du rapport de Mme Procaccia et de M. Sido.
En maintenant depuis 2012 en valeur, malgré le contexte de maîtrise budgétaire, la capacité d’intervention financière propre de la DGAC, la Direction générale de l'aviation civile, et en mettant en place des actions dédiées à l’aéronautique dans les deux programmes d’investissement d’avenir, ou PIA, le Gouvernement a décidé d’augmenter le soutien global au secteur. L’action aéronautique des PIA a été dotée d’un total de 2, 9 milliards d’euros depuis 2010.
Cet effort permet un soutien déterminant aux projets de recherche du CORAC : très concrètement, le lancement du long courrier A-350 d’Airbus ou des hélicoptères X4 et X6 d’Airbus Helicopters. Il s’agit aussi, à plus long terme, de concevoir les aéronefs des futures générations, plus silencieux et plus économes en carburant, de développer de nouvelles méthodes de production et d’assemblage dans les usines et d’inventer de nouveaux systèmes de pilotage, qui permettront, à terme, aux compagnies aériennes d’accroître les capacités opérationnelles de leurs avions.
Je précise, puisque M. Courteau m’a posé la question pour le compte de M. Labazée, que l’installation d’Hydro-Québec sur le site de Lacq n’est pas directement liée à l’imposition forfaitaire annuelle, l’IFA, mais celle-ci crée les conditions d’un partenariat. C’est en tout cas ainsi qu’elle est reçue par les industriels.
L’État, au travers des subventions qui transitent par le CNES, l’ESA et la DGA, consacre aussi des sommes importantes à la recherche spatiale, au développement et à la production de nouveaux produits à vocation commerciale, scientifique ou de défense, ou encore au soutien à l’exploitation.
C’est ainsi que sont nés les lanceurs de la famille Ariane, les satellites de télécommunications modernisés – notamment ceux à propulsion électrique, grâce à l’un des 34 plans de la Nouvelle France industrielle, doté de 50 millions d’euros – et les satellites d’observation de la terre, qui remportent aussi de nombreux succès à l’export et sont indispensables à notre défense.
Cet effort de l’État dans le domaine spatial avoisine les 2 milliards d’euros chaque année et n’a pas faibli malgré nos contraintes financières.
Le soutien du Gouvernement, tant financier que politique, prend d’autres formes, notamment au travers des pôles de compétitivité, dont l’action est essentielle pour le transfert des recherches du secteur public à la filière industrielle et à ses petites et moyennes entreprises. La France dispose également d’incitations fiscales à l’innovation, au premier rang desquels figure le crédit d’impôt recherche, le CIR.
Avant de conclure, je tiens à retourner à M. Dassault les remerciements qu’il a adressés au Gouvernement, et que je transmettrai aux ministres concernés, MM. Fabius et Le Drian. Je le remercie, également de son invitation collective au Salon du Bourget !